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Ce qui est maintenant devenu « L’affaire Hwang », car l’histoire de cette falsification est à présent une véritable affaire, va durablement secouer le monde de la recherche en biologie. Elle l’ébranlera certainement autant que la « mémoire de l’eau » ou la « fusion froide », en termes de polémique médiatico-scientifique, plus encore, très probablement, compte tenu de l’enjeu scientifique, médical, éthique et politique, ainsi que de la dimension de fraude qui apparaît hélas plus clairement chaque jour. Chacun de nous s’interroge sur le fait de savoir comment un tel scandale a pu survenir. C’est une chronique à suspense qui apparaît peu à peu comme un véritable roman noir. Sans mort d’homme pour l’instant : il y a un héros trouble et aujourd’hui déchu, démiurge et machiavélique ; il y a un pouvoir politique avide de résultats ; s’y ajoutent une équipe de journalistes d’investigation prêts à prendre de gros risques et de jeunes scientifiques qui pianotent sur Internet. C’est une fable high-tech, globalisée, en ligne, bref : moderne. Ne doutons pas qu’un film et des livres sauront nous restituer bientôt le grand frisson de ce que l’histoire retiendra peut-être comme le Cloningate comme ce fut le cas pour le scandale du Watergate.

Plus encore, il nous faut également comprendre pourquoi ce scandale est arrivé, c’est-à-dire les conditions, erreurs ou manipulations qui l’ont rendu possible. Il convient de savoir quelles en seront les retombées, en premier lieu pour les processus d’analyse et de relecture en matière de publication scientifique. Enfin nous devons envisager les conséquences de l’affaire pour l’avenir des recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines, toujours en attente - au moment où j’écris ces lignes - des décrets d’application permettant leur mise en oeuvre en France, 18 mois après le vote de la révision des lois de bioéthique du 6 août 2004. Mais le décret serait à la signature du Premier Ministre. Ce serait alors le sujet de notre prochaine chronique que nous baptiserions : enfin !

Commençons par un rappel des faits (Encadré 1). Dès la publication de l’article princeps de l’équipe de Hwang en 2004 [1], nous nous étions fait l’écho [2] des inquiétudes éthiques entourant les conditions d’obtention des ovules ayant servi à l’étude. Des pressions n’avaient-elles pas été exercées sur les donneuses ? Une rétribution existait-elle, illustrant le redoutable risque de « marchandisation » du corps de la femme ? Et ce sont finalement les recherches de réponses à ces questions qui ont conduit à la découverte des fraudes scientifiques et à la chute du demi-dieu vivant qu’était devenu Woo Suk Hwang. En effet, de l’article de 2004 à ceux de 2005 portant sur la production de 11 lignées de cellules souches embryonnaires humaines [3], et plus anecdotiquement le clonage, reproductif cette fois, d’un lévrier afghan, Hwang était devenu un héros des temps nouveaux. Héros national, porteur de l’image de la nouvelle Corée du Sud, sortie de l’ère de la dictature, sortie de la crise économique associée à la chute des conglomérats, échappant à la menace des armes nucléaires de son voisin du Nord…, mais aussi une figure internationale, mondialement adulée, Hwang étant élu Scientifique de l’année. Plus dure est la chute de celui qui apparaît aujourd’hui comme un mandarin mystificateur. Jusqu’au dernier moment, jusqu’à la présentation publique des conclusions de la commission d’enquête de l’université de Séoul le 12 janvier 2006, un public incrédule voulait encore croire à une erreur. Mais, à part le chien Snuppy ((→) m/s 2005, n° 11, p. 1002), réellement cloné, tout est fabrication et mensonge. Il nous est révélé aujourd’hui que Hwang allait jusqu’à accompagner lui-même à l’hôpital MizMedi les collaboratrices de son laboratoire qu’il avait convaincues de donner leurs ovules pour la science. Il y a encore quelques semaines, il présentait des excuses publiques contrites tout en affirmant avoir tout ignoré de l’origine des ovocytes utilisés !

De nombreuses questions sont maintenant posées. Comment une telle fraude a-t-elle été organisée, le secret conservé durant presque 2 ans ? Était-il possible de la démasquer plus rapidement ? Comme tous les grands illusionnistes, Hwang a su attirer l’attention du spectateur, fut-il scientifique, sur ce qui brille, le feu des caméras en l’occurrence, permettant dans l’ombre toutes les manipulations et certaines complicités. Comment s’organise le système de co-signature qui rend certains des auteurs totalement ignorants du contenu scientifique et des résultats de l’article ? Enfin, comment la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines va-t-elle se sortir, en termes d’image et de financement, de l’ouragan médiatique sulfureux dans lequel elle se trouve ?

