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Les études cliniques faites dans les établissements hospitaliers font coexister les promotions institutionnelles et industrielles. Il est donc très important que la protection des personnes et la qualité des études soient assurées quels que soient les promoteurs. À une règle uniforme, dont la lourdeur nuit à la mise en oeuvre et accroît les coûts, on peut préférer une réflexion initiale plus approfondie, avant le début des études, entre le promoteur et les investigateurs, fondée sur l’analyse des risques prévisibles et la complexité du protocole.

Il est intéressant d’observer que des failles du système des promotions industrielles, beaucoup plus lourd et uniforme que celui des promotions institutionnelles, sont apparues. Elles ont été matérialisées par une analyse critique des recommandations de l’ICH (International conference on harmonisation) [1], par des arrêts prématurés des études pour des raisons commerciales [2, 3] et des publications probablement incomplètes [4, 5]. Simultanément, la protection des personnes se prêtant à des recherches biomédicales dans des promotions institutionnelles a été malheureusement mise en défaut par deux décès inacceptables [6, 7].

La transposition en droit français de la Directive Européenne 2001/20/EC sur l’implantation des bonnes pratiques cliniques dans la réalisation des essais cliniques sur les produits médicinaux à usage humain a éveillé un débat national et international autour de l’encadrement réglementaire de la recherche clinique. La recherche clinique ou biomédicale inclut certes des essais thérapeutiques, en particulier médicamenteux, pour lesquels la Directive a été construite, mais elle les dépasse largement. La réglementation de la recherche clinique concerne la physiopathologie, les études de cohorte, l’évaluation de la valeur prédictive et de la qualité des tests diagnostiques, parmi lesquels les tests génétiques et l’expression tissulaire des gènes, les études médico-économiques et la recherche qualitative. À l’occasion de cette Directive Européenne, de la Loi de Santé Publique de 2004 (n° 2004-806) et de ses décrets et arrêtés d’application, se sont exprimées des différences d’analyses selon l’origine géographique, professionnelle, culturelle des multiples personnes concernées.

En particulier, il existe des différences d’opinions sur ce qui peut être considéré comme répondant à des besoins industriels, pour lesquels des règles contraignantes sont nécessaires afin que les États exercent leur responsabilité de contrôle vis-à-vis de la qualité, de l’efficacité et de la sécurité de produits destinés à des consommateurs. Dans un cadre d’investissements financiers pariant sur l’innovation et visant le retour le plus rapide et le plus important possible sur investissements, les promoteurs industriels peuvent accepter, voire influencer des règlements complexes qui favorisent l’internationalisation et la rentabilité des activités tout en visant à éviter les excès. Face à cette conception industrielle du développement international des médicaments, les promoteurs institutionnels mettent en avant le caractère apparemment non lucratif de leurs activités et leur neutralité scientifique. Ils considèrent que les questions pratiques de thérapeutique ou de diagnostic ne sont pas abordées dans le cadre des promotions industrielles. Il peut s’agir de choix de stratégies thérapeutiques combinées ou de fractions de populations ayant des caractéristiques particulières de résistance ou de sensibilité aux traitements. Ces efforts de longue haleine dépassent la durée de rentabilité des traitements du fait de l’expiration des brevets. Quant aux études de minimisation des coûts, elles sont souhaitées par les uns comme étant des études de minimisation des dépenses sociales et redoutées par les autres parce que perçues comme des études de minimisation des profits.

De là, naît une question récurrente : les règlements doivent-ils être les mêmes pour tous : promoteurs industriels et promoteurs institutionnels, études interventionnelles et études observationnelles, et, bien sur, encore plus important sur le plan éthique, pays développés et pays en voie de développement ?

Le but essentiel de cet article est d’analyser dans le détail quelques différences majeures entre promotions industrielles et promotions institutionnelles et de chercher à comprendre comment les deux promotions peuvent se compléter.

