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La fréquence du paludisme a au moins doublé au cours des trente dernières années. Touchant actuellement près de 500 millions de personnes par an, le paludisme est responsable de plus d’un million de décès, majoritairement en Afrique. L’explication en est sans doute l’interférence de plusieurs facteurs : résistance des parasites aux médicaments utilisés, résistance des moustiques vecteurs aux insecticides, changements climatiques, mais aussi facteurs sociaux tels que l’instabilité politique, la carence des services de santé et la pauvreté [1]. L’urgence du problème explique sans doute la multiplicité des abords, au premier chef desquels la recherche d’un vaccin. Une majorité de travaux ont été consacrés au Plasmodium falciparum, le seul massivement létal. Le Plasmodium vivax reste, cependant, le parasite dont la répartition est la plus étendue, responsable de 70 à 80 millions de cas morbides chaque année. Il est responsable, en très large part, de la morbidité du paludisme en Asie centrale, du Sud et du Sud-Est, en Amérique latine et au Moyen-Orient. En Afrique, il n’est observé que dans les régions orientales ou du sud. Sa presque inexistence en Afrique occidentale et centrale s’explique par l’absence de l’antigène Duffy, récepteur érythrocytaire normal des protéines de surface du mérozoïte de P. vivax. Ces données épidémiologiques et la fréquence accrue des déplacements font aussi craindre sa réémergence dans des régions d’où le paludisme a été éradiqué, mais où le vecteur potentiel de sa transmission existe toujours. Les conséquences, bien que moins immédiatement dramatiques, sont importantes, tant pour la politique de santé qu’au niveau économique. Un obstacle majeur aux travaux de recherche est encore l’absence d’un système de culture en continuité du parasite et la nécessité d’entretenir les souches dans les érythrocytes de singes [2]. Un projet de séquence du génome, à l’instar de ce qui a été fait pour le P. falciparum, est en cours, mais n’a encore que des résultats partiels [3].

C’est à partir de séquences identifiées que différentes équipes ont entrepris la recherche de polymorphismes sur des souches de P. vivax originaires de différentes régions dans le monde. Ce type de travail a un double intérêt. Il permet d’étayer les hypothèses concernant l’évolution du parasite et la transmission éventuelle d’un continent à un autre. Il est aussi indispensable dans la recherche de séquences codant pour des protéines de surface qui seraient éventuellement les cibles d’une approche vaccinale. Les résultats sont encore fragmentaires, ils nécessitent d’être comparés entre eux car ils peuvent, en effet, paraître discordants. Un premier travail, en 2000, mettait en évidence le polymorphisme de deux antigènes exprimés en surface [4]. En 2002, une série de travaux portait à nouveau sur le gène codant pour la protéine de surface 1 du mérozoïte, msp-1, Ces travaux ont été menés, notamment, en Italie à l’occasion d’un cas de paludisme apparemment autochtone observé en Toscane [5]. Une autre série d’observations est un travail collectif, coordonné au Japon, mais impliquant plusieurs pays d’Extrême Orient [6]. Tous se référaient à deux séquences de référence identifiées en Asie et au Brésil. Ils concluaient à l’existence d’un polymorphisme très important de MSP-1 et de recombinaisons multiples au niveau du gène.

Dans la perspective d’une stratégie vaccinale, et pour comprendre l’apparition de souches résistantes aux médicaments, une équipe américaine du National Institute of Health a ensuite entrepris, sur quatre souches d’origine différente (Inde, Thaïlande, Brésil, Salvador), l’étude comparative d’une séquence de 100 kb, contenant de 18 à 26 gènes [7]. Les auteurs identifiaient, dans ce segment chromosomique, 191 polymorphismes ponctuels (SNP, single nucleotide polymorphisms) et 44 polymorphismes dus à des répétitions de taille variable. Ces polymorphismes étaient répartis de façon inégale, majoritairement dans les régions intergéniques, mais aussi dans les introns. Comme cela a été décrit concernant P. falciparum, les auteurs notaient une réduction significative des mutations synonymes. Le travail le plus récent, enfin, est une recherche effectuée en collaboration entre l’université de Montpellier (France), des Italiens de Rome et des Américains d’Irvine en Californie [8]. Réunissant 108 échantillons de huit origines différentes, les auteurs ont étudié non plus des protéines, qui sont soumises à une sélection par l’immunité de l’hôte, mais des séquences supposées neutres, soit une série de 13 microsatellites. Les résultats comparés entre eux montraient une variabilité très réduite, un seul locus s’avérant dimorphique alors que tous les autres étaient monomorphiques. Dans le même travail, les auteurs ont également repris, sur un nombre accru d’échantillons de la séquence de 100 kb étudiée précédemment, l’évaluation de séquences répétitives. Ils ont alors observé entre les différentes populations un certain polymorphisme (2-10 allèles), alors qu’à l’intérieur d’une même population un allèle s’avérait toujours prédominant. Ce polymorphisme était cependant supérieur à celui observé dans la zone des microsatellites, mais nettement moindre que celui qu’on trouve dans la région synténique du chromosome 3 de P. falciparum. La comparaison avec des résultats obtenus chez différents primates montrait un polymorphisme évident chez plusieurs singes du Vieux Monde, alors que la séquence de Plasmodium simium, parasite d’un singe du Nouveau Monde, est quasi identique à celle de P. vivax.

Quelles hypothèses peut-on formuler au vu de résultats qui peuvent sembler paradoxaux ? Comme pour P. falciparum, il est clair que les antigènes exprimés en surface de P. vivax, et potentiellement responsables d’une résistance aux médicaments, ont été - et continuent sans doute à être - sélectionnés par le système immunitaire de l’hôte. L’ensemble des résultats concernant les microsatellite est en faveur d’une origine africaine de P. vivax dans la famille des Cercopthecoïdés, la divergence avec les parasites des singes du Vieux Monde ayant évolué par la suite. La quasi-identité entre P. vivax et P. simium pourrait être le fait d’une transmission ultérieure de l’homme au singe du Nouveau Monde. La faible proportion de mutations synonymes, le peu d’hétérogénéité des microsatellites plaident, comme pour le P. falciparum, en faveur d’un goulot d’étranglemnt relativement récent, de l’ordre de 10 000 ans ou même moins, coïncidant avec un développement de l’agriculture, suivi d’une expansion ultérieure rapide à partir - sinon d’un progéniteur unique - du moins d’un petit nombre de parasites.

Ces résultats ne sont pas purement académiques, et on peut se demander si la situation actuelle ne reproduit pas, d’une certaine façon, l’expansion qui a eu lieu il y a quelques milliers d’années : poussée démographique et changements climatiques sont d’actualité [1]. La résistance à la chloroquine, en effet, n’a pas été un phénomène d’observation simultanée partout où sévissait le paludisme. Apparue dans les années 1950 en Asie du Sud-Est, cette résistance n’a été observée en Afrique que dans les années 1970. L’accélération globale des transports ne peut, désormais, que réduire les délais en transférant les souches résistantes. C’est dire l’urgence d’initiatives destinées à contrôler une maladie qui est aujourd’hui une des trois causes majeures de morbidité et de mortalité dans le monde.