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Le découplage spatial des fonctions de réplication et de transcription, d’une part, et de synthèse des protéines, d’autre part, impose aux cellules eucaryotes la nécessité d’un contrôle strict des échanges moléculaires entre le noyau et le cytoplasme afin, non seulement de protéger et de transmettre correctement l’information génétique, mais également de coordonner les fonctions nucléaires et cytoplasmiques.

Les échanges bidirectionnels entre noyau et cytoplasme s’effectuent via une structure spécialisée de l’enveloppe nucléaire, le pore nucléaire, ancré à la jonction des membranes nucléaires externe et interne. Ce complexe d’environ 100 MDa est composé, chez les eucaryotes supérieurs, d’une cinquantaine de protéines différentes ou nucléoporines. Le pore nucléaire apparaît comme une structure cylindrique, de symétrie d’ordre 8 et constituée d’un transporteur ou canal central de 10 nm de diamètre au repos, relié à deux anneaux, cytoplasmique et nucléair, par huit bras ou rayons. Des fibrilles décorent ces anneaux, formant une structure dite en « panier de basket » du côté nucléoplasmique. Les ions et les molécules de poids moléculaire inférieur à 40 kDa peuvent diffuser librement à travers le pore nucléaire. En revanche la translocation de molécules de poids moléculaire supérieur à 40 kDa, c’est-à-dire la plupart des protéines et des complexes ribonucléo-protéiques, mais également de certaines protéines de poids moléculaire inférieur à 40 kDa comme les histones, s’opère de façon active à travers le canal central dont le diamètre peut atteindre 25 nm.

Les substrats d’import ou d’export nucléaire sont identifiés grâce à des séquences d’adressage spécifiques par des récepteurs appartenant pour la plupart à une même famille de protéines, les karyophérines β. La capacité de ces récepteurs d’interagir avec certaines nucléoporines leur permet de cibler leurs substrats au pore nucléaire et d’assurer leur translocation. Une fois dans le compartiment d’arrivée, les substrats transportés sont libérés et les récepteurs sont recyclés afin de permettre un nouveau cycle de transport. L’interaction entre substrat et récepteur est contrôlée par la petite GTPase Ran appartenant à la superfamille Ras (Figure 1) ((→) m/s 2001, n° 10, p. 1056). La répartition nucléocytoplasmique des protéines qui contrôlent le cycle du GTP associé à Ran est telle qu’il existe dans la cellule un gradient de Ran-GDP (cytoplasmique) /Ran-GTP (nucléaire) de part et d’autre de l’enveloppe nucléaire qui conditionne l’orientation des échanges nucléocytoplasmiques: les récepteurs d’import nucléaire (importines ou karyophérines) se lient à leurs substrats en l’absence de Ran-GTP (dans le cytoplasme) et les libèrent en présence de Ran-GTP (dans le noyau) alors que les récepteurs d’export (exportines) ne reconnaissent leurs substrats qu’en présence de Ran-GTP (dans le noyau) et les libèrent lors de l’hydrolyse du GTP (dans le cytoplasme) [1].

Figure 1

Cycle de Ran et transport nucléaire.

Cycle de Ran et transport nucléaire.

Les substrats d’import ou d’export nucléaire sont reconnus grâce à des séquences d’adressage spécifiques (NLS ou NES) par des récepteurs appartenant à une même famille de protéines, les karyophérines β (Kapβ). Ces protéines interagissent avec le substrat, le pore nucléaire et la GTPase Ran. Le facteur d’échange de Ran, ou RanGEF (en vert) est exclusivement nucléaire alors que Ran-GAP (en rouge) est exclusivement cytoplasmique et est concentré au niveau du pore nucléaire. Cette répartition engendre, de part et d’autre de l’enveloppe nucléaire, un gradient de Ran-GDP (cytoplasmique)/Ran-GTP (nucléaire) responsable de l’orientation des échanges nucléocytoplasmiques: les récepteurs d’import nucléaire (importines) se lient à leurs substrats en l’absence de Ran-GTP (dans le cytoplasme) et les libèrent en présence de Ran-GTP (dans le noyau) alors que les récepteurs d’export (exportines) se lient à leurs substrats en présence de Ran-GTP (dans le noyau) et les libèrent lors de l’hydrolyse du GTP (dans le cytoplasme). NLS : nuclear localisation signal ; NES : nuclear export signal.

