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Par l’intermédiaire de la sécrétion biliaire, le foie assure l’élimination de métabolites endogènes ou exogènes, potentiellement toxiques pour l’organisme, et la sécrétion des acides biliaires nécessaires à l’absorption digestive des graisses. Principaux constituants de la bile, les acides biliaires sont synthétisés dans les hépatocytes à partir du cholestérol. Au cours du cycle entéro-hépatique, les acides biliaires sont réabsorbés par les entérocytes de l’iléon terminal et captés à nouveau par les hépatocytes. Les hépatocytes sont des cellules épithéliales polarisées dont le pôle luminal délimite un espace clos appelé canalicule biliaire. La bile est formée dans les canalicules biliaires par un mécanisme de filtration osmotique consécutif au transport actif des acides biliaires et d’autres solutés. La bile parvient au tube digestif par l’intermédiaire de canaux biliaires bordés par les cellules épithéliales biliaires, ou cholangiocytes. Ces derniers participent également à la formation de la bile, essentiellement par l’intermédiaire d’une sécrétion hydro-électrolytique. La plupart des transporteurs hépatocytaires, cholangiocytaires ou entérocytaires impliqués dans la sécrétion biliaire ont été identifiés au cours des dernières années, ainsi que plusieurs voies de régulation de cette sécrétion, notamment par les récepteurs nucléaires des acides biliaires. Ces découvertes récentes ont entraîné une véritable renaissance de la physiologie biliaire. Elles ont également de nombreuses applications dans le domaine des maladies biliaires liées à des anomalies congénitales ou acquises de la sécrétion biliaire.

Les transporteurs hépatobiliaires

La Figure 1 représente les principaux transporteurs assurant la fonction biliaire [1]. Certains de ces transporteurs de la famille des solute carriers (SLC) sont localisés dans la membrane sinusoïdale des hépatocytes. Ils comprennent le NTCP (Na+-taurocholate cotransporting polypeptide), qui assure la capture hépatocytaire des acides biliaires, et différents membres de la famille des OATP (organic-anion-transporting polypeptides). L’exportation vers l’espace canaliculaire est assurée par plusieurs transporteurs de la membrane canaliculaire appartenant à la superfamille ABC (ATP binding cassette). Ces transporteurs requièrent de l’énergie, fournie par l’hydrolyse de l’ATP. Les principaux transporteurs ABC sont MDR1 (multidrug-resistance-1 P-glycoprotein), qui transporte les cations organiques (colchicine, ciclosporine, doxorubicine, tamoxifène, tacrolimus…), BSEP (bile salt export pump), principal transporteur des acides biliaires, MRP2 (multidrug-resistance-associated protein 2), responsable du transport de la bilirubine conjuguée et du glutathion, MDR3 (multidrug-resistance 3 P-glycoprotein), responsable du transport des phospholipides, et l’hétérodimère ABCG5-ABCG8 (ATP-binding cassette, sub-family G, member 5 ou 8), responsable du transport du cholestérol. Certains transporteurs des acides biliaires et des solutés organiques sont également présents dans les cholangiocytes, en particulier ASBT (apical sodium-dependent bile salt transporter). Ce transporteur a été initialement identifié dans la membrane apicale des cellules épithéliales de l’intestin grêle terminal où il assure la réabsorption active des acides biliaires au cours du cycle entéro-hépatique. Dans les cholangiocytes, sa fonction serait de réabsorber les acides biliaires de la bile en amont d’un obstacle sur les voies biliaires. MDR1 est également présent dans la membrane apicale des cholangiocytes. Deux transporteurs, CFTR (cystic fibrosis transmembrane conductance regulator) et AE2 (anion exchanger isoform 2), situés dans la membrane apicale des cholangiocytes, ont pour fonction d’assurer la sécrétion biliaire des bicarbonates.

Figure 1

Localisation des principaux transporteurs hépatobiliaires.

Localisation des principaux transporteurs hépatobiliaires.

Dans les hépatocytes, ces transporteurs sont localisés, d’une part, dans la membrane sinusoïdale (NTCP : Na+-taurocholate cotransporting polypeptide ; OATP : organic-anion-transporting polypeptides) et, d’autre part, dans la membrane canaliculaire, où ils assurent l’exportation des acides biliaires (AB-) et d’autres composés vers l’espace canaliculaire (en rose). BSEP : bile salt export pump ; MDR1 : multidrug-resistance-1 P-glycoprotein ; MRP2 : multidrug-resistance-associated protein 2 ; MDR3 : multidrug-resistance-3 P-glycoprotein ; ABCG5 : ATP-binding cassette, sub-family G (WHITE), member 5 (sterolin 1) ; ABCG8 : ATP-binding cassette, sub-family G (WHITE), member 8 (sterolin 2) ; FIC1 : familial intrahepatic cholestasis1 ; PE : phosphatidyléthanolamine ; PS : phosphatidylsérine ; OC+ : cations organiques ; PL : phospholipides ; OA- : anions organiques ; GSH : glutathion. Seule la membrane apicale des cholangiocytes, qui délimite la lumière du canal biliaire, est représentée (en vert). AE2 : anion exchanger isoform 2 ; ASBT : apical sodium-dependent bile salt transporter ; CFTR : cystic fibrosis transmembrane conductance regulator.

