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Introduction

L’ordre juridique international s’articule autour du principe fondamental de la souveraineté des États. À la fois prémisse et conséquence de cette souveraineté étatique, l’égalité souveraine des États, ancré au paragraphe 1 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies[1], est le fondement du droit international public. Malgré son caractère incontestablement structurant pour les relations interétatiques, cette égalité s’avère être purement formelle. L’égalité souveraine est en effet l’égalité des États devant le droit et en droit, égalité qui a pour objectif de protéger la souveraineté des États. Force est de constater cependant que la proclamation de cette égalité formelle des États n’a pas fait disparaître les inégalités économiques réelles entre les États. En effet, la pauvreté endémique dans certains pays subsiste, voire s’aggrave. Théoriquement, la condition économique inégale des États n’est pas un obstacle à l’égalité souveraine et formelle des États. Or, si le principe de l’égalité souveraine des États réussit à baliser minimalement les relations interétatiques et conserve ainsi son importance pratique pour le fonctionnement du droit international, la pauvreté crée des dépendances qui amoindrissent nettement le pouvoir de négociation des États concernés de sorte que les inégalités économiques finissent par se répercuter sur le droit au point où elles risquent de porter atteinte au principe de la souveraineté étatique et partant, à l’égalité souveraine.

Dès les années 1960, les inégalités économiques flagrantes inspirent les revendications des pays du tiers-monde, pour la plupart nouvellement indépendants, qui souhaitent vivement un rattrapage économique et qui vont jusqu’à exiger l’instauration d’un nouvel ordre économique international dans les années 1970. Le droit réagit à l’inégalité économique par le développement du concept de traitement différencié appelé à compenser les iniquités par la modulation des obligations conventionnelles qui tient compte des inégalités économiques. Ce concept naît dans le cadre de la première CNUCED avant de s’ancrer par la suite, sous l’appellation de « traitement différencié et plus favorable », dans le système commercial multilatéral mis en place par le GATT de 1947[2]. Le développement économique tant espéré par les pays pauvres n’est toutefois pas au rendez-vous, les inégalités persistent, voire s’approfondissent. Avec le temps, la dualité des normes se consolide néanmoins dans le système commercial multilatéral, la pratique contemporaine des États autant que l’actuel Cycle de Doha témoignant de sa vivacité en droit international économique.

À la conscience économique et sociale croissante de la communauté internationale s’ajoute, depuis les années 1970, l’apparition d’une conscience environnementale. À la lutte contre les inégalités entre les États se greffe, au plus tard depuis le Sommet de Stockholm, une nouvelle dimension, environnementale, sans cependant qu’elle modifie la nature du problème systémique sous-jacent. Il n’est par conséquent pas étonnant de constater que le droit international de l’environnement, dans sa recherche de remèdes aux inégalités économiques entre les États, emprunte tout naturellement la voie tracée par le droit international économique, car la logique de la différenciation s’avère toute aussi pertinente en droit international de l’environnement. On assiste ainsi, dans le cadre de l’avènement du concept de développement durable aux connotations économique, sociale et environnementale, à la formulation d’un « principe » des « responsabilités communes mais différenciées ». Si de prime abord l’expression semble faire référence à un concept nouveau, la filiation conceptuelle devient rapidement apparente lorsqu’on s’attarde un peu à la signification de cette expression. Tout comme son pendant en droit international économique, ce concept du droit international de l’environnement ne s’est pas essoufflé avec le temps. Bien au contraire, les négociations actuelles en matière de changements climatiques et les difficultés éprouvées lors de la Conférence de Copenhague en décembre 2009 témoignent de la vivacité du concept.

Notre étude a pour objectif de rendre compte de la genèse et de l’évolution des responsabilités communes mais différenciées en droit international de l’environnement tout en attirant l’attention sur les contrastes les plus frappants entre celui-ci et le traitement différencié et plus favorable du système commercial multilatéral. Nous souhaitons ainsi poser un premier jalon à une analyse véritablement transversale du traitement différencié.

Le traitement différencié peut être défini comme une technique juridique qui consiste à moduler les obligations conventionnelles des États en fonction du niveau et des besoins de leur développement[3]. Ce traitement différencié, ou cette technique de modulation, est ce qui lie le concept du système commercial multilatéral et celui du droit international de l’environnement. Le renvoi à la notion de développement dans la définition du traitement différencié introduit à la définition une indétermination problématique, mais inévitable pour deux raisons. D’abord, le terme « développement », dans l’acception de « progrès », réfère à un phénomène dynamique et donc par définition indéterminé. Puis, bien que le terme « développement » continue de renvoyer à la notion de progrès, sa signification globale est actuellement en mutation. Le fait qu’aux côtés du développement « économique » il est question aussi du développement « durable », « humain » ou « social », voire du « développement » tout court, en témoigne[4]. Bien que la polysémie de la notion de développement entraîne un flou conceptuel, il est néanmoins possible de constater que la notion dépasse aujourd’hui la seule acception économique — en quelque sorte quantitative — pour embrasser des considérations comme l’environnement, les droits de l’homme et l’État de droit, en en faisant ainsi une notion davantage qualitative. Nous référerons au terme générique de traitement différencié pour renvoyer aux aspects plutôt techniques de la différenciation entre États, notamment dans notre analyse des articulations du concept dans la pratique conventionnelle environnementale.

Le « principe » des « responsabilités communes mais différenciées » témoigne en outre d’une empreinte éthique particulièrement marquée sur le droit qui pourrait être à l’origine d’une obligation juridique en émergence et nous convie à nous questionner sur le statut juridique du « principe ». Par conséquent, nous emploierons l’expression « responsabilités communes mais différenciées » afin d’embrasser le concept avec toute la complexité qu’induisent les connotations juridiques et extrajuridiques.

L’émergence du concept des responsabilités communes mais différenciées, déclenchée par la Conférence de Stockholm de 1972, et sa réception dans les traités sur l’environnement feront l’objet de la première partie qui analysera aussi la discussion relative à la nature juridique du concept (I). L’étude portera ensuite sur ses fondements en passant en revue les considérations pratiques et éthiques qui ont présidé à son émergence et qui justifient toujours son utilisation (II). Enfin, les différentes articulations du traitement différencié dans les traités sur l’environnement seront étudiées en procédant à leur classification (III).

I. L’émergence et la réception des responsabilités communes mais différenciées

Si le traitement différencié devient la préoccupation dominante en droit international de l’environnement, au fur et à mesure que cette nouvelle sphère du droit international se développe, la nécessité de lier les efforts de protection de l’environnement aux efforts de développement économique des pays en développement apparaît très clairement dès les premiers balbutiements du droit international de l’environnement. Ce droit naît à l’époque où les revendications d’un nouvel ordre économique international sont omniprésentes[5], contexte manifestement déterminant.

A. Responsabilités communes mais différenciées : émergence et réception

L’évolution du droit international de l’environnement se divise au moins en deux phases, catalysées par les Conférences de Stockholm (1972) et de Rio (1992). La première est une phase de prise de conscience et de premières réponses allant de 1972 à 1992, la deuxième une phase de consolidation, marquée par l’action et la concertation accrues débutant en 1992. À l’instar du droit international de l’environnement au sein duquel il naît, le concept des responsabilités communes mais différenciées se développe en deux phases, l’une pré-Rio, l’autre post-Rio, ayant donc pour pivot le Sommet de la Terre de 1992.

1. L’ère pré-Rio

La terre est une ; le monde, lui ne l’est pas. Nous n’avons qu’une seule et unique biosphère pour nous faire vivre. Et pourtant, chaque communauté, chaque pays poursuit son petit bonhomme de chemin, soucieux de survivre et de prospérer, sans tenir compte des éventuelles conséquences de ses actes sur autrui. D’aucuns consomment les ressources de la planète à un rythme qui entame l’héritage des générations à venir. D’autres bien plus nombreux consomment peu, trop peu, et connaissent une vie marquée par la faim et la misère noire, la maladie et la mort prématurée[6].

Ces lignes furent écrites en 1987 par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, présidée par Gro Harlem Brundtland, dans son rapport intitulé Notre avenir à tous, aussi connu sous le nom de Rapport Brundtland. Ce passage évoque le développement durable au sens de la nécessité de concilier les intérêts économiques avec les limites écologiques de notre terre. Or, la Commission — et cette dimension est un peu tombée dans l’oubli de la mémoire collective — est d’abord et avant tout préoccupée par les inégalités dans le monde. Le fossé qui sépare les pauvres des riches est considéré comme un fléau qu’il faut vaincre. Cet impératif s’impose au nom de la justice bien évidemment, mais aussi au nom de la conservation de l’environnement. « Un monde où la pauvreté et l’injustice sont endémiques sera toujours sujet aux crises écologiques et autres », selon les termes du Rapport Brundtland[7].

Déjà en 1972, lors du Sommet de Stockholm des Nations Unies sur l’environnement, Indira Gandhi, alors première ministre de l’Inde, exprimait la même idée : « [e]nvironment cannot be improved in conditions of poverty »[8]. L’appel à travailler à l’éradication de la pauvreté est entendu par la communauté internationale réunie à Stockholm. Le Sommet est certes considéré comme le point de départ du droit et des politiques de protection de l’environnement, mais le principe 11 de la Déclaration de Stockholm démontre que la préoccupation allait bien au-delà de la seule protection de l’environnement en insistant sur la nécessité de travailler en même temps à l’éradication de la pauvreté :

Les politiques nationales d’environnement devraient renforcer le potentiel de progrès actuel et futur des pays en voie de développement, et non l’affaiblir ou faire obstacle à l’instauration de meilleures conditions de vie pour tous. Les États et les organisations internationales devraient prendre les mesures voulues pour s’entendre sur les moyens de parer aux conséquences économiques que peut avoir, au niveau national et international, l’application de mesures de protection de l’environnement.

nos italiques[9]

Le principe 9 de la Déclaration de Stockholm identifie le sous-développement de certaines régions du monde comme une des causes de l’état préoccupant de l’environnement et propose, pour ces régions, la voie du développement économique, avec le soutien des pays développés comme moyen à privilégier dans la lutte contre la dégradation :

Les déficiences de l’environnement imputables à des conditions de sous-développement et à des catastrophes naturelles posent des problèmes graves, et le meilleur moyen d’y remédier est d’accélérer le développement par le transfert d’une aide financière et technique substantielle pour compléter l’effort national des pays en voie de développement et l’assistance fournie en tant que de besoin.

nos italiques[10]

La reconnaissance, déjà présente dans le principe 9, que les pays en développement ne sont pas en mesure d’assumer seuls la charge du développement économique nécessaire à la protection de l’environnement est exprimée une deuxième fois. En effet, le principe 12 de la Déclaration de Stockholm exhorte les pays mieux nantis au soutien financier et technique des pays en développement, admettant de ce fait les difficultés particulières qu’ils éprouvent pour assumer leur part dans la préservation de l’environnement :

II faudrait dégager des ressources pour préserver et améliorer l’environnement, compte tenu de la situation et des besoins particuliers des pays en voie de développement et des dépenses que peut entraîner l’intégration de mesures de préservation de l’environnement dans la planification de leur développement, et aussi de la nécessité de mettre à leur disposition à cette fin, sur leur demande, une assistance internationale supplémentaire, aussi bien technique que financière.

nos italiques[11]

Ces principes forment le reflet des deux préoccupations qui se sont rencontrées lors du Sommet de Stockholm. Il faut en effet avoir à l’esprit que ce sommet s’est déroulé dans le contexte où, sur le fond d’un discours sur un nouvel ordre économique international, les pays en développement cherchaient à faire avancer leur développement économique d’une part. D’autre part, les pays développés venaient d’être alertés par le rapport Meadows, intitulé « The Limits to Growth »[12], dont les prévisions relativement à l’environnement étaient plutôt sombres. Le sommet a finalement pu réunir les représentants de 113 pays, dont les deux tiers étaient des pays en développement. La participation de ces derniers n’était toutefois pas acquise d’avance, d’autant moins qu’ils craignaient que les discours des pays développés sur une nouvelle éthique environnementale puissent compromettre leurs propres efforts de lutte contre la pauvreté et de rattrapage économique au profit de la protection environnementale désormais priorisée. Toutefois, les travaux préparatoires de ce sommet, dont le rapport Founex[13] et un certain nombre de résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies[14], ont su dissiper les craintes des pays en développement que leur présence au sommet serve à cautionner les décisions des pays industrialisés portant sur les moyens de juguler la croissance des pays en développement potentiellement menaçante pour l’environnement[15].

