Résumés
Résumé
Cette recherche a pour objectif de comprendre en profondeur le phénomène d’appropriation d’une innovation managériale (IM), la pleine conscience au travail. Pour cela, une étude de cas longitudinale sur six ans a été menée au sein de la filiale française d’un groupe international. Les résultats révèlent tout d’abord que la composante « philosophie » au fondement de l’IM, bien que capitale, fluctue au cours du processus d’appropriation, soulignant l’importance des « pratiques » pour en assurer la matérialité. Les résultats mettent également en lumière l’influence significative de la logique socio-politique dans l’appropriation d’une IM mais surtout la dialectique entre appropriation individuelle et collective tout au long du processus. L’approche multidimensionnelle et processuelle mobilisée enrichit considérablement la compréhension du processus d’appropriation.
Mots-clés :
- Innovation managériale,
- appropriation,
- processus,
- pleine conscience au travail
Abstract
This research aims to gain an in-depth understanding of the phenomenon of appropriation of a managerial innovation (MI): the mindfulness at work. To this end, a longitudinal case study over six years was conducted within the French subsidiary of an international group. The results reveal firstly that the “philosophy” component at the heart of the MI, although crucial, fluctuates during the appropriation process, underlining the importance of “practices” to ensure its materiality. The results also highlight the significant influence of socio-political logic in the appropriation of a MI, but above all the dialectic between individual and collective appropriation throughout the process. The multidimensional and processual used considerably enriches our understanding of the appropriation process.
Keywords:
- Managerial Innovation,
- Appropriation process,
- Mindfulness at work
Resumen
El objetivo de esta investigación es comprender en profundidad el fenómeno de la apropiación de una innovación de gestión (IG), el mindfulness en el trabajo. Para ello, se realizó un estudio de caso longitudinal a lo largo de seis años en la filial francesa de un grupo internacional. Los resultados revelan, en primer lugar, que el componente “filosofía” que constituye el núcleo de la IG, aunque crucial, fluctúa durante el proceso de apropiación, lo que subraya la importancia de las “prácticas” para garantizar su materialidad. Los resultados también ponen de relieve la significativa influencia de la lógica sociopolítica en la apropiación de un IG, pero sobre todo la dialéctica entre la apropiación individual y colectiva a lo largo del proceso. Este enfoque multidimensional y procesual enriquece considerablemente nuestra comprensión del proceso de apropiación.
Palabras clave:
- Innovación de gestión,
- proceso de apropiación,
- mindfulness en el trabajo
Corps de l’article
Si la réflexion sur les innovations technologiques a constitué pendant longtemps le coeur du management de l’innovation, depuis les travaux de Birkinshaw, Hamel & Mol (2008), l’attention se porte également sur les innovations managériales (IM) (Khosravi, Newton & Rezvani, 2019). Parmi les IM en expansion, la pleine conscience au travail (PCT) se diffuse au niveau international et rencontre un intérêt grandissant de la part des chercheurs (Czuly & Poujol, 2018; Desmarais, Dubouloz & Françoise, 2022). Badham & King (2021) relèvent au moins 14 numéros spéciaux de revues scientifiques et 11 manuels traitant de la PCT qui peut se définir comme l’application en contexte professionnel, de pratiques visant à maintenir un état d’attention intentionnel sur le moment présent, dans une attitude d’acceptation et de non-jugement. Cette IM s’inscrit dans la catégorie des pratiques de soi, qui reposent sur la nécessité pour l’individu de se gouverner lui-même afin d’être à même de gouverner les autres (Foucault, Ewald, Fontana & Gros, 2002). Elle implique ainsi une « appropriation par le bas » (Segrestin, 2004, p.23), par une majorité d’individus au sein de l’organisation. L’objet de cet article est d’apporter une contribution à l’analyse du processus d’appropriation des IM, en se focalisant sur la PCT.
L’appropriation d’une IM peut être définie comme l’usage qu’en font les acteurs dans l’organisation (De Vaujany, 2006). Cet usage concerne les trois composantes de l’IM (Mamman, 2009), à savoir les Pratiques qui lui sont associées, ses Principes et sa Philosophie. Les caractères tacites (possibilité d’interprétation subjective, faible matérialité, dimension intangible) et systémiques (organisation affectée dans son ensemble) des IM soulèvent des difficultés spécifiques d’appropriation (Birkinshaw, et al., 2008; Canet & Tran, 2017; Peeters, Massini & Lewin, 2014).
La littérature sur l’appropriation concerne majoritairement les outils de gestion (De Vaujany, 2006) et a été assez peu mobilisée pour les IM. En effet, seule la recherche de Canet & Tran (2017) a explicitement abordé l’appropriation d’une IM. A travers une étude de cas unique et longitudinale portant sur une IM à forte matérialité, un système d’information, ces auteurs ont montré que le substrat technique jouait un rôle fondamental, en matérialisant la philosophie de l’IM. Toutefois, alors que l’appropriation d’une IM suppose une intégration simultanée des dimensions individuelles et collectives, ce qui lui imprime sa visée (Grimand, 2012), la recherche de Canet & Tran (2017) n’aborde pas cette difficile articulation entre collectif et individuel (Dumas, Douguet & Muñoz, 2012). La littérature sur l’appropriation l’aborde quant à elle mais de manière disjointe.
Notre recherche a ainsi pour ambition d’interroger l’appropriation individuelle et collective d’une IM de type pratique de soi qui s’appuie sur une philosophie forte et une faible matérialité. Plus précisément son objectif est triple : distinguer plus clairement le rôle respectif des différentes composantes de l’IM dans son appropriation, comprendre en profondeur les logiques d’appropriation et analyser la dialectique entre appropriation individuelle et collective durant les différentes phases d’appropriation.
Pour répondre à ce triple objectif, nous mobilisons une étude de cas longitudinale menée durant les six années de l’implémentation de la PCT au sein d’une filiale française d’un groupe industriel international.
Cette recherche apporte plusieurs contributions. Dans le cas d’une IM de type pratique de soi, elle montre que sa « philosophie » joue un rôle décisif mais fluctuant (tantôt levier tantôt frein) au fil des phases du processus d’appropriation ce qui permet de raffiner les résultats obtenus par Canet & Tran (2017). Elle permet ensuite de confirmer le poids de la logique socio-politique dans l’appropriation d’une IM mais surtout de raffiner notre compréhension de la dialectique appropriation individuelle - appropriation collective à l’oeuvre tout au long du processus. Enfin, elle aboutit à des contributions managériales à destination des organisations qui décident d’implémenter une IM telle que la PCT.
L’appropriation d’une innovation managériale telle que la pleine conscience au travail
Cette partie s’organise en quatre sections. Les trois premières sont relatives à la pleine conscience au travail définie comme (1) une pratique de soi, (2) une IM à faible matérialité et (3) oscillant entre des dynamiques individuelles et collectives. La dernière section propose quant à elle à une revue de la littérature sur l’appropriation des outils de gestion transposée aux IM.
La pleine conscience au travail : une pratique de soi
Les organisations développent de manière croissante des pratiques centrées sur le développement des individus. Ces pratiques de soi peuvent se définir comme l’ensemble des techniques et pratiques centrées sur les individus et leur permettant d’agir sur leurs propres comportements afin de répondre à des objectifs comportementaux présentés comme exemplaires : être créatif, communiquer de manière non violente, etc (Pezet, 2007). Parmi ces pratiques, le coaching a été largement analysé (Gros, 2005; Pezet, 2007). La PCT a émergé plus récemment et suscite, à son tour, à la fois engouement et critiques.