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Rétention nucléaire

Dès 1958, les travaux de Goldstein fondés sur la transplantation nucléaire chez l’amibe permettaient de mettre en évidence l’existence de protéines qui font la navette entre le noyau et le cytoplasme [2]. Chez les eucaryotes supérieurs, l’identification des protéines-navettes ainsi que la caractérisation de leur voie d’export nucléaire a dû attendre l’établissement de deux approches expérimentales fondées sur la formation d’hétérokaryons inter-espèces et la micro-injection.

La capacité d’une protéine nucléaire de sortir du noyau dépend tout d’abord de la force de ses interactions avec d’autres composants nucléaires. Ainsi, la protéine hnRNP C ou la lamine B, qui sont très fortement ancrées dans le noyau, ne sont jamais exportées. En revanche, toute protéine non retenue peut être transportée transitoirement vers le cytoplasme. Dans la plupart des cas, il s’agit d’un export nucléaire lent, peu efficace, dont le rôle, à l’heure actuelle, n’est pas établi et qui dépend de l’affinité de ces protéines pour les composants nucléaires [3, 4].

Séquences d’export nucléaire

Certaines protéines cellulaires ou virales telles hnRNPA1 ou la protéine Rev du virus VIH-1 présentent, en revanche, la capacité de sortir très rapidement du noyau. Des études de cartographie moléculaire menées en parallèle sur différentes protéines transportées rapidement du noyau vers le cytoplasme ont permis l’identification de séquences spécifiques d’export nucléaire (NES). Ainsi la protéine hnRNPA1, qui s’associe aux ARN pré-messagers dans le noyau et accompagne les ARNm lors de leur export, possède un motif de 39 acides aminés (dénommé M9) qui lui confère la double capacité d’import et d’export nucléaire [5]. La séquence d’export nucléaire la mieux caractérisée à l’heure actuelle et présente dans un nombre important de protéines est constituée d’un motif hydrophobe d’une dizaine d’acides aminés riches en leucines, résidus critiques dans la fonction de transport [6, 7]. Cette séquence est nécessaire et suffisante pour l’export nucléaire. Fusionnée à une protéine rapporteur, elle lui confère une capacité d’export nucléaire rapide. L’existence de récepteurs spécifiques de ces séquences NES était suggérée par l’observation que cette voie de transport pouvait être saturée. L’identification de ces récepteurs a été facilitée par l’observation qu’une drogue, la leptomycine B, était capable d’inhiber l’export des protéines portant ces motifs de transport [8].

Récepteurs d’export nucléaire

Des modèles expérimentaux distincts ont permis de montrer que les séquences NES riches en leucine sont reconnues par un récepteur spécifique, cible de la leptomycine B et apparenté à la famille des karyophérines β, CRM1 ou exportine 1 [9-12]. D’autres récepteurs d’export nucléaire des protéines ont alors été caractérisés et il est rapidement apparu que les récepteurs d’export (exportines) et d’import (importines) nucléaire appartiennent à une même famille de protéines (Tableau I). En particulier, la protéine CAS (Cse1p chez la levure) est responsable de l’export nucléaire des karyophérines α (protéines se liant aux signaux d’import nucléaire) et permet ainsi au récepteur qui a déchargé son substrat dans le noyau d’être recyclé dans le cytoplasme [13]. De même, l’exportine 4 permet l’export du facteur d’initiation de la traduction eIF-5A, qui semble être son seul substrat [14]. L’exportine 5, décrite très récemment, semble être plus particulièrement impliquée dans l’export nucléaire de protéines interagissant avec les ARN double-brin [15]. Enfin, les récepteurs Msn5 (probable homologue de l’exportine 5 chez la levure) et importine 13 ont pour particularité de fonctionner comme récepteurs d’import pour certains substrats et récepteurs d’export pour d’autres [16, 17]. Récemment, des données inattendues ont montré que la calréticuline, une protéine de liaison au calcium, est responsable du transport des récepteurs nucléaires hormonaux du noyau vers le cytoplasme [18]. La calréticuline reconnaît un motif localisé dans le domaine de liaison à l’ADN et, bien que cette protéine ne soit pas une karyophérine β, son interaction avec le récepteur des glucocorticoïdes est contrôlée par RanGTP. Il est donc actuellement concevable que des signaux d’export nucléaire puissent être reconnus par des récepteurs de type différent mais qui utilisent le même mode de fonctionnement.

