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L’eczéma allergique de contact est une dermatose inflammatoire fréquente des pays industrialisés. Elle représente la maladie professionnelle la plus fréquente, avec un impact socio-économique important. L’eczéma est induit par le contact répété de la peau avec des substances chimiques non protéiques, appelées haptènes. L’inflammation cutanée, due à l’activation de lymphocytes T spécifiques d’haptènes, se caractérise par une rougeur et par la formation de papules et de vésicules, puis évolue progressivement vers une sécheresse cutanée et une desquamation [1].

Physiopathologie de l’eczéma allergique de contact

Les haptènes : allergènes de contact

Les haptènes deviennent allergènes (antigènes) après fixation sur des protéines cutanées du soi, qui jouent le rôle de protéines porteuses. Les haptènes sont des substances chimiques d’origine très diverse, allant de quelques molécules expérimentales, fortement sensibilisantes, à des milliers d’haptènes faibles, présents dans notre environnement habituel et responsables d’eczéma chez l’homme [2, 3].

Les haptènes forts tels le DNFB (2,4-dinitrofluorobenzène) sont des substances chimiques toxiques qui sensibilisent plus de 90 % des individus après un simple contact. Ces molécules, absentes de notre environnement quotidien, sont utilisées dans les modèles expérimentaux pour l’étude de la physiopathologie des eczémas. Leur pouvoir de sensibilisation est proportionnel à leur pouvoir pro-inflammatoire, qui se traduit par l’activation de l’immunité innée via l’induction d’un signal de danger aux cellules cutanées [4]. Il n’existe pas de tolérance immunitaire aux haptènes forts, puisque la majorité des individus développent un eczéma lors du premier contact avec l’haptène.

Les haptènes faibles sont, quant à eux, des milliers de molécules allergisantes présentes dans notre environnement domestique, professionnel ou de loisir, comme des colorants, des conservateurs, des parfums, des métaux ou des médicaments. Ils sont faiblement pro-inflammatoires et peu toxiques pour la peau ; l’eczéma induit par les haptènes faibles est, d’abord, une maladie professionnelle [5]. La tolérance immunitaire est le phénomène dominant de réponse aux haptènes faibles, puisque seul un pourcentage faible de la population (< 1 %), ou des individus manipulant de fortes quantités d’haptène dans le cadre d’une exposition professionnelle, développent un eczéma.

L’eczéma de contact : une rupture de la tolérance immunitaire vis-à-vis d’haptènes environnementaux

Les connaissances de la physiopathologie de l’eczéma reposent sur l’analyse de modèles animaux chez lesquels la réaction inflammatoire est déclenchée par l’application épicutanée (sur la peau) d’haptènes.

Le développement d’un eczéma chez un individu se déroule en trois phases, sensibilisation, développement de l’eczéma et régulation de l’inflammation, et implique trois partenaires : l’antigène, les cellules présentatrices d’antigène et les lymphocytes T (LT) CD8+ effecteurs et CD4+ régulateurs (Figure 1). Les LT CD8+ sont effecteurs de l’eczéma par des mécanismes impliquant une cytotoxicité dépendant de perforine et de Fas-ligand, ainsi que la cytokine IFN (interféron) γ. L’activation des LT dans la peau aboutit à la destruction des kératinocytes par apoptose, puis au recrutement de l’infiltrat inflammatoire ; les animaux dépourvus de LT CD8+ ne développent pas d’eczéma [1, 6-9]. Cependant, l’induction des LT CD8+ effecteurs ne peut se produire que s’il existe un déficit quantitatif ou fonctionnel dans la population de LT CD4+ à fonction régulatrice : l’eczéma correspond donc à une rupture de la tolérance immunitaire aux haptènes liée à un déficit en LT CD4+ régulateurs. Des études récentes confirment que l’eczéma de contact humain suit les mêmes mécanismes que ceux opérant dans les modèles murins [10].

Figure 1

Physiopathologie de l’eczéma allergique de contact.

Physiopathologie de l’eczéma allergique de contact.

