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Les micro-organismes ont été les seuls êtres vivants sur notre planète pendant près de deux milliards d’années. Ils représentent, aujourd’hui, une biomasse totale de 1030 bactéries. Ils assurent les cycles biogéochimiques de l’oxygène, du carbone, de l’azote et d’autres éléments essentiels à la vie. Ils créent et assurent l’équilibre de l’atmosphère, la purification des eaux et la fertilisation des sols, ce qui les rend indispensables à la survie des populations humaines. Ils ont une importance cruciale dans la digestion et l’absorption des aliments que nous ingérons, et dans le développement de notre système immunitaire. Sans leur présence, la vie cesserait d’exister sur notre planète.

Les micro-organismes sont aussi la clé pour répondre à des questions aussi fondamentales que la nature et l’origine des premières cellules, le rôle de l’ADN, support de base de l’hérédité et du transfert de l’information du gène à la protéine. Par leur diversité, ils permettent des découvertes sur le métabolisme aussi bien que sur l’organisation des systèmes vivants. Parfois uniques et propres à ce monde invisible, ces nouvelles données sont aujourd’hui explorées grâce aux avancées technologiques de la biologie moléculaire et à l’utilisation de techniques et de stratégies de plus en plus sophistiquées.

L’identification bactérienne, hier

Les premiers efforts d’identification bactérienne, nés des expériences de Louis Pasteur en 1870, se sont fondés sur les caractéristiques morphologiques, biochimiques et physiologiques. Les bactéries sont observées au microscope avec ou sans coloration. Leur forme, leur mobilité, les propriétés de leur paroi sont ainsi caractérisées. Elles sont aussi isolées sur des milieux de culture puis, en fonction des substrats qu’elles catabolisent, des éléments qu’elles respirent, leur profil métabolique est établi. Ces méthodes ont permis de différencier entre eux de nombreux micro-organismes et d’établir une classification phénotypique. Des schémas simplifiés, issus de ces descriptions, sont utilisés en pratique courante pour l’identification des bactéries d’intérêt médical.

La diversité bactérienne de l’environnement a été appréciée par ces mêmes méthodes phénotypiques jusque dans les années 1980. Cependant, appliquées à des habitats naturels complexes tels que le sol, les sédiments, l’eau douce et l’eau de mer, ces méthodes ont montré leurs limites. Dans leur habitat naturel, la plupart des micro-organismes existent sous forme non cultivable. Il s’agit soit de micro-organismes méconnus qui ne peuvent croître sur les milieux de culture disponibles dans les laboratoires, soit de micro-organismes connus (habituellement cultivables) dans un état de dormance difficilement réversible. L’avènement de la biologie moléculaire, dans les années 1990, va apporter de nouveaux moyens pour l’étude de ces organismes « non cultivables ». L’amplification enzymatique de l’ADN (PCR) permet, en effet, l’accès à la séquence des gènes bactériens sans étape de culture.

L’approche moléculaire, aujourd’hui

L’identification moléculaire des bactéries repose sur un constat : chaque bactérie possède un génome qui lui est propre. Les mutations s’accumulent progressivement au cours des générations et permettent l’évolution des gènes et des espèces. La séquence d’un gène résulte de l’héritage d’un gène ancêtre et de l’accumulation de mutations au cours du temps[1]. L’exploitation phylogénétique des différences observées entre les séquences des gènes bactériens[2] permet de reconstituer les relations généalogiques entre les organismes.

Les méthodes phylogénétiques, au-delà de la simple appréciation qualitative ou quantitative des différences ou des similitudes, reconstituent l’histoire des séquences en fonction des processus évolutifs qu’elles ont subi. Parmi ces méthodes, les méthodes de distance transforment les différences observées entre les séquences en distances évolutives, tenant compte des événements substitutifs passés. Ces distances sont ensuite agglomérées dans un arbre phylogénétique, dont les longueurs de branches représentent les taux de mutations, et où les noeuds donnent la position probable des épisodes de spéciation. Les familles, les genres et les espèces bactériennes sont reconnus comme groupes d’organismes issus d’un même noeud, c’est-à-dire quand ils partagent un épisode de spéciation à un moment de leur histoire. L’avantage d’une classification phylogénétique par rapport à la classification phénotypique classique est de pouvoir reconstituer les relations entre tous les groupes bactériens, y compris ceux sans caractéristiques phénotypiques communes évidentes.

