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L’espoir fausse les statistiques

Contrairement à un dogme répandu, le traitement hormonal substitutif (THS) instauré à la ménopause ne serait pas associé à une diminution du risque coronarien, mais, il y exposerait au contraire, voire le majorerait. C’est la conclusion d’études prospectives, effectuées par tirage au sort THS versus placebo, contredisant les études dites «d’observation». Ces différences sont souvent attribuées au fait que les études d’observation incluent des femmes qui ont choisi de prendre un THS et sont apparemment en meilleure santé que celles qui ne le prenaient pas. Cependant, N.F. Col et S.G.Pauker viennent de montrer les limites de telles interprétations en comparant l’étude Women’s Health Initiative (WHS, randomisée) et l’étude d’observation Nurses’ Health Study (NHS) [1]. En effet, dans ces deux études, les risques de cancer (augmenté pour le cancer mammaire, diminué pour le cancer colorectal) et d’accidents thromboemboliques sont les mêmes. Une différence en ce qui concerne les seuls accidents cardiovasculaires est donc peu explicable par un état de santé différent des deux groupes de patientes. Or, méthodologiquement, l’étude d’observation NHS ne prenait pas en compte les infarctus du myocarde silencieux. Étant donné la fréquence des symptômes ischémiques atypiques, il est possible que les femmes sous THS, se sentant mieux protégées contre le risque coronarien, n’aient pas prêté attention à une symptomatologie ischémique légère, ou se soient comportées différemment lors de la consultation. Une sous-évaluation du nombre dmyocardiques chez les sujets sous THS a pu en résulter; on peut aussi supposer que les médecins remplissant les certificats de décès, généralement avertis de la prise d’un THS, et influencés par un préjugé favorable à ce traitement, aient pu, en toute bonne foi, assigner la cause du décès à une autre maladie qu’à une maladie coronarienne. La combinaison de ces biais avec les diffé-rences socio-économiques, entre utilisatrices et non utilisatrices de THS, peut parfaitement expliquer l’évaluation différente du risque cardiovasculaire entre les études d’observation et les études prospectives. Ce sont donc vraisemblablement les espérances des sujets et des investigateurs qui ont modifié l’interprétation des résultats dans les études d’observation. Ainsi, le principe, bien connu en physique quantique, selon lequel le sujet et l’expérimentateur influencent les résultats d’une expérience se vérifie également en épidémiologie clinique !

Cellules souches embryonnaires: les surprises du fédéralisme américain

Le 4 janvier 2004, le gouverneur du New Jersey, ledémocrateJames McGreevey, a validé la loi votée par son Sénat en décembre 2003 (41 voix pour et 31 contre) autorisant les recherches sur les cellules souches embryonnaires issues d’embryons surnuméraires ne faisant plus l’objet d’un projet parental et après accord du couple [2]. Cette loi autorise également explicitement les recherches sur le transfert de noyau de cellules somatiques (le «clonage thérapeutique ») mais interdit le clonage reproductif. C’est le deuxième état américain, après la Californie, à adopter une telle législation. Il pourrait être prochainement rejoint par l’Illinois, puis par l’état de New York et celui du Massachusetts.