A, B. Phase de sensibilisation : survenant chez un individu jusque là non malade, elle est cliniquement muette et aboutit à la production de lymphocytes T (LT) spécifiques effecteurs pro-inflammatoires. Les haptènes en contact avec la peau traversent la couche cornée (étape 1) et sont pris en charge par les cellules dendritiques (étape 2), qui s’activent et migrent dans les ganglions lymphatiques drainant la peau (étape 3), où intervient la présentation d’antigène aux LT (étape 4). Cela aboutit à l’activation de LT CD8+ cytotoxiques effecteurs, ainsi qu’à l’émergence de LT CD4+ régulateurs à activité anti-inflammatoire. Les LT produits sortent des ganglions, passent dans le canal thoracique, puis dans le sang, et se retrouvent dans la peau après avoir traversé les cellules endothéliales des vaisseaux du derme superficiel, grâce à la présence de molécule de domiciliation cutanée (molecule cutaneous lymphocyte antigen, CLA) (étape 5). C. Phases de déclenchement des lésions d’eczéma, puis de régulation : la phase d’expression de l’eczéma (phase de révélation) se développe lors de nouveaux contacts avec le même haptène chez un individu sensibilisé. Le contact cutané avec l’haptène induit une inflammation qui permet le recrutement et l’activation des LT CD8+ effecteurs ; l’activation des LT CD8+ cytotoxiques conduit à l’apoptose des kératinocytes et s’accompagne de la libération de cytokines de type 1, dont l’IFNγ (interféron γ) (étape 6), qui induit une amplification de l’inflammation cutanée via la production d’une cascade de cytokines et de chimiokines par les cellules cutanées. Cette tempête cytotoxique et cytokinique est responsable du recrutement des leucocytes dans le derme, puis dans l’épiderme : c’est à ce moment que sont recrutés les LT CD4+ doués d’une activité régulatrice (étape 7). Les modifications histologiques et cliniques de la maladie sont apparentes : la lésion d’eczéma s’installe, elle dure plusieurs jours à plusieurs mois, en fonction de la persistance de l’antigène au niveau cutané et de la mise en place de mécanismes de régulation de l’inflammation. La rémission d’un eczéma fait intervenir des LT régulateurs, principalement des LT CD4+, qui vont s’opposer à l’effet pro-inflammatoire des LT effecteurs. Plusieurs sous-populations de LT CD4+ régulateurs ont été récemment caractérisées dans les modèles expérimentaux d’eczéma, parmi lesquelles celle des LT CD4+CD25+, encore appelés LT régulateurs naturels : ils sont producteurs d’IL-10 (interleukine-10), capables de bloquer l’inflammation induite par les LT CD8+ effecteurs et peuvent assurer la rémission de la poussée.

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Les LT CD4+, responsables de la tolérance et de la régulation de l’eczéma

Les modèles animaux montrent très clairement que les LT CD4+ sont tolérogènes et préviennent l’induction de LT effecteurs à l’origine d’eczémas. En effet, un déficit quantitatif ou fonctionnel des LT régulateurs est indispensable pour qu’une sensibilisation se produise (M. Vocanson, manuscrit soumis pour publication). Ainsi, les LT CD4+ régulateurs sont capables de s’opposer à l’induction de LT CD8+ effecteurs lors d’exposition aux haptènes faibles ; par ailleurs, si ceux-ci sont induits et que l’eczéma est présent, les LT CD4+ régulateurs permettent de limiter l’intensité de l’inflammation. Les animaux déficients en LT CD4+ développent en effet un eczéma chronique, et d’intensité augmentée [9]. La raison pour laquelle les LT régulateurs/tolérogènes ne sont pas capables de prévenir la sensibilisation vis-à-vis d’haptènes forts n’est pas connue, mais repose très certainement sur le caractère pro-inflammatoire des substances chimiques à fort pouvoir sensibilisant, qui délivrent un signal de danger aboutissant au blocage de l’activation des LT CD4+ à fonction régulatrice.

Trois sous-populations de LT CD4+ régulateurs, l’une non spécifique d’haptène (LT CD4+CD25+) [11], les deux autres spécifiques (LT CD4+ Th2 et LTr1) [12, 13], ont plus particulièrement été étudiées dans l’eczéma. Elles sont toutes trois capables de produire de grandes quantités de cytokines immunosuppressives (IL-10 ou TGFβ), dont le rôle dans la régulation de l’eczéma est affirmé par l’existence d’une inflammation exacerbée et chronique survenant chez les animaux génétiquement déficients en IL-10. Cependant, les mécanismes précis par lesquels l’IL-10 et les LT CD4+ régulateurs bloquent l’induction des LT effecteurs et préviennent la sensibilisation (effet tolérogène), ou inhibent leur activation et contrôlent la réponse inflammatoire (effet régulateur), ne sont pas connus. Dans le même ordre d’idée, une synergie entre les différentes sous-populations de LT CD4+ régulateurs est possible, de même qu’une interaction avec d’autres types cellulaires. Dans la suite de cette revue, nous utiliserons le terme de LT reg pour désigner les cellules T CD4+ régulatrices, quelles qu’elles soient.

