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Nos cellules sont le lieu d’une lutte incessante entre des agressions, internes et externes, et des systèmes de résistance cellulaire qui, aussi efficaces soient-ils, ont d’avance perdu la bataille contre le temps. Comprendre et modifier l’équilibre des forces dans cette lutte, c’est l’un des enjeux de la recherche sur le vieillissement cellulaire. Pour son second symposium scientifique, le département de recherche et développement du groupe LVMH rassemblait des experts de différents domaines autour du thème du vieillissement de la peau (Aging and macromolecules, 3 juin 2003, Paris).

Télomères et télomérase

Les télomères sont des structures formées à l’extrémité des chromosomes linéaires par l’association de motifs d’ADN répétés et de protéines spécifiques [1]. Leur raccourcissement progressif au cours des divisions cellulaires est associé à la sénescence. Les télomères ont une double fonction protectrice des chromosomes: d’une part, ils préviennent l’attaque des extrémités 5’ et 3’ des chromosomes par des exonucléases, d’autre part, ils empêchent ces extrémités d’être identifiées comme des cassures double brin et d’être réparées comme telles par concaténation ou circularisation des chromosomes linéaires. Pourtant, malgré cette structure terminale protectrice, le mode de réplication de l’ADN conduit à une diminution de la longueur des télomères au cours du temps et l’atteinte d’une taille critique provoque l’entrée des cellules en sénescence, un état caractérisé, entre autres, par un arrêt de la division cellulaire. La télomérase, enzyme ribonucléoprotéique, est seule capable de maintenir, voire d’allonger, la taille des télomères. Cette enzyme est active dans les cellules souches et dans 80% des cellules cancéreuses. Elle est peu ou pas active dans les cellules somatiques adultes normales. La télomérase pourrait-elle permettre d’interrompre et même d’inverser les mécanismes de vieillissement cellulaire? L’introduction de la télomérase humaine (cellules hTERT+) dans des fibroblastes (IMR90) ou des kératinocytes humains, retarde effectivement la sénescence des cellules transfectées par rapport aux cellules témoins (hTERT-) (E.Blackburn, données non publiées). Plus surprenant, il semble que les cellules hTERT+ soient capables de supporter un plus grand raccourcissement des chromosomes sans entrer en sénescence. Le traitement de ces mêmes cellules par un génotoxique (irradiation UV ou nocodazole, un inhibiteur de la formation des microtubules) indique que la croissance des cellules hTERT+ qui ont résisté aux génotoxiques est augmentée. Ainsi, l’activité télomérase pourrait permettre de retarder le vieillissement cellulaire via un mécanisme autre que le maintien de la taille des télomères et conférer aux cellules une résistance exceptionnelle au stress génotoxique. De nombreux problèmes restent posés. Ainsi, s’il est clair que des fibroblastes « âgés » ont des télomères courts et peu d’activité télomérase, ils présentent cependant une remarquable stabilité génétique. La surexpression de la télomérase dans ces cellules augmente en même temps leur durée de vie et l’apparition d’aberrations chromosomiques, deux propriétés caractéristiques de certaines cellules transformées (P.Boukamp, données non publiées).

Le stress oxydatif et ses cibles moléculaires

Le stress oxydatif, résultat d’un déséquilibre entre les mécanismes pro-oxydants et anti-oxydants, conduit à la formation de radicaux libres. Il est favorisé par divers agents aussi bien endogènes (métabolisme, inflammation, cycles redox) qu’exogènes, comme les radiations UV et ionisantes, le tabagisme et diverses molécules apportées par l’alimentation (métaux toxiques, alcool). Les dommages provoqués par le stress oxydatif atteignent aussi bien l’ADN que les lipides et les protéines. Au niveau de l’ADN, le stress oxydatif provoque de nombreuses modifications structurales (mutations, coupures, pontages covalents de protéines)[2]. Les bases oxydées, comme la 8-oxo-guanine, augmentent avec l’âge et peuvent atteindre jusqu’à 10000bases par jour et par cellule. Contre toute attente, la présence de protéines sur l’ADN n’est pas un facteur de protection contre d’éventuels dommages. Même, à l’inverse, les dommages induits par le cuivre sont plus importants sur l’ADN couvert de protéines que sur l’ADN nu, les radicaux libres permettant la formation de liaisons covalentes ADN-protéines. Les acides aminés également sont la cible de réactions d’oxydation [3]. Ici encore, l’âge est un facteur aggravant et le niveau d’oxydation de plusieurs protéines augmente avec le temps. Certaines d’entre elles sont des constituants du protéasome, acteur principal de la dégradation des protéines. Or, la dégradation est l’un des moyens utilisés par la cellule pour éviter l’accumulation de protéines modifiées[4]. L’oxydation des protéines constituantes du protéasome a donc un double effet toxique, à la fois direct par réduction de l’activité du protéasome, et indirect par accumulation de protéines oxydées dans la cellule.