Si la PCT trouve sa source dans la philosophie bouddhiste et des pratiques plurimillénaires, elle est protocolisée et utilisée à partir des années quatre-vingt par des psychologues et médecins. Sa diffusion dans les organisations s’est réalisée sous l’impulsion de grandes entreprises (Aetna, Intel, General Mills,Target ou encore Google) et sous la forme de protocoles et méthodes d’interventions diverses (Jamieson & Tuckey, 2017). Le phénomène s’internationalise et devient massif aux Etats-Unis, avec 60 % des entreprises moyennes et grandes déclarant offrir ces pratiques à leurs salariés (Vonderlin, Biermann, Bohus & Lyssenko, 2020).
Si de nombreux travaux insistent sur les effets bénéfiques de la PCT, un courant critique récent en souligne les risques d’instrumentalisation (Roux & Kurtaliqi, 2023).
La pleine conscience au travail : une innovation managériale fondée sur une philosophie gestionnaire forte et une faible matérialité
L’IM est définie comme la génération et l’implémentation de pratiques, procédés, structures ou techniques de management qui sont nouveaux et destinés à favoriser l’atteinte des objectifs organisationnels (Birkinshaw et al., 2008). La PCT a été reconnue comme une IM (Desmarais et al., 2022; Islam et al., 2022) et peut se décliner à travers les trois P du cadre d’analyse de Mamman (2009), sa philosophie (façon de penser et hypothèses au fondement de l’IM), ses principes (règles qui guident son application) et ses pratiques (ce qui matérialise plus concrètement l’IM : pratiques, outils, méthodes observables). Canet & Tran (2017), comme David (1996) avant eux, assimilent ces dimensions aux philosophie gestionnaire, substrat technique et vision simplifiée des relations organisationnelles propres aux outils de gestion (Hatchuel & Weil, 1992). La PCT se caractérise par une philosophie forte qui lui confère un caractère tacite (possibilité d’interprétations subjective, faible matérialité, dimension intangible). Elle s’inscrit dans une approche humaniste : la pleine conscience (PC) est vue comme un moyen de développer des comportements éthiques, individuellement et collectivement. Les principes fondamentaux de la PCT reposent sur la sérénité et l’efficacité dans l’action par la normalisation des comportements, l’auto-contrôle, l’autonomie des acteurs et leur capacité à s’auto-gouverner (Pezet, 2007). Des principes complémentaires supposent le volontariat dans la participation à un programme de PC et une pratique individuelle régulière. Quant aux pratiques, il s’agit des programmes Mindfulness-based stress reduction ou Mindulness-based cognitive therapy for life, et autres pratiques en lien avec la PCT (méditations avant les réunions, séances de feedback) (Baer & Krietemeyer, 2006; Eby, et al., 2019).
La pleine conscience au travail : une innovation managériale oscillant entre des logiques individuelles et collectives
La PCT et les pratiques de soi au travail invitent à une réflexivité de l’individu sur lui-même, afin de développer des compétences comportementales correspondant à un idéal collectif (Pezet, 2007). Leur visée collective est ainsi assumée. Ces IM ne visent pas une connaissance de soi pour soi, mais un développement de soi pour correspondre aux attentes de l’organisation et atteindre des objectifs de performance collective. Leur philosophie est celle de la construction par soi-même d’un sujet agissant conformément aux buts de l’organisation (Pezet, 2007). Ces pratiques s’inscrivent dans la réflexion de Foucault sur le souci de soi et la nécessité pour l’individu de se gouverner lui-même afin d’être à même de gouverner les autres (Foucault, 2001). Ce sont des outils dont la finalité est l’exercice du pouvoir : pouvoir sur soi et pouvoir sur les autres. Foucault rattache d’ailleurs les pratiques de soi à la gouvernementalité : « dans cette notion de gouvernementalité, je vise l’ensemble des pratiques par lesquelles on peut constituer, définir, organiser, instrumentaliser les stratégies que les individus, dans leur liberté, peuvent avoir les uns à l’égard des autres » (Foucault, 1984). Bien que se défendant de visées utilitaristes, les prescriptions comportementales des pratiques de soi visent à influencer le management et la collaboration.
Finalement, en ciblant l’individu pour changer l’organisation, les IM telles que la PCT postulent une transition naturelle entre changement individuel et changement organisationnel. C’est le cas de la plupart des IM qui visent généralement en premier lieu un objectif au niveau collectif, mais dont le caractère systémique suppose toutefois une transformation des comportements individuels (Damanpour & Aravind, 2012a).
L’appropriation d’une innovation managériale telle que la pleine conscience au travail
L’IM ayant la particularité d’être systémique (Damanpour & Aravind, 2012a), son succès implique une appropriation par une majorité d’individus de l’organisation qui doivent la reconnaître, donner du sens à son usage et l’intégrer dans leurs routines (Segrestin, 2004). Dès lors, la littérature sur l’appropriation des outils de gestion apporte des grilles de lecture transposables aux IM (Canet & Tran, 2017; David, 1996; Segrestin, 2004).
Les différentes logiques du processus d’appropriation
L’appropriation d’un outil de gestion ou d’une IM découle des interactions entre l’outil ou l’IM et l’organisation (David, 1996). C’est un processus long qui ne s’achève que très rarement par la formation de routines définitives. Il est divisible en trois phases (figure 1) : une phase de pré-appropriation, une phase d’appropriation originelle et une ou plusieurs phases de ré-appropriation (De Vaujany, 2006).
Figure 1
L’appropriation : un processus en trois phases
Quatre logiques détaillées dans le tableau 1 permettent de mieux comprendre ce processus d’appropriation (Grimand, 2012) : (1) la logique rationnelle qui s’inscrit dans un registre dominant de prescription et normalisation des comportements, (2) la logique psycho-cognitive qui relève d’un registre d’apprentissage et d’interprétation, (3) la logique socio-politique qui révèle les mécanismes politiques à l’oeuvre dans l’appropriation et (4) la logique symbolique qui s’inscrit dans le registre de l’identité (l’outil est un support identitaire) et de création de sens (l’outil est un vecteur de création de sens).
Tableau 1
Quatre logiques de l’appropriation des outils de gestion
L’articulation des logiques individuelles et collective dans le processus d’appropriation
Questionner l’appropriation d’une IM nécessite d’initier un dialogue entre les niveaux individuels et collectifs du fait des caractères systémique et tacite de l’IM. Sa nature systémique l’amène à influencer l’organisation comme les individus (Damanpour & Aravind, 2012a). Sa nature tacite (Birkinshaw, et al., 2008) suppose une spirale d’apprentissage durant laquelle les connaissances tacites sont échangées au cours d’interactions sociales quotidiennes et à travers un apprentissage « en faisant » (socialisation), puis converties en connaissances explicites par une forme de codification (extériorisation), formellement structurées (combinaison) et enfin incorporées dans les pratiques jusqu’à devenir des routines (intériorisation) (Nonaka & Takeuchi, 1995). L’appropriation de toute IM conduit ainsi à souligner un mouvement de spirale entre l’appropriation individuelle liée aux usages des individus et l’appropriation collective liée aux usages, discours et représentations collectives, ces deux niveaux se renforçant mutuellement.
Dechamp, Goy, Grimand & De Vaujany (2006) suggèrent que l’appropriation relève à la fois du niveau individuel et du niveau collectif, sans toutefois analyser leur articulation, dont la difficulté est pourtant largement identifiée dans les travaux de Dumas et al. (2012) au sujet de l’appropriation du « dossier patient » dans un hôpital. Les perspectives individuelles et collectives d’appropriation sont donc abordées de manière disjointe par la littérature. Nous proposons ici de les envisager comme une dialectique. Cela conduit à s’intéresser, non pas à un sujet tel qu’il serait pensé par ceux qui le gouvernent dans l’entreprise, ni à un sujet se pensant lui-même mais à un sujet se construisant dans un contexte managérial (Pezet, 2007). Cette approche permet d’explorer la frontière entre appropriation individuelle et collective en évitant d’opposer ces deux logiques.