De la roche de Solutré au cercle polaire

Il est communément admis que le peuplement du Nouveau Monde s’est fait par le détroit de Béring. À l’époque des glaciations, le détroit, gelé, formait la Béringia, offrant un passage de la Sibérie à l’Alaska pour des hommes venant d’Asie, qui se sont ensuite dispersés à travers les Amériques. Toutefois, on ignore à quelle époque les premiers hommes sont arrivés sur le continent américain. Le site Clovis (Nouveau Mexique, USA) est considéré comme le plus ancien. Il recèle de nombreux vestiges: ossements de mammouths et pierres taillées (bifaces et racloirs) utilisées par les chasseurs de gros gibiers, prouvant que des hommes étaient présents vers 13 000 à 14 000 ans avant notre ère. Ces pierres, de forme lancéolées de 6 à 11 centimètres de longueur, ont été comparées à celles, plus anciennes, du site de Solutré (Saône-et-Loire, France), plus longues, en forme de feuille de saule, qui datent de 18000 ans. Bien que les conditions climatiques de l’Alaska en période de glaciation aient toujours semblé peu propices à la vie humaine, l’hypothèse d’un peuplement plus ancien n’a jamais été exclue. On sait que les êtres humains ont depuis longtemps été capables de vivre dans des conditions extrêmes. En Antarctique, les traces retrouvées tout le long du canal de Beagle attestent la présence d’Amérindiens pendant au moins 6 000 ans ((→) m/s 1997, n° 13, p.414). Or, récemment, des chercheurs russes ont découvert sur le site Yana, au bord de la rivière du même nom, en Sibérie arctique, une zone attestant la présence humaine à une époque beaucoup plus ancienne [3]. Sur la rive gauche de la rivière Yana, qui forme un estuaire avant de se jeter dans la mer de Laptev, les fouilles effectuées en 2001 ont mis à jour de nombreux ossements et des objets recouverts par une légère couche de sédiments remontant à environ 27000ans, d’après les datations au carbone 14. On y trouve des ossements de très nombreux animaux du pléistocène: mammouths, rhinocéros (disparus de l’Arctique depuis 14000 à 15000 ans), chevaux, loups, renards polaires et gloutons (mammifères carnivores de la famille des mustélidés à la démarche plantigrade), ainsi que des pierres taillées et des armes en ivoire (poinçons, alênes) sculptées dans des cornes de rhinocéros et des os. Les bifaces et les racloirs retrouvés ressemblent beaucoup à ceux du site Clovis, bien que 16000 ans et des milliers de kilomètres les séparent. On a donc à présent la certitude que des hommes ont vécu en Arctique pendant l’ère quaternaire dans des conditions plutôt hostiles. Reste à savoir s’ils ont traversé la Béringia et s’ils furent les premiers Amérindiens.

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Épisodes de marche spontanée chez des souris paraplégiques

En Europe et en Amérique du Nord, on compte plus de 500000 personnes atteintes de lésions de la moelle épinière et 25000 nouveaux cas sont enregistrés chaque année. Aucune thérapeutique efficace n’existe à ce jour qui puisse améliorer ou guérir ces patients. Des études récentes réalisées dans notre laboratoire chez des souris paraplégiques ont permis de découvrir que certains agonistes sérotoninergiques (5-HT) normalement utilisés comme anxiolytiques peuvent déclencher temporairement des mouvements de marche [4, 5]. En effet, l’injection intra-péritonéale d’agonistes 5-HT2A/2C tels que la quipazine déclenche pendant 1 à 2 heures des mouvements locomoteurs an niveau des pattes arrières de ces animaux (effet annulé par la cyproheptadine, un antagoniste 5-HT2) [4]. Des effets similaires ont été observés avec un agoniste 5-HT1A/7, le 8-OH-DPAT, en présence d’un antagoniste 5-HT1A, le WAY100,135. Toutefois, tous les agonistes n’ont pas cet effet positif. Ces études démontrent que certains agonistes 5-HT qui activent sélectivement les sous-récepteurs 5-HT2A et 5-HT7 peuvent déclencher des mouvements locomoteurs même en l’absence de signaux provenant du cerveau (paraplégie complète). L’utilisation de ces agonistes pourrait peut-être déclencher spontanément des épisodes de marche automatique et ainsi permettre une certaine rééducation chez des patients atteints de lésions médullaires, qui souffrent également des conséquences graves liées à l’inactivité physique chronique. La disponibilité d’un modèle murin de paraplégie aidera sans doute à comprendre, à l’échelle cellulaire et moléculaire, les conséquences à long terme des blessures spinales.

Notch et la cure de jouvence

C’est bien connu: « Avec le temps va tout s’en va… » et notamment les capacités régénératrices du muscle squelettique! La cellule satellite, considérée comme la cellule progénitrice du muscle, est capable, en cas de lésion, de participer à sa régénération. De nombreuses études avaient donc logiquement tenté de corréler cette diminution des capacités régénératrices du muscle à une réduction de la densité des cellules satellites, donnant lieu à des résultats des plus discordants. Une équipe californienne [6] démontre désormais que le nombre de cellules satellites ne décroît pas au cours du temps.

