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Le « dialogue » des parties et la vérité plurielle comme nouveau paradigme de la procédure civile québécoise[Notice]

  • Catherine Piché

Catherine Piché est professeure agrégée, directrice du Laboratoire sur les actions collectives et chercheuse au Centre de recherche en droit public à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Elle est spécialiste en preuve et procédure civiles, en litiges complexes et collectifs, en droit comparé et en droit international privé.

Citation: (2017) 62:3 McGill LJ 901

Référence : (2017) 62:3 RD McGill 901

Comme le soulignait Ricoeur il y a plus de soixante ans, il est vrai que nous souhaitons que la Justice découle d’une seule vérité. Qu’elle découle en toute simplicité d’une version unique, universelle des faits, de la vérité de l’expert unique ou désigné, de la vérité du témoignage non-contredit, de la vérité de l’aveu d’une partie, ou encore, de la vérité du jugement rendu par le magistrat. Or, cette justice plus directive, souvent plus hiérarchique, n’est pas aussi satisfaisante que la justice négociée ou participative. Avec l’évolution des moeurs vers une certaine crise de confiance des justiciables québécois envers leur système de justice civile, la justice participative s’est avérée être une voie salvatrice. La justice traditionnelle fut donc graduellement délaissée par le législateur réformateur au prix d’une justice plurielle favorisant le dialogue entre les parties, privilégiant le recours aux modes privés de prévention et de règlement des différends par rapport à la voie judiciaire traditionnelle. C’est bien de ce dialogue et de l’évolution du droit judiciaire dont nous traiterons ici. Le dialogue est défini comme cette conversation supposée entre deux personnes, tenue raisonnablement, avec discernement, exactitude et sagesse, impliquant une écoute attentive des arguments convergents et convaincants des interlocuteurs; dans le contexte politique, une discussion entre personnes en vue d’aboutir à un accord. Étymologiquement, le terme a pour racine logos, qui signifie la parole. Pour les fins du présent propos, nous considérerons qu’il implique un échange entre deux ou plusieurs parties, tenu avec attention et discernement, dans un objectif de participation et de compromis ou d’entente. Bertrand St-Arnaud, l’ancien ministre de la Justice responsable du projet de loi ayant mené à l’adoption du nouveau Code, explique ainsi son ouverture à une forme de justice élargie : C’est donc de ces nouvelles habitudes et culture dont nous traiterons aujourd’hui, notamment de ces manières de « dialoguer » dont il est question au Code, parfois explicitement, parfois à demi-mot seulement. Nous apporterons aussi une réflexion critique sur ces situations de dialogue. Nous entamerons notre propos par un énoncé détaillant l’ambition du nouveau Code sur le plan des valeurs et principes de justice civile, tout en ébauchant un aperçu du système tripartite de dialogue envisagé par le législateur, impliquant un dialogue participatif, proportionné et coopératif. Nous exposerons ensuite le défi posé par le dialogue dans le contexte d’un système de justice contradictoire. Il sera alors question de la raison d’être du dialogue, de la légitimité du juge et de sa décision, de même que du faux dialogisme existant en système contradictoire. Nous conclurons notre propos par une suggestion voulant que le dialogue entre les parties soit perçu comme un devoir civique. L’adoption du nouveau Code de procédure civile en janvier 2016 fut annonciatrice d’un changement de culture et de paradigme. Retournons toutefois un instant aux sources. Dans l’important rapport intitulé Une nouvelle culture judiciaire, publié en juillet 2001 par le Comité de révision de la procédure civile, des objectifs et principes de réforme furent énoncés, dont un désir de responsabiliser les parties et d’encourager la justice participative. On y énonça alors, à la sous-partie 2.2, que le but du rapport était de rétablir la confiance des justiciables dans le système de justice civile. Pour encourager les parties à avoir confiance et à participer au système, le Comité suggérait que le justiciable puisse être encouragé « à prendre conscience de la place primordiale qui lui revient dans le système judiciaire et de le responsabiliser davantage quant à son choix du mode de règlement, aux démarches qu’il entreprend et à l’importance de ses actions dans le déroulement d’une instance ». Fondamentalement, il …

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