Cette revue de littérature nous conduit à envisager une grille de lecture intégrative et multi-niveaux de l’appropriation d’une IM telle que la PCT (cf. tableau 2). En effet, nous proposons d’initier un dialogue entre les niveaux individuels et organisationnels de l’appropriation de la PCT à travers ses trois composantes (Philosophie, Principes et Pratiques) en tenant compte des logiques à l’oeuvre (Grimand, 2012) et des phases du processus d’appropriation (De Vaujany, 2006).
Une étude de cas longitudinale chez Bearingtech[1]
Après avoir justifié du choix d’une étude de cas longitudinale, nous présentons le cas Bearingtech et la manière dont nous l’avons abordé d’un point de vue méthodologique.
Intérêt d’une méthodologie qualitative à travers une étude de cas longitudinale
L’appropriation représente un processus social complexe, en plusieurs phases, multi-niveau et articulant plusieurs logiques. Dès lors, les données qualitatives et longitudinales permettent d’enrichir la théorie de l’appropriation à travers un cycle récursif entre les données, la théorie émergente et la théorie existante (Eisenhardt & Graebner, 2007). L’objectif de cette recherche n’étant pas de tester une théorie mais de l’enrichir, nous avons fait le choix d’un cas unique, révélateur du difficile processus d’appropriation d’une IM et capable de fournir de plus amples explications quant aux logiques à l’oeuvre (Yin, 2009). Le recours à un cas unique longitudinal permet également de se concentrer sur les aspects sociaux profonds et leur description fine au fil du temps (Dyer & Wilkins, 1991). Il permet de considérer le phénomène étudié sous différents angles, à travers des sources et des informateurs variés. L’histoire peut être entrelacée avec la théorie, dans un lien étroit entre les preuves empiriques et l’émergence d’enrichissement de la théorie (Eisenhardt & Graebner, 2007).
Présentation du cas Bearingtech
La filiale française de Bearingtech (BT) comprend le siège France de l’entreprise et un site de production historique (240 salariés au total). BT compte 1100 employés dans le monde et appartient à un groupe mondial américain qui regroupe 5 divisons pour 6000 employés. La filiale française BT a adopté un programme de formation à la PCT, laïque et scientifique, entre 2013 et 2018. Cinq groupes successifs ont suivi une formation MBSR : un premier avec 7 dirigeants, puis trois groupes successifs (24 managers) et un dernier groupe (7 collaborateurs). Des séminaires relatifs à la PCT ont également été organisés et des groupes de pratiques ont été formés.
Recueil et analyse des données
Dans un souci de triangulation des données, des entretiens semi-directifs multi-acteurs ont été conduits avec les prescripteurs de la PCT (dirigeants et formatrice) et avec les utilisateurs de la PCT (tous statuts) et leurs parties prenantes.
Cinq vagues d’entretiens approfondis ont ainsi été menées avec un intervalle d’environ un an entre chaque vague. L’appropriation de l’IM a été analysée à travers des entretiens semi-directifs à 360° menés en trois temps (avant la formation et trois mois après la fin de la formation). Ces entretiens ont ainsi été menés auprès des personnes ayant participé aux formations PCT, leurs supérieurs hiérarchiques (n+1) et collaborateurs (n-1). Ce protocole a été suivi pour les 7 dirigeants du premier groupe de formation et complété avec une dernière série d’entretiens, 1 an après la formation. Il a ensuite été répliqué sur 6 managers du deuxième groupe. Au final, 94 entretiens semi-directifs ont été réalisés et analysés (cf. tableau 3 et annexe 1).
Tableau 2
Grille de lecture issue de la revue de littérature
Tableau 3
Phases d’appropriation et recueil des données
* 7 entretiens avant la formation; 7 trois mois après la formation, 7 un an après la formation, 18 entretiens avec les N-1 et N+1 trois mois après la formation
Le matériel recueilli a été analysé et codé par les auteurs et un chercheur extérieur à l’équipe. La grille de codage comprenait 3 catégories principales correspondant aux trois phases du processus d’appropriation, subdivisées en 3 sous-catégories : les logiques d’appropriation (rationnelle, psycho-cognitive, socio-politique et symbolique), le rôle des 3 composantes de l’IM (Philosophie, Principes et Pratiques), et la dialectique individu/collectif (cf. tableau 2). Une veille concernant BT et son environnement a été réalisée pendant la durée de la recherche. Les résultats ont fait l’objet de 3 restitutions au sein de BT.
La pleine conscience chez Bearingtech : toute une histoire
Nous présentons tout d’abord les résultats de manière chronologique suivant les trois phases d’appropriation (De Vaujany, 2006), puis selon les logiques d’appropriation (De Vaujany, 2006; Grimand, 2012). Dans un cas comme dans l’autre, l’accent est porté sur la dialectique individu / collectif qui fait l’objet d’une section conclusive.
Pré-appropriation : le rôle clé de la philosophie de l’IM et de son alignement (janvier à aout 2013)
Début 2013, à la suite d’une présentation lors d’un séminaire groupe, le VP strategy propose à BT de lancer un programme de PCT. La philosophie de la PCT est considérée comme alignée avec celle du groupe, incarnée par le CEO américain, qui considère le levier humain comme central pour le développement d’une performance durable (« quand on a tout optimisé, il faut trouver de nouveaux leviers »). Les pratiques associées ne sont, à ce stade, que très peu connues mais la présentation faite par des consultants et des universitaires lors du séminaire groupe semble rationnelle et convaincante pour le VP Strategy. La philosophie joue donc un rôle clé durant cette première phase car elle est alignée à l’intention de BT. Le comité de direction lance un programme pilote avec une évaluation scientifique des résultats dont un des chercheurs de l’équipe est en charge. Le fait de tester sur soi-même combiné à une évaluation scientifique facilite l’adhésion au projet. BT recrute par ailleurs une formatrice pour mettre en oeuvre un programme MBSR.
Appropriation originelle : quand les dirigeants décident de servir de cobayes par la pratique (Septembre 2013 à Mai 2015)
Une expérimentation probante, à travers un alignement entre appropriation individuelle et collective (septembre 2013 à avril 2014)
L’appropriation originelle s’appuie sur une utilisation par les dirigeants des pratiques associées à la PCT. En effet, sept dirigeants de BT se forment à la PCT. Si la composante « philosophie » de la PCT a joué un rôle décisif dans leur décision de la déployer, leur faible connaissance des pratiques et dispositifs associés les a incités à les expérimenter sur eux-mêmes. Cela leur permettait de valider leurs effets mais aussi de répondre à des motivations plus personnelles (« l’ouverture à quelque chose de non cartésien », « développement personnel »). Seul l’un d’entre eux estime sa présence prescrite par l’organisation.
A l’issue du programme, les effets positifs de la PCT sont validés. Les participants estiment que l’équipe de direction a gagné en cohésion et fonctionne mieux. Pour eux, le programme montre que BT est une « entreprise à la pointe », « créatrice de sens et qui prend soin des gens ». Les résultats montrent que les managers ont un rapport plus sain au travail (prévention de deux burnout notamment, « ça m’a aidé à ne pas couler, à ne pas péter un câble ». « Ça m’a probablement aidé à ne pas être en burnout ») et font évoluer leur style de leadership (« je change mon positionnement, je suis plus sur un rôle de manager coach »). Ils ont réinterrogé leur rapport au travail et le sens de leur activité. Ils estiment avoir acquis une hauteur de vue leur permettant de mieux accompagner leur équipe et prendre en compte les enjeux de l’organisation. Ces effets sont corroborés par la hiérarchie (« il voit les choses avec beaucoup plus de recul. (...). Il a pris beaucoup de hauteur ») et les collaborateurs qui observent que ces managers leur octroient plus d’autonomie et leur offrent un contexte de travail plus serein (« il va plus demander aux autres personnes d’être responsables, d’avoir un peu plus d’autonomie… », « il fait preuve de plus de compréhension »). Dans une perspective rationnelle de l’appropriation, on pourrait imaginer que tous les feux étant au vert, le processus d’appropriation peut se poursuivre avec une phase de déploiement généralisé puis de routinisation. Mais la philosophie de l’IM va, cette fois-ci, freiner le passage à une phase élargie d’appropriation.