La voie de signalisation Notch, impliquée dans le contrôle de nombreux aspects du développement et de l’homéostasie, joue notamment un rôle dans l’activation des cellules satellites. L’équipe de T. Rando a étudié la cinétique d’expression au cours du temps de Notch1, de son ligand Delta1 et de son inhibiteur Numb. Si l’expression de ces trois gènes reste constante dans le muscle quiescent, quel que soit l’âge (expression à peine détectable de Delta1 et forte expression de Numb1), en revanche, après un traumatisme musculaire, seules les cellules satellites du muscle jeune voient l’expression de Delta1 augmenter et celle de Numb1 diminuer. Les auteurs ont alors introduit dans le muscle lésé jeune une protéine de fusion (jagged-Fc) dont le rôle inhibiteur de lde la voie notch avait déjà été démontré in vitro, entraînant une inhibition marquée de la régénération musculaire. A contrario, un anticorps agoniste de la voie a le pouvoir de redonner au muscle âgé la capacité de régénération d’un muscle jeune. Devant l’implication de cette voie dans de nombreux phénomènes physiologiques comme la différenciation pancréatique, l’hématopoïèse ou le développement immunitaire, on peut se demander si cette cure de jouvence se limitera au muscle squelettique… Voilà en tout cas un ingrédient bien indispensable dans l’élixir de Faust.

L’OR a un parfum unique…

Le système olfactif des mammifères est capable de reconnaître plusieurs milliers de molécules odorantes différentes. Les récepteurs olfactifs (OR) sont codés par une famille multigénique de plus de 1000 membres, et différents travaux suggèrent que chaque neurone olfactif exprime un seul OR codé par un seul allèle du gène sélectionné. Ce mode d’expression permet une représentation spatiale des odeurs depuis l’épithélium olfactif jusqu’au bulbe olfactif. Mais comment se fait une telle régulation? Des travaux récents de S. Serizawa et al. [7] montrent que, dans un neurone donné, l’expression d’une protéine OR induit un signal négatif réprimant l’expression de tout autre OR. En utilisant chez la souris la transgenèse de YAC contenant un complexe de gènes OR, cette équipe a identifié un élément en cis (région H) de 2 kb localisé 75 kb en amont du premier gène OR, dont la délétion abolit l’expression de tout OR présent dans le transgène. Par ailleurs, la délétion de la séquence codante du gène OR exprimé dans un neurone supprime l’effet de régulation négative et permet l’expression d’un autre gène OR. La protéine OR est directement responsable de cette régulation, puisque si un pseudogène est inclus dans le transgène, il n’y a pas de répression mais la coexpression d’un autre gène OR fonctionnel. Cependant, si le dogme «un neurone-un récepteur» semble bien établi, la façon dont le choix du gène OR exprimé s’effectue et dont l’expression des autres gènes est réprimée reste énigmatique. Un complexe activateur de la transcription pourrait se former dans la région H, interagissant ensuite avec le promoteur spécifique du gène OR choisi, expliquant ainsi l’éloignement de la région H dans le complexe. Ce modèle reprend celui qui avait été proposé par A. Chess et al [8]. Les auteurs suggèrent qu’un mécanisme d’exclusion allélique similaire à celui qui caractérise le système immunitaire interviendrait, dans lequel un signal inhibiteur serait induit via la famille des protéines à activité tyrosine kinase Syk. En résumé, la règle «un récepteur-un neurone» du système olfactif des mammifères semble résulter de deux événements séquentiels: (1) l’activation stochastique d’un gène OR; et (2) la régulation négative des autres gènes OR par le produit du gène exprimé.

… et les spermatozoïdes ont du nez !

