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La plasticité cérébrale, au cours du développement mais aussi chez l’adulte, est bien plus importante qu’il n’était admis il y a quelques années. En stimulant une vibrisse de souris éveillée pendant 24 heures, G.W. Knott et al. [1] ont mis en évidence une augmentation de 36 % de la plasticité synaptique dans l’unité corticale correspondante, et une augmentation parallèle des synapses excitatrices et inhibitrices s’accompagnant d’un accroissement important de la connectivité en réponse à un stimulus persistant. Cette modification dépend de la production d’une neurotrophine, le brain-derived neurotrophic factor (BDNF). C’est le changement le plus important observé dans le cerveau adulte mais, dans le cerveau en développement, le nombre de connexions double quotidiennement dans l’hippocampe, par exemple chez le rat. Inversement, une stimulation à basse fréquence peut, dans certains cas, entraîner une atrophie.

Plasticité moléculaire et cellulaire

La modification à long terme de l’efficacité de la transmission synaptique est l’un des mécanismes de base de la mémoire et de l’apprentissage. L’activation synchrone des éléments pré- et post-synaptiques provoque une augmentation de l’efficacité de la transmission synaptique, ou « potentialisation à long terme » (PLT). D’un point de vue cellulaire ou moléculaire, la plasticité neuronale est rapide et étendue, avec l’induction d’une potentialisation à long terme entraînant des modifications morphologiques des épines dendritiques (Figure 1). Cette plasticité chez l’adulte est observée dans les structures cérébrales impliquées dans la mémoire : systèmes hippocampique (mémoire déclarative, gestion de contexte), amygdalien (gestion de la peur et des émotions) et thalamocortical (mémoire procédurale) (Figure 2). La potentialisation à long terme dépend fondamentalement des concentrations en calcium dans les zones présynaptiques et les épines dendritiques. Ainsi, de fortes concentrations calciques entraînent l’activation de la protéine kinase II dépendante du complexe calcium/calmoduline (CaMKII) et la phosphorylation de nombreuses protéines cibles impliquées dans les bases moléculaires de cette plasticité (Figure 1 et Encadré).

Figure 1

Plasticité neuronale au niveau des synapses glutamatergiques.

Plasticité neuronale au niveau des synapses glutamatergiques.

A. La dépolarisation synaptique peut être majorée à long terme (potentialisation à long terme) ou diminuée (dépression à long terme) par plusieurs mécanismes impliquant l’incorporation des récepteurs AMPA (α-amino-3-hydroxy-5-méthyl-isoxazole) ou NMDA (N-méthyl-D-aspartate) dans la membrane postsynaptique : l’effet dure alors plusieurs minutes à plusieurs heures, et même plusieurs mois, et peut être associé à un doublement des connexions. B. Mécanismes impliqués dans le passage de la potentialisation à long terme à la dépression à long terme (voir aussi Encadré).

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Figure 2

Organisation des systèmes mnésiques.

Organisation des systèmes mnésiques.

A. Mémoire émotionnelle impliquant l’amygdale. Chez le rat, la potentialisation à long terme est induite rapidement dans l’amygdale en associant des stimulus auditifs à des électrochocs [29]. B. L’hippocampe et le cortex entorhinal jouent un rôle clé dans la mémoire déclarative/épisodique. Dans la forme la plus commune de la maladie d’Alzheimer, l’atrophie commence dans le cortex entorhinal, puis s’étend à l’hippocampe et aux cortex temporal et pariétal. L’hippocampe se projette également sur le cortex cingulaire antérieur, une aire frontale clé pour la cognition et l’initiative. Toutes ces zones connaissent des modifications structurelles en cas de maladie psychiatrique, et leurs fonctionnalités sont altérées. Le cortex entorhinal et l’hippocampe ont des liens importants avec l’amygdale ; la possible dégénérescence précoce de celle-ci dans la maladie d’Alzheimer pourrait expliquer la souffrance émotionnelle des patients à partir d’un certain stade. C. Mémoire procédurale : la plasticité thalamocorticale est un facteur clé dans un grand nombre de maladies psychiatriques.