Doutes et hésitations : une IM qui tarde à être déployée. Quand la dynamique individuelle bloque le collectif (Mai 2014 à Mai 2015)
Pendant un an, le comité de direction fait usage des pratiques associées à la PCT, à travers des temps de méditation collectifs, temps de méditation en début et/ou fin des réunions (centering), tour de table de météo émotionnelle au début des réunions et expression des émotions pendant leur déroulement, maintien d’une séance collective hebdomadaire de méditation et d’échange sur la pratique avec la formatrice. Pendant cette période, malgré sa conviction unanime quant aux bénéfices de la PCT, l’équipe de direction ne se décide pas à étendre la formation à l’encadrement intermédiaire. Les dirigeants s’inquiètent de la manière dont le programme sera perçu en interne et en externe (« ils vont penser que c’est un truc de secte »). Ils estiment qu’ils ont besoin de temps pour s’approprier les pratiques individuellement, les rendre plus compatibles avec le monde de l’entreprise, en omettant certains de ses aspects philosophiques et en réfléchissant à l’adaptation qui peut être faite des pratiques avant de les promouvoir (« je ne sais pas comment en parler »).
Pendant cette période de latence, l’un des dirigeants évolue très fortement dans son management et remet en cause la culture managériale de l’entreprise qu’il perçoit comme trop hiérarchique, présentant ce changement comme une conséquence directe du programme de PCT. Il choisit d’adopter certaines pratiques de la PCT dans son service et de le réorganiser sur le modèle des « entreprises libérées ». Il propose à tous ses cadres de se former à la PCT. Cela fait alors céder les résistances des autres dirigeants et déclenche le déploiement à l’encadrement intermédiaire.
Ré-appropriations : Un déploiement chaotique (Juin 2015, décembre 2018)
Première ré-appropriation : déploiement, turbulences et jeux de pouvoir. Une dynamique socio-politique entre individuel et collectif (juin 2015 à juin 2017)
La décision de lancer deux nouveaux groupes de formation pour les managers est prise. Ceux-ci accueillent le programme avec enthousiasme car il était jusque-là réservé à l’équipe dirigeante (« pour nous, c’était un truc de dirigeant »). Alors que l’IM se déploie enfin, un ensemble d’événements remet en question son appropriation collective.
La DRH qui est un soutien majeur du programme obtient une promotion au sein du groupe, pour partie grâce à la visibilité que lui a donné ce projet. Conjointement, le groupe décide une restructuration au niveau international : BT subit une vague de licenciements destinée à rétablir une profitabilité en baisse. Cette restructuration est vécue comme une trahison par ceux qui ont déployé la PCT : les résultats financiers priment finalement sur les promesses d’humanisme (« quand il faut faire des choix, les chiffres priment sur les beaux discours et sur l’humain »).
Dans ce contexte, les acteurs se repositionnent individuellement et collectivement :
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Certains dirigeants quittent l’entreprise comme le VP strategy, qui prend sa retraite après un pèlerinage sur le Chemin de Compostelle.
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Le DG hésite à démissionner mais refuse « de fuir ». Il est heurté par la politique du groupe mais aussi perturbé par la « libération » d’un des services. « C’est comme si on avait ouvert la boite de pandore. »
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Une nouvelle DRH arrive. Elle fait trainer le renouvellement du contrat avec la formatrice en PCT. C’est finalement le DG qui la court-circuite et signe.
La PCT se maintient avec des séminaires thématiques ponctuels centrés sur l’exercice du management et des compléments concernant l’intelligence émotionnelle et le leadership.
Seconde ré-appropriation : Repositionnement et normalisation de l’IM (juillet 2017-décembre 2018)
Le DG quitte finalement le groupe. Dès son départ, la nouvelle DRH décide d’annuler les formations à la PCT. Les collaborateurs qui attendent ces formations font pression obtenant la formation d’un dernier groupe de managers et d’un groupe de non-managers. Malgré les résultats positifs de l’évaluation à 360° par l’équipe de recherche, répliquée sur un groupe de managers, la DRH ne voit pas l’intérêt de la PCT (« on n’y parle pas assez de management ») et juge ses effets insuffisants (« je ne vois pas en quoi ils ont changé de manière de manager »). Elle propose un coaching à base de PCT aux salariés en difficulté (« je perçois cela comme plus utile pour l’accompagnement des personnes en difficulté dans l’organisation »). Au même moment, la Vice-Présidente américaine du groupe donne une interview qui valorise la PCT comme pratique de développement managérial. Alors que la vision se déploie dans le groupe, la filiale française, la plus avancée dans sa mise en oeuvre, renonce à la PCT.
Les logiques d’appropriation à l’oeuvre
Lors de chacune des phases du projet, les quatre logiques d’appropriation (rationnelle, psycho-cognitive, sociopolitique et symbolique) se sont déployées dans un dialogue entre individu et collectif.
Logique rationnelle : une rationalité très limitée
Dans la phase de pré-appropriation, la décision de développer la PCT repose sur l’idéal philosophique (et donc dans une logique rationnelle) d’une performance équilibrée entre développement humain et résultats financiers.
Dans la phase d’appropriation originelle ainsi que dans la première réappropriation (extension de la formation au management intermédiaire), cette vision se diffuse via la formation ainsi que via des séminaires d’entreprise. La mesure scientifique des effets de la mise en usage de la PCT est commanditée par les dirigeants afin de renforcer la rationalité de la démarche, avec des résultats positifs démontrés sur la santé au travail des participants (prévention du burnout, diminution du stress) et le management (plus de délégation, d’authenticité et de recul).
Lors de la seconde réappropriation, la nouvelle norme de performance est remise en cause par la nouvelle direction (DRH et DG) qui met l’accent sur une rentabilité « objective » et mesurable. La restructuration décidée par le groupe rappelle à tous que la performance économique est une valeur prédominante. Or la PCT souffre d’une impossibilité à rendre visible son efficacité, celle-ci s’appuyant sur des éléments trop intangibles (de nouvelles normes comportementales intégrées progressivement par ceux qui suivent la formation). Il semble alors rationnel pour la DRH de limiter la portée de l’outil en le réduisant à un coaching individuel visant à aider ceux qui sont en difficulté face aux exigences de performance à s’adapter.
Logique psycho-cognitive : un outil qui questionne et que l’on questionne
En phase d’appropriation originelle, la mise en oeuvre de la PCT invite les dirigeants à remettre en cause leurs représentations classiques du management hiérarchique fondé sur le contrôle et les objectifs. Cela les conduit à définir collectivement les normes comportementales qui leur semblent cohérentes avec une philosophie managériale humaniste.
Lors de la première phase de réappropriation, ils souhaitent influencer les comportements de leurs n-1 en les poussant à passer par le même cheminement intérieur. La recherche montre un effet de la PCT sur les représentations qu’ont les participants de leur travail, leur performance et leurs pratiques managériales. La PCT produit de la réflexivité et aligne les acteurs sur la vision d’une synergie entre performance économique et développement humain.
Lors de la seconde phase de réappropriation, la nouvelle direction revient à une philosophie managériale traditionnelle. Face à cela, certains quittent l’entreprise pour ne pas perdre le sens; d’autres reviennent progressivement au modèle traditionnel, en le justifiant par le changement de contexte (« compte tenu des circonstances, on n’a pas le choix, il faut faire du chiffre »); d’autres enfin renoncent aisément au modèle de performance humaniste qu’ils avaient accepté sans réelle conviction.