Si l’enquête et les méthodes de révélation sont dignes des meilleurs romans noirs (Encadré 2), la science en tant que telle, ou les processus de publication avec revue par les pairs n’en sortent pas dramatiquement blessés. Depuis la publication de 2004, aucune autre équipe n’avait été capable de reproduire les résultats de Hwang et un tel état de fait n’aurait pu perdurer. Même si la communauté scientifique n’aime pas s’appesantir sur les résultats irreproductibles, ce ne serait ni la première fois ni la dernière qu’un article publié dans une revue prestigieuse resterait sans confirmation et sans suite. Ce qui ne veut pas dire sans les efforts de multiples équipes, des milliers d’heures perdues, et des millions d’Euros dépensés. Le cas des cellules souches mésenchymateuses adultes modulables à loisir, publiées dans Nature par Catherine Verfaillie et son équipe, est là pour attester de la fragilité d’un résultat s’il n’est obtenu que dans un seul laboratoire. Il apparaît à l’évidence, en matière de publication scientifique, que seule la réplication indépendante permet d’assurer la véracité des résultats obtenus. Il serait dès lors intéressant d’exiger des revues à fort facteur d’impact, qui vivent de « premières » et de scoops, qu’ils publient également les confirmations de ces avancées, sans les rejeter immédiatement comme « simple réplication de résultats déjà bien connus ». Une annexe au site Internet des revues pourrait permettre le « dépôt » de travaux confirmant ou infirmant ce qui a été publié, et un score viendrait renforcer ou éliminer progressivement le travail. Rêvons…

La revue Science, elle-même, plaide non coupable, son rédacteur en chef, Donald Kennedy, reconnaissant que le système de revue par les pairs est impuissant devant une fraude préparée avec tant d’art et de minutie [4]. De fait, il semble qu’une atmosphère de secret et d’adoration du chef, digne des meilleures traditions mandarinales, régnait au sein du laboratoire où Hwang contrôlait tout, de l’accès aux cellules, conservées dans une chambre forte, au choix des illustrations, en prenant soin de compartimenter ce que chacun pouvait et/ou devait savoir, lui seul ayant une vue d’ensemble [5]. L’analyse d’un article étant fondée sur la cohérence des résultats, la qualité de l’argumentation issue des données présentées et la confiance dans le fait que les résultats ont réellement été obtenus, la fraude est difficilement détectable. Surtout avec la co-signature d’autorités scientifiques prestigieuses, comme Gérald Schatten, dernier auteur de l’article de 2005.

La confiance entre collègues est l’une des bases de la démarche scientifique et de la publication. Depuis Karl Popper puis Kuhn, et plus près de nous Jean-Marc Levy-Leblond ou Bruno Latour, nous savons qu’un résultat scientifique n’est rien pris isolément et que la science avance dans un monde ouvert par une série de consensus successifs remis en cause par des faits nouveaux. Certes, les photos de l’article 2005 ont été dupliquées, ce qui a été une des preuves de la fraude, mais elles auraient pu ne pas l’être, et correspondre toutefois à la même lignée de cellules et à un « résultat » tout aussi malhonnête. Rien ne ressemble plus à une sphère de cellules souches qu’une autre. De même, sur les contrôles entre ADN des donneurs de cellules de peau et ADN des lignées produites, impossible de savoir à partir de l’article qu’il s’agissait deux fois de l’analyse des donneurs. Le fait que les revues comme Nature ou Science affectionnent particulièrement les scoops, qu’elles ne donnent que 8 jours à leurs trois relecteurs pour analyser un article, que le délai de publication de l’article de Hwang constitue une bonne performance - 58 jours depuis la date de réception, contre 81 jours en moyenne pour Science - paraît sans aucun lien avec une fraude délibérée et subtilement réalisée. La seule solution possible est la vérification indépendante, en cas de soupçon, ce qui avait été le cas pour authentifier la nature de clone de la brebis Dolly en 1998, et ce que proposaient huit spécialistes des cellules souches embryonnaires et du clonage dans une lettre ouverte publiée par Science le 13 décembre 2005 [6].

Beaucoup plus regrettable est la découverte du nombre de signatures « de complaisance » dans les deux articles incriminés, et le fait qu’aucun d’entre eux n’ait vérifié l’existence des lignées. On pouvait déjà s’étonner de voir un administrateur signer l’article de 2004, mais plus troublant encore semblait pour l’article de 2005 le rôle d’un scientifique aussi chevronné que Schatten, connu jusque là pour son opinion selon laquelle il serait impossible de cloner un primate. Ici encore ce n’est pas une première chez les vedettes de la science américaine. Rappelons pour mémoire, le cas de David Baltimore il y a quelques années, bien mal inspiré d’avoir co-signé un travail douteux avec Thereza Imanishi-Kari, auquel il n’avait scientifiquement pas contribué si ce n’est, grâce à la présence de son nom, par une aide à la publication dans une grande revue. Ce faux pas lui avait coûté la présidence de l’Université Rockefeller et conduit les NIH à créer un office pour l’intégrité scientifique, aujourd’hui un peu tombé dans l’oubli (et David Baltimore préside le Caltech). À l’initiative du Journal of the American Medical Association (JAMA), plusieurs journaux médicaux exigent maintenant des auteurs d’un article une description détaillée de leur contribution au travail présenté. Cette démarche ne garantit rien, mais augmente la responsabilité de chacun, et ajoute aux données permettant de juger de la cohérence d’un travail.