Si les pays en développement ont fini par être convaincus de l’utilité d’assister à la conférence, ils ne partageaient toutefois pas la lecture du Nord concernant les causes de la dégradation de l’environnement. Ils persistaient à considérer que la dégradation de l’environnement était principalement due à l’industrialisation du Nord. L’état de l’environnement était, pour eux, avant tout un problème dont la solution incombait aux pays industrialisés[16]. Les principes 9, 11 et 12 de la Déclaration de Stockholm traduisent donc le résultat de ce qui s’apparente à la tentative de la quadrature du cercle, à savoir promouvoir à la fois le développement économique des pays en développement et la protection de l’environnement global, en faisant reconnaître aux pays développés la nécessité de leur soutien aux efforts de protection des pays en développement.

Le chemin parcouru depuis les premiers appels à aborder la protection de l’environnement et le développement économique des pays pauvres avec une approche intégrante se mesure à la faveur des préparatifs du sommet subséquent, tenu à Rio de Janeiro vingt ans plus tard. Notamment, les considérants de la résolution convoquant le Sommet de Rio soulignent avec insistance l’interdépendance entre les problèmes de développement économique et de l’environnement[17], lecture qui rallie désormais tous les États représentés à l’Assemblée générale des Nations Unies.

2. Le Sommet de Rio et la consécration des responsabilités communes mais différenciées

Lorsque s’ouvre à Rio la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, la nécessité de prendre en compte à la fois des considérations de protection environnementale et de développement économique est acquise, cette reconnaissance se reflétant aussi dans le titre du Sommet. En 1992, la notion du développement durable est bien établie dans le discours politique depuis sa définition, cinq ans plus tôt, par le Rapport Brundtland comme étant un développement qui permet « de répondre aux besoins du présent sans compromettre la possibilité pour les générations à venir de satisfaire les leurs »[18]. Cette définition, alors qu’elle est généralement citée pour illustrer une acception réductrice du développement durable destiné seulement à concilier les intérêts économiques et environnementaux, comporte cependant une dimension souvent occultée. Sans qu’il le soit dit explicitement, cette définition comprend la reconnaissance que la pauvreté sévissant dans certains pays compromet la satisfaction des besoins les plus essentiels de leurs populations. Cette situation de pauvreté — comme le souligne le Rapport Brundtland à plusieurs reprises — est contraire à l’idéal du développement durable[19].

Malgré le consensus autour de la notion de développement durable, la rédaction des vingt-sept principes de la Déclaration de Rio[20], qui mettent en lumière les différents aspects du développement durable, ne se fait pas sans difficultés. La formulation du principe 7 sur les responsabilités communes mais différenciées s’avère particulièrement ardue et ce n’est qu’après d’âpres négociations que l’on parvient à le libeller :

Les États doivent coopérer dans un esprit de partenariat mondial en vue de conserver, de protéger et de rétablir la santé et l’intégrité de l’écosystème terrestre. Étant donné la diversité des rôles joués dans la dégradation de l’environnement mondial, les États ont des responsabilités communes mais différenciées. Les pays développés admettent la responsabilité qui leur incombe dans l’effort international en faveur du développement durable, compte tenu des pressions que leurs sociétés exercent sur l’environnement mondial et des techniques et des ressources financières dont ils disposent[21].

Par conséquent, bien que présent dès le début dans les différents instruments internationaux relatifs à l’environnement, le traitement différencié trouve ici son entrée articulée dans le droit international de l’environnement. Or, les termes choisis sont nouveaux. En effet, la Déclaration de Rio réfère aux « responsabilités communes mais différenciées » et c’est sous cette expression que l’exhortation à l’équité Nord-Sud est désormais connue en droit international de l’environnement. Réduites à leurs aspects les plus élémentaires, les responsabilités communes mais différenciées expliquent la différenciation entre les États par leur contribution inégale à la dégradation de l’environnement, d’une part, et par la reconnaissance qu’il faut tenir compte de leur situation économique respective, d’autre part. Nous reviendrons dans la section suivante sur ces bases, tout comme sur les termes, dont le choix n’est pas anodin et qui incitent à s’interroger sur leur « charge normative ».

Au préalable, deux remarques complémentaires sur la genèse s’imposent cependant. Malgré le consensus international finalement obtenu dans le cadre du Sommet de Rio, il n’en demeure pas moins que l’articulation du concept porte clairement la signature des pays développés. En effet, le Pakistan, au nom du G77, et la Chine avaient proposé un libellé qui identifiait comme cause majeure de la détérioration persistante de l’environnement global les modes non soutenables de production et de consommation, notamment dans les pays développés[22], reprenant ainsi le contenu d’un des considérants de la convocation au Sommet de Rio[23]. De plus, le libellé soulignait la « main historical and current responsibility for global environmental degradation » des pays développés[24]. Or, dans le principe 7 de la Déclaration de Rio, toute référence à une telle responsabilité historique ou actuelle des pays développés a disparu et avec elle, comme nous le verrons, toute connotation juridique associée au terme « responsabilité » a été éliminée[25]. L’accent dans le principe 7 est plutôt mis sur la « responsabilité future »[26] des pays développés. Que la seule responsabilité acceptée par les pays développés ne vaut que pour l’avenir peut, d’une part, être déduit du rejet de la proposition du G77 et de la Chine et, d’autre part, du libellé de la troisième phrase du principe 7 de la Déclaration de Rio. En effet, selon celle-ci, la responsabilité repose essentiellement sur la reconnaissance, de la part des pays développés, de la pression que leurs sociétés exercent sur l’environnement et de leurs moyens pour en atténuer les effets. Bien que la portée du principe 7 ait déjà été limitée par le libellé finalement retenu, certains pays développés continuaient toujours à craindre une interprétation trop large. Ainsi, les États-Unis ont pris, par le biais d’une note interprétative, des précautions pour prévenir toute interprétation à teneur trop contraignante. Leur reconnaissance est de cette manière limitée à celle d’un rôle de leadership rejetant du même coup toute obligation internationale des États-Unis et toute limitation de responsabilité des pays en développement[27]. Enfin, la proposition du G77 et de la Chine contenait une référence à des transferts financiers ou de technologie en guise de compensation pour des dégradations causées à ce jour à l’environnement[28]. Cette référence a complètement disparu du libellé du principe 7. N’ayant obtenu, de la part des pays développés, ni la reconnaissance de leur responsabilité historique et actuelle, ni l’engagement en matière de transferts financiers ou technologiques, les pays en développement jugent sans surprise le principe 7 décevant[29].

3. La réception du concept dans les traités sur l’environnement

Si la Déclaration de Rio a néanmoins le mérite de forger l’expression « responsabilités communes mais différenciées » en 1992, la nécessité de tenir compte des différences réelles entre les États dans la lutte contre la dégradation de l’environnement repose, comme nous l’avons vu, sur un consensus politique grandissant depuis le Sommet de Stockholm tenu en 1972. Par conséquent, la technique du traitement différencié est reçue dans un certain nombre de traités en matière d’environnement bien avant le Sommet de Rio. Nous reviendrons sur les détails des différentes manifestations dans la troisième partie. Pour le moment, un aperçu des plus importants accords multilatéraux sur l’environnement qui contiennent des éléments témoignant de la reconnaissance de devoir admettre un traitement différencié doit suffire. Il permettra de montrer que la modulation des obligations gagne du terrain avec le temps, et ce, dans une grande variété de formes, tout en passant d’une préoccupation en périphérie des négociations des accords multilatéraux sur l’environnement à une préoccupation qui se trouve au coeur même de ces négociations.

Parmi les traités précédant Rio, la Convention sur la prévention de la pollution des mers résultant de l’immersion de déchets[30] de 1972 est un des premiers accords multilatéraux sur l’environnement à introduire la possibilité de la modulation des obligations respectives en référant aux capacités scientifiques, techniques et économiques différentes des parties[31]. De manière similaire, la CNUDM[32] de 1982 ouvre la porte à la modulation des obligations en matière de pollution d’origine tellurique. Dès 1976, avec la Convention pour la protection de la mer Méditerranée contre la pollution[33], apparaît une nouvelle forme de différenciation s’articulant autour d’un engagement de coopérer pour fournir une assistance technique aux pays en développement[34]. La Convention de Vienne pour la protection de la couche d’ozone[35] de 1985 introduit la modulation des obligations générales des parties avec la référence classique aux capacités des parties[36]. Par contre, le régime concernant la couche d’ozone, en particulier le Protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche d’ozone[37] de 1987, s’avère être certainement le régime pré-Rio qui fait la plus large place au traitement différencié. Les États reconnaissent en effet que la lutte contre le problème global de l’appauvrissement de la couche d’ozone nécessite une réponse de la part de tous les États et que les capacités limitées de certains d’entre eux ne doivent pas être un obstacle. Le traitement différencié structure, dans l’ensemble de ce régime, l’organisation des engagements respectifs des États et introduit la modulation des obligations sur le plan de la mise en oeuvre[38]. Enfin, la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination[39] de 1989 est certes préoccupée par la capacité des pays en développement de traiter les déchets de manière sécuritaire, mais cette préoccupation ne se reflète que faiblement — et c’est peut-être une surprise deux ans seulement après la conclusion du Protocole de Montréal — dans une exhortation au soutien particulier de ces États par le biais de la coopération[40].

Le Sommet de Rio a donné naissance à deux conventions importantes en matière d’environnement qui toutes deux ont recours au traitement différencié, et ce, d’une manière beaucoup plus englobante et systématique qu’auparavant. La Convention sur la diversité biologique[41] innove tant dans les modalités que dans l’ampleur du traitement différencié qui traverse le traité tel un fil d’Ariane[42]. La Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques[43], pour sa part, n’est pas en reste en reprenant non seulement la sémantique des « responsabilités communes mais différenciées », mais en en faisant aussi le pivot de l’ensemble du régime relatif aux changements climatiques[44].

L’époque post-Rio est marquée par la confirmation et la consolidation du traitement différencié dans les accords sur l’environnement. Tous les grands textes internationaux ouverts à l’adhésion générale des États permettent de le confirmer. La nature du problème auquel s’attaque la Convention sur la lutte contre la désertification[45] impose la prise en compte de la situation particulière des pays en développement, la désertification étant avant tout un phénomène qui sévit dans les pays pauvres[46]. L’Accord sur les stocks chevauchant et grands migrateurs[47] nuance les obligations des pays en développement tout en consacrant la partie VI au traitement différencié. La Convention de Rotterdam sur la procédure de consentement préalable en connaissance de cause applicable dans le cas de certains produits chimiques et pesticides dangereux qui font l'objet du commerce international[48], outre certaines modulations d’obligations en fonction des moyens des parties, contient des engagements de la part des parties développées à fournir une assistance technique aux parties en développement[49]. La même chose est vraie pour la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants[50] qui ajoute cependant la fourniture de ressources financières aux obligations des parties développées[51].