Promotions institutionnelles et industrielles : convergences, divergences et complémentarité

Les objectifs d’un promoteur institutionnel de recherche clinique, Inserm en France, Medical Research Council (MRC) au Royaume-Uni, National Institutes of Health (NIH) aux États-Unis, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), Délégations Régionales à la Recherche Clinique (DRRC), et les objectifs d’un promoteur industriel (médicaments, dispositifs médicaux, tests diagnostiques) sont différents. Un retour sur investissement est l’objectif normal d’un promoteur industriel. Un progrès des connaissances est l’objectif usuel d’un promoteur institutionnel. En fait, ces objectifs de progrès médical sont partagés par les deux et la valorisation des résultats fait aussi partie du travail institutionnel. Quand aux investigateurs, ils sont soit recrutés par un promoteur industriel pour leurs connaissances et leurs clientèles, soit à la recherche d’un promoteur, institutionnel ou industriel, pour tester leurs hypothèses dans un cadre conforme à la réglementation.

Quel que soit le promoteur, la recherche clinique possède, schématiquement, deux exigences incontournables pour tout investigateur et tout promoteur : (1) la sécurité des personnes qui acceptent de contribuer à la recherche en étant pleinement informées des bénéfices et des risques attendus pour elles-mêmes et pour la communauté ; (2) la qualité du travail annoncé et réalisé afin qu’il réponde à des critères d’originalité et/ou d’utilité, que les résultats soient fiables et qu’il n’y ait pas de fraude.

Derrière ces points communs essentiels, les objectifs de commercialisation ou d’acquisition de connaissances sont servis par des moyens financiers différents qui favorisent plus le secteur privé que le secteur public, dans les économies de marché des pays industrialisés.

Protection des personnes participant à une recherche biomédicale

Cette protection est aujourd’hui assurée par plusieurs méthodes conjointes.

Évaluation préalable d’un protocole

Cette méthode est la plus développée par les promoteurs institutionnels. Le contenu de toute recherche est revu par plusieurs experts scientifiques (le plus souvent deux) et discuté publiquement dans une Commission spécialisée. La protection donnée n’a pas la même force pour les promoteurs industriels. Les protocoles sont imaginés et écrits par le groupe de recherche clinique de l’industriel, dans une vision « produit ». Le recrutement des investigateurs extérieurs, parfois très connus, se fait sur la base de contrats financiers, bien souvent à un niveau international. Conseillers et investigateurs sont recrutés au service du projet industriel : le protocole qui en résulte sert le projet. A contrario, des experts extérieurs jugent les projets institutionnels. Ils n’en sont pas partie prenante.

Présentation des projets devant un Comité de Protection des Personnes (CPP, ex-CCPPRB : Comité Consultatif de Protection des Personnesse se prêtant à des Recherches Biomédicales)

La composition de ces comités inclut des non-professionnels, mieux aptes à juger de la compréhension du protocole par les personnes qui y seront incluses et susceptibles d’avoir une perception des risques éventuels différente de celle des professionnels, apport donné, en particulier, par les associations de malades. Un CPP est certainement moins compétent que les experts sur le plan scientifique et devrait le reconnaître, mais il prend plus en compte l’aspect éthique des recherches, ce que devraient accepter sans réticence promoteurs et investigateurs. Les projets des promoteurs institutionnels et industriels sont toujours examinés par un CPP. Lors de la mise en application de la loi du 9 août 2004, celui-ci donne un avis coercitif conjoint à l’autorisation de l’Autorité Compétente. L’efficience des deux est indispensable pour toutes les promotions car la vitesse de réalisation des recherches cliniques, si elles sont vraiment utiles, est aussi importante que leur originalité et leur qualité.

Monitorage des effets indésirables graves ou inattendus, définis avec précision

Cette surveillance permet, en cours d’étude, de prévenir toute complication sérielle, d’où l’intérêt d’un suivi centralisé des effets indésirables graves. Elle permet aussi d’alerter le CPP, de modifier le protocole, de changer l’information donnée aux personnes qui participent à l’étude et de tenir les autorités de santé informées dans les plus brefs délais, au niveau international. Un effort doit être fait pour colliger, avant le début de la recherche, tous les effets que l’on peut attendre soit dus à l’histoire naturelle de la maladie, soit imputables à la stratégie diagnostique ou thérapeutique testée. La mise en place par le promoteur d’un Comité Indépendant de Surveillance (Data and Safety Monitoring Board) pour les recherches perçues comme étant à risque est indispensable [8, 9]. L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) le demande dans le dossier d’autorisation pour les essais cliniques de médicaments.

Les DRRC, dont celle de l’AP-HP, et l’Inserm s’impliquent donc prioritairement dans la protection des personnes participant aux études dont ils sont promoteurs, par trois mécanismes, dont un leur appartient en propre, l’expertise extérieure.