Quelles sont les conséquences désormais à craindre pour les recherches en ce domaine ? La première est que nous sommes revenus pour l’état scientifique de la question au moins deux ans en arrière. Le transfert d’un noyau extrait d’une cellule humaine adulte n’a jamais permis d’obtenir un blastocyste viable et moins encore une lignée de cellules souches embryonnaires humaines. Le clonage thérapeutique est une ligne d’horizon qui s’éloigne. Restent les équipes sérieuses qui travaillent sur le transfert nucléaire, les plus avancées semblant à ce jour le groupe de Murdoch et Stojkovic, à Newcasttle (Royaume-Uni), qui a publié en juillet 2005 dans la revue en ligne Reprod BiomedOnline la création d’un blastocyste à partir d’un noyau de cellule souche embryonnaire (mais ce blastocyste n’a pas permis de dériver de nouvelles cellules souches), et le groupe de Huizhen Sheng à l’Université médicale 2 de Shanghai qui a rapporté en 2003 la production de cellules souches après transfert d’un noyau humain adulte dans un ovocyte énucléé de lapin (expérience non reproduite dans un autre laboratoire, ou non publiée).

Plus grave est certainement la défiance qui résultera de cette affaire pour le public et pour les décideurs politiques. L’article de 2005, utilisant des noyaux de personnes adultes malades, avait pu faire naître des espoirs insensés chez des patients gravement atteints. Cette espérance est aujourd’hui déçue. De plus, ces travaux avaient fait progresser la réflexion des politiques, les perspectives thérapeutiques leur rendant plus acceptable l’idée de permettre aux scientifiques d’étudier les étapes les plus précoces du développement humain. Une proposition de loi autorisant le transfert nucléaire avait été déposée en France en octobre 2005 à l’Assemblée Nationale par le député Roger-Gérard Schwartzenberg, et plusieurs autres députés - de la majorité comme de l’opposition - souhaitaient une évolution de la législation vers plus d’ouverture à la science. Le même mouvement avait été amorcé aux États-Unis par Rudolph Jaenish offrant une solution technique permettant à un membre du comité de bioéthique du président Bush, William Hurlbut, de faire une proposition : le transfert nucléaire aurait été associé à l’extinction d’un gène essentiel à l’implantation, cdx2, interdisant ainsi toute possibilité de clonage reproductif et rendant éthiquement acceptable pour le public américain les travaux sur le transfert nucléaire [7, 8]. Il est à craindre que ces bonnes résolutions soient jetées aux oubliettes et qu’il faille plusieurs années avant de voir s’ouvrir à nouveau les esprits. Pire, dans un vaste amalgame, les recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines issues d’embryons produits par fécondation in vitro et n’ayant plus de projet parental, donc surnuméraires, pourraient aussi être affectées.

Un vaste mouvement de défiance frappe la science au regard du public. La recherche biomédicale n’y échappe pas. La médiatisation très exagérée de ses échecs, par exemple, il y a quelques mois la tempête sur le bilan des thérapies géniques, est à ce titre symptomatique. Il en est de même de la diminution du nombre d’étudiants inscrits dans les filières scientifiques. La société veut des résultats rapides, concrets, mesurables en pourcentage d’augmentation du produit intérieur brut. En parallèle, apparaissent, à une échelle jusqu’ici encore inconnue, des tendances à s’exonérer de la déontologie de la recherche. Certaines revues scientifiques, comme Nature récemment, se font à plaisir l’écho de ces dérives scientifiques, amalgamant hélas des pratiques frauduleuses, le choix d’un résultat soutenant l’hypothèse du chercheur parmi plusieurs autres contradictoires, heureusement très rares, avec de petits arrangements vis-à-vis de la réglementation parfois tatillonne de certaines expérimentations, qui pourraient atteindre au moins un tiers des scientifiques. Il y a une bonne dose d’hypocrisie à voir ces revues critiquer les pratiques qu’elles encouragent indirectement par leur mode de sélection des articles publiés. Dans un monde de la publication de plus en plus compétitif, où les revues à fort indice de citation exigent non seulement la nouveauté, mais également un ensemble lisse et parfaitement cohérent de données, obtenues avec les dernières techniques à la mode, et où la publication dans ces revues détermine les financements et donc l’avenir scientifique d’une équipe, il existe effectivement un risque de pente glissante. L’affaire Hwang est un cas isolé et exceptionnel de fraude, mais elle doit être pour tous un signal d’alarme rappelant que « tout ce qui brille n’est pas d’or » et que certains excès de la bibliométrie risquent de nous faire passer du « publish or perish » au « publish and perish ».

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Timbre coréen dédié à W.S. Hwang.

Timbre coréen dédié à W.S. Hwang.

Date d'émission : 12 février 2005. Tirage : 1,6 millions d'exemplaires (© Poste coréenne).

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