Logique sociopolitique : l’IM enjeu de pouvoir
Lors des phases de pré-appropriation et d’appropriation originelle, le pouvoir des promoteurs de l’IM se renforce au sein de la filiale et du groupe (visibilité dans le groupe, développement de compétences utiles à la carrière). Un cercle vertueux s’instaure entre logique individuelle et logique collective. En étant perçue dans l’entreprise comme « un truc de dirigeant », l’IM distingue une élite qui se différencie par une ascèse nouvelle et désirable.
Lors des phases de réappropriation, la PCT perd son pouvoir différentiateur. Par ailleurs, elle a des effets importants sur les dynamiques de pouvoir. L’IM a permis à deux dirigeants de développer leur carrière et de quitter l’entreprise pour de plus hautes fonctions. Cependant leur départ a freiné son déploiement. Le questionnement de l’organisation hiérarchique par un dirigeant qui instaure la libération de son service, perturbe le DG qui craint de perdre le contrôle. Enfin, d’autres dirigeants quittent BT pour plus de liberté ou plus de sens. Dans le contexte de restructuration, les nouveaux entrants au comité de direction affirment leur pouvoir contre l’IM et cherchent à la « débrancher ». Les logiques de pouvoir individuelles créent des dynamiques de pouvoir collectives évolutives dans le temps.
Logique symbolique : un rejet culturel de la PCT qui soumet l’IM à une forte pression
Durant le processus d’appropriation, l’IM revêt des significations symboliques contradictoires.
En phases de pré-appropriation et appropriation originelle, les dirigeants la mobilisent comme un symbole, associé à une image élitiste, d’innovation, de performance durable et d’humanisme. Cependant, parallèlement, il existe une conscience que la PCT peut renvoyer une image moins reluisante, associée à une philosophie spirituelle coupée du réel et des enjeux de performance du secteur d’activité, voire un repli de l’individu sur soi. Cette ambivalence conduit initialement les dirigeants à taire la démarche auprès de leurs parties prenantes (collaborateurs, fournisseurs et clients).
Lors de la seconde phase de réappropriation, la nouvelle direction adhère à cette vision négative de la PCT et craint l’instauration d’un management déconnecté des réalités du monde de l’entreprise. Parallèlement, pour certains, la PCT devient le symbole d’une trahison des promesses humanistes du groupe. L’appropriation symbolique de l’outil se révèle donc très instable. Elle est dépendante des événements externes et internes qui affectent l’organisation et des dynamiques de pouvoir entre les acteurs. La logique sociopolitique semble ainsi dominante au cours du long processus d’appropriation et de désappropriation analysé, les autres logiques étant mobilisées de manière instrumentale.
La dialectique appropriation individuelle versus collective
L’analyse des interactions entre la dimension individuelle et la dimension collective de l’appropriation montre des évolutions tout au long du processus d’appropriation (voir figure 2 ci-dessous pour illustration synthétique).
Lors de la phase de pré-appropriation, les membres du comité de direction de BT sont convaincus que la PCT peut favoriser un développement individuel des collaborateurs en phase avec la stratégie humaniste qu’ils souhaitent développer. Le lancement de la démarche repose sur l’hypothèse implicite que le cheminement individuel de chaque individu pourra déboucher sur une transformation collective. Pour eux, l’appropriation collective découlera de l’appropriation individuelle.
Lors de la phase d’appropriation originelle, la mise en place de pratiques collectives en lien avec la PCT et l’évolution du management au sein du comité de direction montre qu’en réalité, une synergie positive entre les pratiques individuelles et les pratiques collectives s’installe. Cependant, cette synergie est freinée dans un premier temps par la difficulté à assumer l’image de la PCT auprès des parties prenantes externes. Une fois cet obstacle levé, le parcours d’appropriation de l’IM semble porté par la spirale positive entre appropriation individuelle et appropriation collective.
Cependant, lors de la première et de la seconde ré-appropriation, alors que les individus concernés par la formation adhèrent à la philosophie de la PCT et font évoluer leurs pratiques managériales, les enjeux collectifs de l’organisation déstabilisent la rhétorique qui sous-tend l’IM. Plus on avance dans le temps, plus les dynamiques collectives requestionnent les fondamentaux de l’IM, jusqu’à ce que la PCT soit repositionnée comme un outil visant exclusivement des comportements individuels et rende illégitime sa prétention à une dimension collective. Les individus qui se sont appropriés la philosophie de la PCT repositionnent leur manière de l’appréhender en en faisant un outil orienté exclusivement vers le développement personnel, comme le montre le départ de certains dirigeants qui jugent que l’évolution de l’organisation n’est plus en phase avec leurs aspirations.
Un tableau de synthèse des résultats est proposé en annexe 2.
Figure 2
L’appropriation d’une IM : dialectique individu / collectif
Discussion
L’objectif de cette recherche consistait à interroger l’appropriation individuelle et collective d’une IM de type pratique de soi. L’analyse longitudinale du processus d’appropriation d’une IM telle que la PCT au sein de l’entreprise BT nous permet, dans un premier temps, de qualifier cette IM comme spécifique, puis de raffiner son analyse sous différents angles : le rôle des différentes composantes d’une IM, les logiques d’appropriation et la dialectique entre appropriation individuelle et collective tout au long du processus.
Les spécificités d’une IM s’appuyant sur une pratique de soi
A l’issue de cette recherche, il apparaît que l’appropriation d’une IM comme la PCT est marquée par des caractéristiques spécifiques qui la différencient au moins partiellement des autres IM. Cette IM s’inscrit dans les pratiques de soi, qui présentent les caractéristiques suivantes :
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Leur très faible matérialité rend leurs effets presque invisibles.
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L’IM développe une philosophie qui s’oppose au mainstream managérial, à travers notamment la mise en cause de l’approche traditionnelle de la performance. Comme l’entreprise libérée, elle réinterroge un ensemble de pratiques de l’organisation (Fox, 2020).
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Le processus d’implantation de l’IM est caractérisé par un accent sur la transformation individuelle comme support de la transformation des pratiques, là où les IM plus classiques ciblent en premier lieu la transformation des pratiques. Bien qu’impulsée par les dirigeants, l’IM de type pratique de soi vise une transformation qui n’est pas complètement définie a priori. Les acteurs sont invités à construire de nouvelles approches du management, qui ne sont que partiellement définies, à partir d’une réflexivité sur eux-mêmes. Le déploiement d’une IM de ce type s’inscrit alors dans une stratégie délibérément émergente (Mintzberg & Waters (1985).
Les caractéristiques de cette catégorie d’IM fondent ainsi une trajectoire d’appropriation en partie spécifique.
Le rôle prédominant mais mouvant de la philosophie dans la trajectoire appropriative d’une IM s’appuyant sur une pratique de soi
Nos résultats permettent de distinguer plus clairement les rôles respectifs joués par les composantes « philosophie » et « pratiques » de l’IM pour son appropriation. Dans le cas étudié, la « philosophie » de la PCT a joué un rôle de levier en phase de pré-appropriation en suscitant l’adhésion de l’équipe dirigeante de BT. Lors de l’appropriation originelle, son couplage avec les pratiques a favorisé un apprentissage « en faisant » et un partage interindividuel (Nonaka & Takeuchi, 1995). Le lien entre la philosophie et les pratiques permet alors la conversion du tacite à l’explicite et soutient l’appropriation. Cependant, dans le cas étudié, la philosophie de l’IM finit par être un frein, alors même que ses effets positifs sur les pratiques ont été démontrés.