Bien au-delà du contrôle de l’eczéma de contact, les cellules CD4+CD25+ régulatrices naturelles sont des cellules clés dans le maintien de la tolérance périphérique et dans le contrôle des réponses inflammatoires. Leur action suppressive/régulatrice a été soulignée dans plusieurs modèles de maladies auto-immunes (diabète, sclérose en plaque, psoriasis) [14] et allergiques (asthme, rhinite, dermatite atopique) [15]. Non spécifiques d’antigène, ces cellules représentent, chez tous les individus, 5 % des LT CD4+ du sang périphérique, possèdent un phénotype de cellules T activées (CD25high CD45RBlow CTLA4+) et expriment le facteur de transcription FoxP3, nécessaire à la fonction régulatrice [16]. Concernant l’eczéma de contact, les LT CD4+CD25+ sont impliquées dans sa régulation, ainsi que dans le phénomène de tolérance aux haptènes [11, 17].

L’IL-10, la principale cytokine immunosuppressive produite lors d’une réponse immunitaire, est nécessaire à la différenciation et aux fonctions des LT reg. De nombreuses études ont retrouvé une corrélation entre l’amélioration clinique de maladies inflammatoires et l’induction de la production d’IL-10 par les LT reg : il s’agit ainsi du mécanisme principal par lequel l’immunothérapie spécifique d’allergène est efficace [18]. L’IL-10 est impliquée dans la régulation de l’eczéma, comme le montrent les expériences utilisant des souris déficientes en IL-10, qui développent un eczéma d’intensité augmentée par rapport aux souris normales. L’IL-10 est également impliquée dans la tolérance orale aux haptènes [19] et dans la tolérance à faibles doses d’haptène [20].

En dehors de l’IL-10, d’autres mécanismes de l’effet régulateur des LT CD4+ existent, notamment celui impliquant la sécrétion ou l’excrétion de TGFβ à la membrane des LT à fonctions régulatrices [21]. Par ailleurs, les cellules T CD4+ pourraient réguler la réponse inflammatoire en éliminant les cellules présentant l’haptène dans les ganglions lymphatiques au cours de la phase de sensibilisation, via un mécanisme dépendant de Fas-ligand, limitant ainsi l’activation des LT CD8+ précurseurs [22].

Comment (ré)induire une tolérance dans l’eczéma ?

Considérant le rôle des LT reg dans le contrôle de l’inflammation de l’eczéma, cette question équivaut à se demander « Comment activer les LT reg naturels ou spécifiques d’haptène producteurs d’IL-10 ? » Deux grands types d’approches sont possibles.

La première est de réévaluer, à la lumière des connaissances actuelles, les traitements d’induction de tolérance dans l’eczéma de contact : tolérance orale, désensibilisation spécifique par voie orale, tolérance cutanée à faible dose d’antigène ou tolérance induite par les ultraviolets (UV). Les travaux récents montrent que toutes ces méthodes sont responsables de l’activation de LT reg, à l’origine de la tolérance obtenue.

La deuxième approche consiste à mettre au point de nouveaux traitements destinés à empêcher le développement de lymphocytes effecteurs pro-inflammatoires (traitement préventif), ou à bloquer leur fonction de façon plus ou moins définitive (effet curatif) : cette étape passe par l’activation des LT reg et par la production d’IL-10. Encore faut-il connaître l’ensemble des mécanismes cellulaires et moléculaires impliqués dans les phénomènes de régulation et de tolérance, ce qui est loin d’être le cas actuellement.

Activation de la population de LT régulateurs

S’il n’existe pas encore de médicament capable d’activer directement les LT reg et d’induire la production d’IL-10 nécessaire à l’effet anti-inflammatoire chez un individu sensibilisé, beaucoup de travaux cherchent à établir les conditions de cette activation. Cette activation peut être spécifique (induite par un antigène dans le cas de LT reg spécifiques d’antigène), ou non spécifique (induite par les cytokines IL-2 et IL-10, ou par des composés bactériens de la flore).

Transfert adoptif de LT régulateurs

Le transfert adoptif de LTr1 spécifiques d’antigène, suivi de l’administration de l’antigène, permet d’induire une forte production d’IL-10 aboutissant une régulation efficace de l’eczéma de contact [23]. Les résultats obtenus avec cette technique lourde, inapplicable au traitement de l’eczéma, confirme l’importance des LT reg dans le contrôle de l’inflammation.