L’ARN ribosomique 16S (ARNr 16S) a été choisi comme marqueur phylogénétique du fait de son universalité liée à son rôle clé dans la traduction de l’ARNm en protéines, de sa structure mosaïque incluant des régions conservées, variables et hypervariables, et de son abondance dans les cellules [1]. À ce jour, plus de 92 000 séquences d’ARNr 16S ou du gène qui code pour lui (ADNr 16S) sont à la disposition des scientifiques sur le réseau internet, dans des bases de donnés généralistes comme Genbank (http://www.ncbi.nlm.nih.gov/), ou des bases de données spécialisées comme le ribosomal database project (RDP) (http://rdp.cme.msu.edu) à l’Université du Michigan aux États-Unis ou the European ribosomal RNA database à l’Université de Gand en Belgique (http://www.psb.ugent.be/rRNA/index.html).

Aujourd’hui, n’importe quelle bactérie est identifiable par la position de sa séquence d’ADNr 16S dans un groupe représentatif d’une famille, d’un genre ou d’une espèce bactérienne au sein d’un arbre phylogénétique (Figure 1). Cette position phylogénétique est corrélée à la valeur de similitude des ARNr 16S : deux bactéries appartiennent à des espèces différentes si leurs ARNr 16S partagent moins de 97 % de similitude [2]. Cependant, il semble raisonnable d’apprécier cette « limite » au cas par cas, car le taux de mutations observé dépend non seulement du temps écoulé entre les épisodes de spéciation, mais aussi de l’efficacité des mécanismes de réparation de l’ADN propres à chaque espèce.

Figure 1

Positionnement des principales bactéries d’intérêt médical (en rouge) et de l’environnement parmi 18 divisions phylogénétiques d’eubactéries.

Positionnement des principales bactéries d’intérêt médical (en rouge) et de l’environnement parmi 18 divisions phylogénétiques d’eubactéries.

À côté des divisions représentées par au moins un représentant cultivable, d’autres divisions sont nommées à partir des séquences d’inventaires moléculaires (OP11 et WS1) et ne sont représentées, à ce jour, par aucun micro-organisme cultivable (d’après [43]).

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L’identification bactérienne par séquençage de l’ARNr 16S est aujourd’hui complètement intégrée au processus de caractérisation des nouvelles bactéries ne correspondant à aucun profil phénotypique connu (Figure 2). De nouvelles espèces à caractère pathogène sont sans cesse découvertes : Mycobacterium heckeshornense, Leptotrichia trevisanii, Brevibacterium paucivorans, Laribacter hongkongensis, Corynebacterium tuberculostearicum…, pour n’en citer que quelques-unes.

Figure 2

Stratégies d’identification bactérienne et d’exploration métagénomique par clonage et séquençage de grands fragments d’ADN génomique.

Stratégies d’identification bactérienne et d’exploration métagénomique par clonage et séquençage de grands fragments d’ADN génomique.

À partir d’un échantillon complexe de l’environnement ou d’un enrichissement obtenu par culture, l’ADN génomique total est extrait, des fragments de haut poids moléculaire sont insérés dans des vecteurs BAC (bacterial artificial chromosome) ou fosmides, puis transformés dans E. coli. Des banques de clones contenant les inserts de haut poids moléculaire sont ainsi construites. Le séquençage à haut débit couplé à l’analyse bio-informatique des séquences obtenues permet d’étudier des milliers de gènes et d’opérons différents. Les clones contenant les gènes d’intérêt sont criblés sur milieux appropriés pour la recherche de nouvelles activités. Le criblage de ces banques pour les gènes de l’ARNr 16S permet d’identifier l’organisme responsable des activités à haute valeur ajoutée. Ainsi sont reliées les deux approches, phylogénétique et génomique.

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Ces études ont également permis la reconnaissance de milliers de bactéries non cultivables dans les écosystèmes environnementaux et ont considérablement augmenté le nombre de lignées bactériennes. Nous sommes passés des 12 divisions (lignées ou phylums) décrites en 1987 par C. Woese [1] à 52 divisions en 2003, dont 26 sans aucun micro-organisme cultivable [3-4]. Si la plupart des branches de l’arbre phylogénétique étaient initialement distinctes les unes des autres, l’abondance des séquences rend, aujourd’hui, leurs limites plus floues. La faible variabilité des séquences d’ARNr 16S rend également confuse la limite des genres et des espèces bactériennes. De nouveaux marqueurs phylogénétiques : gyrB (gyrase) [5], rpoB (ARN polymérase) [6], hsp60 (heat-shock protein) [7]… ont été proposés en association à l’ARNr 16S pour la caractérisation de certaines espèces et genres bactériens cultivables. Ils devront être évalués pour la détection des bactéries non cultivables. Élaborer la classification naturelle des micro-organismes et augmenter la précision de l’identification moléculaire restent et resteront, dans les prochaines années, un des défis de la bactériologie.