La faible matérialité et le caractère contestataire de l’IM ont eu pour conséquence des réinterprétations successives de sa philosophie qui ont entravé son parcours. Une perception de cette IM comme peu compatible avec une approche managériale a finalement prédominé au sein de l’organisation, ce qui a fini par bloquer l’appropriation. Ce résultat trouve un écho dans les travaux de Rogers (1995) et Desmarais, et al. (2022) qui montrent que la « compatibilité » de l’IM avec la stratégie et la culture est centrale et peut l’emporter sur l’attribut plus rationnel « d’avantage relatif ». Notre cas montre que cet alignement avec la stratégie et la culture fait l’objet d’interprétations mouvantes dans le temps, en fonction des jeux politiques et des évolutions contextuelles ce qui est aligné avec les observations de Mamman (2009). Lorsque la philosophie de l’IM est interprétée comme peu compatible avec la stratégie, la spirale des connaissances s’interrompt (Nonaka & Takeuchi, 1995). L’apprentissage « en faisant » et les échanges de connaissances tacites sont empêchés et les pratiques associées sont freinées. Les usages de l’IM sont à la merci d’un retournement de situation, par exemple si de nouveaux dirigeants n’adhèrent pas totalement à la philosophie managériale qu’elle véhicule. Cette conclusion se rapproche de l’analyse d’Islam et al. (2022) qui voient dans la PCT un « signifiant vide », c’est-à-dire un réceptacle de contradictions, de significations diverses, ambiguës voire opposées.
Nos résultats nuancent ainsi les résultats d’une des seules recherches à avoir mobilisé les théories appropriatives au cas des IM, celle de Canet & Tran (2017) qui était basée sur une IM au substrat technique fort et spécifique (un système d’information). Ces auteurs ont montré que le substrat technique jouait un rôle clé lors du processus d’appropriation, en permettant la traduction de la philosophie qui jouait un rôle secondaire. Dans le cas d’une IM associée à une pratique de soi, sa faible matérialité rend la philosophie bien plus décisive dans le parcours d’appropriation. Sachant que la faible matérialité représente une des spécificités reconnues comme fondamentale des IM (Birkinshaw, et al., 2008; Damanpour & Aravind, 2012a), bien plus que les éléments technologiques. Nos résultats pourraient donc présenter une plus forte validité.
L’appropriation d’une IM de type pratique de soi au prisme de la logique socio-politique
Une IM s’appuyant sur une pratique de soi a pour caractéristique de mettre l’accent sur la réflexivité des sujets comme moteur de la transformation managériale. La fonction même de la PCT comme pratique de soi est de réinterroger l’individu et le monde qui l’entoure (et donc l’organisation). On pourrait donc s’attendre à ce que la logique psycho-cognitive soit centrale dans sa trajectoire d’appropriation. Or, dans le cas étudié, c’est incontestablement la logique socio-politique qui s’impose dans la trajectoire d’appropriation. L’émergence de l’IM étudiée est effectivement associée à l’intérêt des dirigeants pour une visibilité accrue et un alignement avec la stratégie du groupe. Sa marginalisation résulte ensuite également des enjeux liés à l’arrivée de nouveaux acteurs qui affirment leur influence en contestant les stratégies établies. Ce résultat fait écho au modèle des cinq forces du changement de Pichault, Chevalier, Friedberg & Castro (2021). En s’appuyant sur les apports de Crozier & Friedberg (1977), cette approche rappelle que les structures de pouvoir existantes au sein de l’organisation influencent souvent la facilité ou la complexité de l’implémentation de changements. Dans le cas analysé ici, les autres dimensions de l’appropriation servent le plus souvent à légitimer la logique socio-politique. La rationalité, la logique symbolique et même la logique psycho-cognitive sont redéfinies en fonction des enjeux et des intérêts des acteurs dominants dans l’organisation. Or les pratiques de soi s’inscrivent historiquement dans cette prédominance des logiques de pouvoir. Dans la philosophie antique, elles sont envisagées comme des pratiques de pouvoir poussant les individus à se conformer volontairement aux idéaux de performance. Pour Foucault (1984), la pratique de soi est intimement liée à la gouvernementalité définie comme « rencontre entre les techniques de domination exercées sur les autres et les techniques de soi » (Le Texier*, 2011, p.66). Ainsi, la PCT invite l’individu à s’auto-discipliner et donc à prendre le « pouvoir sur soi », ce qui constitue une condition essentielle pour pouvoir gouverner les autres. En prenant le pouvoir sur soi, l’individu intègre le gouvernement managérial de l’entreprise (Pezet, 2007).
Ainsi, les pratiques de soi sont des IM qui peuvent être mobilisées par le pouvoir et être instrumentalisées pour le pouvoir. Cependant, elles ne sont pas exclusivement un outil au service du pouvoir et contiennent une part de liberté incompressible qui les fait paradoxalement échapper à la logique de pouvoir. En effet, leur nature contestataire les invite à questionner les normes de performance de l’entreprise. Elles peuvent donc être tout autant « conformatives » que subversives. C’est ce qui apparait clairement dans le cas BT, puisque l’IM a été un vecteur de libération d’un service et a amené certains dirigeants à prendre du recul par rapport à l’entreprise. Cette lecture permet de dépasser le débat sur la PCT comme outil d’asservissement des consciences versus vecteur d’autonomisation (Badham & King, 2021). Elle replace la PCT comme une « préparation à l’agir » permettant de « répondre comme il faut aux sollicitations du monde » (Gros, 2007 p. 103-104). En conséquence, celle-ci questionne l’équilibre des pouvoirs. Elle permet à des individus de se distinguer et d’appartenir à une élite nouvelle qui peut remettre en cause l’ordre établi comme le montre l’exemple de la libération d’un service. La PCT est à la fois un instrument du pouvoir et une pratique dénuée de tout projet confirmatif qui peut avoir des conséquences inattendues voire subversives. En ce sens, les IM de type pratique de soi sont logées à la même enseigne que les IM de toute nature. La nature tacite de l’IM implique une interprétation subjective par ses utilisateurs (Peeters et al., 2014). Si ce flou relatif peut favoriser l’appropriation en laissant un espace de création de sens pour les acteurs (Ansari et al., 2014), il peut également ouvrir des portes inattendues. De ce fait, les IM comme pratiques de soi sont une arme à double tranchant au service du double alignement mis en évidence par Pourquier & Igalens (2020) dans les stratégies RSE. Pendant toute la période où l’IM produit un alignement entre valeurs portées par les individus et engagements de l’entreprise, la dynamique d’appropriation est vertueuse. A partir du moment où les engagements de l’entreprise rentrent en contradiction, les valeurs des individus sont remises en cause et l’IM pousse les individus à assumer une prise de position politique.
Un dialogue continu entre appropriation individuelle et collective
L’appropriation de l’IM suppose une spirale vertueuse entre une appropriation individuelle et une appropriation collective. Classiquement, l’IM est imposée par les dirigeants et la trajectoire appropriative s’inscrit en partant d’une vision collective vers une mise en oeuvre individuelle. Damanpour & Aravind (2012b) proposent l’idée d’une « spirale descendante » dont le point de départ est l’organisation (qui, par le biais de ses leaders, identifie et décide d’adopter une IM) pour impliquer ensuite les collectifs et individus, jusqu’à ce qu’elle devienne une routine au sein de l’organisation. Chez BT, le choix de développer la PCT émane des membres du comité de direction. La pratique de la PCT achève de les aligner sur une vision managériale qu’ils diffusent ensuite dans l’organisation.
L’IM est le support de représentations individuelles puis collectives qui se nourrissent mutuellement. Elle fait partie d’un processus social complexe. Son évolution est liée à la façon dont les gens interprètent, agissent et donnent du sens (McCabe, 2002). Les mouvements d’adhésion sont mouvants au fil des évolutions du contexte (Fox, 2020) et suscitent des dynamiques collectives en fonction du pouvoir des individus qui y adhèrent et de la masse critique des personnes convaincues. La théorie de « mise en acte » insiste sur l’existence de processus récursifs et continus de conception et d’usage entre prescripteur et opérateur. L’IM est susceptible d’être réinventée par ses usages et par des utilisateurs qui la forment, la déforment et l’interprètent (De Vaujany, 2006). Le dialogue entre le niveau individuel et le niveau collectif enclenche des cycles d’utilisation qui transforment l’IM et en font évoluer l’usage.
