Des études menées in vitro ont permis d’identifier les mécanismes moléculaires de l’internalisation de L. monocytogenes dans les cellules épithéliales. L’in-ternaline (InlA), lorsqu’elle est ancrée à la surface des bactéries, reconnaît un récepteur exprimé à la surface de la cellule hôte, qui est un marqueur de différenciation épithéliale, la E-cadhérine [3, 4]. Cette interaction est spécifique d’espèce, l’internaline reconnaissant la E-cadhérine humaine, mais ne reconnaissant pas la E-cadhérine murine [5]. Cette observation a conduit à la mise en évidence du rôle crucial du 16e acide aminé de la E-cadhérine mature, qui est une proline chez les espèces permissives (homme, cobaye, lapin, ovins, bovins) et un acide glutamique chez les espèces non permissives (souris, rat). L’étude par diffraction des rayons X de la structure tridimensionnelle du complexe internaline/E-cadhérine humaine a permis de démontrer que la proline 16 de la E-cadhérine humaine est absolument nécessaire à la formation de ce complexe moléculaire [6]. Dans un modèle murin transgénique exprimant la E-cadhérine humaine, spécifiquement dans les entérocytes, L. monocytogenes acquiert la capacité de traverser la barrière intestinale avec une grande efficacité, démontrant le rôle crucial du couple internaline/E-cadhérine au cours de l’étape initiale de l’infection [7]. Ces résultats expérimentaux ne permettent cependant pas d’affirmer que l’internaline joue un rôle dans l’espèce humaine. De plus, ils ne permettaient pas de savoir si l’internaline joue un rôle dans la traversée des barrières maternofoetale et hémato-encéphalique qui comportent, comme la barrière intestinale, des cellules exprimant la E-cadhérine. Afin d’étudier le rôle éventuel de l’internaline chez l’homme, nous avons adopté une approche épidémiologique [8]. Il existe en effet des isolats de L. monocytogenes qui expriment une internaline tronquée, qui n’est plus ancrée à la surface des bactéries et est donc non fonctionnelle. In vitro, ces bactéries entrent très peu dans les cellules intestinales humaines en culture et se comportent comme un mutant n’exprimant pas d’internaline. Cette étude épidémiologique visait à déterminer la fréquence des isolats exprimant une internaline fonctionnelle ou tronquée au sein de deux échantillons, l’un d’isolats d’origine alimentaire, et l’autre d’isolats cliniques responsables d’infection invasive chez l’homme. Notre hypothèse de travail était que l’existence d’une fréquence plus élevée de souches exprimant une internaline fonctionnelle dans le groupe « isolats d’origine clinique » que dans le groupe « isolats d’origine alimentaire » constituerait un argument épidémiologique en faveur du rôle de l’internaline au cours de la listériose humaine. Cette hypothèse a été confirmée sans ambiguïté [8]. En effet, sur les 300 isolats cliniques étudiés, 96 % exprimaient une internaline « sauvage », contre seulement 65 % des 150 isolats d’origine alimentaire (p<10- 7, OR : 12,73, IC 95 % : 6,27-26,34). De plus, toutes les souches à l’origine d’infections foetoplacentaires (61/61) et toutes celles responsables d’infections du système nerveux central, sauf une (55/56), exprimaient une internaline « sauvage ». Ces résultats démontrent non seulement le rôle crucial de l’internaline au cours de la listériose humaine, mais suggèrent également qu’elle est impliquée dans la traversée des barrières foetoplacentaire et hémato-encéphalique. De plus, toutes les souches de sérovar 4b expriment une internaline sauvage : ce résultat apporte donc une explication moléculaire à la prédominance de ce sérovar dans les cas de listériose humaine et est en faveur d’une pathogénicité accrue de ce sérovar pour l’espèce humaine. Enfin, ces résultats permettent de proposer d’utiliser l’expression de l’internaline comme un marqueur moléculaire de virulence pour l’homme des souches de L. monocytogenes isolées de sources alimentaires. La barrière foetoplacentaire comporte des cellules exprimant la E-cadhérine : les cellules cytotrophoblastiques et les cellules épithéliales amniotiques. Un modèle animal transgénique exprimant en lieu et place de la E-cadhérine murine …
Parties annexes
Références
- 1. Cossart P, Pizarro-Cerda J, Lecuit M. Invasion of mammalian cells by Listeria monocytogenes : functional mimicry to subvert cellular functions. Trends Cell Biol 2003 ; 13 : 23-31.
- 2. Lecuit M, Cossart P. Genetically-modified-animal models for human infections : the Listeria paradigm. Trends Mol Med 2002 ; 8 : 537-42.
- 3. Gaillard JL, Berche P, Frehel C, et al. Entry of L. monocytogenes into cells is mediated by internalin, a repeat protein reminiscent of surface antigens from Gram-positive cocci. Cell 1991 ; 65 : 1127-41.
- 4. Mengaud J, Ohayon H, Gounon P, et al. E-cadherin is the receptor for internalin, a surface protein required for entry of L. monocytogenes into epithelial cells. Cell 1996 ; 84 : 923-32.
- 5. Lecuit M, Dramsi S, Gottardi C, et al. A single amino acid in E-cadherin responsible for host specificity towards the human pathogen Listeria monocytogenes. EMBO J 1999 ; 18 : 3956-63.
- 6. Schubert WD, Urbanke C, Ziehm T, et al. Structure of internalin, a major invasion protein of Listeria monocytogenes, in complex with its human receptor E-cadherin. Cell 2002 ; 111 : 825-36.
- 7. Lecuit M, Vandormael-Pournin S, Lefort J, et al. A transgenic model for listeriosis : role of internalin in crossing the intestinal barrier. Science 2001 ; 292 : 1722-5.
- 8. Jacquet C, Doumith M, Gordon JI, et al. A molecular marker for evaluating the pathogenic potential of foodborne Listeria monocytogenes. J Infect Dis 2004 ; 189 : 2094-100.
- 9. Lecuit M, Nelson DM, Smith SD, et al. Targeting and crossing of the human maternofetal barrier by Listeria monocytogenes : role of internalin interaction with trophoblast E-cadherin. Proc Natl Acad Sci USA 2004 ; 101 : 6152-7.