C’est cependant le Protocole de Kyoto[52] de 1997 qui est certainement le plus communément associé au concept des responsabilités communes mais différenciées et à la technique du traitement différencié. En tant qu’accord spécifique du régime relatif aux changements climatiques, il reprend évidemment la voie tracée par la CCNUCC. Les négociations pour la période post-2012, qui devaient se terminer à la fin de l’année 2009 à Copenhague, montrent à quel point le traitement différencié est devenu le nerf de la guerre dans le domaine de l’environnement. C’est précisément le traitement différencié qui draine beaucoup d’énergie des négociateurs. Certains craignent même que la question du traitement différencié compromette des ententes efficaces contre la dégradation de l’environnement en général[53], comme cela a été le cas dans le cadre de la CDB[54]. Toutefois, ce n’est pas tant la différenciation du traitement qui est mise en cause, mais plutôt ses bénéficiaires qui sont loin de former un groupe homogène[55]. Le suspens jusqu’à la dernière minute créé, lors de la conférence des parties de la CCNUCC tenue à Bali en décembre 2007, par l’opposition des États-Unis, soutenus par le Canada, l’Australie et le Japon, s’explique justement par le rejet du traitement différencié au bénéfice de l’ensemble du groupe de pays formé par le G77 et la Chine, incluant les économies émergentes comme la Chine, le Brésil et l’Inde. Certains considèrent néanmoins que le Plan d’Action de Bali[56], sur lequel les États ont finalement pu se mettre d’accord, a ouvert la porte à des engagements intéressants, notamment de la part des pays émergents[57]. Tout semblait sur la table des négociations à Copenhague, y compris la redéfinition des bénéficiaires et des débiteurs des responsabilités communes mais différenciées[58]. L’issue de la conférence montre cependant à quel point la communauté internationale est divisée sur la différenciation à opérer alors que pour la première fois un objectif commun a été chiffré, soit le maintien de la hausse des températures en-deçà de deux degrés Celsius. Faute d’adoption par consensus par les États réunis, l’Accord de Copenhague[59] est un simple accord politique qui, de plus, table sur des engagements volontaires des différents États sans prévoir des mécanismes de sanction en cas de non-respect. L’accord établit un traitement différencié, en apparence dans la continuité de la CCNUCC et du Protocole de Kyoto, en renvoyant aux catégories établies par les annexes. C’est signe que l’idée des responsabilités communes mais différenciées a survécu, certes, mais au prix d’engagements volontaires sur la base d’un accord non contraignant[60].

B. Les termes du concept et sa nature juridique

Étant donné que les divergences entre les pays en développement et les pays développés lors des négociations du principe 7 de la Déclaration de Rio ont été résolues, à peu de choses près, à la satisfaction des derniers, elles n’étaient donc pas un obstacle à la diffusion de l’idée d’équité dans les accords sur l’environnement. Le traitement différencié, soit la technique de modulation des obligations, a en effet été largement reçu dans les accords multilatéraux sur l’environnement. Or, le choix de l’expression « responsabilités communes mais différenciées » invite à regarder au-delà de la simple technique conventionnelle, d’une part, parce que le mot « responsabilité » suscite un certain nombre d’associations à teneur contraignante et, d’autre part, parce que l’expression dans son ensemble pourrait renvoyer à un concept dont la nature juridique mérite d’être examinée.

1. Responsabilités communes mais différenciées : sens des termes

L’expression « responsabilités communes mais différenciées » comporte selon nous une double imprécision terminologique d’un point de vue juridique, et ce, pour trois raisons. Premièrement, le choix, dans le principe 7 de la Déclaration de Rio, du terme « responsabilité » porte à confusion dans la mesure où il est généralement réservé, en droit international général, au concept bien particulier de la responsabilité étatique. Or, un regard sur ce régime indique qu’il ne peut être fait référence à ce type de responsabilité par le principe 7. En effet, la responsabilité étatique requiert un fait internationalement illicite, c’est-à-dire la violation par un acte (ou une omission) attribuable à un État d’une obligation internationale qui s’impose à lui[61]. Il est toutefois impossible de soutenir que les engagements conventionnels pris par les États sur la base du concept des responsabilités communes mais différenciées le sont en guise de réparation à la suite d’actes ayant engendré leur responsabilité étatique.

D’abord, il y aurait violation d’une obligation internationale par un État seulement « lorsqu’un fait dudit État n’est pas conforme à ce qui est requis de lui en vertu de cette obligation, quelle que soit l’origine ou la nature de celle-ci »[62]. Il n’existe toutefois aucune interdiction générale de dégrader l’environnement, et ce, en dépit d’une obligation coutumière de ne pas nuire à l’environnement d’un autre État ou d’un espace soumis à aucune souveraineté et de nombreuses obligations conventionnelles spécifiques. Si l’absence d’interdiction générale de dégrader l’environnement caractérise toujours la situation contemporaine, elle est incontestable pour l’époque de l’industrialisation des pays développés où les effets de la pollution et de la destruction de la biodiversité étaient mal connus. Ensuite, outre l’absence d’une norme générale pouvant être violée, l’acte de violation soulèverait plusieurs problèmes. La contribution, contemporaine et passée, à la dégradation de l’environnement est le résultat d’un amalgame d’actes, qui est fort probablement trop peu circonscrit pour se qualifier comme une violation d’une — pour le moment hypothétique — obligation internationale. De plus, une interdiction générale de détériorer l’environnement ne prescrirait ni interdirait aucun comportement particulier. Il s’agirait donc de juger les actes à partir des conséquences qu’ils engendrent et il est loin d’être certain que cette démarche inductive permette d’établir un acte de violation.

Notons dans cet ordre d’idées que la Commission du droit international étudie depuis longtemps la responsabilité objective ou pour risque. Ses travaux ont abouti à deux projets d’articles, portant respectivement sur la prévention du dommage et sur l’indemnisation[63]. Or, l’indemnisation prévue dans le dernier projet ne repose pas sur le concept de responsabilité étatique, mais incombe tout simplement à celui qui a créé le risque, qu’il s’agisse d’un individu, d’une entreprise ou d’un État, suivant la logique de la responsabilité connue du droit civil. Quant au concept de la responsabilité objective étatique, il n’est pas près d’être reçu en droit international général[64].

Pour revenir à la responsabilité pour fait illicite, il faudrait enfin pouvoir attribuer à l’État l’acte de dégradation, le plus souvent posé par des particuliers ou des entreprises. Une telle imputabilité n’est certes pas inconcevable, mais est pour le moment réservée à des cas particuliers[65]. Il faut ainsi conclure de l’acception très spécifique du terme « responsabilité » en droit international que l’emploi du terme « responsabilités » dans le principe 7 n’est pas fait en référence à la responsabilité étatique. La responsabilité prévue au principe 7 se conçoit plutôt au sens moral du terme et constitue un type de responsabilité sui generis, propre au droit international de l’environnement. La seule reconnaissance par les pays développés d’une « responsabilité future » correspondant à l’engagement de jouer le rôle de chef de fil dans la double lutte contre la dégradation de l’environnement et la pauvreté confirme aussi qu’il ne peut s’agir que d’une responsabilité morale. D’abord, la responsabilité juridique ne peut être constatée que postérieurement à la violation d’une obligation. En ce sens, une « responsabilité future » est inconnue du droit, alors qu’elle se conçoit sans trop de problèmes sur le plan moral. Puis, en acceptant leur seule « responsabilité future », les pays développés ont refusé de consentir à une quelconque portée juridique de leur reconnaissance[66], alors qu’ils auraient été libres de s’engager à réparer — indépendamment de la responsabilité étatique — des dommages causés dans le passé par leur développement.

Deuxièmement, l’expression « responsabilités communes » rappelle que le droit international de l’environnement se démarque par sa préoccupation « communautaire » très prononcée. On n’a qu’à penser au « patrimoine commun de l’humanité », à l’« intérêt commun de l’humanité » et aux « global commons ». L’expression « responsabilités communes » s’inscrit très probablement dans cette lignée, tout en renforçant le constat que la responsabilité est entendue au sens moral du terme. En effet, la nécessité d’attribuer le fait internationalement illicite à un État repose sur une conception individuelle de la responsabilité étatique, alors que l’expression « responsabilités communes » réfère à une responsabilité collective. Notons que si, en matière de responsabilité étatique, l’approche est caractérisée par sa nature principalement bilatérale impliquant l’État responsable et l’État victime, il est entendu, depuis un obiter dictum de la Cour internationale de Justice dans l’affaire Barcelona Traction[67], qu’il existe des obligations erga omnes pour le respect desquelles tous les États ont un intérêt juridique. Bien que les obligations relatives à l’environnement n’en fassent pas partie pour le moment, leur seule existence ouvre la porte à la responsabilité envers une collectivité et qui s’affranchit donc du caractère bilatéral.

Alors que le concept de patrimoine commun de l’humanité ne joue qu’un rôle marginal en droit international de l’environnement[68], celui de l’intérêt commun de l’humanité s’y est taillé une place, surtout au regard de la protection des global commons. Il est présent dans les grands textes, tels la CCNUCC[69], la CDB[70] et le Protocole de Montréal[71]. Or, aucune règle de conduite précise n’en découle ; la souveraineté étatique s’en trouve néanmoins limitée dans la mesure où celle-ci doit être exercée dans le respect de cette nouvelle responsabilité globale[72]. Comme le fait toutefois remarquer Jutta Brunnée à juste titre, le concept de patrimoine commun de l’humanité peut à tout le moins être interprété comme invitant, voire sommant les États à coopérer afin de relever collectivement les défis liés à l’intérêt commun[73], interprétation qui rejoint la préoccupation du principe 7.

Troisièmement, l’expression « responsabilités différenciées » irrite dans la mesure où une « différenciation » des responsabilités respectives des États est incompatible avec le régime de la responsabilité étatique. La responsabilité peut ou non être établie, ne laissant pas de place à une responsabilité modulée, même si la réparation due peut bien sûr l’être[74]. L’expression « responsabilités différenciées » relève donc également d’une logique morale plutôt que juridique. Toutefois, de la reconnaissance d’une responsabilité morale peut bien sûr découler l’acceptation d’obligations contraignantes modulées ou différenciées au profit des pays en développement. Le concept des responsabilités communes mais différenciées induit précisément cette modulation des obligations étatiques conventionnelles dans la lutte contre la dégradation de l’environnement, modulation légitimée par la reconnaissance d’une responsabilité morale. Enfin, la parenté conceptuelle avec l’intérêt commun de l’humanité est indéniable, puisqu’une considération centrale du dernier est la répartition équitable du fardeau occasionné par la résolution des problèmes environnementaux[75]. Tout compte fait, force est de constater que l’expression « responsabilités différenciées » renvoie en réalité à des « obligations différenciées ».

2. Responsabilités communes mais différenciées : nature juridique

Les pays en développement n’ont donc pas réussi à obtenir, de la part des pays développés, la reconnaissance de leur responsabilité au sens juridique classique du terme. Serait-il possible de fonder le caractère contraignant du principe des responsabilités communes mais différenciées sur le statut de principe coutumier ? Bien que la Déclaration de Rio soit à l’origine une simple déclaration de nature politique et dépourvue d’effets juridiques directs, certains principes qu’elle énonce ont aujourd’hui acquis le statut de principe juridique coutumier. À titre d’exemple, citons le principe de prévention[76] et celui du pollueur-payeur[77]. Par contre, l’obligation de ne pas nuire à l’environnement d’un autre État ou d’une zone soumise à aucune juridiction nationale relevait du droit coutumier bien avant 1992[78]. La Déclaration de Rio contient aussi, en revanche, des principes à la nature juridique incertaine, tantôt considérés comme de simples énoncés politiques appartenant éventuellement à la soft law[79], tantôt comme principes du droit coutumier. Le principe de précaution[80] et le « principe » de développement durable[81] sont les plus discutés. Ces « principes » ont fait l’objet — et le font toujours — d’une production doctrinale assez imposante.