Cependant, dans le cas d’une pratique de soi, la trajectoire semble partiellement différente. Certes, l’IM est prescrite par le niveau supérieur, mais son appropriation s’inscrit largement au niveau individuel. Notre recherche montre que la PCT a suscité une adhésion forte et une transformation importante des représentations qui se répercutent sur les pratiques managériales. La nature intérieure de la PCT fait ressortir une dimension supplémentaire au dialogue de conception, prescription et d’appropriation. Le sujet développe un dialogue avec lui-même qui le pousse à incorporer l’IM en l’interrogeant et en la faisant sienne. Il en absorbe la « philosophie » tout en l’interrogeant et éventuellement en la remettant en cause. Ce dialogue intérieur invite à se positionner comme sujet par rapport aux autres et pousse à la mise en débat collective de l’IM.
Notre recherche montre ainsi que l’appropriation des IM de type pratique de soi suppose qu’elles s’inscrivent dans un dialogue multi-niveau entre les prescripteurs, membres de la direction, individus et collectifs mais aussi à l’intérieur de chacun. L’appropriation pérenne de l’IM dépend de la richesse de ce débat et de son existence simultanée à ces différents niveaux. Elle suppose de s’inscrire à la fois de manière collective et distribuée (Orlikowski, 2002). Adopter une IM, c’est l’adapter aux usages et contextes, l’adéquation de l’IM devant continuellement être réévaluée et son contenu collectivement réaffirmé (Ansari, Reinecke & Spaan, 2014; Fox, 2020). Dans le cas étudié ici, le processus de renforcement entre dynamique individuelle et collective de l’IM a été bloqué par un recul progressif des porteurs de l’intention stratégique, provoquant alors un désalignement entre appropriation collective et appropriation individuelle. La dialectique entre niveau individuel et niveau collectif est cruciale pour qu’une pratique de soi puisse être envisagée comme une IM : si ces deux niveaux sont découplés, le risque est alors que la pratique de soi cesse d’être une IM.
Le déploiement de la PCT : contributions managériales
Il existe actuellement un mouvement favorable au déploiement des pratiques de soi et notamment de la PCT dans des organisations qui se veulent pionnières (Badham & King, 2021). Au regard des résultats de cette recherche, cinq recommandations principales peuvent leur être soumises pour accompagner leur déploiement :
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Les IM de type pratique de soi sont souvent jugées moins difficiles à mettre en oeuvre et moins engageantes car elles ciblent les individus. Mais c’est le contraire qui est vrai. La question de la compatibilité de ces IM avec le modèle organisationnel et managérial est centrale. Tout désalignement risque d’être destructeur et de créer des effets contreproductifs : départ des porteurs de projet, cynisme organisationnel, etc. Cette recherche d’alignement stratégique doit se faire de la direction vers l’ensemble des membres de l’organisation en explicitant clairement en quoi l’IM constitue un élément de réponse à une vision managériale globale. Chaque réappropriation devrait faire l’objet d’une analyse avec l’ensemble des parties prenantes afin de garantir « un double alignement des valeurs et des engagements » (Pourquier et Igalens 2020, p.29);
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L’appropriation de la pratique de soi doit à terme être soutenue par d’autres éléments s’inscrivant dans la même philosophie managériale : leadership authentique, communication non violente, etc. Sans cohérence et continuité avec la philosophie originelle de l’IM et la politique de l’entreprise, les pratiques de soi peuvent se transformer en modes sans consistance, aux interprétations multiples et aux dérives potentiellement néfastes;
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L’organisation qui souhaite une IM de type pratique de soi doit s’attacher à produire de la matérialité autour de l’IM pour que les individus et collectifs puissent se l’approprier. En effet la connaissance collective s’inscrit avant tout dans les pratiques (Orlikowski, 2002). Les pratiques associées à la PCT doivent apparaître concrètement et visiblement dans les routines de l’organisation pour se normaliser : espaces de méditation, groupes de pratiques formels, affichage de bonnes pratiques dans les locaux, rituels intégrés aux actes routiniers de l’activité (début et fin de réunion, ou changement d’équipe pour le travail posté par exemple), intégration de la PC lors des évènements collectifs (séminaires d’entreprise). La production de guides et fiches pratiques, livres blancs, tutoriels, programmes de formation sont autant d’éléments permettant de stabiliser l’IM et d’éviter des réappropriations individuelles qui pourraient contrecarrer l’appropriation collective;
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Afin de permettre un alignement entre l’appropriation individuelle et l’appropriation collective de l’IM, il semble intéressant d’en faire un objet d’échange au sein des espaces de discussion sur le travail, dont le rôle est justement d’articuler les représentations et les demandes du niveau supérieur des organisations et du terrain (Detchessahar, 2013). L’émergence d’une conscience collective (collective mind) théorisée par Weick & Roberts (1993) est favorisée par les discussions et les échanges au sein du groupe, en permettant aux membres de partager des informations, d’aligner leurs perceptions, et de coordonner leurs actions de manière plus efficace. Les espaces de discussion sont des lieux privilégiés de l’interaction de l’individuel et du collectif, là où « chacun révèle sa subjectivité pour prendre en charge des aspects collectifs » (Abord de Chatillon & Desmarais, 2017) en garantissant du voice (faire entendre sa voix) afin qu’individuellement, chaque acteur puisse dénoncer une traduction qui trahirait l’IM telle qu’elle a initialement donné sens (Fox, 2020). Sans ces espaces de discussion formalisés, les représentations individuelles de l’IM risquent de diverger et d’alimenter des luttes de pouvoir entre philosophies gestionnaires concurrentes.
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Les promoteurs de la PCT doivent être prêts à faire face à des conséquences inattendues et parfois subversives. Ils doivent accepter la discussion, le débat et la possibilité d’être menés plus loin qu’ils l’imaginaient initialement. Sans cette ouverture, il y a un risque élevé que le caractère subversif de l’outil suscite à terme sa disparition et le départ de certains de ses plus fervents défenseurs.
Conclusion, limites et perspectives
Cette recherche avait pour objectif d’enrichir la théorie de l’appropriation à travers un cas longitudinal de longue durée, ce qui présente une contribution rare dans ce domaine. Finalement, elle répond à cet objectif mais contribue également aux littératures relatives à l’IM et à la PCT. En combinant ces trois littératures, l’étude offre une perspective interdisciplinaire précieuse favorisant une compréhension plus globale et nuancée des dynamiques organisationnelles. Du point de vue des théories appropriatives (De Vaujany, 2006; Grimand, 2012), cette recherche montre que le seul niveau de dialogue entre concepteur / utilisateur auquel se limite la perspective classique doit être élargi et qu’il existe en fait un triple niveau de dialogue dans l’appropriation d’une IM : intra-personnel (de soi à soi), interpersonnel (de soi aux autres), et collectif (de soi au corps social). Cette approche multidimensionnelle enrichit considérablement la compréhension du processus d’appropriation. Elle permet également de montrer que l’appropriation individuelle et l’appropriation collective peuvent se renforcer mutuellement mais qu’une spirale négative peut aussi se créer entre ces deux niveaux contribuant à l’effacement de l’IM de la réalité organisationnelle. Du point de vue des IM, elle est une des rares à traiter de son appropriation selon une approche processuelle (prise en compte des trois phases d’appropriation et leurs sous-phases) et intégrative (intégration du dialogue entre les niveaux individuel et collectifs; des quatre logiques d’appropriation et du rôle des trois composantes de l’IM). Cela permet de distinguer plus clairement les rôles respectifs des philosophies et pratiques de l’IM dans son appropriation (Canet & Tran, 2017) apportant ainsi une nouvelle perspective à la littérature existante. Concernant la PCT, cette recherche permet d’aboutir à des recommandations managériales fortes pour les organisations qui décideraient de la déployer.