On sait depuis 1992-1993 qu’en dehors de l’épithélium olfactif, un certain nombre d’OR sont également exprimés dans les spermatozoïdes (spz) au cours de leur maturation et dans les spz matures ((→) m/s 1994, n°11, p.1136). Ces OR pourraient intervenir dans le chimiotactisme et/ou la régulation de la motilité des spz, attirés par des chimioattractants libérés par l’ovule. Un travail récent de M. Spehr et al. [9] montre que deux des gènes du groupe 17p13.3 sont exprimés dans le testicule, et concentre son étude sur le gène hOR17-4 dont l’expression testiculaire n’avait pas été démontrée. La caractérisation des ligands spécifiques de ce récepteur est effectuée par imagerie calcique (utilisation du colorant radiofluorométrique Fura-2 se liant au calcium) et permet d’identifier des molécules de la famille du cyclamal (groupe aldéhyde lié à un noyau aromatique par une chaîne de 2 à 4carbones), le bourgeonal étant le plus spécifique. Des antagonistes du bourgeonal - dont l’undecanal - sont aussi caractérisés. Ces résultats sont ensuite confirmés dans les spz: le bourgeonal induit une réponse dans 36% des spz étudiés, réponse dépendante du calcium extracellulaire et bloquée par l’undecanal. L’implication du récepteur dans la migration chimiotactique des spz est ensuite démontrée: les spz migrent et s’accumulent à l’endroit de la concentration maximale de bourgeonal lorsqu’ils sont exposés à des gradients croissants de cette molécule. Par analyse vidéo, les auteurs montrent également que le bourgeonal influe sur la vitesse de «natation» (chimiokinèse) des spz. Le bourgeonal a donc une activité de chimioattraction et de stimulant de la vitesse de progression des spz qui expriment hOR17-4. La signalisation induite par hOR17-4 serait donc le moteur de la communication chimique entre les spz et l’ovule; ce système pourrait-il être utilisé pour manipuler la fertilisation et, par voie de conséquence, la contraception et la procréation, hypothèse déjà émise il y a 10 ans? Différentes interrogations subsistent: (1) on ne sait pas si un spz exprime un seul OR, ou tout ou partie du répertoire spécifique des spz?; (2) par ailleurs, les ligands naturels relargués par le tractus génital femelle et/ou par l’ovule pour établir un gradient de chimioattractants ne sont pas encore identifiés.

Sommes-nous préparés à l’émergence d’une pandémie de grippe?

Malgré l’apparition ces dernières années de nouvelles maladies infectieuses (SRAS, virus Ebola…), la grippe, si elle n’est pas nouvelle, reste un problème majeur. Au cours de l’année 2003, deux souches de virus aviaire, H5N1 et H7N7, ont franchi la barrière d’espèce et se sont avérées létales. Un centre international, incluant plus de 100 laboratoires, a été créé en 2001 par l’OMS, avec pour missions de surveiller, identifier les souches, préparer les vaccins, et réagir avec célérité en cas de pandémie, toujours imprévisible du fait de l’évolution permanente du virus à l’interface homme-espèces animales. Un article paru récemment dans Science fait le point sur ce que l’on sait actuellement des différentes souches virales [10]. Les premières évaluations ont identifié dans les virus de grippe A les sous-types H2, H5, H6, H7 et H9 comme étant les plus transmissibles à l’homme. Ces souches sont définies par deux glycoprotéines de surface, l’hémagglutinine (H) et la neuraminidase (N). Les recherches à partir de sérums archivés montrent que, jusqu’à récemment, seules H1, H2 et H3 ont été transmises à l’espèce humaine. H1 et H3, les plus fréquentes, semblent être sur leur déclin. La souche H2, en revanche, a été en 1957 à l’origine dépidémie asiatique; toujours présente dans des espèces animales, elle pourrait être à l’origine d’une nouvelle contagion, aucun sujet de moins de 30 ans n’étant immunisé contre elle. La souche H5N1 est apparue en 1997; alors qu’on la croyait spécifique des espèces aviaires (canard, oie, caille…), elle a été en 2003 responsable de plusieurs cas de grippe, dont un létal, à Hong Kong, et résiste aux essais de désinfection. La souche H7N7, dont les oiseaux aquatiques sont le réservoir, s’est ensuite transmise à la volaille de ferme. Elle est à l’origine d’une épizootie en Hollande, puis de conjonctivites parmi le personnel et d’un cas humain mortel. Les deux derniers sous-types, H6 et H9, sont a priori moins virulents. Ils sont cependant préoccupants, car ils ont depuis 10 ans envahi des animaux de ferme, et acquis par évolution une spécificité de récepteur de type humain. L’ensemble de ces données montre la gravité du défi posé. Les techniques vaccinales, souvent encore en développement, permettront-elles d’avoir en temps voulu les quantités nécessaires d’un vaccin spécifique si une pandémie grippale se déclarait?