Qu’en est-il donc du principe 7 de la Déclaration de Rio ? Les auteurs de doctrine s’entendent pour dire qu’il ne s’agit pas d’un principe coutumier[82]. Au-delà de ce consensus, des nuances apparaissent quant aux raisons qui les amènent à cette conclusion et quant aux conséquences sur le plan normatif qu’ils en déduisent. Avec quelques variantes dans l’analyse, la doctrine s’appuie surtout sur l’absence des éléments constitutifs d’une coutume[83], à savoir la pratique et l’opinio iuris, pour nier le statut juridique coutumier. L’accent est mis tantôt sur l’incertitude quant au contenu du principe, tantôt sur l’impossibilité d’établir la conviction des États (développés) d’agir en vertu d’une règle contraignante. Rajamani, sans épuiser ce débat, note de plus qu’il faudrait, avant de se pencher sur les éléments constitutifs d’une coutume, s’assurer que le principe revête le caractère requis[84]. Comme la Cour internationale de Justice l’a en effet constaté, pour qu’une norme coutumière puisse s’établir, il faut d’abord que l’énonciation en cause « ait, en tout cas virtuellement, un caractère fondamentalement normatif et puisse ainsi constituer la base d’une règle générale de droit »[85]. À cet égard, il nous semble primordial de distinguer entre la technique juridique du traitement différencié et l’énonciation du principe 7.

La technique de modulation des obligations est effectivement une pratique répandue. Or, il s’agit surtout d’une pratique conventionnelle qui, a priori, doit être distinguée d’une pratique pertinente pour établir une coutume. Il semble plus que douteux que cette technique de modulation des obligations puisse prétendre à la qualité de règle de droit. Le traitement différencié peut certes être reçu par un traité à l’égard de certaines obligations, voire comme principe structurant de l’ensemble du régime, à l’image du régime relatif aux changements climatiques[86]. Par contre, alors que les obligations conventionnelles — différenciées — acceptées par les États sur la base des responsabilités communes mais différenciées constituent sans l’ombre d’un doute des règles juridiques, il en va autrement de la technique qui transparaît tantôt en filigrane tantôt comme principe structurant explicite derrière cette modulation des engagements étatiques respectifs. Elle n’est que la méthode choisie pour organiser les obligations étatiques en les modulant sans par ailleurs avoir le caractère prescriptif d’une norme juridique.

À l’inverse, il est concevable de constater le caractère fondamentalement normatif de l’énonciation, par le principe 7 de la Déclaration de Rio, des responsabilités communes mais différenciées que le traitement différencié permet de réaliser. Le principe 7 pourrait ainsi fonder une règle juridique exhortant les États à insuffler, notamment par le recours au traitement différencié, davantage d’équité dans les relations internationales en matière d’environnement. La prescription aurait des contours sommairement balisés par le résultat à atteindre, soit l’équité, et par la méthode à utiliser, soit le traitement différencié dans un contexte conventionnel. Or, surtout la méthode pourrait éventuellement prendre d’autres formes et l’application du principe ainsi déborder le traitement différencié conventionnel. Le flou des contours du principe 7 n’est certainement pas étranger à la difficulté d’établir la pratique pertinente ainsi que la conviction des États d’être légalement tenus à y recourir. Ceci dit, nous croyons néanmoins que le principe de responsabilités communes mais différenciées a une certaine valeur normative. Edith Brown Weiss suggère la qualification de « principe en émergence »[87], sans en spécifier la portée normative. Birnie, Boyle et Regdwell proposent la qualification de « framework principle »[88]. Nous avançons qu’il s’agit d’un principe structurant ou directeur, c’est-à-dire d’un principe qui joue un rôle central dans la structuration et la systématisation des règles de droit[89]. S’il faut réfuter la thèse de la nature coutumière du principe des responsabilités communes mais différenciées, il faut en revanche admettre qu’il n’est pas pour autant privé de tout effet normatif, celui-ci étant cependant indirect. Il n’est pas non plus d’emblée exclu que le principe accède un jour au statut de principe coutumier.

Il faut se demander si la place du débat sur la nature juridique des responsabilités communes mais différenciées est méritée. Un regard sur la pratique conventionnelle confirme que les États recourent très souvent au traitement différencié dans le but de rétablir un tant soit peu les iniquités, que la motivation soit juridique ou pratico-morale. Une des raisons de l’existence du débat est probablement le réflexe de la doctrine juridique environnementale à s’interroger sur la nature juridique des principes de la Déclaration de Rio, certainement parce que certains principes appartiennent à la catégorie de normes coutumières et peut-être parce que le terme « principe », qui précède chaque énonciation, suggère cette qualification. Ce débat semble par ailleurs convenir aux pays en développement[90] qui, en l’absence d’une responsabilité juridique des États développés pour la dégradation passée et actuelle de l’environnement, cherchent à faire accepter au moins la technique de traitement différencié comme technique conventionnelle de référence dans la conception des obligations respectives des États. En effet, tant la question de la responsabilité que la question de la nature juridique concernent en dernière analyse le caractère contraignant de la reconnaissance, par les pays développés, de leur dette écologique et les obligations qui pourraient en découler.

II. Les fondements du concept des responsabilités communes mais différenciées

On a l’habitude de décomposer le concept des responsabilités communes mais différenciées en deux volets[91]. Le premier volet réfère à la responsabilité — morale — partagée par tous les États de la communauté internationale pour l’état de la planète. Celle-ci est le seul habitat de l’homme et de la nature qui l’entoure, et de ce fait, tous les pays forment une communauté de destin et, partant, d’intérêt. Les États sont interdépendants, et ce, au sens existentiel du terme, car il y va de la survie de l’homme et non uniquement de la survie d’un certain modèle économique. Ce constat est devenu véritablement incontournable avec l’avènement des problèmes environnementaux globaux, tels la destruction de la couche d’ozone, la perte de la biodiversité et surtout le réchauffement du climat. Par conséquent, chaque État a la responsabilité — ou plutôt l’obligation générale — de ne pas nuire à l’environnement. Comme le constate Duncan French avec justesse, le principe 2 de la Déclaration de Rio[92], qui porte sur cette responsabilité des États, n’introduit aucune distinction fondée sur la situation socio-économique des États[93]. À l’inverse du premier volet des responsabilités communes mais différenciées qui met l’accent sur les points communs, le deuxième volet est destiné à tenir compte des différences réelles qui caractérisent la communauté internationale. L’engagement dans l’effort commun devient politiquement acceptable grâce à la différenciation[94]. D’une part, la différenciation fait en sorte que chaque État trouve son compte dans l’accord négocié. D’autre part, cette forme de discrimination positive a déjà été utilisée avec succès dans le passé pour rétablir des situations d’iniquité[95].

Une fois mentionnés ces deux volets du concept des responsabilités communes mais différenciées, il est cependant possible de pousser l’analyse plus loin pour constater les fondements d’ordre pratique et éthique du concept de traitement différencié en droit international de l’environnement. Faute de pouvoir épuiser les questions dans le cadre de la présente étude, nous nous limiterons à esquisser les grands traits de ces deux types d’assise au traitement différencié en matière d’environnement et de développement durable.

A. Considérations pratiques

Un certain nombre de considérations ayant présidé à l’émergence du concept des responsabilités communes mais différenciées relèvent de la reconnaissance de la situation factuelle à laquelle se trouve confrontée la communauté internationale dans sa recherche de solutions aux problèmes environnementaux. Le traitement différencié s’avère être une tentative très pragmatique d’assurer une meilleure et plus large mise en oeuvre des accords multilatéraux sur l’environnement en tenant compte des différences entre les parties.

1. Considérations pratiques relatives aux pays développés

Deux considérations pratiques relatives aux pays développés contribuent de manière importante à la naissance du traitement différencié en matière d’environnement. La première considération est liée au constat que la dégradation de l’environnement trouve sa source avant tout dans les pays industrialisés de l’hémisphère Nord. Il est vrai que le Rapport Brundtland compte la pauvreté parmi les causes les plus importantes de pollution[96] et il est certainement juste que l’environnement local dans des pays pauvres est souvent en bien moins bon état que l’environnement local dans les pays mieux nantis, car la pauvreté est bien souvent cause de défaillance en matière de prévention et d’assainissement. Il n’en demeure pas moins que la dégradation de l’environnement global, notamment par l’atteinte portée à ce que l’on appelle les global commons, est majoritairement imputable aux modes de production et de consommation du Nord bien nanti[97]. L’appauvrissement de la couche d’ozone, l’épuisement des stocks de poissons et les changements climatiques sont en lien direct avec l’industrialisation. Par conséquent, les pays de l’hémisphère nord, malgré l’actuelle industrialisation débridée de certains pays en développement, ont une dette écologique significativement plus importante. Non seulement leur industrialisation est plus ancienne, mais des études sur l’empreinte écologique respective des pays montrent clairement que la consommation[98]per capita dans les pays développés dépasse toujours largement celle des pays en développement[99].

Or, comme nous l’avons montré, il faut se garder de parler globalement d’une reconnaissance par le Nord de sa « responsabilité ». En effet, en ce qui concerne les dégradations passées, il faut distinguer entre les causes factuelles de dégradation de l’environnement et la responsabilité juridique pour celle-ci. Les pays développés admettent que les causes leur sont imputables, mais rejettent leur responsabilité au sens juridique du terme en insistant sur l’absence de connaissances scientifiques relatives à l’impact négatif de l’industrialisation et surtout sur l’absence d’interdiction de leur comportement à l’époque de leur industrialisation. Cette vision a été réaffirmée par le négociateur en chef des États-Unis lors de la Conférence de Copenhague[100]. Ce n’est donc qu’en se référant aux causes actuelles que les États développés acceptent d’assumer un rôle particulier. En effet, les « pressions que [les] sociétés [des pays développés] exercent sur l’environnement mondial », selon la formule du principe 7, sont un facteur à prendre en compte.

Notons qu’il s’agit là en fait d’une rupture avec le principe du pollueur-payeur. Dans sa conception acceptée au niveau intra-étatique, celui-ci impose à celui qui affecte la qualité de l’environnement d’en assumer les coûts[101]. À l’inverse, le principe 7, applicable au niveau interétatique, met l’accent sur la pression actuelle (négligeant la pression cumulée) de la seule catégorie des pays développés, balayant ainsi toute idée de responsabilité juridique pour les coûts engendrés par la pollution et inhérente au principe du pollueur-payeur[102].

À la considération de la contribution prépondérante des pays développés à la dégradation de l’environnement s’ajoute, pour justifier encore davantage la différenciation, la considération « des techniques et des ressources financières dont [les pays développés] disposent », suivant la formulation du principe 7 de la Déclaration de Rio. C’est leur capacité actuelle de faire face aux problèmes — supérieure à celle des pays en développement — qui fonde la responsabilité accrue des pays développés dans la lutte contre la dégradation de l’environnement, d’autant que les problèmes les plus graves affectent les pays en développement[103]. Soulignons que la supériorité des moyens des pays développés est dans bien des cas le résultat de leur contribution prépondérante, passée et actuelle, à la dégradation de l’environnement[104]. Les pays développés, en s’industrialisant, ont pu générer des richesses étourdissantes sans se soucier des atteintes portées à l’environnement et particulièrement aux global commons. De même, les ressources, qu’elles soient renouvelables ou non, sont encore aujourd’hui bien souvent exploitées au seul bénéfice des pays développés, et ce, alors qu’elles proviennent très fréquemment des pays en développement[105]. La mention de la capacité des États développés fait ressortir que ceux-ci reconnaissent — capacité oblige — la nécessité de jouer le rôle de chef de file pour trouver des solutions aux problèmes environnementaux.

2. Considérations pratiques relatives aux pays en développement

Aux considérations relatives aux pays développés, soit leur pression prépondérante sur l’environnement et leurs capacités supérieures, s’ajoutent celles relatives aux pays en développement.

Depuis quelques décennies, le nombre de pays en développement en voie d’industrialisation extrêmement rapide ne cesse de croître. De plus, quatre-vingts pour cent de la population mondiale vit dans les pays en développement qui enregistrent bien souvent une croissance démographique importante. La conjugaison de ces éléments fait en sorte que la pression exercée sur l’environnement par ces pays gagne rapidement en importance. Pour cause, le Brésil, l’Inde et la Chine sont souvent cités afin d’illustrer ce double phénomène dont le potentiel dommageable pour l’environnement est très inquiétant. La contribution — actuelle ou dans un avenir rapproché — des pays en développement à la dégradation de l’environnement constitue donc une réalité incontournable pour la communauté internationale. Si cette dernière désire réunir de manière efficace ses efforts de préservation de l’environnement, elle n’a d’autre choix que de trouver des moyens pour s’assurer de la participation universelle aux efforts, incluant celle des pays en développement.

