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Les infections mycobactériennes, et notamment la tuberculose, représentent un des plus graves problèmes de santé publique, actuellement ré-émergent en Europe. Cela est en partie dû au sida qui compromet le système immunitaire des patients et crée un terrain favorable aux infections opportunistes telles que la tuberculose. L’OMS estime qu’un tiers de l’humanité est infecté par Mycobacterium tuberculosis (M. tb), l’agent de la tuberculose. Cependant, seulement 10 % des personnes infectées développent une tuberculose cliniquement active. L’infection est donc contrôlée, mais pas éradiquée, chez la plupart des individus. Pour développer un vaccin ou un traitement efficace contre la tuberculose latente, il est primordial de comprendre, à l’échelle moléculaire, les interactions entre la mycobactérie et son hôte, et les mécanismes immunitaires qui en résultent.

Les lymphocytes T CD4+, l’interféron γ (IFNγ), l’interleukine-12 (IL-12), mais aussi la cytokine TNF (tumor necrosis factor) sont essentiels au contrôle de l’infection, comme cela a été montré chez des patients génétiquement déficients ou à la suite d’une intervention pharmacologique. En effet, chez certains patients atteints d’arthrite rhumatoïde, traités par des anticorps anti-TNF, une réactivation de la tuberculose latente est observée. Le contrôle de l’infection latente semble donc un phénomène dynamique où non seulement la réponse immunitaire adaptative mais aussi la réponse immunitaire innée pourraient jouer un rôle important.

Les modèles animaux ont permis de confirmer le rôle essentiel du TNF dans la réponse de l’hôte aux mycobactéries. En effet, les souris déficientes en TNF meurent 3 à 5 semaines après une infection par M. tb ou par la souche vaccinale atténuée M. bovis BCG (bacille de Calmette-Guérin) [1, 2]. Nous nous sommes attachés à comprendre les événements en amont de l’expression du TNF, notamment les mécanismes moléculaires de la reconnaissance des structures spécifiques aux mycobactéries par des récepteurs de l’hôte. Les récepteurs TLR (Toll-like receptor), découverts en 1997 [3], ont permis de comprendre des mécanismes essentiels de la reconnaissance des pathogènes. Nous avons étudié le rôle de ces récepteurs TLR dans la réponse à la tuberculose et la transmission de leur signal, notamment par la voie de signalisation MyD88 (myeloid differentiation protein 88) (Figure 1).

Figure 1

Voies de signalisation TLR-dépendantes et indépendantes de MyD88 intervenant dans la reconnaissance de Mycobacterium tuberculosis et M. bovis BCG.

Voies de signalisation TLR-dépendantes et indépendantes de MyD88 intervenant dans la reconnaissance de Mycobacterium tuberculosis et M. bovis BCG.

Parmi la famille des 11 Toll-like receptors (TLR) connus, les mycobactéries utilisent les récepteurs TLR2, en hétérodimères avec TLR1 ou TLR6, et les TLR4 en homodimères. TLR2 signale uniquement par la voie utilisant l’adaptateur MyD88 (myeloid differentiation protein 88), alors que TLR4 signale à la fois par la voie MyD88 et par une voie indépendante de MyD88, utilisant les adaptateurs TRIF (TIR domain containing adaptor inducing interferon-β) et TRAM (TRIF-related adaptor molecule). D’autres récepteurs des mycobactéries sont connus, dont les récepteurs du mannose, du complément, scavenger et DC-SIGN (dendritic cell-specific intracellular adhesion molecule-3 grabbing nonintegrin), mais aucun lien entre ces récepteurs et MyD88 n’a été montré. La réponse des récepteurs TLR2 et TLR4 faisant intervenir MyD88 associé à l’adaptateur TIRAP (TIR domain-containing adapter protein) recrute les kinases IRAK1 et 4 (IL-1 receptor-associated kinase). Une fois phosphorylées, IRAK1 et 4 sont libérées du complexe-récepteur et s’associent à TRAF6 (TNF-receptor associated factor), qui à son tour agit sur l’activation de la kinase TAK1 (TGFβ-activated protein kinase 1). TAK1 semble intervenir sur deux voies divergentes, aboutissant à l’activation des MAPK (mitogen-associated protein kinases) et à la phosphorylation et à la dégradation de l’inhibiteur IκB, puis à la libération et à la translocation du facteur de transcription NFκB, qui conduit à l’expression de gènes codant pour des cytokines telles que TNF et IL-12. L’activation de TLR4 indépendante de MyD88 fait intervenir les adaptateurs TRAM et TRIF. TRIF se lie à TBK1, une kinase proche de la famille des IκB kinases, induisant l’activation, la dimérisation et la translocation nucléaire d’IRF3 (interferon regulatory factor), puis l’expression d’IFNβ, à l’origine d’une boucle autocrine. L’IFNβ se lie à son récepteur puis active STAT1 (signal transducer and activator of transcription 1), conduisant à l’expression de gènes codant notamment pour les molécules de co-stimulation CD40 et CD86. AraLAM : LAM non cappé ; LAM : lipoarabinomannane ; LM : lipomannane ; PIM, phosphatidyl-myo-inositol mannosides.

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Plusieurs études ont montré un phénotype relativement limité des souris déficientes en TLR2 et/ou TLR4 à l’infection aiguë à M. tb [4-7], ou à M. bovis BCG [8, 9], contrairement à l’extrême sensibilité des souris déficientes en TNF [1, 2]. Cependant, l’absence de TLR2 ou TLR4 semble conduire à un défaut du contrôle à long terme de l’infection chronique à M. tb [4, 7]. Une certaine redondance des récepteurs TLR n’est pas exclue, mais l’absence combinée de TLR2 et TLR4 ne compromet pas la réponse à l’infection par M. bovis BCG in vivo [9].