Qui dort pense

Il n’est pas rare qu’une question restée sans réponse la veille au soir trouve une solution lumineuse après une bonne nuit de sommeil. L’existence de cette vision intérieure, claire et immédiate - qu’on pourrrait qualifier de clairvoyance - vient d’être validée expérimentalement dans un protocole psychologique relativement simple [11]. Les auteurs ont mis au point un test de logique dans lequel les sujets devaient appliquer deux règles élémentaires sur une série de chiffres. Cependant, à l’insu des sujets, une troisième règle était cachée dans le test: les trois dernières réponses étaient identiques aux trois premières. Ainsi, la découverte de cette règle cachée devait accélérer la résolution de la réponse finale. Chacun des participants subit une période d’entraînement (trois essais), puis huit heures après, le test proprement dit (dix essais successifs). Pendant les huit heures d’interruption, période diurne ou nocturne, les sujets restaient éveillés ou pouvaient dormir. Cinquante-neuf pour cent des sujets ayant dormi ont découvert la règle cachée, contre seulement 23% des sujets restés éveillés. Les auteurs ont éliminé l’influence de la fatigue chez ces derniers. L’apprentissage procédural et le sommeil n’expliquaient pas à eux seuls les différences observées; en effet, des sujets ayant dormi et effectuant les 13 essais successifs sans l’interruption de huit heures n’étaient pas plus performants. Par ailleurs, dans le groupe des dormeurs, le délai entre les réponses au test diminuait plus rapidement chez les 60% de sujets ayant découvert la règle cachée. Il semble donc que des représentations mentales puissent être réorganisées pendant le sommeil, à la suite d’un apprentissage. Curieusement, les auteurs n’ont pas tenté de relier les différents états de sommeil et les modifications de l’activité mentale. On aimerait savoir si l’architecture du sommeil était la même chez les 40% de sujets ayant dormi et n’ayant pas trouvé la règle cachée et chez les 60% qui l’avaient trouvée. Quoi qu’il en soit, il est tentant de spéculer, comme le font les auteurs, que le sommeil agit en réactivant les circuits hippocampiques-corticaux, renforçant la trace mnésique comme la réorganisation des informations, et conduisant en cela à cette perspicacité accrue. Shakespeare en bénéficiait-il lorsqu’il écrivit: «We are such stuff as dreams are made on, and our little life is rounded with a sleep»?

Une vie sans sel…

Nous ingérons chaque jour entre 9 et 12 g de sel, comme dans beaucoup d’autres pays. Compte tenu de l’importance de l’apport alimentaire de sel dans la régulation de la pression artérielle, les recommandations de l’Organisation mondiale de la Santé et des agences gouvernementales spécialisées, en France comme à l’étranger, visant à diminuer le sel ingéré jusqu’à 5-6 g/jour ne sont pas étonnantes. Est-il utile d’aller plus loin? F.J. He et al. [12] répondent par l’affirmative en se fondant sur les résultats d’une méta-analyse incluant 734 sujets hypertendus et 2220sujets normaux, dont la consommation en sel fut réduite, respectivement, de 5,1 et 4,8 g/jour en moyenne. Il existe dans les deux groupes une relation linéaire positive (p < 0,001) entre réduction du sel consommé et chute de la pression artérielle systolique et diastolique. Lorsque tous les sujets sont groupés, on constate qu’à des diminutions de 3, 6 et 9 g de sel/jour correspondent des chutes de pression artérielle (systolique/diastolique) de 2,5/1,4, 5,0/2,8 et 7,5/4,2 mmHg. Ce travail a été complété par l’étude de la relation entre pression artérielle et ingestion quotidienne de sel à partir des données de deux études antérieures examinant les effets de trois niveaux de consommation de sel sur la pression artérielle. Il apparaît clairement qu’entre 2,9 et 11,2 g de sel consommé quotidiennement, plus la consommation de sel est basse, plus les valeurs de pression artérielle le sont aussi, à la fois chez les hypertendus et chez les sujets normaux. Même si ces réductions de pression artérielle semblent faibles en valeur absolue, on peut prévoir qu’elles diminueraient l’incidence des accidents coronariens et vasculaires cérébraux, respectivement, de 20500 et 31400 par an au Royaume-Uni. Ainsi, les réductions de la consommation de sel programmées actuellement, bien que très bénéfiques, seraient insuffisantes, l’objectif à atteindre étant une consommation de 3 g de sel/jour. Descendre plus bas semble impossible à l’heure actuelle dans nos sociétés.