Traitement par l’IL-2

Les LT reg, s’ils ne produisent que de très faibles quantités d’IL-2, expriment des taux élevés de récepteur à l’IL-2 (CD25++). L’IL-2 est une cytokine nécessaire à la mise en place de la régulation, ce qui explique qu’un traitement par anticorps anti-IL-2 augmente l’intensité de l’eczéma [24]. Plus intéressant, le traitement d’un eczéma expérimental par une protéine de fusion IL-2-IgG active la population de LT reg et inhibe la réaction d’eczéma [25] : il s’agit là d’une application potentiellement utilisable chez l’homme.

Utilisation de la flore saprophyte digestive

La flore digestive est indispensable à l’établissement d’une bonne tolérance immunitaire, puisque les animaux dénués de flore (souris axéniques) sont résistants aux protocoles de tolérisation par voie orale, et développent un ensemble de maladies inflammatoires chroniques et allergiques. Les probiotiques sont des bactéries saprophytes capables d’améliorer l’eczéma de la dermatite atopique lors d’une prise au long cours [26]. Dans les modèles d’eczéma de contact, une administration quotidienne de lactobacilles inhibe très fortement l’eczéma expérimental par une action sur les LT CD4reg [27]. Les travaux en cours ont pour objectif de caractériser les composants bactériens impliqués dans l’activation des LT reg, ainsi que leurs récepteurs cellulaires.

Induction d’une tolérance orale : prévention d’un eczéma de contact

La tolérance orale (TO) est un phénomène immunologique protecteur, qui empêche l’induction d’une réponse immunitaire vis-à-vis d’antigènes alimentaires, et plus généralement d’antigènes absorbés par voie orale. La TO est mise à profit dans des protocoles d’induction de tolérance immunitaire dans de nombreux modèles de maladies auto-immunes et allergiques : l’administration orale d’insuline ou de protéine basique de la myéline prévient ainsi le développement d’un diabète ou d’une sclérose en plaque expérimentaux.

Dans l’eczéma, la TO est efficace à condition de suivre un protocole expérimental très précis : l’administration unique d’un haptène par voie orale 5 à 10 jours avant la sensibilisation cutanée induit un état de tolérance immunitaire total, empêchant toute sensibilisation ultérieure de l’individu par voie cutanée ; en revanche, si l’haptène est donné plus de 15 jours ou moins de 5 jours avant la sensibilisation cutanée, aucune tolérance n’est induite. Les LT reg CD4+CD25+ sont responsables de la TO aux haptènes, puisque leur déplétion s’accompagne d’une rupture de la tolérance et de la possibilité d’une immunisation des animaux par voie orale [11, 28]. Ainsi, la présentation d’un haptène par voie digestive aboutit à l’activation des LT reg des organes lymphoïdes muqueux et non muqueux, dans les ganglions drainant le tube digestif et dans le foie. Ces LT reg recirculent dans le sang et sont alors capables de prévenir le développement de LT CD8+ effecteurs spécifiques d’haptènes dans les ganglions drainant le site d’exposition cutanée.

Désensibilisation par induction d’une tolérance orale : traitement d’un eczéma de contact

Alors que la tolérance orale permet de prévenir efficacement le développement ultérieur d’un eczéma de contact, l’administration orale d’un haptène à visée thérapeutique est beaucoup moins efficace et ne donne pas de résultats cliniques, même si une amélioration des paramètres immunologiques de la sensibilisation peut être notée [29, 30]. Cela signifie qu’une fois les LT CD8+ effecteurs spécifiques d’haptènes présents chez un individu, la stimulation de la population régulatrice par administration de l’haptène par voie orale ne permet pas de bloquer leur activation. Il est toutefois possible que les protocoles de désensibilisation utilisés ne correspondent pas aux meilleures conditions d’activation des LT reg : en effet, les deux types de protocoles proposés dans le traitement des eczémas (utilisant de fortes doses ou de doses homéopathiques d’haptènes) ont été développés sans tenir compte des résultats obtenus dans les protocoles de TO, qui démontrent l’importance de la cinétique d’administration orale. Les nouvelles avancées physiopathologiques obtenues sur la TO devraient entraîner une réévaluation de la possibilité thérapeutique d’induction de la tolérance par voie orale.