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Les récentes évolutions conceptuelles sur la neurogenèse adulte (production de nouveaux neurones fonctionnellement actifs) ont de vastes implications pour les maladies neuropsychiatriques. La neurogenèse diminue progressivement avec l’âge, et les facteurs de stress accentuent ce déclin. G. Kempermann et al. [2] ont montré qu’un enrichissement environnemental tout au long de la vie peut entraîner une multiplication par 5 de la neurogenèse hippocampique chez la souris âgée.

Modification des systèmes cérébraux

Le nombre de synapses est particulièrement dynamique pendant le développement du cerveau puis, chez l’adulte, dans les aires associées à l’apprentissage et à la mémoire, y compris émotionelle (Figure 2).

La plasticité cérébrale est donc très importante, et sensible au stress et au vieillissement. Une potentialisation à long terme dans l’hippocampe induit une potentialisation à long terme dans le cortex préfrontal, d’une manière entièrement dépendante de la libération de dopamine [3]. Cependant, un stress aigu bloque la potentialisation à long terme dans l’hippocampe chez le rat [3], ainsi que la mémoire hippocampique [4], indiquant un lien potentiel entre l’inhibition de la fonction hippocampique liée au stress et une réduction de l’activité du cortex préfrontal. Ces effets sont exacerbés par le vieillissement, qui est associé à une sensibilité accrue à une atrophie induite par le stress [4]. Ainsi, la potentialisation à long terme survenant dans l’hippocampe, qui induit celle du cortex préfrontal, est un index de la plasticité synaptique dans ces deux aires du cerveau susceptibles de présenter une atrophie en cas de dépression ou de schizophrénie (voir plus loin). Cette potentialisation à long terme est extrêmement sensible au stress (Figure 3). Un stress chronique (d’une durée de trois semaines) reconfigure l’arborisation dendritique des neurones dans l’hippocampe et dans ses zones de projection dans le cortex préfrontal [5]. En parallèle, l’enrichissement environnemental augmente rapidement la densité des épines dendritiques, favorisant la potentialisation à long terme et élevant les concentrations des neurotrophines telles que le BDNF.

Figure 3

Interaction du cortex préfrontal avec l’amygdale et l’hippocampe, et impact du stress.

Interaction du cortex préfrontal avec l’amygdale et l’hippocampe, et impact du stress.

De manière simpliste, l’hippocampe est essentiel pour évaluer le contexte (spatial et temporel) et fournit la « couleur » émotionnelle (même si le cortex joue également un rôle majeur dans ce cadre). Chez le rat, un stress aigu (exposition sur une plate-forme élevée pendant 30 minutes) bloque la potentialisation à long terme (PLT) pendant plusieurs heures dans l’hippocampe et le cortex préfrontal, zones impliquées dans la genèse de la dépression. L’administration de tianeptine (1 mg/kg par voie intrapéritonéale) après le stress restaure complètement la PLT ; ce produit rétablit la plasticité synaptique précisément dans les zones du cerveau à risque ; en revanche, la fluoxétine est peu active dans ce test [3, 14].

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Plasticité neuronale et désordres psychiatriques

L’impact de périodes prolongées d’activation ou de dépression neuronale au niveau des différentes voies neuronales entraînera finalement des effets trophiques ou une atrophie dans les régions cérébrales impliquées. Ces phénomènes ont été étudiés à l’aide de la mesure du débit sanguin cérébral, de l’imagerie par résonance magnétique (IRM), de la visualisation de variations du volume cérébral et de l’anatomohistopathologie.

La dépression peut survenir à tout âge, et l’on observe une comorbidité fréquente avec l’anxiété et les troubles liés au stress. Les troubles psychiatriques sont associés, dans au moins un tiers des cas, à des problèmes survenus au cours du développement et de l’enfance [6, 7]. Sur la base de nombreuses études sur le rôle des facteurs de stress dans le développement, M.J. Meaney [7] donne à la synaptogenèse hippocampique un rôle central pour apprendre à gérer le stress. Les environnements très stressants produisent des systèmes hippocampiques moins développés, mais une augmentation de la plasticité dans l’amygdale.