En même temps, les pays en développement sont tous, bien qu’à des degrés variables, préoccupés par le développement. Plus un pays est pauvre, plus le développement économique, voire le simple maintien en vie d’une économie anémique, a tendance à l’emporter sur les considérations environnementales. Même dans les pays nouvellement industrialisés, le développement qui résulte de la contribution accrue à la dégradation de l’environnement ne se fait pas toujours au profit de moyens pour prévenir, atténuer ou réparer les dommages causés. La préoccupation des pays en développement pour leur développement économique est jugée légitime par les pays développés, comme en témoignent notamment les développements dans le système commercial multilatéral, et ce, bien que les pays développés n’aient certainement pas accepté l’idée d’être juridiquement obligés de venir en aide aux pays en développement. Ils continuent plutôt à insister sur le caractère purement volontaire des modulations des engagements respectifs des pays en faveur des pays en développement[106]. En dépit du fait que les pays développés ne reconnaissent que sur une base morale — et non juridique — la légitimité des revendications des pays en développement, cette reconnaissance se répercute aussi dans le domaine environnemental.

Les États ont donc pris conscience que pour atteindre l’objectif de protection de l’environnement, commun à tous les États en raison de leur interdépendance, il faut, d’une part, que cette majorité de pays pauvres participe à l’effort et, d’autre part, que leurs besoins de développement économique soient pris en compte. Le principe 6 de la Déclaration de Rio formule ce dernier aspect ainsi :

La situation et les besoins particuliers des pays en développement, en particulier des pays les moins avancés et des pays les plus vulnérables sur le plan de l’environnement, doivent se voir accorder une priorité spéciale. Les actions internationales entreprises en matière d’environnement et de développement devraient également prendre en considération les intérêts et les besoins de tous les pays[107].

Le recours au traitement différencié constitue la réponse logique à ce défi de conciliation entre protection de l’environnement et développement économique. D’un point de vue conceptuel, ce fondement de la différenciation est toutefois très différent de celui qui réfère à la contribution par les pays développés à la dégradation de l’environnement, abordé plus tôt. En effet, dans ce dernier cas, la solution au problème environnemental modulera les obligations de chacun selon les contributions respectives au problème, l’origine du problème et sa solution étant directement liées. Dans le cas où les besoins des pays pauvres motivent le traitement différencié, cet arrimage entre l’origine du problème environnemental et sa solution est absent. Nous considérons que les deux fondements pratiques du traitement différenciés ne sont pas alternatifs, mais, bien au contraire, complémentaires. Or, cette complémentarité peut aussi avoir des conséquences perverses dans les négociations. Selon que les pays développés concernés adoptent la position que la modulation s’impose pour des raisons de contributions différenciées aux problèmes à résoudre ou la position qu’elle s’impose pour des raisons de besoins des pays en développement, ils seront plus ou moins enclins à assumer des engagements relativement plus importants[108].

Pour revenir aux seules considérations pratiques relatives aux pays en développement, la préoccupation concernant les accords multilatéraux sur l’environnement est donc double : la participation la plus universelle possible, incluant celle des pays en développement — préoccupation des pays développés avant tout — et la prise en compte de la situation économique difficile des pays en développement — préoccupation des pays en développement avant tout[109]. Cette double préoccupation passe au premier plan lors des négociations du régime relatif à la protection de la couche d’ozone dans les années 1980[110]. Ainsi, les mesures destinées à assurer une participation la plus universelle possible au Protocole de Montréal, pénalisant les pays non parties par le biais d’interdictions de commerce, sont une conséquence directe du premier versant[111]. Le corollaire du second versant est l’Amendement de Londres apporté en 1990 au Protocole à la suite de la menace des pays en développement de ne pas participer aux efforts : il allège temporairement la mise en oeuvre pour les pays en développement et crée un mécanisme de financement[112], le Fonds multilatéral pour la mise en oeuvre du Protocole de Montréal[113].

La différenciation apparaît ainsi comme la conséquence d’un levier — modeste certes — dont disposent désormais les pays en développement[114]. Alors qu’ils ne sont que demandeurs dans le système commercial multilatéral, les pays en développement sont demandeurs en même temps que donneurs dans le cadre de la lutte contre la dégradation de l’environnement. Leur collaboration aux efforts en matière d’environnement devient donc la monnaie d’échange[115] qui leur permet d’obtenir le soutien économique palpable qu’ils demandent depuis les années 1960 dans le domaine du commerce international[116]. Le passage des pays développés du statut de donneur à celui de demandeur constitue un « turning point »[117], capable de modifier la dynamique des relations internationales. Si celle-ci peut être plus favorable aux pays en développement et faire en sorte que le traitement différencié produit des résultats plus satisfaisants que dans le système commercial multilatéral[118], elle ne fait pas disparaître tout risque de blocage[119], bien au contraire. En effet, les demandes des pays en développement pourraient devenir trop lourdes à porter et donc inacceptables aux yeux des pays développés. Dans ce cas, non seulement les mesures de soutien au développement sont compromises, mais également les mesures de protection de l’environnement. Les actuelles difficultés d’arriver à un accord contraignant dans le cadre des négociations climatiques prouvent que ce risque est bien réel.

B. Considérations éthiques

Les différences dans la contribution aux problèmes environnementaux globaux, les capacités très inégales d’y faire face et la nécessité d’assurer une participation universelle aux efforts constituent des considérations d’ordre pratique qui suffiraient, à elles seules, pour justifier une différenciation dans le traitement des États. Or, certaines considérations plus théoriques et abstraites fournissent une justification supplémentaire, relevant cette fois-ci du domaine de l’éthique. Leur apport particulier est de renforcer la légitimité de la différenciation qu’imposent les problèmes pratiques. Ces considérations éthiques sont articulées autour de l’idée d’équité dont il convient d’exposer les différentes formes ainsi que certains impacts plus généraux sur les rapports interétatiques.

1. Le rôle de l’idée d’équité et ses différentes formes

Dès l’Antiquité, les philosophes soulignent que l’égalité appliquée à ceux qui sont inégaux engendre l’injustice ; ce qui est inégal doit être traité de manière différenciée, car « en effet, il n’y a d’égalité entre des choses inégales qu’autant que la proportion est gardée »[120]. Depuis la Conférence de Stockholm en 1972, l’idée d’équité — intra- et intergénérationnelle — a progressivement gagné en importance en droit international de l’environnement[121]. Elle domine aujourd’hui très fortement le concept des responsabilités communes mais différenciées[122]. L’équité cherche également l’égalité, mais au sens concret du terme et dans le résultat. Pour atteindre l’égalité concrète, l’équité accepte donc de s’écarter de l’égalité formelle.

Il est possible de distinguer un certain nombre d’aspects relatifs à l’équité. D’abord, comme le souligne Ruchi Anand avec justesse, l’équité a deux volets, l’un procédural et l’autre matériel : « [...] an analysis of the inequities in the international arena has led to questions and concerns of procedural justice implying fairness of decision-making processes, and distributive justice, focusing on norms for equitable resource distribution in terms of costs and benefits »[123]. La démarche conditionne souvent le résultat. Alors, si le volet matériel, c’est-à-dire le résultat, retient avant tout l’attention du juriste, puisqu’il est fixé dans le texte des accords qui résultent des négociations, il ne faut pas sous-estimer l’importance du volet procédural, à savoir l’équilibre des forces pendant les négociations. Cette problématique appelle plutôt l’analyse du politologue, car bien que le concours du juriste puisse être opportun pour concevoir des règles procédurales assurant, dans la mesure du possible, l’équité lors des négociations, il n’en demeure pas moins que les négociations internationales constituent avant tout un jeu de force sur lequel le droit n’a qu’une influence limitée et dont l’étude échappe en grande partie au juriste. Nous nous contentons donc ici de remarquer que la plus grande portée des engagements assumés par les pays développés ne justifie pas en soi la reconnaissance de plus de droits dans le processus décisionnel[124].

L’étude des textes façonnant l’idée d’équité permet d’appréhender comment les États, dans la conception des engagements respectifs, ont tenu compte des différences réelles qui existent entre eux. En droit international de l’environnement, la recherche d’une justice distributive, ce volet matériel, couvre deux aspects différents, mais qui sont étroitement liés et de ce fait aujourd’hui souvent tous deux présents dans les accords. Le plus ancien des deux aspects concerne la recherche de l’équité dans la répartition de l’utilisation des ressources naturelles, partagées ou non[125]. Plus récemment s’est ajoutée la préoccupation d’une répartition équitable des coûts et bénéfices découlant de la lutte contre la dégradation de l’environnement[126].

Au regard des inégalités tant relatives à la contribution aux problèmes environnementaux que relatives aux capacités d’y répondre, l’équité commande de ne pas traiter tous les États sur un pied d’égalité[127]. Au contraire, la différenciation a pour but de redresser la situation de ceux qui ne participent pas aux dommages tout en en subissant souvent le plus fortement les conséquences, et ce, dans un contexte de précarité économique souvent extrême. Cette acception de la notion d’équité prévaut dans les régimes relatifs à la couche d’ozone et aux changements climatiques[128].

La différenciation prend fréquemment la forme d’une discrimination positive au profit des pays en développement[129], ce qui n’est pas sans rappeler certains instruments internationaux dans le domaine des droits de l’homme[130]. La discrimination positive sert alors à renforcer la position des faibles et désavantagés dans le but de redresser leur situation[131]. Elle peut aider à parvenir à l’équité intragénérationnelle. Étant donné que beaucoup d’iniquités sont de nature systémique, la discrimination positive peut mener à l’émancipation du système, tant dans le cadre des relations économiques que dans le domaine de l’environnement. Rajamani doute cependant que les États qui refusent de reconnaître une responsabilité historique au sens juridique souscrivent à une telle justification éthique du concept de responsabilités communes mais différenciées, puisqu’elle serait trop étroitement liée à la reconnaissance d’une responsabilité pour des injustices historiques[132].

2. L’équité et ses impacts sur les rapports interétatiques

Le principe 7 de la Déclaration de Rio exhorte les États à coopérer « dans un esprit de partenariat mondial ». Les concepts de partenariat ou de solidarité s’avèrent déterminants pour le contexte du traitement différencié en matière environnementale. Bien sûr, l’idée de solidarité n’est pas nouvelle en droit international ; elle est présente dans la Charte des Nations Unies[133] et les revendications d’un nouvel ordre économique international reposent également sur l’idée de solidarité[134]. Il est cependant avancé que dans ce dernier contexte, l’idée de solidarité a été mal comprise en tant qu’obligation des pays riches d’assister les pays pauvres, et ce, alors que la solidarité ne peut imposer des obligations à sens unique[135]. Tandis que la solidarité réclamée lors des discussions d’un nouvel ordre économique international s’inscrivait donc dans un contexte caractérisé par la confrontation entre les intérêts des pays riches et les intérêts des pays pauvres, le concept de partenariat pourrait s’avérer plus conciliatoire.