Qualité des recherches biomédicales

Les promoteurs doivent être les garants de la qualité de réalisation des recherches. C’est une nécessité à la fois éthique et scientifique. Éthique : ce serait un manque de respect pour les personnes qui acceptent d’être incluses dans une étude que de les faire participer à un travail rendu inutile, voire nuisible, par son manque de qualité. Scientifique : quand une question a été reconnue par une expertise extérieure comme étant utile aux progrès des connaissances et à l’amélioration de la santé, on ne peut, faute de qualité, se priver de réponse ou risquer une réponse erronée.

Depuis 1980, des mécanismes de contrôle pour s’assurer de la qualité des recherches ont été fortement développés par les promoteurs industriels dans une optique d’enregistrement et d’autorisation de mise sur le marché de médicaments, de dispositifs médicaux ou de réactifs. Dans ce cadre, une compétition économique mondiale très forte existe face à des pouvoirs publics dont la fonction majeure est de garantir aux citoyens la qualité, l’efficacité et la sécurité de ce qui leur est proposé pour prévenir ou guérir les maladies. Les experts des Autorités de Santé chargés d’analyser les dossiers d’autorisation de mise sur le marché travaillent sur ce qui leur est transmis. Il faut les protéger, quand ils portent leur jugement, d’erreurs ou de fraudes antérieures au dépôt de dossier, et non détectables à la lecture de celui-ci. Ainsi s’est développé le monitorage des essais cliniques d’autorisation de mise sur le marché de dossiers proposés par les industriels. Cette approche est beaucoup plus affinée pour les médicaments que pour les dispositifs médicaux avec des recommandations internationales issues de l’ICH mise en place par l’industrie pharmaceutique.

Les Instituts de Recherche tels que le NIH, le MRC ou l’Inserm avaient moins développé de tels mécanismes de contrôle. D’une part, leurs budgets sont contraints, d’autre part leurs recherches sont versées, le plus souvent, dans des débats scientifiques globaux. Les résultats ne conditionnent pas immédiatement l’exposition de populations entières aux risques et aux bénéfices de produits commercialement distribués sous la responsabilité d’une décision des pouvoirs publics. Même si les défauts de qualité sont inacceptables en toutes circonstances, leurs conséquences, erreurs ou fraudes, sont très différentes selon le contexte dans lequel elles surviennent. Il est donc important de bien opposer ces contextes.

Contexte économique de la recherche clinique

C’est le développement clinique de médicaments, de dispositifs médicaux et de réactifs à des fins de commercialisation. Tous les défauts de qualité qui ont été rapidement énumérés ci-dessus risqueraient de mettre à la disposition des usagers du système de soins des produits inefficaces ou dangereux, directement ou indirectement par insuffisance d’efficacité. Dans une vision de Santé Publique, il est souhaitable de suivre beaucoup de personnes, pendant très longtemps. D’un autre côté, la rapidité du processus de développement des produits de santé est nécessaire pour donner aux fabricants un avantage économique compétitif majeur du fait de la durée de vie limitée des brevets. C’est pourquoi, les industriels veulent accélérer leurs essais. Pour ces deux raisons, depuis 1980, leurs procédures ont été alourdies pour aller plus vite et pour faire face à des pouvoirs publics de plus en plus responsabilisés vis-à-vis des usagers du système de soins.

La finalité fondamentalement commerciale de la recherche industrielle se traduit par les honoraires versés aux investigateurs. Ces honoraires encouragent à recruter des malades et compensent le temps nécessaire au suivi scrupuleux de protocoles complexes, le plus souvent internationaux. La liaison très forte entre les bénéfices financiers directs attendus par les uns et les autres favorise les dérives : recrutements accélérés et abusifs de patients, utilisation abusive de patients professionnels, données manquantes inventées, création ex nihilo de dossiers. L’intérêt commun des industriels et des pouvoirs publics responsables de l’enregistrement des produits de santé a été de mettre en oeuvre, pour un coût très élevé, tout ce qui est nécessaire pour ne pas être victimes des manquements à la qualité, survenus dans le cadre d’une compétition assez féroce, d’une demande sécuritaire très forte et d’une recherche de profits. Les coûts induits, depuis 25 ans, par les obligations imposées aux promoteurs industriels et à leurs investigateurs, ont ainsi massivement augmenté.