On observe fréquemment une réduction du débit sanguin cérébral dans les zones frontales lors des états dépressifs [8]. Une dépression prolongée et récurrente peut être associée à une atrophie marquée du cortex et de l’hippocampe. Des études post-mortem ont mis en évidence une atrophie corticale, avec une réduction de la taille des neurones et de la densité neuronale et gliale, dans les cortex orbitofrontal et frontal dorsolatéral [9]. Les études d’imagerie ont révélé que l’atrophie de l’hippocampe chez les patients dépressifs pouvait être associée au stress et à une dépression récurrente [10, 11]. La dépression est également associée à une altération significative de la mémoire de travail, avec un impact sur les fonctions cognitives. H.S. Mayberg [8] a apporté des arguments convaincants en faveur d’une réduction du débit sanguin cérébral dans le cortex cingulaire antérieur pendant un épisode dépressif, et de la restauration du débit sanguin dans cette aire après un traitement par la paroxetine mené avec succès. Cette aire est directement innervée par l’hippocampe, justifiant l’hypothèse d’un dysfonctionnement du cortex hippocampofrontal après un stress aigu, qui peut se tranformer en une atrophie en cas de trouble chronique. J.D. Bremner et al. [12] ont mis en évidence une réduction de 32 % du volume de la zone orbitofrontale médiale chez les patients déprimés.

La plasticité neuronale pourrait donc jouer un rôle clé dans le développement des troubles neuropsychiatriques, d’autant que les zones à risque sont les zones où la plasticité neuronale est altérée par les facteurs de stress (Figure 3).

Médicaments entravant l’impact du stress sur la plasticité neuronale ou modulant l’activité synaptique et la production de neurotrophines

Inhibition par la tianeptine (Stablon®) de l’atrophie neuronale induite par le stress

Une abondante littérature étaye l’hypothèse d’une activité thérapeutique des antidépresseurs liée à leur inhibition de la recapture des monoamines. Cependant, la dépression n’est pas toujours très bien traitée : un tiers des patients ne réagit pas aux médicaments, et un tiers réagit au placebo.

La tianeptine (Stablon®), un antidépresseur efficace chez l’homme, possède un mécanisme d’action différent de celui des antidépresseurs classiques. En l’absence d’hypothèse a priori sur son mode d’action, ses effets sur l’expression génique ont été explorés : ils indiquent une incidence sur la plasticité synaptique, la concentration en protéine présynaptique Mss4 (mammalian supressor of sec4), par exemple, étant augmentée par les traitements antidépresseurs, notamment la tianeptine, et réduite par le stress [13]. Nous avons focalisé ces recherches, chez l’animal, sur les zones à risque chez l’homme pendant le stress et la dépression (hippocampe/cortex médio-préfrontal).

En administration aiguë, la tianeptine a une action importante sur la potentialisation à long terme dans l’hippocampe et le cortex préfrontal (Figure 3). Chez le rat, le stress aigu provoqué par une exposition sur une plate-forme élevée entraîne une réduction directe de la potentialisation à long terme dans la région CA1 de l’hippocampe et dans les zones de projection vers le cortex préfrontal, régions cérébrales essentielles pour la gestion du contexte. L’administration de faibles doses de tianeptine, après le stress, restaure totalement la potentialisation à long terme, dans l’hippocampe et le cortex préfrontal, alors que la fluoxétine est peu efficace [14]. Ces résultats indiquent que la tianeptine restaure la plasticité neuronale dans les zones cérébrales à risque. Le groupe de D.M. Diamond [15] a récemment montré que la potentialisation à long terme est augmentée par le stress dans l’amygdale, mais que la tianeptine ne module pas cette augmentation, indiquant que la gestion de contexte pourrait être améliorée et les réponses émotives laissées intactes.

Les conséquences structurelles d’un stress chronique ont été évaluées au cours d’une collaboration avec le groupe de McEwen (New York, États-Unis) [4]. Un tel stress induit une atrophie de l’arborisation dendritique de la région hippocampique CA3 et dans les zones de projection préfrontales chez le rat. Ces effets sont contrecarrés par la tianeptine [16], mais pas par la fluoxétine ; un excès de glucocorticoïdes en-traîne également des changements histomorphologiques au niveau de l’hippocampe, effets également contrecarrés par la tianeptine. Chez ces animaux, la tianeptine inverse les déficits cognitifs induits par le stress [4], de même que ceux causés par une dénervation septohippocampique partielle [17]. La tianeptine entraîne une inversion de l’atrophie hippocampique évaluée par IRM, ainsi que de l’inhibition de la neurogenèse causée par un stress chronique chez le tupaïa (tree shrew) [18]. La tianeptine exerce donc un effet bénéfique aigu sur la potentialisation à long terme, un effet chronique sur l’arborisation dendritique et un effet sur la mémoire, en un mot sur la plasticité neuronale altérée par le stress.

