Alors que les femelles d’insectes, d’amphibiens ou de poissons émettent des gamètes en abondance, celles des mammifères n’ovulent qu’avec parcimonie. Selon les espèces, chaque ponte compte ainsi entre un (femme, vache) et une quinzaine (rongeurs, truie) d’ovules. On peut expliquer cette différence par une meilleure survie de l’embryon chez les mammifères, en particulier parce qu’il est abrité des prédateurs, et par la capacité limitée des femelles de conduire la gestation in utero. On peut également formuler l’hypothèse d’un avantage évolutif de la rareté relative des ovules, laquelle induit celle des embryons issus de chaque couple, une situation propice à la contribution de génomes variés au sein de l’espèce, à chaque génération. En effet, les restrictions collectives du nombre de descendants permettent de ménager des caractères peu compétitifs qui auraient pu disparaître dans une situation de surpopulation [1]. En comparaison, le mâle produit quotidiennement des dizaines, voire des centaines de millions de gamètes, une abondance inutile puisque, même si la pollution environnementale l’affecte fortement [2], cette atteinte semble encore sans réelle conséquence sur la fertilité : en effet, quand l’éjaculat humain compte 20 millions de gamètes plutôt que 200 millions, cette carence ne suffit pas à expliquer complètement l’infertilité persistante d’un couple. En réalité, l’abondance des spermatozoïdes, héritée de la fécondation externe, n’est d’aucun effet évolutif puisque le génome du gamète fécondant ne semble pas de meilleure qualité que celui des gamètes qui ne parviendront pas à pénétrer l’ovule [3], sauf dans les cas, assez rares, où un handicap du spermatozoïde est associé à une anomalie de son génome. Si la femelle est le lieu d’un contrôle limitatif des naissances chez les mammifères, elle n’intervient pas plus que le mâle dans la sélection génétique des gamètes. On estime qu’un spermatozoïde sur dix porte une aneuploïdie [4], mais que cette proportion s’élève à un ovule sur trois chez la femme [5], si bien que la moitié des embryons humains (au moins après conception in vitro) montre une anomalie chromosomique [6]. Encore n’existe-t-il aucune étude indiquant la fréquence des mutations géniques dans les gamètes ou l’embryon. Il est certain, et heureux, que la sélection naturelle précoce des embryons élimine presque toutes les anomalies chromosomiques, puisqu’elles sont retrouvées chez la moitié des avortons, alors que « seulement » 2 % des nouveau-nés présentent une malformation, dont l’origine chromosomique n’est établie que pour 0,6 % des naissances [7]. Ainsi, il apparaît que la procréation induit d’abord de la diversité aléatoire, grâce aux loteries successives de la méiose (haploïdisation, crossing over) et de la fécondation (identité des gamètes), et ne remédie qu’ultérieurement, mais imparfaitement, aux anomalies les plus graves. Dans ces conditions, la possibilité de multiplier très fortement le nombre d’ovules signifie l’explosion de la variété génétique des êtres humains potentiels produits par un même couple. Ce pourrait être l’occasion de véritables bouleversements, surtout si ces artifices en accompagnent d’autres, capables de sélectionner des embryons « normaux » parmi les embryons viables. Le but de cet article est d’esquisser les diverses voies acquises et futures pour une surproduction d’ovules dans l’espèce humaine. Depuis quarante ans, la médecine recourt à des hormones gonadotropes pour stimuler l’ovulation féminine. Ces hormones permettent de favoriser la croissance des follicules ovariens grâce à l’hMG (human menopausal gonadotropin, extraite de l’urine de femmes ménopausées) et/ou la maturation finale de l’ovocyte et l’expulsion de l’ovule grâce à l’hCG (human chorionic gonadotropin, extraite de l’urine de femmes enceintes). Ainsi peut-on multiplier par 10, en moyenne (les réponses individuelles variant de 0 à 80…), le nombre d’ovules émis simultanément par une femme. Cette superovulation est favorable dans les …
Parties annexes
Références
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