Immunothérapie allergénique spécifique : désensibilisation par voie sous-cutanée ou sublinguale

La désensibilisation des maladies allergiques dues aux IgE est une méthode thérapeutique ancienne et efficace, qui utilise l’administration de l’allergène à doses croissante par voie sous-cutanée, et plus récemment par voie sublinguale, chez des individus allergiques (venins d’hyménoptères, rhinite, asthme). Les récents travaux réalisés sur les mécanismes de la désensibilisation allergénique démontrent que les LT reg producteurs d’IL-10 sont activés par ce traitement, et impliqués dans l’amélioration clinique par une inhibition des LT CD4+ effecteurs producteurs d’IL-4/IL-5 (phénotype Th2) [15, 18].

Il est envisageable d’appliquer au traitement de l’eczéma de contact les données issues de l’immunothérapie allergénique spécifique sublinguale, en débutant par l’administration de très faibles doses d’haptène, puis en augmentant les doses en fonction de la tolérance clinique locale.

Induction de tolérance par exposition cutanée à de faibles doses d’haptènes (low zone tolerance)

Le concept d’induction de tolérance par exposition cutanée à de faibles doses d’haptènes repose sur l’observation de l’absence d’eczéma chez la majorité des individus, alors que tous sont en contact permanent avec des haptènes (conservateurs, colorants, parfums, métaux, détergents, antiseptiques…) capables d’induire un eczéma. Si l’eczéma ne survient pas, c’est qu’une tolérance immunitaire s’est installée et qu’elle est directement liée à l’exposition quotidienne à de faibles doses d’haptènes.

Les travaux entrepris par Steinbrick et ses collaborateurs [31] dans des modèles animaux confirment cette hypothèse : ils montrent que l’application épicutanée de très faibles doses d’haptènes est responsable d’un état de tolérance immunitaire spécifique de l’haptène appliqué, qui prévient toute sensibilisation ultérieure au même haptène. Les LT CD8+ suppresseurs, ainsi que les LT CD4+ régulateurs, tous deux producteurs d’IL10, sont responsables de cet effet [20]. Dans ce modèle, l’utilisation de doses 100 à 1 000 fois plus faibles que celles nécessaires à l’induction d’une sensibilisation est le paramètre critique dans le succès de l’induction d’une tolérance immunologique. Bien que ce protocole d’induction de tolérance n’ait été testé que dans la prévention des eczémas, l’importance de la suppression induite par cette technique suggère qu’elle puisse être appliquée avec succès, et sans effet secondaire important, dans le traitement des eczémas. Des études cliniques chez l’homme, dans l’allergie au nickel, sont d’ailleurs envisagées.

Tolérance induite par les rayons ultraviolets (UV)

Le fait que les UV soient immunosuppresseurs et responsables de la survenue de carcinomes cutanés est connu depuis longtemps. Cette propriété a été mise à profit dans le traitement du psoriasis et des eczémas par photothérapie utilisant les UVA (PUVA thérapie) ou les UVB. Les travaux récents montrent que les LT CD4reg sont responsables de l’effet immunosuppresseur des UV : alors que des animaux normaux irradiés par les UV sont incapables de développer un eczéma de contact, la déplétion des LT CD4+ restaure la capacité à développer un eczéma et à produire des LT CD8+ effecteurs spécifiques d’haptènes [32] ; la population des LT régulateurs CD4+CD25+ a été directement impliquée dans ce phénomène [33]. La photothérapie est très efficace dans le traitement des eczémas. Elle n’a cependant qu’un effet suspensif, c’est-à-dire que l’amélioration ou la guérison de l’inflammation obtenue par le traitement n’est que de courte durée, suggérant que l’activation de la régulation n’est que temporaire. Il est possible que des protocoles associant une photothérapie et une exposition épicutanée à l’haptène soient plus efficaces pour induire une tolérance s’accompagnant d’une activation à long terme du compartiment régulateur.

Conclusions

Les recherches de ces dernières années ont reconnu l’importance des phénomènes immunologiques de régulation de l’inflammation, et celle du rôle clé des sous-populations lymphocytaires CD4+ et des cytokines immunosuppressives. De nombreux travaux ont été entamés avec l’objectif de ré-induire une tolérance immunitaire dans l’eczéma, soit en améliorant les méthodes existantes d’induction de tolérance aux haptènes, soit en développant de nouvelles molécules capables d’activer les LT régulateurs. Alors que le traitement actuel des eczémas repose sur des médicaments capables de bloquer les mécanismes effecteurs pro-inflammatoires, les traitements de demain devraient cibler les LT reg responsables de la tolérance immunitaire. Nul doute que nous disposions bientôt de nouvelles stratégies thérapeutiques applicables au traitement des eczémas, et plus généralement des maladies auto-immunes ou allergiques.