Contexte cognitif de la recherche clinique

Les études ne visent pas l’enregistrement d’un médicament, d’un dispositif médical, d’un outil diagnostique à des fins d’autorisation de mise sur le marché. Initialement, elles engagent la réputation scientifique de l’investigateur et n’engagent pas directement les pouvoirs publics. L’éthique et la sécurité de ces travaux de recherche clinique sont garanties par les trois procédés que nous avons revus. L’absence de qualité peut exister dans ces recherches autant que dans les autres, pour de multiples raisons, dont le manque de professionnalisme et la course à la renommée sont les principales. La non-qualité engage directement l’investigateur lui-même, d’abord par les journaux qui refusent ses travaux pour publication après examen par des pairs, ou si les résultats sont publiés, par le démenti d’autres études dans d’autres journaux par d’autres chercheurs [10]. Les défauts de qualité ne concernent plus directement ici les pouvoirs publics puisqu’ils n’utilisent pas directement des résultats qui concernent très souvent les mécanismes des maladies. Les pouvoirs publics sont néanmoins concernés car ils doivent justifier l’utilisation optimale des financements alloués à la recherche clinique publique.

Les sanctions de la mauvaise qualité des recherches dont le promoteur est institutionnel existent. Elles s’exercent a posteriori. Elles ont deux niveaux successifs : (1) l’acceptation ou le refus de la publication, après revue par des pairs, mais cette justice apparente a de multiples failles [11] ; (2) la contradiction, apportée dans un intervalle de temps de quelques jours à quelques années, par les autres investigateurs. Tout travail de recherche sera répété plusieurs fois. Cette répétition démontre, plus ou moins facilement, les erreurs des résultats antérieurement publiés ou renforce leur validité.

L’analyse de ces contextes différents a des conséquences importantes en termes d’utilisation optimale des ressources financières dont disposent les promoteurs industriels et institutionnels.

Les promoteurs institutionnels ont, jusqu’à ce jour, des ressources financières plus limitées que celles des industriels. Il leur faut faire face à une diversité d’études beaucoup plus grande. Ces recherches concernent plus souvent des maladies très graves, voire des polypathologies. Le travail imaginé par l’investigateur ne peut exister que grâce à des subventions accordées directement pour faciliter sur place la réalisation du travail. En particulier, les ressources humaines et financières de la recherche doivent être séparées de la dispensation usuelle des soins (techniciens de recherche clinique et vacations médicales ou pharmaceutiques spécifiques). Au coût même de la réalisation des recherches, s’ajoute le besoin d’un monitorage externe. S’il est identique à celui des essais visant une autorisation de commercialisation, il demande de grandes ressources financières. Les ressources nécessaires au monitorage entrent en compétition avec les ressources nécessaires à la réalisation même de l’étude. Dans une enveloppe financière étroite, des choix s’imposent. Les ressources actuellement allouées aux promoteurs institutionnels ne permettent guère une double prise en charge. Le travail est pris en charge par des « honoraires » dans les promotions industrielles et dépend de subventions dans les promotions institutionnelles. Que peut-on et que doit-on investir sur le monitorage externe ? On ne peut pas transiger sur l’application rigoureuse des réglementations en ce qui concerne la sécurité des personnes et l’éthique des recherches cliniques. On s’appuie, pour l’exactitude des résultats, sur les processus d’acceptation dans des journaux à comité de lecture, les courriers en retour à l’éditeur, les articles de confirmation ou de démenti. On dispose d’un contrôle a posteriori de l’intérêt et de la qualité des recherches à visée non commerciale, mais la qualité du contenu lui-même des études n’était pas soumis à un contrôle pointilleux. L’intérêt des résultats de cette recherche clinique génère, par la discussion scientifique, une forme de vérification globale et décalée. Originalité et utilité susciteront les débats d’où sortiront plus ou moins vite une vérité, puis un consensus. L’oubli des résultats d’une recherche clinique, noyée dans des milliers de publications, est une preuve a posteriori de l’absence d’intérêt du travail. Elle donne toute sa valeur à cette caractéristique unique de la promotion institutionnelle : la qualité de la revue a priori des protocoles pris en promotion, grâce à des experts extérieurs, en toute transparence, afin de repérer tôt ce qui est le plus intéressant, le plus utile, le plus faisable, le plus rigoureux et d’éliminer ce qui est répétitif, inutile, mal conçu, voire dangereux.