L’identification moléculaire et ses applications médicales

Dans le domaine médical, l’identification bactérienne par séquençage de l’ARNr 16S a d’abord permis de découvrir l’étiologie de plusieurs maladies à agents non cultivables. Ainsi, Bartonella henselae [8], puis B. clarridgeiae, ont été identifiées comme agents responsables de la maladie des griffes du chat, une lymphadénite subaiguë parfois suppurée succédant à une griffure de chat. Bartonella henselae et B. quintana ont été incriminées dans l’angiomatose bacillaire, une infection dermatologique observée surtout chez les sujets présentant un syndrome d’immunodéficience acquise, dont les lésions peuvent ressembler à celles du sarcome de Kaposi, mais qui sont sensibles à l’érythromycine [9]. La maladie de Whipple, une lipodystrophie intestinale responsable d’un syndrome de malabsorption accompagné d’arthralgies et de fièvre, est formellement rattachée à une infection par Tropheryma whippelii [10] favorisée par un défaut d’immunité cellulaire, et son traitement fait appel à des antibiotiques. Aujourd’hui, la culture de ces agents pathogènes, bien que fastidieuse, est réalisable [11, 12], et de nombreux systèmes PCR diagnostiques sont également disponibles [13, 14].

L’identification bactérienne par séquençage de l’ARNr 16S a pallié également les difficultés rencontrées pour l’identification de pathogènes à croissance très lente ne répondant pas à des tests bactériologiques conventionnels. Mycobacterium genavense, bactérie à croissance difficile, confondue avec M. fortuitum sur la base des profils d’acides gras, est identifiée par la spécificité de sa séquence d’ARNr 16S. La base de donnée RIDOM (http://www.ridom-rdna.de/) est spécialement dédiée à l’identification des mycobactéries.

Des applications quotidiennes ont aussi été développées pour l’identification de pathogènes rendus non cultivables au sein de tissus infectés, en raison de conditions locales particulières ou de l’usage préalable d’antibiotiques. Ainsi, Inquilinus limosus est une nouvelle espèce isolée de prélèvements de mucoviscidose [15]. Des germes de la cavité oropharyngée, comme Dialister sp, ont pu être identifiés comme agents responsables d’abcès cérébraux [16]. Dans ces quelques exemples, la responsabilité de l’agent pathogène dans l’infection n’est plus démontrée par l’ensemble des éléments du postulat de Koch[3]. Cette preuve est apportée essentiellement par la détection répétée du germe dans les cas cliniques où il est incriminé.

Dans le domaine médical, l’identification par séquençage de l’ARNr 16S présente malheureusement des limites liées au mode de définition de l’espèce bactérienne. Ainsi, certains pathogènes, E. coli et Shigella spp, Bacillus cereus et B. anthracis ou Yersinia pseudotuberculosis et Y. pestis, sont classés dans des espèces différentes en raison de leur virulence distincte, mais ils appartiennent à des espèces génomiques identiques et ne sont pas distingués par leur séquence d’ARNr 16S. Les espèces du genre Brucella sont aussi difficilement identifiées en raison du trop faible niveau de divergence de leur ARN ribosomique. Sur l’ARNr 16S, une mutation survient en moyenne tous les un à deux millions d’années, et des événements évolutifs récents ne seront pas toujours détectables. Il est alors nécessaire d’utiliser d’autres marqueurs génétiques pour permettre la discrimination de ces pathogènes.

Exploration microbiologique et détection des pathogènes dans l’environnement

Les agents pathogènes dans leur contexte environnemental

L’analyse des ARNr 16S permet également l’identification des niches permettant la survie des pathogènes dans l’environnement.

Le choléra

Le choléra est une maladie diarrhéique due à des souches appartenant aux sérogroupes O1 et O139 de Vibrio cholerae, un bacille isolé en 1883 par Koch en Égypte. L’homme joue à la fois un rôle de milieu de culture et de vecteur pour le vibrion cholérique. Il se contamine par voie digestive : eaux de boisson, aliments, fruits et légumes, poissons, crustacés, fruits de mer. Les selles diarrhéiques, libérées en grande quantité, sont responsables de la propagation des bacilles dans l’environnement et de la transmission orofécale. La période d’incubation favorise le transport des vibrions sur de plus ou moins longues distances. Des études récentes d’identification moléculaire ont permis la détection de souches non cultivables d’espèces du genre Vibrio dans le milieu marin [17]. Une association entre V. cholerae et le zooplancton, en particulier avec des copépodes, a été mise en évidence [18].