Le concept de partenariat renvoie bien sûr également au soutien qui devrait être fourni aux pays en développement pour tenir compte de leurs besoins. Or, le partenariat pour le développement durable devrait se concevoir de manière plus consensuelle dans la mesure où tous les partenaires devraient en tirer avantage. En effet, tout État devrait avoir voix au chapitre, tout État devrait contribuer à l’effort commun et tout État devrait être récompensé pour ses efforts. À la différence de la solidarité réclamée au moment des discussions d’un nouvel ordre économique international, le partenariat au sens du développement durable est largement libre de sous-entendus idéologiques controversés et a l’avantage d’exhorter tous les États à la réalisation d’intérêts communs[136]. Le fait que tout État trouvera son compte dans la coopération, parce que l’objectif rejoint les intérêts de tous les États, explique probablement pourquoi le partenariat tel qu’il se matérialise en droit international de l’environnement s’avère plus effectif que la solidarité qui a été réclamée — largement en vain — au sein du système commercial multilatéral. Cependant, si les termes « partenariat » et « solidarité » sont souvent employés dans le contexte du traitement différencié, il existe un consensus large selon lequel on est encore loin d’un principe juridique bien établi. Il s’agit davantage d’une « maxime extra-juridique »[137] qui a cependant le potentiel de former la base de la coopération internationale et du traitement différencié[138]. Ceci étant dit, si la coopération est une prémisse pour la réalisation du développement durable, le traitement différencié représente le moyen qui permet de réaliser l’équité entre les États.

L’avènement de considérations éthiques soulignant la nécessité de l’équité dans les relations entre États inégaux a sans doute influencé l’interprétation du concept de souveraineté. L’acception initiale de ce dernier met l’accent sur l’égalité formelle, protectrice de l’indépendance politique des États, et procède de la nécessité, dans le jeune système westphalien, d’assurer la coexistence — pacifique ! — des États. Or, la prémisse de base de ce concept, soit la possibilité des États d’exister dans une sorte d’autarcie, n’est dès le départ bonne que pour des fins de théorisation du concept de souveraineté. À mesure que l’interdépendance des États devient apparente et s’approfondit, la prémisse de base s’avère de moins en moins soutenable et doit faire place à la reconnaissance du fait que les États ne font pas que simplement coexister, mais coopèrent intensément[139]. Par conséquent, le droit qui régit aujourd’hui les relations internationales est un droit de coopération[140]. La coopération pourrait gagner encore davantage en importance. Non seulement elle répond à un besoin concret, à savoir la collaboration dans un monde de plus en plus interconnecté, mais elle est aussi l’outil d’une nouvelle maxime éthique, celle de l’équité. Notamment, l’équité intragénérationnelle est largement de nature transnationale et, par conséquent, en rupture avec le concept westphalien classique de la souveraineté des États. La coopération internationale, qui tient compte des iniquités entre les États au nom de l’équité et les pallie par le biais du traitement différencié, pourrait modifier considérablement — et a commencé à le faire — le concept de souveraineté dans la mesure où l’égalité souveraine ne sera plus le seul jalon des engagements internationaux des États, mais se verra tempérée par celui d’équité.

III. Les articulations du concept des responsabilités communes mais différenciées

La caractéristique dominante de toutes les formes de différenciation est certainement la création de catégories d’États. La différenciation la plus fréquente distingue les pays développés ou industrialisés des pays en développement. Étant donné l’hétérogénéité importante de ces derniers, d’autres subdivisions sont cependant parfois utilisées : pays les moins avancés (PMA), pays avec une économie en transition, pays nouvellement industrialisés, petits pays insulaires et pays les plus vulnérables. L’existence de ces sous-catégories soulève la question de l’opportunité d’admettre plus que les deux catégories traditionnelles dans les traités afin de permettre des modulations encore plus raffinées. Il faut toutefois être conscient que la multiplication des distinctions multiplie aussi le risque de ne pas pouvoir se mettre d’accord sur l’appartenance d’un État donné à l’une ou l’autre des catégories.

Il est important de souligner qu’il n’existe pas de définition universelle de ces catégories, à l’exception de celle des PMA[141]. Mis à part le cas spécial de l’énumération des pays développés dans les annexes de la CCNUCC[142], seul le Protocole de Montréal contient une définition spécifique. Son article 5 qualifie, aux fins du régime, les pays en développement admissibles à un allègement de leur engagement par la consommation annuelle per capita de substances règlementées. L’absence de définition dans les autres régimes a certes l’avantage de la souplesse, mais introduit en même temps l’incertitude quant à la catégorie à laquelle un pays donné appartient — surtout dans un contexte économique marqué par le changement — et quant à la méthode pour établir cette appartenance.

La classification des différentes articulations du concept de traitement différencié dans les traités internationaux sur l’environnement qui suit ne prétend pas à l’exhaustivité. Premièrement, elle ne prendra en considération que les formes positives du traitement différencié. Toutefois, les sanctions commerciales prévues par des régimes importants, dont la CITES[143] et le Protocole de Montréal, pourraient s’avérer particulièrement efficaces à l’égard des pays en développement qui ne peuvent se permettre d’encourir des sanctions pour non-respect ou des pénalités pour non-adhésion[144]. Nous écartons l’étude de ces incitatifs négatifs parce que le traitement différencié n’est pas prévu par le droit, mais résulte d’une situation de fait, à savoir la capacité inégale des États de supporter les sanctions et pénalités. La différenciation n’est donc que le corollaire d’une discrimination de facto ou encore un effet secondaire souvent non désiré. Deuxièmement, notre classification ne porte que sur le phénomène conventionnel du traitement différencié, bien que des mesures visant à soutenir les pays en développement lors des négociations des régimes conventionnels soient d’une importance pratique non négligeable pour ces pays[145].

Enfin, notre classification distingue selon la catégorisation des bénéficiaires ou débiteurs ainsi que la technique de modulation et ne s’intéresse que de manière incidente aux différences d’obligations qui en résultent pour les différentes catégories d’États. Cette approche est en contraste avec celle choisie à l’égard du traitement différencié dans le système commercial multilatéral où le débat doctrinal porte plus systématiquement sur le contenu des normes différenciées[146]. Nous avançons que ce contraste s’explique par la morphologie respective des deux sphères juridiques. À la différence du système commercial multilatéral, il n’y a pas d’armature juridique générale en droit international de l’environnement, intégrée à un système institutionnel unique qui veillerait à son respect et à son développement. Au contraire, le droit est polymorphe dû à l’approche sectorielle, qui apporte des solutions au gré de l’identification des problèmes environnementaux. Dans un contexte où les négociations partent à zéro pour chaque nouveau problème, la différenciation entre les États constitue un point commun, alors qu’il s’avère extrêmement difficile de classer les doubles normes qui en résultent, puisque les variations d’un régime conventionnel à l’autre sont si importantes que chaque cas apparaît comme un cas d’espèce.

A. Les différenciations formelles et informelles

Les auteurs des traités sur l’environnement ont fait preuve d’ingéniosité en matière de différenciation. En effet, la seule limite aux formes de différenciation est l’imagination humaine. Il est néanmoins possible d’identifier des points communs dans la diversité. Ainsi, pour créer un « double standard[147] », les auteurs optent tantôt pour une différenciation clairement énoncée (formelle), tantôt pour une différenciation moins visible (informelle).

1. Différentes obligations pour différentes catégories de pays : les différenciations formelles

Plusieurs traités modulent explicitement les obligations auxquelles souscrivent les États parties selon l’appartenance de ces États à l’une ou l’autre des catégories créées par le traité. Les différences dans les obligations assumées par les États peuvent se situer tant sur le plan de l’obligation de résultat visé par le traité que sur le plan de la mise en oeuvre d’obligations autrement identiques.

Un exemple particulièrement percutant du premier type de différenciation constitue le régime relatif aux changements climatiques. Celui-ci distingue entre les États de l’annexe I de la CCNUCC, soit les pays développés ou les pays avec une économie en transition, et les autres États. Le Protocole de Kyoto n’impose des obligations relatives au niveau des émissions des gaz à effet de serre qu’aux États de l’annexe I[148]. Le résultat pour le moins étonnant pour le droit international, qui se caractérise habituellement par la réciprocité des engagements, est la coexistence de deux régimes juridiques distincts sous un même traité. Notons aussi que le régime relatif aux changements climatiques est le seul des régimes examinés aux fins de la présente étude à articuler le traitement différencié autour des débiteurs, tous les autres étant articulés autour des bénéficiaires.

Quant à la distinction entre les catégories d’États parties créées au regard de la mise en oeuvre, la technique consiste bien souvent à accorder à certains États une période de grâce différant leur obligation de mise en oeuvre. Le Protocole de Montréal, par exemple, permet à certains pays en développement de surseoir de dix ans à la réduction de la production des substances réglementées appauvrissant la couche d’ozone[149]. Le Protocole de Kyoto, plus vaguement, accorde aux pays dont l’économie est en transition vers une économie de marché « une certaine latitude dans l’exécution de leurs engagements »[150]. Contrairement au premier exemple, la coexistence de deux régimes n’est ici que temporaire.

Le traitement différencié s’opère alors à travers ce qu’appelle Daniel Barstow Magraw des « differential norms »[151] et Rajamani des « normes explicites de traitement différencié »[152], c’est-à-dire des normes qui prévoient un standard propre à chaque catégorie d’États. Un échantillon d’une dizaine de traités, que nous pensons représentatifs, indique que ce genre de différenciation très formelle n’est pas la règle. En effet, les régimes relatifs à la couche d’ozone et aux changements climatiques sont vraisemblablement les seuls représentants d’importance recourant à une différenciation aussi nette. Halvorssen considère que les normes explicites de traitement différencié sont les plus efficaces pour encourager la participation des pays en développement aux accords multilatéraux sur l’environnement[153]. À notre avis, cela reste à être confirmé étant donné le recours limité à cette technique et les problèmes qu’elle soulève.

Si la différenciation formelle est doublée d’une identification nominale des bénéficiaires ou des débiteurs, comme dans le régime des changements climatiques, elle a l’inconvénient majeur de figer les catégories, et ce, alors que le contexte est en constant changement[154]. Le risque d’anachronisme est patent dans le cas de la catégorie d’États avec une économie en transition, catégorie qui existait au début des années 1990 à la suite de l’effondrement des économies planifiées, mais qui, dans l’actuel paysage économique mondial, est obsolète — et pourtant toujours vivante dans le régime relatif aux changements climatiques. À part cet aspect anecdotique, la rigidité de cette forme de différenciation constitue un des problèmes majeurs avec lequel les négociations post-Kyoto doivent actuellement composer. Les pays développés qui souhaiteraient que l’émergence économique et politique des pays comme la Chine, le Brésil et l’Inde se traduise par la reconnaissance formelle de leur contribution au réchauffement et donc par leur acceptation d’assumer des engagements se heurtent à beaucoup de résistance[155]. La mobilité intercatégorielle, pour tenir compte du rattrapage économique effectif de certains États, qui devrait faire partie intégrante du traitement différencié s’avère être la cause du blocage des négociations de Copenhague. Devant ce contexte, il est possible de trouver des éléments positifs dans l’Accord de Copenhague[156]. En effet, son article 5 prévoit que les parties non inscrites à l’annexe I de la CCNUCC[157], autrement dit les pays en développement, peuvent également se soumettre à des engagements volontaires. Ce faisant, les pays en développement soumettraient pour la première fois leur politique climatique à une procédure de contrôle international. Cette rupture avec le régime de Kyoto doit cependant être nuancée dans la mesure où ce ne sont que les pays ayant bénéficié d’un soutien financier ou technologique qui sont assujettis à la forme de contrôle la plus intrusive, les autres États n’étant tenus que de transmettre des rapports à intervalle régulier. Les pays émergents, la Chine en tête, ne peuvent pas raisonnablement espérer recevoir des transferts financiers ou technologiques[158], ce qui fait en sorte qu’ils échappent à la forme de contrôle la plus contraignante.