Il est par exemple évident que l’étude observationnelle de B.J. Marschall et J.R. Warren [12] a peu de chances d’avoir bénéficié du monitorage externe des études interventionnelles tel qu’il était peu à peu mis en place par les promoteurs industriels entre 1980 et 1990. Ces procédures culminent aujourd’hui dans les 367 pages des recommandations de l’ICH dont les faiblesses sont multiples [1]. En revanche, dans le paragraphe méthodologique, des précautions multiples sont rapportées par les deux auteurs pour que l’évaluation des paramètres mesurés puis corrélés soit totalement protégée des biais induits par l’envie de vérifier une hypothèse. Ce travail a découvert Helicobacterpylori dans l’estomac et émis l’hypothèse d’une relation de causalité entre sa présence, les gastrites de l’antre et les ulcères peptiques : vingt ans après sa publication, ce travail donnait le prix Nobel à ses auteurs [12].

Un monitorage différent de celui des promoteurs industriels peut être conçu par les promoteurs institutionnels. Les nombreuses données recueillies au cours d’une recherche clinique n’impactent pas avec la même importance la qualité de la réponse donnée à la question posée. Un contrôle de qualité « sélectif » peut donc être envisagé qui ne prenne en compte qu’un nombre limité de paramètres, fixé, a priori, avant le début de chaque recherche. En fait, il s’agit essentiellement de monitorer les critères majeurs de respect des personnes et d’évaluation. Une autre approche possible est le monitorage exhaustif par tirage au sort des dossiers dans une étude ou d’un certain pourcentage des études elles-mêmes (audit de résultats, audit de procédures). En réalité, c’est sur l’aspect sécuritaire que le monitorage mérite d’être le plus discuté. Il doit être proportionnel au risque : ce fut le choix de l’AP-HP en 2000.

Complémentarité des promoteurs

Il est important que les contextes différents dans lesquels travaillent les promoteurs industriels et les promoteurs institutionnels, tels l’AP-HP ou l’Inserm, soient compris par tous. L’acquisition de connaissances recherchées par les promoteurs institutionnels et industriels concerne des champs différents. Cependant, le promoteur industriel ne se départit certainement pas de tout accès à des recherches purement cognitives qui piloteront plus en avant son développement ou son marketing. Réciproquement, le promoteur institutionnel a le devoir de réaliser des essais que les industriels ne souhaitent pas promouvoir parce qu’ils ne rentrent pas dans les plans de développement et de promotion des produits, voire même, parce que les industriels craignent les résultats susceptibles de différer de ceux de leurs études initiales de développement, en particulier en ce qui concerne les doses. Le développement de partenariats entre le public et le privé est indispensable dans toute cette zone de recherche d’intérêt commun qui déborde les demandes officielles des dossiers d’enregistrement ou de suivi après commercialisation. Il existe, dans cette zone, des possibilités de découverte et de progrès qui ont manqué dans le passé et dont les conséquences néfastes sont précisément décrites dans des ouvrages récents [13].

Règles de monitorage de l’AP-HP promoteur entre 2001 et 2005

Quoique l’on doive rester persuadé que la sécurité et la qualité de vie des personnes incluses dans des recherches cliniques dépendent essentiellement de l’intelligence, de l’humanité et de la rigueur scientifique de l’investigateur coordonnateur [14], les réglementations ont été la réponse de complexité croissante donnée à une forte demande d’information de qualité et de sécurité exprimée par tous.

L’AP-HP a établi, après des consultations informelles auprès de l'AFSSAPS et de nombreux professionnels, une classification des recherches et des procédures de prise en charge de ses projets de recherche clinique (Tableau I). Celle-ci est fondée sur le niveau de risque que la recherche peut, a priori, faire courir aux personnes qui s’y prêtent, selon le dernier état des connaissances scientifiques, pré-cliniques et cliniques au moment où est initiée la recherche. Elle a anticipé de fait l’esprit de la Directive Européenne 2001/20/CE [15, 16].

Tableau I

Classification des risques des recherches institutionnelles AP-HP.