Table I

Récepteurs d’export nucléaire de levure et de vertébrés et leurs substrats.

Récepteurs d’export nucléaire de levure et de vertébrés et leurs substrats.

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Mécanismes de translocation à travers le pore nucléaire

L’assemblage des complexes exportine/substrat est orchestré par la GTPase Ran. Comme toutes les GTPases, Ran possède une activité GTPase intrinsèque faible stimulée par la RanGAP 1 (GTPase activating protein 1) et les co-facteurs RanBP1 et RanBP2 (Ran binding proteins), alors que l’échange du GDP en GTP est stimulé par un facteur d’échange de nucléotide ou RanGEF. Ces facteurs régulateurs du cycle de Ran présentent une compartimentation intracellulaire très bien définie (Figure 1). RanGAP1, RanBP1 et RanBP2 sont essentiellement cytoplasmiques ou associés à la face cytoplasmique du pore nucléaire et maintiennent donc Ran sous forme liée au GDP dans le cytoplasme. Le facteur NTF2 (nuclear transport factor 2) se lie directement à RanGDP et facilite son accumulation dans le noyau, compartiment dans lequel RanGEF, protéine nucléaire associée à la chromatine, échange le GDP en GTP. Ainsi se crée un gradient de RanGDP (cytoplasmique)/RanGTP (nucléaire) de part et d’autre de l’enveloppe nucléaire [19].

Les exportines interagissent avec RanGTP dans le noyau mais la formation de ce complexe dépend de la présence du substrat à exporter. Inversement, la reconnaissance d’un substrat d’export par une exportine requiert la présence de RanGTP. Les modèles de reconstitution de l’export nucléaire in vitro permettent d’affirmer que les protéines CRM1 et RanGTP sont nécessaires et suffisantes pour assembler un complexe d’export nucléaire. Cependant, des données récentes indiquent que certaines protéines faciliteraient cette étape d’assemblage (Figure 2). En particulier, la protéine RanBP3 peut former un complexe trimérique avec les protéines CRM1 et RanGTP indépendamment de la séquence NES et permettrait de former un pré-complexe d’export incapable d’interagir avec le pore nucléaire tant qu’un substrat contenant un NES n’a pas été reconnu [20].

Figure 2

Schéma récapitulatif des différentes étapes de l’export nucléaire des protéines.

Schéma récapitulatif des différentes étapes de l’export nucléaire des protéines.

Les protéines nucléaires contenant un NES sont reconnues par un récepteur, ou exportine, en présence de RanGTP. Ce complexe, dont la formation est éventuellement facilitée par un co-facteur, est alors ciblé au pore nucléaire qu’il traverse grâce à l’interaction entre l’exportine et les nucléoporines. Dans le cytoplasme, l’action concertée des protéines RanBP1 (et RanBP2) et Ran GAP stimule l’hydrolyse du GTP sur Ran et permet ainsi la dissociation du complexe d’export. La protéine exportée est alors libérée dans le cytoplasme alors qu’exportine et co-facteur sont recyclés dans le compartiment nucléaire.

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Bien qu’il n’ait pas été possible expérimentalement de découpler les réactions de translocation et d’ancrage des complexes d’export au pore nucléaire, il est clair que ces étapes de l’export nucléaire impliquent des interactions directes et spécifiques entre exportines et certaines protéines du pore nucléaire. Ces protéines, impliquées dans l’export mais aussi dans l’import nucléaire, sont appelées nucléoporines FG parce qu’elles possèdent des domaines comportant de nombreuses répétitions d’acides aminés phénylalanine (F) et glycine (G) reconnues par les karyophérines β. La distribution homogène de ces protéines au niveau du transporteur central mais également à la périphérie du pore nucléaire suggère que des cycles consécutifs d’association/dissociation entre les nucléoporines FG et les complexes de transport pourraient permettre leur translocation [21]. Cette hypothèse est renforcée par l’identification récente des nucléoporines de levure et d’un grand nombre de nucléoporines de mammifères, leur localisation au sein du pore nucléaire et leur capacité d’interaction avec les différentes exportines [22]. De plus, la distribution asymétrique de certaines nucléoporines de part et d’autre du pore nucléaire suggère un rôle de ces protéines dans l’orientation du transport nucléocytoplasmique [23]. Récemment, des études cinétiques précises ont conduit à l’élaboration d’un modèle séduisant selon lequel la concentration élevée de motifs FG au niveau du canal central et la capacité d’attraction mutuelle (interactions hydrophobes) des groupements phénylalanine créeraient une barrière sélective que seules les molécules capables d’interagir avec les motifs FG, et donc de détruire localement ces attractions mutuelles, pourraient traverser [24]. En faveur de ce modèle, il faut noter que lorsque le gradient de RanGTP de part et d’autre de l’enveloppe nucléaire est maintenu, la translocation à travers le pore peut avoir lieu en l’absence d’hydrolyse d’ATP.