La mobilité intercatégorielle pose moins de problèmes dans le cadre du régime sur la protection de la couche d’ozone. Les pays bénéficiant d’allègements sont déterminés par le biais de critères objectifs de consommation[159]. Par conséquent, ce régime utilise certains indicateurs afin de mesurer le développement économique, ce qui est certainement une très bonne idée en théorie. Concrètement, le choix des indicateurs est cependant perfectible étant donné le caractère très sectoriel des indicateurs utilisés dans le régime de la protection de la couche d’ozone. Si les indicateurs sont bien sélectionnés, ils refléteront effectivement le niveau et le développement économiques des États. Ils pourront ainsi s’avérer être un bon moyen pour dépolitiser un tant soit peu les difficiles tractations sur l’appartenance des États à l’une ou l’autre des catégories. De plus, les catégories ne seraient pas figées par des désignations nominales. Il serait également possible d’éviter les difficultés liées à l’auto-élection, c’est-à-dire les prétentions des États d’appartenir à l’une ou l’autre des catégories qui ne sont pas davantage spécifiées. S’il n’existe pas, à notre connaissance, de régime qui distingue formellement deux catégories (pays développés et pays en développement) sans les définir plus précisément et nécessitant ainsi une auto-élection des États parties, une telle distinction — en quelque sorte indéterminée — est la règle dans le cas de la différenciation indéterminée.

2. Les obligations assorties de clauses de souplesse : les différenciations informelles

Cette deuxième technique de différenciation module les obligations de manière moins nette et plus informelle. Les États souscrivent en apparence tous aux mêmes obligations, mais ces obligations sont assorties de clauses introduisant une certaine souplesse.

Très souvent, les formulations de ces clauses de souplesse, sans faire explicitement référence à une catégorie d’États, ont tout de même pour objectif d’assouplir leurs engagement respectifs: « en fonction de leurs capacités »[160], « selon les moyens dont elles disposent et selon leurs possibilités »[161], « en fonction des conditions et moyens qui [leur] sont propres »[162], « tenant compte de leurs responsabilités communes mais différenciées et de la spécificité de leurs priorités nationales et régionales de développement, de leurs objectifs et de leur situation »[163] et « selon leurs possibilités scientifiques, techniques et économiques »[164]. Sans le dire explicitement, ces formules, qui nécessitent l’auto-élection de la part des États, profitent surtout aux pays en développement. Tout pays peut certes référer à une clause de souplesse contenue dans un traité, mais si celle-ci est invoquée par un pays développé, la légitimité de l’argument est loin d’être acquise d’emblée.

Une autre approche a été choisie dans l’Accord sur les stocks chevauchants et grands migrateurs qui requiert que les « États tiennent dûment compte de la capacité des États en développement d’appliquer les articles 5, 6 et 7 »[165]. Cette clause de souplesse se distingue par le fait qu’elle est formulée de manière à ne s’appliquer qu’aux pays en développement. De plus, elle est insérée non pas dans la disposition portant sur l’engagement dont la portée doit être assouplie au bénéfice de certains pays, mais bien dans une disposition générale, modifiant la lecture des articles qui contiennent les obligations en question.

Bien que les clauses de souplesse soient concevables au regard de la mise en oeuvre d’un traité, il est possible de constater qu’elles sont plutôt utilisées pour assouplir les obligations elles-mêmes. Au final, cette différence peut cependant s’estomper. En effet, le report de la mise en oeuvre d’une obligation affecte directement cette obligation en ce que les mesures des États qui bénéficient de l’allègement demeurent, du moins temporairement, en deçà de ce que le traité impose. Rajamani souligne avec justesse que dans tous les cas, les clauses de souplesse n’introduisent de la flexibilité que dans la manière et le moment de la mise en oeuvre, sans permettre à un État de se soustraire complètement à ses obligations[166].

Magraw appelle ce type de normes « contextual norms »[167], alors que Rajamani parle de « normes implicites de traitement différencié »[168]. Leur caractère indéterminé est perçu comme un avantage à plusieurs égards. Le flou permettrait plus facilement d’atteindre un accord entre les parties et il faciliterait l’appréhension de l’incertitude, qu’elle soit d’ordre scientifique ou relative aux situations couvertes par la norme[169]. Il est très courant en droit de faire dépendre du contexte une obligation précise de conduite. Comme dans tous les domaines du droit où les États peuvent invoquer le contexte — qualifié généralement dans des termes extrêmement vagues — la difficulté de trouver un accord a été déplacée du moment de la négociation du traité au moment de son application, car tôt ou tard il faudra déterminer si un allègement est acceptable ou non. Si rien ne garantit, à notre avis, que cette façon de faire atténue la difficulté d’obtenir un consensus au bout du compte, elle a certainement l’avantage de permettre aux États d’attendre que la question se pose dans un contexte concret pour décider ad hoc de la portée réelle de l’engagement de l’État qui se prévaut de la clause assouplissante[170]. Contrairement à la différenciation formelle qui fige les catégories d’États bénéficiant des allègements et dont la rigidité se concilie mal avec des contextes changeants, la différenciation informelle s’adapte plus facilement aux développements.

Finalement, même les dispositions qui appartiennent aux absolute norms, selon la typologie de Magraw[171], c’est-à-dire qui, a priori, excluent la différenciation en fonction du contexte, peuvent être à l’origine de la différenciation. En effet, chaque norme nécessite la qualification des faits pour assurer son applicabilité et c’est donc au moment de la qualification que la différenciation peut intervenir, comme le concède aussi Magraw[172]. Dans le cadre de la Convention de Londres par exemple, les parties « s’engagent particulièrement à prendre toutes les mesures possibles pour prévenir la pollution des mers par l’immersion de déchets »[173]. Bien qu’il ne soit aucunement fait référence à la situation économique des États parties, l’expression « mesures possibles » introduit néanmoins une souplesse qui permettrait probablement de tenir compte de la possibilité économique.

B. La différenciation par le soutien et la coopération

Une autre modalité de la reconnaissance des différences réelles entre les pays se reflète dans la mise en place tant de mesures de renforcement des capacités que d’obligations de coopération particulières. Les dispositions relatives au soutien et à la coopération peuvent s’articuler tantôt comme des normes explicites, tantôt comme des normes implicites de traitement différencié, voire même comme des normes absolues. Elles se distinguent toutefois par leur caractère généralement complémentaire aux dispositions centrales, servant à assurer une mise en oeuvre plus efficace, plus complète et plus rapide des obligations contractées. Nous ne pourrons donner qu’un aperçu — représentatif, croyons-nous — de l’arsenal de telles mesures qui s’est développé dans la sphère environnementale.

1. Le renforcement des capacités des pays en développement

C’est la pauvreté qui limite les capacités des pays en développement de fournir les mêmes efforts dans la lutte contre la dégradation de l’environnement. La pauvreté n’engendre pas que des problèmes de financement des efforts en matière d’environnement, mais est bien évidemment aussi à la base d’un manque de connaissances et de technologie. Pour atténuer ces problèmes et renforcer les capacités des pays en développement, le droit international connaît une panoplie de mesures. Le recours à ces mesures est par ailleurs extrêmement fréquent. En effet, presque tous les traités plus récents en matière d’environnement prévoient de l’assistance aux pays en développement[174], que ce soit par le biais de transferts financiers ou de technologie ou sur le plan des obligations de rapport servant à assurer un suivi de la mise en oeuvre. Les obligations relatives au renforcement des capacités vont d’engagements très contraignants pour les pays développés à des engagements qui leur laissent une marge de manoeuvre considérable.

La reconnaissance qu’il faut assurer un soutien financier aux pays en développement se traduit par différents mécanismes de transfert financier. Une formule récurrente est l’engagement des parties — développées — de fournir aux parties en développement des ressources financières liées à la mise en oeuvre d’un traité donné. Dans le Protocole de Montréal, par exemple, les parties « s’engagent à faciliter, par voies bilatérales ou multilatérales, l’octroi de subventions, d’aide, de crédits, de garanties ou de programmes d’assurance » aux pays en développement pour leur permettre l’accès à des techniques et à des produits de substitution[175]. Les pays développés s’engagent, dans la Convention sur la lutte contre la désertification, à fournir des ressources financières importantes aux pays en développement pour les aider à élaborer et à appliquer leurs propres plans d’action[176]. De plus, les « [p]arties s’engagent [...] à promouvoir, financer et/ou faciliter le financement du transfert, de l’acquisition, de l’adaptation et de la mise au point de technologies [...] »[177]. Dans le cadre de la CDB, les pays développés assument des obligations de transfert de ressources financières au bénéfice des pays en développement afin d’absorber les surcoûts qu’engendre la mise en oeuvre de la CDB[178]. La CDB ajoute par ailleurs que les pays en développement ne pourront s’acquitter de leurs obligations que dans la mesure où les pays développés s’acquitteront effectivement des obligations de transfert[179]. Tandis que cette formulation a l’allure d’un simple rappel, le libellé de la CCNUCC s’apparente à une véritable condition disant que la mesure dans laquelle les pays en développement s’acquitteront effectivement de leurs engagements au titre de la CCNUCC dépendra de l’exécution efficace par les pays développés de leurs propres engagements en matière de transfert de ressources financières[180]. Malgré l’incertitude quant à l’interprétation de ces clauses conditionnelles, celles-ci innovent sans aucun doute de manière importante en renforçant le lien entre les engagements des uns et des autres[181].

Il est intéressant de noter que la Convention sur la lutte contre la désertification encourage, pour le transfert financier qu’elle prévoit, le recours à des mécanismes existants[182]. Le mécanisme existant le plus important en la matière est sans doute le Fonds pour l’environnement mondial[183]. Cet organisme indépendant soutient financièrement des projets relevant des principaux domaines de la protection de l’environnement[184] en plus d’agir comme organisme désigné de financement pour quatre grands accords en matière d’environnement, soit la CDB, la CCNUCC, la Convention sur les POP et la Convention sur la lutte contre la désertification.

Bon nombre de fonds spécifiques ont également été créés par les différents accords afin de financer des projets de mise en oeuvre, notamment dans les pays en développement[185]. L’existence de ces fonds peut être décisive pour les régimes de protection de l’environnement puisque les fonds sont perçus par les pays en développement comme un gage d’accès à des ressources financières. Le Fonds multilatéral[186] créé dans le cadre du Protocole de Montréal l’illustre bien. Alors qu’avant l’existence du fonds, le Mexique était le seul pays en développement ayant ratifié le Protocole, sa création a eu pour effet l’adhésion de presque tous les pays en développement[187].

Enfin, les pays en développement tiennent beaucoup à ce que les sommes qui sont mises à leur disposition pour absorber les coûts générés par la mise en oeuvre des obligations conventionnelles soient additionnelles et indépendantes de celles déjà garanties par les programmes d’aide au développement. Ce souci se traduit dans les textes par l’engagement des pays développés à fournir « des ressources financières nouvelles et additionnelles pour couvrir la totalité des coûts convenus encourus par les pays en développement », selon l’exemple représentatif de la CCNUCC[188].

Une autre forme de soutien accordé aux pays en développement constitue le transfert de technologie qui s’accompagne très souvent aussi d’un transfert de connaissances et de savoir-faire. Alors que les transferts de moyens financiers ne relèvent que des États eux-mêmes, les transferts de technologie, de connaissances et de savoir-faire requièrent souvent le concours d’acteurs privés, surtout des entreprises. Partant, la mise en oeuvre de ces engagements est compliquée par le respect des droits de propriété intellectuelle[189] et équivaut souvent, pour les États, à financer l’acquisition de la technologie et la formation du personnel[190]. Par conséquent, il est peu étonnant de constater que la formulation des obligations de transfert de technologie est généralement très prudente.