Risque A :

risque prévisible faible ou négligeable

  • • Études de physiopathologie ou études génétiques sur prélèvement simple (prise de sang veineux) sans acte invasif à risque

  • • Études de qualité de vie et de comportements avec questionnaires

  • • Investigations cliniques sur des dispositifs médicaux (DM) marqués classe I, IIa ou IIb en pratique courante ou DM marqué CE de classe I

  • • Études d’imagerie reposant sur des examens échographiques, radiologiques ou isotopiques de routine, sans acte invasif hormis l’administration parentérale et entérale d’un produit communément utilisé.

Risque B :

risque prévisible proche de celui des soins usuels

  • • Essais cliniques après autorisation de mise sur le marché (AMM) (phase IV) tels que affinage de la posologie, du rapport bénéfice/risque, élargissement du champ d’application, étude coût-efficacité

  • • Essais cliniques de phase III sur des nouvelles associations thérapeutiques

  • • Recherches en physiopathologie avec acte invasif ou injection de produit

  • • Recherches thérapeutiques sur l’utilisation de techniques radiologiques ou chirurgicales, déjà standardisées, mais dont l’efficience n’est pas démontrée

  • • Investigations cliniques sur DM marqués CE de classe IIb et III en pratique courante avec recul d’utilisation, mais sans efficience démontrée, sur un DM de classe IIa utilisé hors de son indication ou sur un DM non marqué CE de classe I sauf s’il est invasif et/ou actif.

Risque C :

risque prévisible élevé

  • • Essais cliniques de phase III de développement du médicament

  • • Nouvelle indication thérapeutique pour un produit avec AMM

  • • Extension à une population à risque (âge, morbidité, entre autres)

  • • Phase d’apprentissage des procédés interventionnels ou d’exploration

  • • Généralisation de nouvelles thérapeutiques cellulaires, géniques, de biothérapie, de techniques chirurgicales, radiologiques, utilisation de nouveaux isotopes…

  • • Investigations cliniques portant sur des DM marqués CE de classe IIb ou III utilisés avec peu de recul d’utilisation, ou sur un DM classé en IIb évalué hors indication du marquage dans le cadre de la recherche

Risque D :

risque prévisible très élevé

  • • Essais cliniques de phase I et II évaluant des médicaments, de la thérapie cellulaire ou génique

  • • Nouvelles techniques chirurgicales, radiologiques, de radiothérapie…

  • • Nouvelles techniques de fécondation in vitro ou thérapeutique in utero

  • • Investigations cliniques sur un DM non marqué CE de classe III, IIa, IIb ou I (invasif ou actif) ou sur un DM classé en risque III évalué hors indication du marquage

Établie sur une échelle de quatre, cette classification évite la non-décision que facilite toujours une échelle offrant un choix impair. Elle permet de penser que l’on puisse hésiter entre A et B, ou C et D, mais qu’il n’y a que peu de chances qu’un D devienne B, ou qu’un C devienne A.

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Établie sur une échelle de quatre niveaux, cette classification évite la non-décision que facilite toujours une échelle offrant un choix impair. On peut souvent hésiter entre A et B, ou C et D, mais qu’il n’y a que peu de chances qu’un D devienne B, ou qu’un A devienne C.

Cette classification par niveau de risque a pour conséquence directe une graduation du contrôle qualité réalisé par les Assistants de Recherche Clinique représentant le promoteur AP-HP sur chaque protocole, en fonction du niveau du risque dans lequel il a été qualifié par un accord signé entre l’investigateur coordonnateur d’une recherche biomédicale et la DRRC, avant même l’envoi au CPP et aux Autorités de Santé compétentes, AFSSAPS ou Direction générale de la santé (DGS).

Cette classification a été conçue sur l’idée que des règlements complexes et mal appliqués ne font que surprotéger ceux qui n’ont pas besoin de l’être et alimentent des jeux de rôles, administratifs ou politiques, qui tendent à faire porter par d’autres que soi-même toutes les précautions imaginables afin d’éviter les ennuis, judiciaires en particulier. Que la lourdeur d’un monitorage soit proportionnelle aux risques prévisibles et aux ressources disponibles est une attitude de bon sens. Réunir les ressources financières nécessaires à la bonne réalisation, à la qualité et à la vitesse de réalisation des recherches est plus important qu’une extension infinie des contrôles. Cette grille n’est pas figée. Elle doit être améliorée et évaluée en permanence.