Parvenus sur la face cytoplasmique du pore nucléaire, les complexes d’export doivent être dissociés afin de permettre la libération du substrat dans le cytoplasme et le recyclage du récepteur. Ainsi qu’il a été mentionné précédemment, cette étape est contrôlée par les protéines RanBP1 et RanBP2 qui favorisent la dissociation de RanGTP, probablement par déstabilisation de l’interaction entre exportine et substrat. Les protéines RanBP1 et RanBP2 présentent en effet des domaines similaires de liaison à RanGTP, dissocient RanGTP de CRM1 in vitro et permettent à RanGAP de stimuler l’hydrolyse de RanGTP en RanGDP, rendant ainsi la réaction de dissociation irréversible puisque les exportines n’ont aucune affinité pour RanGDP [25]. Des données récentes indiquent que la protéine NXT1 (NTF2-related export protein1) participerait à cette étape de dissociation. Cette protéine, localisée au pore nucléaire, est capable d’interagir avec de nombreuses nucléoporines in vitro et stimule différentes voies d’export nucléaire. Elle interagirait avec les complexes d’export avant leur arrivée sur la face cytoplasmique du pore et, soit optimiserait leur structure en vue de la dissociation, soit les dirigerait vers un site précis du pore nucléaire au niveau duquel la dissociation peut avoir lieu [26]. Notons que RanBP2 constitue un excellent candidat du site de dissociation puisque: (1) elle est elle-même une nucléoporine localisée sur les fibrilles cytoplasmiques du pore ; (2) elle présente des sites de reconnaissance de Ran et des exportines ; et, enfin, (3) elle permet de concentrer RanGAP à la sortie du pore en interagissant spécifiquement avec la forme sumoylée majoritaire de RanGAP [27-29]. Secondairement à la dissociation du complexe d’export, les exportines et NXT1 sont recyclées vers le noyau, RanGDP est reconnu par NTF2 et réimporté, et les substrats sont libérés dans le cytoplasme (Figure 2).

Régulation de l’export nucléaire et rôles dans la coordination des fonctions nucléaires et cytoplasmiques

Bien que la régulation des mécanismes d’export nucléaire puisse en principe s’exercer à chaque étape et sur chaque protagoniste du transport, la plupart des études actuelles montrent que la modulation de l’interaction entre substrat et récepteur s’exerce principalement via l’accessibilité des séquences de transport nucléaire. L’accessibilité de ces séquences à leur récepteur est déterminée: (1) par leur localisation au sein de la structure tridimensionnelle du substrat ; (2) par des modifications post-traductionnelles ; et (3) par l’interaction avec des partenaires protéiques qui peuvent masquer ou démasquer ces séquences. La régulation de l’accessibilité des motifs de transport permet de moduler la répartition nucléocytoplasmique d’un grand nombre de facteurs cellulaires impliqués notamment dans les voies de signalisation, la progression du cycle cellulaire, le métabolisme des ARN, la polarité cellulaire, et apparaît clairement comme une voie majeure du contrôle de l’homéostasie des cellules eucaryotes.