Cette recherche n’est pas pour autant exempte de limites. Alors que de nombreuses précautions méthodologiques ont été prises, il reste difficile d’apprécier l’effet des variations du contexte sur une si longue période et invite à la prudence quant à la généralisation des résultats. De plus, nous avons recueilli des données auprès de toutes les personnes formées à la PCT ainsi que leurs supérieurs et collaborateurs au sein de l’entreprise étudiée mais alors que le nombre d’entretiens est très conséquent (98 entretiens au total car renouvellement sur différentes périodes), celui des informateurs était limité. L’analyse de l’effet collectif et de la dynamique d’ensemble pourrait être améliorée avec un échantillon d’informateurs plus important. Enfin, nos résultats reposent sur un cas unique et sur une IM avec une faible matérialité. Il serait donc intéressant d’observer la trajectoire d’appropriation d’une même IM dans d’autres contextes mais aussi d’autres IM, tout cela pour augmenter la validité externe de nos résultats.
Parties annexes
Annexes
ANNEXE 1. Objectifs poursuivis par les vagues successives d’entretiens
1. Entretiens auprès des prescripteurs (comprendre le contexte et les enjeux de la formation)
Cinq vagues d’entretiens approfondis ont été menés avec les prescripteurs, avec un intervalle d’environ un an entre chaque vague. Lors du démarrage du projet, le DG, DRH et VP Strategy à l’initiative du projet, ont été interviewés puis à partir de la seconde vague, se sont ajoutés la formatrice et 3 membres du comité de direction supplémentaires ayant participé à la formation pilote (7 entretiens par vague).
2. Entretiens auprès des personnes ayant suivi la formation et leurs parties prenantes internes (évaluer l’efficacité et l’appropriation de l’outil)
Les effets de l’outil, ont été évalués par des entretiens en trois temps, et une méthode à 360° impliquant des entretiens auprès de leurs parties prenantes internes (n+1 et n-1) :
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avant la formation (participants)
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fin de la formation (participants)
-
3 mois après la formation : 360° impliquant le participant, son n+1 et deux collaborateurs
Ce protocole a été suivi pour les 7 dirigeants du premier groupe de formation (n=40, 21 entretiens avec les participants et 19 avec leurs n +1 et n-1), puis répliqué sur 5 managers du deuxième groupe (n=30, 15 entretiens avec les participants et 15 avec leurs n+1 et n-1).
ANNEXE 2. Le processus d’appropriation d’une IM : synthèse des logiques en jeu et de la dialectique entre appropriation individuelle et appropriation collective
Légende : + effet positif plus ou moins fort sur l’appropriation / - effet négatif plus ou moins fort sur l’appropriation +/- logique ambivalente sans effet clair
Ces effets ont été déterminés sur deux bases : le degré d’importance donnée par les acteurs interviewés et l’analyse réalisée par l’équipe de recherche quant aux effets sur l’appropriation.
Notes biographiques
Céline Desmarais est professeure ordinaire à l’University of Applied Sciences and Arts, Western Switzerland (HES-SO). Elle est Responsable du groupe thématique de compétence RH et Développement organisationnel, de l’institut IIDE. Elle a réalisé des recherches sur des questions variées portant sur les problématiques managériales en lien avec les interactions interpersonnelles au travail.
Sandra Dubouloz : Maître de conférences en sciences de gestion à l’Université Savoie Mont Blanc (Annecy) et membre de l’IREGE (Institut de Recherche en Gestion et Economie).
Ses recherches portent en premier lieu sur les innovations managériales et organisationnelles, leurs antécédents (déterminants et obstacles), leurs relations de complémentarité avec d’autres types d’innovations, leur processus d’adoption et leurs effets sur les performances économiques et sociales des organisations. L’innovation ouverte et les communautés d’innovation représentent son second axe de recherche. Elle a publié dans des revues internationales telles que California Management Review, European management Journal, Management International, Annals of Operations Research, Journal of Innovation Economics & Management.
Daniel Françoise : Maître de conférences en sciences de gestion à l’Université Savoie Mont Blanc (Annecy) et membre de l’IREGE (Institut de Recherche en Gestion et Economie).
Ses recherches portent d’une part sur les effets des programmes de développement de la pleine-conscience et du flow sur le bien-être au travail et le style de management des dirigeants; et d’autre part sur les innovations managériales, leur adoption et leur appropriation dans les organisations.
Note
-
[1]
Nom fictif donné à l’organisation.
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Parties annexes
Biographical notes
Céline Desmarais is a professor at the University of Applied Sciences and Arts, Western Switzerland (HES-SO) and head of the HR and Organizational Development Competency Group at the IIDE Institute. She has conducted research on various issues related to managerial challenges, particularly those concerning interpersonal interactions at work.
Sandra Dubouloz: Associate professor in management at the Université Savoie Mont Blanc (Annecy) and member of IREGE (Institut de Recherche en Gestion et Economie).
Her research focuses primarily on managerial and organizational innovations, their antecedents (determinants and obstacles), their complementary relationships with other types of innovation, their adoption process and their effects on the economic and social performance of organizations. Open innovation and innovation communities represent her second area of research. She has published in international journals such as California Management Review, European Management Journal, Management international, Annals of Operations Research, Journal of Innovation Economics & Management.
Daniel Françoise: Associate professor in management at the Université Savoie Mont Blanc (Annecy) and member of IREGE (Institut de Recherche en Gestion et Economie).
His research focuses primarily on the effects of mindfulness and flow development programs on the well-being at work and the management style of executives, and on their adoption and appropriation in organizations as managerial innovations.
Parties annexes
Notas biograficas
Céline Desmarais es profesora titular en la University of Applied Sciences and Arts, Western Switzerland (HES-SO) y responsable del grupo temático de competencia en Recursos Humanos y Desarrollo Organizacional en el instituto IIDE. Ha realizado investigaciones sobre diversas cuestiones relacionadas con los problemas gerenciales vinculados a las interacciones interpersonales en el trabajo.
Sandra Dubouloz: Profesora de ciencias de la gestión en la Université Savoie Mont Blanc (Annecy) y miembro del IREGE (Institut de Recherche en Gestion et Economie).
Sus investigaciones se centran principalmente en las innovaciones de gestión y organización, sus antecedentes (determinantes y obstáculos), sus relaciones de complementariedad con otros tipos de innovación, su proceso de adopción y sus efectos en los resultados económicos y sociales de las organizaciones. La innovación abierta y las comunidades de innovación representan su segunda área de investigación. Ha publicado en revistas internacionales como California Management Review, European Management Journal, Management international, Annals of Operations Research y Journal of Innovation Economics & Management.
Daniel Françoise: Profesora de Ciencias de la Gestión en la Université Savoie Mont Blanc (Annecy) y miembro del IREGE (Institut de Recherche en Gestion et Economie).
Sus investigaciones se centran en los efectos de los programas de mindfulness y flow sobre el bienestar en el trabajo y los estilos de gestión de los directivos, así como en las innovaciones de gestión, su adopción y apropiación en las organizaciones.
Liste des figures
Figure 1
L’appropriation : un processus en trois phases
Figure 2
L’appropriation d’une IM : dialectique individu / collectif
Liste des tableaux
Tableau 1
Quatre logiques de l’appropriation des outils de gestion
Tableau 2
Grille de lecture issue de la revue de littérature
Tableau 3
Phases d’appropriation et recueil des données
Légende : + effet positif plus ou moins fort sur l’appropriation / - effet négatif plus ou moins fort sur l’appropriation +/- logique ambivalente sans effet clair
Ces effets ont été déterminés sur deux bases : le degré d’importance donnée par les acteurs interviewés et l’analyse réalisée par l’équipe de recherche quant aux effets sur l’appropriation.