MyD88 est un adaptateur commun aux voies de signalisation des récepteurs TLR (hormis TLR3) et des récepteurs de l’IL-1 et de l’IL-18. In vitro, les macrophages et les cellules dendritiques des souris déficientes en MyD88 répondent très faiblement à la stimulation par M. bovis BCG, M. tb ou leurs antigènes isolés, en termes de production de cytokines pro-inflammatoires ou de nitrites [10, 11]. En revanche, l’expression de molécules de co-stimulation, marqueurs membranaires exprimés à la surface des cellules présentatrices d’antigène et indispensables à l’activation des lymphocytes T (cluster de différenciation : CD40, CD80, CD86), est normale, suggérant que les souris déficientes en MyD88 pourraient présenter un déficit de réponse innée tout en montrant une réponse adaptative à l’infection par les mycobactéries in vivo (Figure 2). Les souris déficientes en MyD88 infectées par M. tb par voie aérosol ne contrôlent ni la croissance ni la dissémination des mycobactéries, et cela s’accompagne d’une atteinte pulmonaire extrême, fatale en moins de quatre semaines [11]. Cependant, l’activation et le recrutement des lymphocytes T dans les poumons sont normaux. En utilisant un protocole de vaccination par le BCG, nous avons mis en évidence une réponse IFNγ normale des lymphocytes T et une protection transitoire contre l’infection à M. tb, accompagnées d’une réduction de l’atteinte pulmonaire et de la sécrétion de cytokines pro-inflammatoires et de chimiokines dans les poumons des souris déficientes en MyD88 et vaccinées [11].

Figure 2

Schéma des résultats expérimentaux obtenus chez des souris déficientes en MyD88 après infection par Mycobacterium tuberculosis.

Schéma des résultats expérimentaux obtenus chez des souris déficientes en MyD88 après infection par Mycobacterium tuberculosis.

L’absence de MyD88 abolit la production de cytokines et de monoxyde d’azote (NO) par les cellules présentatrices d’antigène (CPA), mais pas l’expression des molécules de co-stimulation ni la mise en place de la réponse adaptative.

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Dans leur commentaire, T.M. Doherty et M. Arditi [12] soulignent l’aspect paradoxal de ces résultats par rapport au modèle communément admis selon lequel la réponse immunitaire innée déclenche la réponse adaptative par les récepteurs PRR (pattern recognition receptors). Cependant, il faut souligner que l’absence de MyD88, si elle abroge la plupart des réponses aux antigènes mycobactériens en termes de sécrétion de cytokines, n’affecte pas l’expression des molécules de co-stimulation qui pourrait être suffisante pour le recrutement des lymphocytes T spécifiques et contribuer à la mise en place de la réponse adaptative. L’indépendance de la voie MyD88 pour l’expression des molécules de co-stimulation a été décrite pour la stimulation par le lipopolysaccharide (LPS) qui fait intervenir la voie TLR4/TRIF/TRAM (TIR domain containing adaptor inducing interferon-β/TRIF-related adaptor molecule). De plus, nous avons montré que, dans le cas de M. bovis BCG, l’infection des macrophages ou des cellules dendritiques induit l’expression des molécules de co-stimulation même en l’absence combinée de TLR2 et de TLR4 [9], bien que la réponse aux fractions solubles ou particulaires de M. bovis BCG soit largement dépendante de TLR2 ou de TLR4 [8, 13, 14]. Cela indique qu’au-delà de la voie TLR4 indépendante de MyD88, l’infection à M. bovis BCG met en oeuvre des voies de stimulation différentes de TLR2 et TLR4. De fait, plusieurs récepteurs peuvent se lier aux mycobactéries et sont vraisemblablement à même de déclencher ou de contrôler des réponses innées et adaptatives, en particulier DC-SIGN (dendritic cell-specific intracellular adhesion molecule-3 grabbing nonintegrin), et les récepteurs du mannose, du complément, scavenger et, potentiellement, des récepteurs intracellulaires tels que ceux de la famille NOD. L’existence de voies alternatives aux voies dépendantes de TLR/MyD88 est également indiquée par la forte réponse inflammatoire, avec production marquée de TNF, IL-1α, IFNγ et chimiokines, dans les poumons de souris déficientes en MyD88 en phase terminale d’infection tuberculeuse. Finalement, MyD88 intervenant également dans le signal des récepteurs de l’IL-1 et de l’IL-18, le rôle de ces voies dans le phénotype des souris déficientes en MyD88 reste encore à préciser, bien que les souris déficientes en IL-1α/β, récepteur I de l’IL-1, IL-18 ou caspase 1, la convertase responsable du clivage de la pro-IL-1β et de l’IL-18, ne montrent pas un phénotype aussi marqué que celui des souris déficientes en MyD88 en réponse à l’infection par M. tb [11, 15-17].

L’utilisation des souris déficientes en MyD88 nous permet donc de séparer plusieurs aspects de la réponse immunitaire innée aux mycobactéries conduisant, d’une part, à la production de cytokines pro-inflammatoires et de nitrites, qui semble essentielle pour la réponse rapide aux mycobactéries virulentes telle que M. tb [11], mais n’est pas indispensable au contrôle de la souche atténuée M. bovis BCG [10] et, d’autre part, à l’expression par les cellules présentatrices de l’antigène des molécules de co-stimulation, qui permet la mise en place de la réponse adaptative, et semble largement indépendante des voies TLR et MyD88 [10, 11].