Ainsi, la localisation des facteurs de transcription dans le compartiment nucléaire, étape indispensable à leur activité, est dans bien des cas soumis à une régulation très stricte. Par exemple, l’activité transcriptionnelle du facteur de transcription NF-κB, impliqué dans les réponses immunitaires, inflammatoires et anti-apoptotiques, est essentiellement contrôlée par son interaction avec les protéines IκB, capables de contrôler strictement la localisation sub-cellulaire de ce facteur de transcription [30]. Dans la plupart des cellules non stimulées, l’interaction entre NF-κB et IκBα masque la séquence de localisation nucléaire de NF-κB, et empêche donc son transport dans le noyau (Figure 3). La stimulation des cellules par divers agents, comme le TNF ou l’interleukine-1, engendre l’activation en cascade d’une série de kinases et conduit à la phosphorylation d’IκBα, qui est alors ubiquitinylé puis dégradé par le protéasome. Le NF-κB libéré est transporté dans le noyau où il active la transcription de nombreux gènes, dont le gène d’IκBα, induisant ainsi une resynthèse rapide de son inhibiteur. Cette néosynthèse est corrélée à l’apparition massive d’IκBα dans le noyau, compartiment dans lequel IκBα interagit avec NF-κB, inhibe sa liaison aux séquences d’ADN spécifiques et provoque l’arrêt de la transcription de gènes contrôlés par NF-κB. IκBα induit alors un export rapide du complexe NF-κB/IκBα du noyau vers le cytoplasme grâce à deux séquences d’export nucléaire reconnues par le transporteur CRM1 et contribue ainsi au rétablissement de l’état basal dans les cellules [31-33]. Mais l’export nucléaire d’IκBα participe également à l’activation du facteur NF-κB. En effet, dans le noyau, IκBα ne peut être ni phosphorylé ni dégradé en réponse à un signal d’activation et doit donc être exporté vers le cytoplasme pour y être dégradé et permettre une activation optimale du facteur de transcription [34]. Contrairement à l’idée originelle selon laquelle la localisation de NF-κB dans le noyau était strictement dépendante de l’activation cellulaire, il semble maintenant plus vraisemblable que les protéines NF-κB et IκBα fassent continuellement la navette entre noyau et cytoplasme, et que leurs niveaux relatifs dans chaque compartiment résultent non seulement du niveau d’expression d’IκBα mais aussi d’un équilibre entre import et export nucléaire.

Figure 3

Transport nucléaire et régulation du facteur de transcription NF-κB.

Transport nucléaire et régulation du facteur de transcription NF-κB.

Dans les cellules non stimulées, à l’état basal, le facteur de transcription NF-κB (p50 et p65) est retenu sous une forme inactive dans le cytoplasme par son interaction avec IκBα, qui masque le signal de localisation nucléaire de NF-κB. Cela est visualisé par détection par immunofluorescence de NF-κB dans le cytoplasme des cellules. Lorsque les cellules sont activées, IκB est phosphorylé puis dégradé. NF-κB est alors transporté dans le noyau où il active la transcription de gènes spécifiques, dont le gène d’IκBα. La disparition cytoplasmique de IκBα et la translocation nucléaire de NF-κB sont clairement détectées par immunofluorescence. IκBα est capable, notamment lors de cette néosynthèse, d’être importé dans le noyau et inhibe alors l’interaction de NF-κB avec l’ADN avant de promouvoir un export rapide de NF-κB vers le cytoplasme. Cette boucle de régulation participe à la restauration de l’état basal lorsque les cellules ne reçoivent plus de signal d’activation et contribue, en toute circonstance, à adapter le taux d’activité transcriptionnelle de NF-κB aux besoins de la cellule.

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Chez les eucaryotes, la progression du cycle cellulaire est gouvernée par des boucles régulatrices d’activation/inactivation des complexes cycline/Cdk (cyclin dependentkinase) dont l’expression temporelle est extrêmement précise. Alors qu’il est clairement établi que l’activité des complexes cycline/Cdk est contrôlée par la dégradation, l’état de phosphorylation et la présence de peptides inhibiteurs, il est apparu au cours des dernières années que la régulation de leur localisation sub-cellulaire est essentielle pour assurer une coordination correcte du cycle cellulaire [35]. Ainsi, l’accumulation du complexe Cdc2-cycline B1 dans le noyau pendant la prophase est indispensable à la mise en place et à la coordination des événements mitotiques. Bien que ce complexe soit synthétisé et assemblé pendant l’interphase, la présence d’une séquence NES reconnue par CRM1 dans la cycline B1 permet d’exclure Cdc2-cyclineB1 du noyau et de maintenir ce complexe dans un état inactif dans le cytoplasme en interphase [36-38]. Lors de la transition G2/M, la phosphorylation d’un résidu sérine du NES de la cycline B1 provoque une inhibition de l’export nucléaire et une accumulation du complexe dans le noyau [39]. Par ailleurs, l’entrée en mitose requiert également l’activation de Cdc2 par la phosphatase Cdc25. Là encore, les effets concertés de l’export nucléaire par la voie CRM1 et de l’interaction avec les protéines 14-3-3, qui restreignent l’import nucléaire et empêchent Cdc25 de s’associer à Cdc2, induisent une rétention cytoplasmique efficace de Cdc25 inactive en interphase [40,41]. La déphosphorylation de Cdc25 pendant la prophase entraîne une accumulation nucléaire de la phosphatase activée. La régulation du transport nucléaire permet donc de synchroniser activation et localisation sub-cellulaire du complexe Cdc2-cycline B1 (Figure 4). Plus généralement, les échanges nucléocytoplasmiques constants et contrôlés des acteurs du cycle cellulaire permettent d’assurer non seulement une coordination parfaite des événements nucléaires et cytoplasmiques au cours du cycle mais également une surveillance continue des dysfonctionnements ou des dommages qui doivent conduire à un arrêt du cycle.

