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BudgetBudget[Notice]

« Personne plus que moi, messieurs, n’est pénétré de la nécessité, de l’urgente nécessité d’alléger le budget ; seulement à mon avis, le remède à l’embarras de nos finances n’est pas dans quelques économies chétives et détestables ; ce remède serait, selon moi, plus haut et ailleurs ; il serait dans une politique intelligente et rassurante, qui donnerait confiance à la France, qui ferait renaître l’ordre, le travail et le crédit et qui permettrait de diminuer, de supprimer même les énormes dépenses spéciales qui résultent des embarras de la situation. C’est là, messieurs, la véritable surcharge du budget, surcharge qui, si elle se prolongeait et s’aggravait encore, et si vous n’y preniez garde, pourrait, dans un temps donné, faire crouler l’édifice social. […] J’ai déjà voté et continuerai de voter la plupart des réductions proposées, à l’exception de celles qui me paraîtraient tarir les sources même de la vie publique et de celles qui, à côté d’une amélioration financière douteuse, me présenteraient une faute politique certaine. C’est dans cette dernière catégorie que je range les réductions proposées par le comité des finances sur ce que j’appellerai le budget spécial des lettres, des sciences et des arts. […] Je dis, messieurs, que les réductions proposées sur le budget spécial des sciences, des lettres et des arts, sont mauvaises doublement. Elles sont insignifiantes au point de vue financier et nuisibles à tous les autres points de vue. Insignifiantes au point de vue financier. Cela est d’une telle évidence, que c’est à peine si j’ose mettre sous les yeux de l’assemblée le résultat d’un calcul de proportion que j’ai fait. Je ne voudrais pas éveiller le rire de l’assemblée dans une question sérieuse ; cependant, il m’est impossible de ne pas lui soumettre une comparaison bien triviale, bien vulgaire, mais qui a le mérite d’éclairer la question et de la rendre pour ainsi dire visible et palpable. Que penseriez-vous, messieurs, d’un particulier qui aurait 1 500 francs de revenus, qui consacrerait tous les ans à sa culture intellectuelle, pour les sciences, les lettres et les arts, une somme bien modeste : 5 francs, et qui, dans un jour de réforme, voudrait économiser sur son intelligence six sous ? Voilà, messieurs, la mesure exacte de l’économie proposée. Eh bien ! ce que vous ne conseilleriez pas à un particulier, au dernier des habitants d’un pays civilisé, on ose le conseiller à la France ! Je viens de vous montrer à quel point l’économie serait petite ; je vais vous montrer maintenant combien le ravage serait grand. […] Ce système d’économies ébranle d’un seul coup tout net cet ensemble d’institutions civilisatrices qui est, pour ainsi dire, la base du développement de la pensée française. Et quel moment choisit-on ? C’est ici, à mon sens, la faute politique grave que je vous signalais en commençant : quel moment choisit-on pour mettre en question toutes les institutions à la fois ? Le moment où elles sont plus nécessaires que jamais, le moment où, loin de les restreindre, il faudrait les étendre et les élargir. Eh ! quel est, en effet, j’en appelle à vos consciences, j’en appelle à vos sentiments à tous, quel est le grand péril de la situation actuelle ? L’ignorance. L’ignorance encore plus que la misère. L’ignorance qui nous déborde, qui nous assiège, qui nous investit de toutes parts. C’est à la faveur de l’ignorance que certaines doctrines fatales passent de l’esprit impitoyable des théoriciens dans le cerveau des multitudes. […] Et c’est dans un pareil moment, devant un pareil danger, qu’on songerait à attaquer, à mutiler, à ébranler toutes ces institutions qui ont …

Parties annexes