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Toutes ces protéines, exprimées de façon constitutive par l’hépatocyte ou les cholangiocytes, subissent une régulation, en particulier transcriptionnelle, sous le contrôle de récepteurs nucléaires dont les ligands sont les acides biliaires, les oxystérols, la vitamine A et ses dérivés, et les xénobiotiques.

Régulation par les récepteurs nucléaires

Les principaux récepteurs nucléaires impliqués dans l’homéostasie du cholestérol et des acides biliaires, et dans l’élimination des xénobiotiques, sont le FXR (farnesoid X receptor), le PXR (pregnane X receptor), isolé chez la souris, dont l’homologue humain est le SXR (steroid and xenobiotic receptor), le CAR (constitutive androstane receptor) et le LXR α et β (liver X receptor) [2].

FXR a pour ligands les acides biliaires, en particulier l’acide chénodésoxycholique. La Figure 2 schématise le rôle de FXR dans l’homéostasie des acides biliaires. La liaison de FXR à son ligand entraîne une diminution de l’expression du NTCP et de CYP7A1 et CYP8B1, qui codent respectivement pour la 7α- et la 12α-hydroxylase responsables, dans l’hépatocyte, de la synthèse des acides biliaires à partir du cholestérol. FXR entraîne également une augmentation de la transcription des gènes codant pour les protéines BSEP, MRP2 et MDR3. FXR est donc un régulateur majeur de la concentration intra-hépatocytaire des acides biliaires. La fonction de FXR a pu être précisée à l’aide de souris dont le gène codant pour ce facteur de transcription a été invalidé. Il existe, chez ces souris, une accumulation hépatique et sanguine d’acides biliaires. Cette accumulation s’accentue avec l’âge et entraîne progressivement une atteinte hépatique qui devient sévère si les souris reçoivent un régime enrichi en acide cholique [3].

Figure 2

Régulation de l’homéostasie biliaire par le récepteur nucléaire FXR.

Régulation de l’homéostasie biliaire par le récepteur nucléaire FXR.

Dans l’hépatocyte, la liaison de FXR à son ligand, l’acide biliaire (AB), entraîne une régulation transcriptionnelle négative de NTCP (Na+-taurocholate cotransporting polypeptide) et de CYP7A1 et CYP8B1, enzymes responsables de la synthèse des acides biliaires à partir du cholestérol, et une régulation transcriptionnelle positive de BSEP (bile salt export pump). Dans l’entérocyte, la liaison de FXR à l’acide biliaire (AB) entraîne une régulation transcriptionnelle positive d’IBABP (ileal bile acid-binding protein), partenaire intracytoplamique d’ASBT (apical-sodium dependent bile salt transporter), nécessaire à l’absorption intestinale des acides biliaires par ASBT. Le résultat de la régulation par FXR est donc une diminution de l’accumulation des acides biliaires dans l’hépatocyte et dans la lumière intestinale.

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SXR/PXR, quant à eux, ont pour principaux ligands certains xénobiotiques, en particulier la rifampicine et les acides biliaires hydrophobes comme le lithocholate. Les principaux gènes cibles de PXR sont CYP3A4 et MRP2. Le CYP3A4 est responsable de l’hydroxylation - et donc de l’élimination -des acides biliaires hydrophobes. Les souris dont le gène PXR a été invalidé sont incapables de métaboliser nombre de médicaments et développent une atteinte hépatique sévère en raison d’un défaut de détoxification de l’acide lithocholique. PXR, comme FXR, joue donc un rôle physiologique protecteur vis-à-vis de l’excès d’acides biliaires dans les cellules hépatiques [4, 5].

Quant à CAR, il est un récepteur des xénobiotiques dont les principales fonctions sont de régler le métabolisme de la bilirubine et des xénobiotiques. Les principaux gènes cibles hépatocytaires de CAR sont ceux codant pour les cytochromes P450, 2B, 2C, 3A et 4A. CAR induit par ailleurs l’expression de l’ensemble des protéines impliquées dans la clairance de la bilirubine. CAR est activé par des taux élevés de bilirubine intra-hépatocytaire. Autrement dit, la bilirubine induit sa propre clairance. L’induction du cytochrome P450 par CAR est en principe une réponse protectrice vis-à-vis de certains xénobiotiques [5].