La légionellose

Les légionelles, responsables des maladies connues sous le nom de légionelloses, sont avant tout des bactéries de l’environnement, retrouvées dans les eaux douces et les lacs, ainsi que dans les sources chaudes, la terre et les composts. Elles vivent à l’état libre dans l’environnement. Le support environnemental de la multiplication intracellulaire des légionelles est constitué par les protozoaires. Le mauvais entretien des réseaux d’eau facilite le développement des Legionella, notamment au niveau des biofilms. Dans plus de 90 % des cas, l’infection humaine est due à Legionella pneumophila. La maladie apparaît après inhalation de gouttelettes d’eau (aérosols) contaminées par des Legionella.

En raison de la culture délicate des légionelles[4], les méthodes moléculaires se sont révélées très utiles et supérieures aux techniques bactériologiques classiques par leur sensibilité, leur rapidité et leur spécificité. Des protocoles utilisant la PCR et des amorces ciblant des régions spécifiques de l’ARNr 16S, l’ARNr 5S, rpoB (RNA polymerase gene) ou encore, le gène mip (macrophage infectivity potentiator) pour l’identification spécifique des légionelles, ont été décrits [19-24]. Dans certains cas, ils ont permis la détection de légionelles dans des échantillons dont les cultures sont restées négatives [25]. Dans d’autres cas, ils ont permis la détection de nouvelles espèces de légionelles à partir des filtres de sable utilisés pour la purification de l’eau [26]. En novembre 2003, 71 cas de maladie du légionnaire ont été rapportés dans le nord de la France [27]. Les techniques moléculaires ont permis de confirmer la présence des mêmes souches de Legionella dans 14 échantillons cliniques et dans les tours aéroréfrigérées du site pétrochimique Noroxo.

Nouvelles lignées bactériennes potentiellement pathogènes présentes dans l’environnement

Les études moléculaires fondées sur les séquences du gène de l’ARNr 16S des bactéries endosymbiotiques des amibes (Acanthamoeba sp), présentes dans le sol et les milieux aquatiques, ont montré l’existence de plusieurs lignées phylogénétiques nouvelles et potentiellement pathogènes. Certaines de ces lignées sont très proches de bactéries intracellulaires obligatoires appartenant au groupe des α-protéobactéries, comme les Rickettsiae [28], tandis que d’autres sont affiliées à des Bacteroidetes [29], ou proches des Chlamydiae [30]. Dans cette dernière lignée, deux nouveaux genres, Parachlamydia et Neochlamydia, ont été décrits [31, 32].

Perspectives

Ainsi, une grande diversité bactérienne existe, bien plus grande que ne pouvait le laisser supposer notre vision étroite et biaisée d’un monde bactérien cultivable, et beaucoup reste encore à découvrir. Il suffit, sans doute, d’investir du temps et des moyens pour isoler et caractériser un plus grand nombre de bactéries et mettre à jour cette diversité cachée.

Cultiver le non cultivable : un défi pour les microbiologistes d’aujourd’hui

La proportion de bactéries cultivables dans les milieux naturels est très faible. Seulement 1 % des bactéries du sol sont cultivables. Les raisons de cette « non cultivabilité » sont multiples. Il peut s’agir d’un état physiologique viable non cultivable ou de l’inadéquation des milieux de culture conventionnels à la physiologie de la bactérie. Enfin, les bactéries vivant en communautés, des interactions majeures entre micro-organismes existent, qui résultent de l’existence même de la biodiversité de l’environnement naturel. Ce genre d’interactions disparaît dès que nous essayons de les cultiver in vitro et, avec elles, une diversité importante échappe à notre connaissance.

Plus l’effort est mis sur la recherche de stratégies innovantes, mieux on arrive à caractériser les micro-organismes de l’environnement. Le groupe de Karl Stetter [33] a été le premier à réussir à isoler un micro-organisme « non cultivable » en utilisant des techniques de micromanipulation combinées à l’utilisation de sondes d’hybridation moléculaires. Depuis, de nombreux microorganismes connus d’après les inventaires moléculaires du bactérioplancton marin ont été isolés. C’est le cas des micro-organismes SAR11 affiliés au groupe des α-protéobactéries, des β-protéobactéries OM43, des γ-protéobactéries OM60/OM241 [34], ainsi que de certains représentants de nouvelles lignées phylogénétiques de micro-organismes telluriques et de micro-organismes de la flore digestive [35]. Des bactéries appartenant aux divisions des Actinobacteria, des Acidobacteria, des Verrucomicrobia ont aussi été récemment isolées et caractérisées [36, 37].

