ÉditorialEditorial

Des molécules à la cellule : l’origine de la stabilité dynamique dans les systèmes vivantsFrom molecules to cells, on the origins of the dynamic stability of living systems[Notice]

  • Eric Karsenti

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  • Eric Karsenti
    Programme de Biologie Cellulaire et Biophysique,
    EMBL, Meyerhofstrasse 1,
    D69117 Heidelberg, Allemagne.
    Directeur de l’Institut Jacques Monod,
    2, place Jussieu, 75005 Paris, France.

Les cellules vivantes sont constituées d’un grand nombre de molécules qui forment des réseaux fonctionnels d’interaction. Certaines de ces molécules s’organisent en assemblages supramoléculaires que l’on appelle « organites ». Le noyau, qui contient l’information génétique stockée dans la molécule d’ADN, des vésicules, qui servent à transporter des matériaux entre les milieux intracellulaire et extracellulaire, le cytosquelette, qui sert à organiser l’espace cellulaire et permet aux cellules de prendre des formes variées, de bouger et de se diviser. Cette organisation de la matière vivante pose un problème fondamental: comment l’ensemble des molécules chimiques qui composent les cellules (protéines, acides nucléiques, lipides, etc.) interagissent-elles pour donner naissance à ces structures cellulaires qui acquièrent non seulement des formes dynamiques complexes, mais aussi des comportements spécifiques? Cette question est véritablement fondamentale car, en y répondant, on donne un début de réponse à une autre question philosophique qui préoccupe chacun d’entre nous: comment la rencontre d’un oeuf et d’un spermatozoïde peut-elle conduire à la formation d’un être humain capable de se mouvoir, de penser et, terme ultime, d’exercer son libre-arbitre? Actuellement, les biologistes cellulaires font des progrès considérables dans ce sens. Après la découverte de l’ADN, du code génétique et du contrôle de l’expression génique (le principe de l’opéron), il semblait que nous ayons compris ce qu’était l’essence de la vie. On en avait compris un gros morceau, mais pas tout, bien sûr. Le dogme qui a émergé à cette époque était le suivant: l’information linéaire stockée sous la forme d’un alphabet chimique dans le génome est traduite en protéines qui ont une forme géométrique en trois dimensions. Ces protéines ont des activités diverses de catalyse, mais aussi des propriétés d’auto-assemblage qui permettent la formation de structures de grande taille. Il semblait donc raisonnable d’expliquer la forme des organites cellulaires à partir de la forme des protéines. C’était un peu trop simple. Premièrement, on commence à réaliser que l’information stockée dans le génome n’est pas aussi rigidement inscrite que cela. Il y a des gènes en morceaux et des gènes « baladeurs ». Deuxièmement, on s’aperçoit que la complexité d’un organisme n’est pas directement proportionnelle au nombre de gènes qu’il possède et, troisièmement, que la forme des cellules ne provient pas seulement d’interactions strictes et géométriques entre les molécules qui la constituent, mais que la plupart des formes des organites et des cellules émergent d’interactions hautement dynamiques entre un grand nombre de composants cellulaires. Il en découle que la connaissance du génome, de la forme et de la fonction des protéines ne permet pas nécessairement de prédire tout ce que leurs interactions vont produire. En biologie, comme en physique, nous entrons dans « la fin des certitudes », comme l’a si bien exprimé Prigogine. Il nous faut décrire comment un grand nombre de molécules, dont chacune a des propriétés remarquables et hautement spécifiques, interagissent de façon dynamique pour donner naissance à des structures supramoléculaires ayant des formes reproductibles et des comportements spécifiques. Mais on ne peut pas prédire les propriétés du tout à partir des caractéristiques individuelles des composants. L’espoir est de découvrir les principes fondamentaux qui rendent compte de l’ordre qui émerge de cette complexité. On n’en est pas encore là, mais on commence au moins à décrire et analyser la dynamique de l’organisation cellulaire. Ce numéro de médecine/sciences contient des articles qui sont de bons exemples de cette nouvelle approche du vivant. Catherine Dargemont (p. 1237 de ce numéro) explique comment certaines molécules sont localisées plutôt dans le noyau cellulaire que dans le cytoplasme, et inversement. En effet, dans une cellule eucaryote, les protéines sont synthétisées dans le cytoplasme et les …