Les effets du stress oxydatif sur la peau

Le derme, couche profonde de la peau, est constitué de cellules (fibroblastes, myofibroblastes, mastocytes) enchâssées dans une matrice fibrillaire formée principalement de collagène et d’élastine. L’abondance du collagène qui, avec l’élastine, définit l’élasticité de la peau, dépend de l’équilibre entre sa synthèse et sa dégradation par des protéases spécifiques comme les métalloprotéases et les collagénases. Des maladies caractérisées par une extrême finesse de la peau sont dues à un défaut de synthèse du collagène de type I ou III. Avec l’âge, l’activité de la métalloprotéase 2 augmente et l’épaisseur de la peau diminue, effet augmenté par le stress oxydatif induit par le soleil ou le tabagisme. Le degré d’élasticité de la peau est inversement proportionnel au nombre cumulatif d’heures d’exposition au soleil et de cigarettes fumées. Une étude finlandaise réalisée sur 98 volontaires indique que si les taux de synthèse des collagènes de type I et III sont modérément affectés par le tabagisme, l’activité de la métalloprotéase 8 est, elle, fortement augmentée chez les fumeurs par rapport aux non-fumeurs dans la classe d’âge de moins de 50 ans [5]. De fait, le tabagisme agit sur de nombreux paramètres impliqués dans le vieillissement de la peau: diminution de synthèse du collagène, augmentation de synthèse des collagénases et de l’élastase, diminution de la micro-circulation, augmentation du stress oxydatif, et modulation de la balance hormonale.

La réponse cellulaire adaptative au stress oxydatif

La cellule a développé de nombreux systèmes de lutte contre le stress oxydatif et les dommages qu’il induit. On distingue un niveau de défense primaire, qui s’attaque directement aux radicaux libres et aux molécules pro-oxydantes, par chélation ou métabolisation, et un niveau de défense secondaire qui permet la réparation ou l’élimination des macromolécules oxydées. Le stress oxydatif induit la translocation nucléaire de molécules anti-oxydantes comme la ferritine, la thiorédoxine et la métallothionine. Il induit également les systèmes de réparation de l’ADN qui permettent l’élimination des bases modifiées. Les protéines sont soit réparées par la peptide méthionine sulfoxide réductase, soit dégradées par le protéasome qui, comme nous l’avons vu précédemment, peut lui-même être la cible du stress oxydatif.

Avec le temps, les systèmes de réparation et de détoxification de l’organisme se détériorent et l’accumulation de mutations aboutit à la sénescence, à l’apoptose cellulaire ou à la cancérogenèse. De plus, les taux d’anti-oxydants endogènes de l’organisme diminuent avec le temps. La première étude de prévention nutritionnelle du cancer réalisée aux états-Unis entre 1983 et 1991 a montré qu’une supplémentation alimentaire en sélénium diminue l’incidence totale de cancer chez les individus traités [6]. L’étude SUVIMAX, réalisée en France sur environ 13 000 individus dont l’alimentation a été ou non supplémentée par un cocktail d’éléments anti-oxydants pendant 8 ans, vient de communiquer ses premiers résultats [7]. Une diminution de 30% de l’incidence de tous les types de cancers est observée chez les hommes traités, ainsi qu’une réduction de la mortalité du même ordre (mais pas chez les femmes, dont l’alimentation de base serait déjà suffisamment riche en anti-oxydants). Ces résultats viennent conforter les recommandations en matière de consommation de fruits et légumes, riches en anti-oxydants, publiées dans le Rapport sur le Cancer au début de cette année ((→) m/s 2003, n°3, p.368).

En conclusion, le stress oxydatif provoque au sein de la cellule des dommages dont l’accumulation au cours du temps va conduire au mieux au vieillissement cellulaire, au pire à la cancérogenèse. Notre organisme dispose de nombreux mécanismes de résistance au stress oxydatif et à ses effets pernicieux, qu’il nous faut mieux connaître pour parer aux déficiences des organismes âgés dans la lutte contre le stress oxydatif et les manifestations cutanées du vieillissement. Des gestes simples dans le domaine alimentaire, comme la supplémentation en aliments riches en anti-oxydants, ont des effets aujourd’hui démontrés.

Mais certains aspects du vieillissement cellulaire, comme le raccourcissement des télomères et la régulation de l’activité de la télomérase semblent être programmés génétiquement. Manipuler ces programmes à l’ère de la génomique n’est plus du domaine de la science-fiction, mais pourrait se révéler dangereux sans une connaissance très précise du mode de fonctionnement et de régulation des structures télomériques. En attendant, mangeons des fruits...