C’est le cas dans la CDB où le transfert de technologie est pourtant un aspect important. L’accès à la technologie et le transfert de technologie font l’objet d’une disposition particulière qui se contente de préciser qu’ils sont « assurés et/ou facilités pour ce qui concerne les pays en développement »[191]. Le libellé est encore plus prudent dans la Convention sur la lutte contre la désertification, selon laquelle les pays développés s’engagent « à favoriser et à faciliter l’accès des pays touchés Parties, en particulier des pays en développement Parties, à la technologie, aux connaissances et au savoir-faire appropriés »[192]. Dans le cadre de la CCNUCC, les pays développés gardent une marge de manoeuvre importante quant aux mesures de transferts, car ils ne font que prendre « toutes les mesures possibles en vue d’encourager, de faciliter et de financer, selon les besoins, le transfert ou l’accès de [sic] technologies et de savoir-faire écologiquement rationnels », particulièrement aux pays en développement[193]. Par contre, il est ajouté que les « [p]arties tiennent pleinement compte, dans leur action concernant le financement et le transfert de technologie, des besoins particuliers et de la situation spéciale des pays les moins avancés »[194]. Selon la Convention sur les POP, les pays en développement « prennent, le cas échéant, des dispositions pour [...] favoriser le transfert de technologie » aux pays en développement[195]. La Convention sur les PIC se contente d’indiquer que les pays dotés de programmes plus avancés « devraient fournir une assistance technique »[196]. Force est de constater que ces engagements ne sont dans certains cas même pas conçus comme des obligations de résultat visant le transfert ou l’assistance, mais seulement comme des obligations de moyens visant des mesures pour favoriser le transfert ou l’assistance. La retenue des pays développés en la matière n’est certainement pas étrangère à leur difficulté de concilier les engagements étatiques avec la protection de la propriété intellectuelle.

2. Les engagements de coopération en faveur des pays en développement

Les engagements de coopération pris par les pays développés au bénéfice des pays en développement constituent vraisemblablement la modalité de traitement différencié la plus fréquente. En effet, tous les accords de notre échantillon contiennent de telles dispositions, ce qui paraît tout à fait représentatif des accords multilatéraux sur l’environnement. La récurrence de ce type de dispositions n’est pas vraiment surprenante, la coopération étant la base tant dans la lutte contre la dégradation de l’environnement que dans la lutte contre la pauvreté, comme le rappelle également le principe 7 de la Déclaration de Rio en exhortant à la coopération dans un esprit de partenariat mondial. En même temps, l’engagement de coopérer au bénéfice particulier des pays en développement ne constitue pas un engagement très contraignant, puisqu’il ne s’agit pas d’une obligation de résultat, mais bien seulement d’une obligation de moyens. Ce qui, dans le cas des engagements en matière de transfert de technologie, était le résultat d’une sémantique particulièrement prudente, est, dans le cas des engagements de coopération, inhérent à ce type d’engagement. Ce trait distinctif par rapport aux autres engagements conventionnels est à la fois l’élément attrayant et l’élément décevant.

Dans la Convention de Vienne par exemple, les parties s’engagent à coopérer « en tenant compte, en particulier, des besoins des pays en développement, pour promouvoir [...] la mise au point et le transfert de technologie et de connaissances »[197]. Au lieu de s’engager à la mise au point et au transfert de technologie et de connaissances, les parties ne font que s’engager à coopérer à ces fins. De même, bien que la partie VII de l’Accord sur les stocks chevauchants et grands migrateurs soit consacrée aux « besoins des États en développement », force est de constater que la première disposition n’a qu’un caractère déclaratoire reconnaissant les besoins particuliers des pays en développement. Les deux autres dispositions contiennent certes un véritable engagement, mais dont la portée est somme toute limitée à la coopération, soit la coopération générale pour atteindre les objectifs de l’accord[198] et la coopération spécifique en matière de soutien financier[199]. L’engagement relatif au transfert de technologie de la Convention sur les POP est libellé de manière très vague, tandis qu’un engagement ferme de coopérer en vue de « fournir en temps utile une assistance technique appropriée » aux pays en développement précède[200]. Enfin, selon la Convention sur les PIC, les États s’engagent à coopérer à la promotion de l’assistance technique[201]. La coopération est toujours bien balisée afin d’assurer qu’elle s’inscrive dans les objectifs poursuivis par le traité dans le cadre duquel elle a lieu. Bien que les engagements concrets soient donc laissés en plan au profit de simples engagements de coopération, il est ainsi assuré que la coopération soit au service du renforcement des capacités et l’efficacité de la mise en oeuvre du traité.

Ces engagements fermes de négocier ne garantissent toutefois aucunement que la coopération conduise effectivement à un résultat satisfaisant pour les pays en développement. Or, à moins de pouvoir établir que les pays développés ne coopèrent pas de bonne foi — preuve très difficile à apporter —, il sera presque impossible de leur reprocher une violation de leurs engagements. Si c’est là une faiblesse certaine des engagements de coopération par rapport aux engagements à produire un résultat palpable, ces dispositions ne sont pas superflues pour autant. Des engagements concrets, qui n’ont pas pu être obtenus de la part des pays développés dans le cadre de négociations multilatérales en vue d’élaborer un régime conventionnel liant toutes les parties envers toutes les parties, peuvent parfois être obtenus plus facilement dans une relation bilatérale. Le risque est cependant de voir se développer des canaux d’aide qui ne bénéficient pas également à tous les pays en développement, mais favorisent certains d’entre eux qui entretiennent pour toutes sortes de raisons — historiques, politiques, sociales, économiques, etc. — des relations privilégiées avec les pays fournisseurs d’aide.

Les dispositions sur la coopération sont parfois libellées de manière à s’appliquer entre pays développés autant qu’entre pays développés et en développement et entre pays en développement. Dans ce cas, les dispositions doivent néanmoins être comptées parmi les modalités du traitement différencié si une formule ajoutée au libellé général exhorte à la prise en compte particulière des besoins des pays en développement. Dans la version originale du Protocole de Montréal par exemple, les États parties s’engagent à coopérer à la promotion de l’assistance technique afin d’assurer l’adhésion du plus grand nombre d’États au Protocole ainsi que son application efficace, et ce, « compte tenu notamment des besoins des pays en développement »[202]. Soulignons qu’à la suite de pressions exercées par les pays en développement, l’Amendement de Londres a transformé l’engagement de coopérer en un engagement de transfert de technologie[203].

Dans d’autres traités, la disposition de coopération n’est pas d’application générale à toutes les parties, mais est spécialement conçue pour répondre aux besoins des pays en développement. Un exemple de cette nature se trouve dans la CCNUCC, selon laquelle les parties « [p]rennent en considération les préoccupations et les besoins particuliers des pays en développement et coopèrent pour améliorer leurs moyens et capacités endogènes de participation aux efforts » de recherche et d’observation en matière de changements climatiques[204]. Cet engagement se traduit dans le Protocole de Kyoto par une obligation conséquente[205]. Dans la CDB, les engagements de coopération concernent le transfert de fonds, au profit des pays en développement, afin de rendre possible la mise en oeuvre de certaines activités précises de protection[206]. La coopération en matière technique et scientifique avec d’autres pays, « en particulier les pays en développement », est également prévue[207] et s’insère dans un souci plus large, à savoir de travailler au renforcement des capacités. Par conséquent, « [e]n encourageant cette coopération, il convient d’accorder une attention particulière au développement et au renforcement des moyens nationaux par le biais de la mise en valeur des ressources humaines et du renforcement des institutions »[208].

Si la coopération est généralement un élément complémentaire dans les régimes jusqu’à présent cités en exemple, elle représente véritablement le pivot du régime de la lutte contre la désertification. Le régime entier a des traits de programme ; tant les obligations générales que les obligations spécifiques demeurent très vagues en ce qui concerne le comportement précis à adopter par les États parties. Il ressort de l’ensemble du traité qu’il s’agit d’un « work in progress » qui, pour avancer, s’appuie largement sur la coopération internationale, en particulier entre les pays développés et les pays en développement, notamment ceux touchés par la désertification et les sécheresses[209].

Enfin, il faut souligner que la doctrine ne semble pas compter les normes de ce type parmi les normes du traitement différencié. Du moins, elles ne font pas l’objet d’études particulières. L’abondance des engagements de coopération dans des traités internationaux et donc la banalité de ce type d’engagements peuvent être une explication pour ce désintérêt doctrinal. Par contre, une étude portant sur la pratique étatique en la matière et les résultats qui en découlent effectivement pourrait, à notre avis, jeter un éclairage intéressant sur l’efficacité de cette forme individualisée de traitement différencié.

Conclusion

L’expression « responsabilités communes mais différenciées » du droit international de l’environnement évoque une connotation éthique beaucoup plus importante que l’expression du « traitement spécial et différencié » du système commercial multilatéral, et ce, alors que la technique juridique du traitement différencié qui en résulte est malgré les nuances essentiellement la même. Une vue transversale préliminaire du traitement différencié dans les deux sphères juridiques semble indiquer que le traitement différencié est plus effectif dans la sphère environnementale. Quelles en sont les raisons ?

Il semble important de souligner que dans le système commercial multilatéral, le traitement différencié a été revendiqué par les pays en développement comme un droit auquel correspondrait une obligation des pays développés. Or, le système commercial multilatéral est justement érigé sur la base du principe de non-discrimination, un principe antinomique à l’idée de différenciation des normes. Les pays développés, qui ont conçu ce système et qui en tirent les plus grands bénéfices, ne voyaient donc aucun intérêt — du moins aucun intérêt économique immédiat — à accéder aux revendications des pays en développement à cet égard. Le poids numérique grandissant des pays en développement au sein de ce système et le contexte mondial favorable à la lutte contre la pauvreté ont finalement eu raison de la résistance des pays développés, sans toutefois que la réception du traitement différencié ait permis le rattrapage économique espéré par les pays en développement.

En droit international de l’environnement, le concept de traitement différencié se fonde sur la reconnaissance par les pays développés de leur responsabilité morale, atténuant ainsi le caractère unilatéral de la revendication des pays en développement de tenir compte de leur situation économique. De plus, la collaboration des pays en développement est indispensable au succès des efforts de lutte contre la dégradation de l’environnement, de sorte que les pays développés se retrouvent également dans la position de demandeur. Le traitement différencié promettant le rattrapage économique devient l’incitatif capable d’attirer l’adhésion des pays en développement aux accords multilatéraux sur l’environnement. La force relative des pays en développement en matière d’environnement modifie la dynamique des relations internationales, peut-être au point de la rendre véritablement avantageuse pour ces pays. Le régime relatif aux changements climatiques ne fait-il pas passer, au bénéfice des pays en développement, les considérations de développement économique devant celles de réduction des gaz à effet de serre ?

Cela ne manque pas d’ailleurs de soulever des problèmes. Le traitement différencié, établi d’abord dans la sphère économique, devait opérer un rééquilibrage d’intérêts de même nature : le développement économique à travers le commerce international basé notamment sur le principe de non-discrimination versus le développement économique en dérogation, du moins partielle, à ce principe. Le principe des responsabilités communes mais différenciées, à l’image de toute démarche de développement durable, oblige à harmoniser des intérêts de nature différente : le développement économique versus la protection de l’environnement. Connaissant les difficultés d’arbitrer les intérêts divergents en matière économique, on imagine bien la complexité des arbitrages auxquels la communauté internationale fait face pour arriver à un développement durable qui concilie, dans un esprit d’équité, les intérêts écologiques, économiques et sociaux.

Le traitement différencié suscite ainsi plusieurs critiques et inquiétudes cristallisées notamment en matière de changements climatiques. Accepter des engagements moins importants des pays en développement signifie accepter une protection moindre de l’environnement au profit de considérations économiques. N’est-ce pas une conséquence perverse du traitement différencié ? N’est-ce pas contraire au principe de précaution, voire de prévention ? Cette réflexion sous-tend d’ailleurs certains discours nordiques — hypocrites diront certains, car en réalité motivés par la volonté de faire dérailler des négociations. Ensuite, est-ce opportun de permettre aux considérations de développement économique de l’emporter alors que l’on sait très bien que l’internalisation des coûts (principe pollueur-payeur) est un des moyens les plus efficaces pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ? Ces faiblesses et failles ne peuvent certes pas être niées, mais le principe des responsabilités communes mais différenciées, avec le recours au traitement différencié, a probablement rendu possible la conclusion de plus d’un traité qui n’existerait pas autrement. Se peut-il donc qu’il n’y ait tout simplement pas d’alternative au traitement différencié dans les accords sur l’environnement ? Se peut-il donc que cette technique de modulation des obligations des États s’impose pour des raisons pratiques, même si le principe des responsabilités communes mais différenciées ne deviendra pas dans un avenir rapproché un principe coutumier contraignant ?