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La recherche en génomique et les biotechnologies qui en découlent ont connu ces dernières années un développement extrêmement important. Cette recherche a cependant été largement orientée vers les besoins des pays industrialisés. C’est ce qu’on a appelé le 10/90gap, pour signifier que 90 % des dépenses de santé répondent aux besoins de 10 % de la population mondiale [1]. Les efforts isolés pour sortir de ce cercle n’ont encore fourni que peu de résultats. Un rapport récent de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) insiste cependant sur l’urgence qu’il y a à évaluer, en termes d’efficacité, les applications possibles de la génomique par comparaison avec les techniques de routine dans les pays en développement, puis à appliquer aux problèmes de santé publique les biotechnologies les plus prometteuses [2]. Un inventaire s’imposait donc, réalisé de la façon la plus large et objective possible; il a été confié à vingt-huit experts, tous scientifiques, de disciplines variées et implantés dans les pays en développement impliqués dans les problèmes de santé de ces pays. La consultation a comporté plusieurs étapes. Les experts ont d’abord identifié les biotechnologies susceptibles d’avoir un retentissement en santé publique dans les cinq années à venir. Ils en ont ainsi défini cinquante et une qui ont été revues afin d’éviter duplication ou contradiction. Dans un second temps, chaque expert a réalisé un classement personnel des dix projets qui lui semblaient les plus importants en évaluant plusieurs facteurs: l’impact probable, l’acceptabilité sociale et culturelle, la réponse aux problèmes de santé les plus urgents, la faisabilité, les progrès de la connaissance qui devraient en résulter et les bénéfices indirects qu’on pouvait en attendre. L’attribution, dans ces listes, de coefficients chiffrés et leur comparaison a permis l’étape finale et le classement des dix biotechnologies jugées prioritaires [3]. Le consensus a été important concernant les trois domaines classés en tête, dont l’un au moins était présent dans tous les classements individuels.

Premier de ce classement, et de façon consensuelle, se situe l’emploi de méthodes moléculaires pour le diagnostic de maladies infectieuses. Un diagnostic précoce et précis doit, en effet, à la fois permettre un traitement rapide de la maladie et limiter la diffusion de l’agent infectieux. On doit pouvoir simplifier et rendre abordables les techniques de PCR, par exemple pour le diagnostic du VIH chez le nouveau-né, à partir d’un échantillon fixé sur un papier filtre et stable pendant plusieurs mois [4]. Il est également sûrement possible d’adapter, en l’absence d’eau courante, de chaîne du froid ou d’électricité, l’usage d’anticorps monoclonaux ou d’antigènes recombinants au diagnostic d’une infection. Un diagnostic rapide (10 minutes) et spécifique d’infection par Plasmodium falciparum et Plasmodium vivax peut être obtenu par l’utilisation d’anticorps monoclonaux contre la lactico-déshydrogénase (LDH). Ceux-ci sont présentés, enrobant un bâtonnet qui est mis en contact avec une goutte de sang prise au bout du doigt. Un anneau sombre, spécifique de chaque LDH apparaît en quelques minutes et est comparé à un anneau témoin. Cette méthode, explorée dans des pays d’Amérique Centrale, peut encore être améliorée mais fournit déjà des résultats très proches de ceux qui sont obtenus par les techniques classiques [5].

La seconde indication largement retenue est le développement de vaccins contre les maladies infectieuses. Le besoin en est évident et le développement de vaccins recombinants est un champ de recherche actuel très actif. Certains font déjà l’objet d’essais cliniques comme le vaccin antipaludéen RTS, S/A502, en cours d’essai en Gambie et au Mozambique [6, 7]. D’autres recherches sont en cours concernant un vaccin recombinant contre l’hépatite B. Le développement d’une production locale dans les pays en développement devrait permettre de réduire considérablement les coûts de fabrication. On notera avec intérêt que, dans une perspective strictement humanitaire, des arrangements ont pu être consentis concernant les droits de propriété intellectuelle.

La troisième indication ayant fait l’objet d’un consensus est le développement de technologies pour améliorer l’administration des médicaments et des vaccins. Beaucoup des techniques actuelles requièrent le maintien d’une chaîne du froid dont on sait combien elle peut être difficile à mettre en place dans les pays en développement. On sait aussi que des injections faites dans de mauvaises conditions d’hygiène sont susceptibles de transmettre des agents infectieux, en particulier le VIH et le virus de l’hépatite B. Ces exigences techniques peuvent représenter jusqu’à 80 % du coût d’une campagne de vaccination. Le bénéfice de vaccins en poudre ou administrables par voie orale devrait permettre de sauver des vies par millions.

Le classement des autres biotechnologies est, par ordre d’importance pour les experts consultés: l’amélioration de l’environnement et l’accès à l’eau potable; les études de génomes pour l’identification de nouveaux agents antimicrobiens; la recherche d’une protection des femmes contre les maladies sexuellement transmissibles; les études de bio-informatique dans l’examen des interactions pathogène-hôte; la modification génétique de denrées alimentaires dans une lutte contre des déficits spécifiques; la fabrication recombinante de molécules thérapeutiques (insuline, interféron…); enfin, les études chimiques de recherche de nouveaux médicaments.

Si certaines de ces applications ne semblent pas envisageables dans l’immédiat, cette expertise montre qu’il faut revenir sur certains dogmes trop facilement admis. Les biotechnologies ont une signification actuelle dans une perspective de santé. Qu’il s’agisse de maladies infectieuses, de maladies non transmissibles, de besoins d’hygiène et de nutrition, les biotechnologies peuvent largement contribuer à une promotion de santé publique. Il est sûrement possible d’en développer l’usage dans des pays en développement grâce à l’aide de laboratoires de référence et par l’acceptation, par les organismes de pays industrialisés, de concessions à but humanitaire. Sur le plan économique, enfin, les bénéfices en termes de santé et d’activité devraient contrebalancer les frais investis. Il ne saurait être question d’abandonner les méthodes traditionnelles qui ont fait leurs preuves, mais de trouver un juste équilibre entre les deux abords, les techniques nouvelles de biotechnologie se présentant comme un plus dans les stratégies de santé publique.