Figure 4

Répartition nucléocytoplasmique du complexe Cdc2-cycline B1 et de la phosphatase Cdc25 pendant la phase G2 et au cours de la prophase.

Répartition nucléocytoplasmique du complexe Cdc2-cycline B1 et de la phosphatase Cdc25 pendant la phase G2 et au cours de la prophase.

Durant la phase G2 du cycle cellulaire, un export nucléaire efficace permet de maintenir le complexe Cdc2-cycline B1 inactif dans le cytoplasme. De plus, la phosphatase Cdc25, principal activateur de Cdc2, est séquestrée sous une forme phosphorylée inactive dans le cytoplasme par l’action concertée de son interaction avec les protéines 14-3-3 et d’un export nucléaire rapide. Lors de la prophase, Cdc25 déphosphorylée et activée s’accumule dans le compartiment nucléaire. Dans le même temps, la phosphorylation du NES de la cycline B1 par la polo-like kinase 1 (plk1) permet une translocation efficace du complexe Cdc2/cycline B1 dans le noyau et inhibe l’export nucléaire. Dans le noyau, Cdc2 est alors activé par Cdc25.

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De même que la rétention dans le cytoplasme de protéines qui exercent leur fonction dans le noyau permet de contrôler leur activité, la rétention nucléaire de facteurs actifs dans le cytoplasme restreint leur action. Ce mode de régulation est utilisé dans le contrôle de la polarité cellulaire chez la levure S. cerevisiae. L’orientation du cytosquelette d’actine soit vers le site de bourgeonnement, soit vers un partenaire sécrétant des phéromones lors de la conjugaison afin de s’orienter correctement par rapport au gradient morphogénétique [42, 43], est sous le contrôle de l’activation de la GTPase Cdc42p par son facteur d’échange Cdc24p. Or, pendant la phase G1 du cycle cellulaire, Cdc24p est séquestré dans le noyau par la protéine Far1 [44]. Lorsque les cellules atteignent une taille critique, le complexe cycline/Cdk Cdc28p-Clnp est activé et conduit à la phosphorylation de Far1p qui est alors ubiquitinylée puis dégradée par le protéasome. Cdc24p alors libéré est exporté vers le cytoplasme où il est recruté spécifiquement vers le site de bourgeonnement par la GTPase Bud1p [44, 45]. En revanche, en présence d’un gradient de phéromones, le complexe Cdc28p-Clnp est inhibé et Far1p stabilisé [46]. Le complexe Far1p-Cdc24p est alors transporté vers le cytoplasme grâce au NES de Far1p reconnu par l’exportine Msn5, et Cdc24 est ciblé par Far1p non pas vers le site de bourgeonnement mais vers les récepteurs des phéromones activés [44, 47]. Les différents partenaires d’export nucléaire de Cdc24p contrôlent donc sa localisation subcellulaire et permettent ainsi la polymérisation localisée et polarisée du cytosquelette d’actine.

Bien que la connaissance des mécanismes moléculaires de l’export nucléaire ait connu des progrès fulgurants au cours des dernières années, les mécanismes précis de translocation à travers le pore nucléaire, le déroulement spatio-temporel des différentes étapes et les mécanismes de régulation des machineries d’export restent encore à élucider. Néanmoins, il est aujourd’hui évident que les échanges nucléocytoplasmiques jouent un rôle majeur dans le contrôle de la physiologie cellulaire et surtout qu’une analyse dynamique de la localisation intracellulaire des protéines est indispensable à la compréhension des régulations fines qui permettent à la cellule eucaryote de coordonner les fonctions assurées dans chacun de ses compartiments.