Enfin, LXR constitue une classe de récepteurs nucléaires activés par les oxystérols. LXR α et β règlent l’expression des gènes impliqués dans l’homéostasie lipidique. LXR est exprimé non seulement dans le foie, mais également dans d’autres tissus, en particulier dans les macrophages, où les oxystérols sont présents du fait d’une internalisation des LDL (low density lipoproteins) oxydées ou d’une production in situ à partir du cholestérol. Les gènes hépatiques cibles de LXR sont CYP7A1, ABCG5, ABCG8 (facteurs impliqués dans le transport du cholestérol de l’hépatocyte vers le canalicule, dans la régulation de l’absorption digestive du cholestérol et dans l’efflux du cholestérol des macrophages). Les souris dont le gène LXR a été invalidé (LXR α et LXR β), chez lesquelles le foie accumule du cholestérol, peuvent développer une cirrhose par un mécanisme encore mal compris [6].

Physiopathologie des maladies biliaires

Les maladies biliaires sont associées à des anomalies de sécrétion des hépatocytes ou des cholangiocytes. Les mutations de plusieurs transporteurs ABC sont responsables de cholestases familiales progressives (PFIC) chez l’enfant [7]. Ainsi, les mutations d’un gène codant pour la protéine FIC1 (familial intrahepatic cholestasis 1), présente dans la membrane canaliculaire et dans les cholangiocytes, mais aussi dans le pancréas et l’intestin, sont responsables de la maladie de Byler. Ce gène n’a pas été cité ci-dessus car le rôle physiologique de FIC1, une protéine responsable de la translocation de la phosphatidyléthanolamine et de la phosphatidylsérine dans les membranes, est encore mal connu. La cholestase familiale de type 2 est due à des mutations de BSEP. La cholestase familiale de type 3 est en rapport avec des mutations du gène MDR3. Au cours de cette maladie cholestatique, il existe une inflammation et une altération des petites voies biliaires, comme au cours de la cirrhose biliaire primitive. La bile de ces patients est caractérisée par une concentration très basse en phospholipides. L’étude de ce gène nous a également permis de montrer qu’il était responsable d’une maladie de l’adulte jeune associant une microlithiase biliaire et une cholangiopathie parfois responsable d’atteinte hépatique sévère [7, 8]. Les mutations du CFTR sont responsables d’un défaut de sécrétion de chlore par les cholangiocytes [9], avec comme conséquence une cholestase et une inflammation des voies biliaires touchant environ 10 % à 20 % des patients atteints de mucoviscidose. Nous avons rapporté récemment le rôle aggravant potentiel des mutations du CFTR dans certaines formes de maladies inflammatoires des voies biliaires de l’adulte [10]. De plus, des altérations fonctionnelles de ces transporteurs pourraient être responsables de maladies biliaires acquises, notamment d’origine médicamenteuse [11].

Régulation et adaptation des transporteurs hépatobiliaires dans les cholestases expérimentales ou acquises chez l’homme

Il existe, au cours des maladies cholestatiques, une modification d’expression des transporteurs biliaires qui peut être considérée comme un mécanisme de protection [12-15]. S’agissant des transporteurs basolatéraux, on observe, dans toutes les formes de cholestase, une diminution de l’expression de NTCP, aboutissant à une diminution de la capture des acides biliaires. S’agissant des transporteurs canaliculaires, il a été montré que l’expression de MDR1 est augmentée au cours des maladies cholestatiques. Dans les modèles expérimentaux, l’expression hépatique de MDR3 est augmentée, alors que l’expression de BSEP et de MRP2 est peu modifiée. S’agissant des transporteurs intestinaux, des études préliminaires indiquent que l’expression de MRP2 est augmentée et celle de MDR1 diminuée dans l’intestin après cholestase par ligature-section de la voie biliaire principale chez le rat. Les modifications d’ASBT, qui assure la réabsorption des acides biliaires, sont controversées, mais les acides biliaires augmentent l’expression d’IBAP (ileal bile acid-binding protein), protéine de liaison des acides biliaires à l’intérieur de l’entérocyte.

Les mécanismes de la régulation adaptative des transporteurs biliaires constituent une thématique émergente dont l’intérêt est évident puisque leur connaissance ouvre la voie à des thérapeutiques médicales adaptées à chaque situation. Les agonistes de la protéine FXR augmentent l’expression de BSEP, MRP2 et MDR3 et ont, d’ores et déjà, fait la preuve de leur efficacité dans différents modèles expérimentaux de cholestase [12]. L’acide ursodésoxycholique et la rifampicine, des ligands de SXR, ont un effet bénéfique dans les maladies cholestatiques, suggérant que ce facteur de transcription ou ses modifications pourraient jouer un rôle dans l’expression clinique de ces maladies.

Conclusions

La connaissance actuelle des voies métaboliques et des transporteurs dont dépend la sécrétion biliaire permet de mieux comprendre la physiopathologie des maladies biliaires génétiques ou acquises. La régulation par différents récepteurs nucléaires ayant pour ligands les acides biliaires est au centre de mécanismes d’adaptation qui protègent l’organisme des effets délétères de la cholestase. Les stratégies thérapeutiques actuellement envisagées visent à stimuler ces mécanismes d’adaptation qui, spontanément, sont insuffisants pour empêcher l’évolution des maladies biliaires.