La tianeptine agit directement, car des effets ont été observés sur des tranches hippocampiques examinées in vitro et ex vivo [19], notamment une augmentation des courants glutamatergiques AMPA/NMDA (α-amino-3-hydroxy-5-méthyl-isoxazole/N-méthyl-D-aspartate) par phosphorylation. Chez le rat, un stress de contention augmente l’expression des transporteurs de glutamate (GLT-1) spécifiquement dans la zone où la reconfiguration dendritique est la plus intense (la partie CA3 de l’hippocampe), et cette augmentation est contrecarrée par la tianeptine [5]. Des antidépresseurs tels que la tianeptine pourraient donc agir directement sur la plasticité neuronale via les systèmes glutamatergiques, ce qui ouvre une nouvelle voie de recherche.

Modulateurs allostériques des récepteurs AMPA

Les modulateurs allostériques positifs des récepteurs AMPA modifient la plasticité neuronale et favorisent la potentialisation à long terme et la mémoire, en ralentissant la désensibilisation des récepteurs AMPA activés par un neurotransmetteur endogène, le glutamate. De plus, ces molécules augmentent le taux de neurotrophines, particulièrement du BDNF. Des essais cliniques sont actuellement en cours sur plusieurs composés, dont le S 18986, issu de la Recherche Servier.

Les premiers résultats publiés par I. Ito et al. [20] indiquaient que l’aniracetam, à très hautes concentrations, ralentissait la désensibilisation des récepteurs AMPA, expliquant ainsi les effets promnésiants du composé. En s’appuyant sur ces résultats, Servier a mis au point le S 18986, un modulateur allostérique puissant qui facilite la potentialisation à long terme hippocampique et améliore les processus mnésiques hippocampiques (test de conditionnement passif bloqué par la scopolamine, test de reconnaissance d’objet) [21, 22]. En parallèle, les chercheurs de Cortex Pharmaceuticals ont développé le CX516 [23], précédant d’autres sociétés qui se dirigent elles aussi vers des essais cliniques.

Des études ont également montré que les modulateurs allostériques positifs des récepteurs AMPA augmentaient la synthèse et la libération du BDNF [24], qui a des effets trophiques et neuroprotecteurs. Les modulateurs allostériques positifs AMPA montrent des effets neuroprotecteurs et neurotrophiques qui pourraient être sous-tendus par ces propriétés [25]. Des substances présentant des effets trophiques chez l’homme devraient s’avérer bénéfiques à long terme. Ce domaine est d’un intérêt potentiel considérable pour les pharmacologues, car une pharmacologie différente (désensibilisation contre désactivation) peut être escomptée de composés présentant une sélectivité pour les différents sous-types de récepteurs et une efficacité différente au niveau des récepteurs AMPA. Les cibles thérapeutiques actuelles sont la schizophrénie, la dépression et les troubles cognitifs dans la maladie d’Alzheimer. En facilitant la transmission glutamatergique et en favorisant la plasticité cérébrale, ces substances pourraient représenter un nouveau principe thérapeutique, si les essais cliniques s’avèrent positifs.

Conclusions

Certains dogmes insistaient sur le fait que l’activité des antidépresseurs était due à l’inhibition de la recapture des neurotransmetteurs monoaminergiques (sérotonine, noradrénaline). La Recherche Servier a cependant montré qu’un antidépresseur, la tianeptine, agit chez l’homme par l’intermédiaire d’autres mécanismes, ciblés sur les zones du cerveau à risque dans la dépression, mais dépourvus des effets secondaires classiquement associés aux inhibiteurs de recapture de la sérotonine. De plus, de nouveaux produits tels que les modulateurs allostériques positifs des récepteurs AMPA agissent sur la mémoire et la plasticité neuronale en partie via des effets neurotrophiques. De nouvelles générations de produits sont en évaluation préclinique et clinique, avec l’espoir d’agir directement sur les causes des maladies psychiatriques et neurologiques.