Les techniques de cultures proposées pour les micro-organismes marins utilisent des chambres de diffusion constituées de membranes permettant l’échange des molécules, mais pas celui des micro-organismes. La chambre elle-même est placée dans un aquarium simulant l’environnement naturel des bactéries [38]. Le nombre de micro-organismes récupérés à partir d’un échantillon marin cultivé de cette façon est 300 fois supérieur à celui observé après culture sur une boîte de Pétri classique. Ainsi, l’exploration de la diversité microbienne ne peut s’affranchir de la connaissance de la physiologie des micro-organismes.

Acquérir de nouvelles connaissances grâce à la génomique

Les années 2000 nous offrent, avec le développement des grands centres de séquençage et de la génomique, l’accès au génome des bactéries cultivables ainsi qu’à ceux des bactéries de l’environnement : c’est « l’écogénomique ou la métagénomique ». L’exploration du métagénome[5], c’est-à-dire de l’ensemble des génomes des micro-organismes, représente une nouvelle stratégie conduisant à un inventaire complet des gènes présents dans un environnement naturel. Une approche systématique de séquençage aléatoire à haut débit de milliers de clones de banques métagénomiques donne une bonne idée de leur contenu génétique et de l’organisation de leurs génomes (Figure 2).

En appliquant une variante de cette méthode à des populations microbiennes de la mer de Sargasse, J.C. Venter et al. ont produit des données considérables concernant le contenu génique de la microflore marine. Un million deux cent mille gènes, inconnus jusqu’alors, ont été mis en évidence. Ces gènes proviennent d’environ 1 800 espèces génomiques différentes. La connaissance de l’association de plusieurs dizaines de gènes et d’opérons proches offre l’avantage de pouvoir cribler par hybridation des gènes susceptibles de coopérer dans une voie métabolique. Les activités enzymatiques sont ensuite mises en évidence après étalement sur des milieux appropriés [39, 40].

Relancer la recherche de nouvelles molécules à haute valeur ajoutée

Sachant que 70 % des antibiotiques actuels sont produits par moins de 1 % des bactéries cultivables actuellement répertoriées[6], l’accès à la microflore de différents écosystèmes représente une ressource biologique potentiellement inépuisable. L’utilisation des micro-organismes non cultivables (non cultivés) pour le développement de nouveaux produits à haute valeur ajoutée commence à voir le jour. Ainsi, un nombre croissant de gènes, d’opérons ou d’enzymes d’intérêt industriel ou pharmaceutique ont été identifiés à partir du métagénome de différents environnements tels que le sol, le milieu marin, de symbiontes marins ou de digesteurs anaérobies. Des antibiotiques tels que la turbomycine A et B, la violacéine, des anticancéreux tels que les polykétides, des enzymes telles que des polykétide synthases, des lipases/estérases, des α-amylases, des chitinases, cellulases, des oxydoréductases, ou encore des nitrilases ont été identifiés [41, 42]. L’activité de ces produits a été démontrée par des tests biochimiques ou par des expériences de complémentation génétique. Les micro-organismes hôtes à l’origine de ces gènes et enzymes ne sont pas encore connus. Cette biodiversité microbienne non cultivée, encore inexplorée, intéresse fortement les grands groupes pharmaceutiques, mais aussi des sociétés nord-américaines telles que Diversa, TerraGen Discovery, ou Ariad Pharmaceuticals, et la Société Libragen en France, qui se spécialisent dans ce domaine. Ces micro-organismes non encore cultivés seront d’une importance capitale pour la biotechnologie, la médecine et notre économie future.

Conclusions

Les méthodes modernes d’étude de la diversité microbienne attirent notre attention sur le fait que la grande diversité du vivant est microbienne. Nous n’avons, en effet, que très peu d’informations sur la plus grande majorité des micro-organismes qui colonisent notre planète. Tant que des efforts soutenus ne seront pas déployés pour le développement d’outils et de stratégies permettant leur culture, seuls ou en association avec d’autres micro-organismes, nous serons condamnés à spéculer sur l’importance et le rôle fonctionnel des micro-organismes non encore cultivés et sur leur potentiel, aussi bien physiologique que biochimique.