… et sans « stress oxydatif »

Le stress oxydatif dépend de l’équilibre entre production et destruction des formes actives de l’oxygène (FAO) dont on connaît l’implication dans l’inflammation et la fibrose tissulaires, et plus généralement dans le vieillissement. Or, C. Kitiyakara et al. [13] démontrent que, chez des rats soumis à un régime riche, normal ou pauvre en sodium, le sel accroît la formation d’anions superoxydes. L’excrétion urinaire des produits de l’oxydation des lipides est augmentée par le régime riche en sel, mais elle est également plus forte lors d’un régime normosodé comparé à un régime pauvre en sel. L’activité de la NAD(P)H oxydase, enzyme essentielle dans la production de l’anion superoxyde, est accrue dans le cortex rénal des rats ingérant un régime riche en sel. Les transcrits codant pour les deux sous-unités de cette enzyme, gp91phox et p47phox, dans le cortex rénal de ces rats sont plus élevés. À l’inverse, ceux des deux formes de la superoxyde dismutase (SOD) - l’enzyme cytosolique (CuZn-SOD) et l’enzyme mitochondriale (Mn-SOD), qui catabolise l’anion superoxyde - sont plus bas. Ainsi, malgré la mise au repos du système rénine-angiotensine qui supprime l’effet stimulateur de l’angiotensine II sur la production d’anions superoxydes, le stress oxydatif est augmenté par l’excès de sel. Décidément, ne me passez pas le sel…

Invalidation des cyclines E: plutôt prévenir que guérir

Chez les mammifères, dans la grande famille des cyclines et des kinases qui en dépendent (cdk), on attribue aux cyclines E, associées à CDK2, la responsabilité de l’entrée en phase S. En invalidant simultanément chez la souris les deux membres, E1 et E2, de la famille des cyclines E, Y. Geng et al. bousculent quelques certitudes que nous avions dans ce domaine [14]. En effet, ni le développement embryonnaire des souris, ni la progression des cellules mutantes dans le cycle cellulaire ne sont affectés par la double invalidation des gènes E1 et E2. Plusieurs anomalies sont cependant détectables, en particulier sur des cellules dont le développement implique plusieurs cycles d’endoréplication (réplication sans division cellulaire) comme les trophoblastes du placenta, dont le contenu en ADN, de 1000n dans un placenta normal, est inférieur à 100n chez les souris mutantes. On observe également des anomalies de la spermatogenèse chez les souris mâles invalidées pour E2 ou pour E1 et E2 (mais pas pour E1 seule). Enfin, les embryons mutants présentent des malformations cardiaques qui suggèrent étonnamment un rôle spécifique des cyclines E dans le développement de cet organe. La fonction moléculaire des cyclines E dans le cycle cellulaire est remarquablement disséquée dans des fibroblastes en culture dérivés des embryons mutants. Aucun des rôles attribués à ce jour aux cyclines E, phosphorylation de la protéine du rétinoblastome, induction des cy-clines A et dégradation de p27, un inhibiteur des cdk, ne leur sont exclusifs, tous ces événements se produisant normalement dans les cellules mutantes, sans doute du fait de la redondance fonctionnelle avec d’autres cyclines. En revanche, les fibroblastes mutants sont incapables de ressortir de la phase G0 du cycle cellulaire après déplétion en sérum ou inhibition de contact, résultat du rôle non redondant des cyclines E dans l’établissement des complexes pré-réplicatifs aux origines de réplication, étape indispensable à la transition en G1. Ces résultats, qui montrent que la progression continue dans le cycle cellulaire peut être totalement indépendante des cyclines E, remettent en cause les stratégies anti-tumorales ayant pour cibles les complexes cyclines E/CDK2. En revanche, l’observation connexe que l’absence de cycline E rend les fibroblastes en culture totalement résistants à la transformation par des oncogènes suggère que les stratégies thérapeutiques anticancéreuses qui visent les cyclines E pourraient s’avérer plus préventives que curatives…

Course de vitesse avec le méningocoque

Tout médecin a la hantise de la survenue d’un choc septique au cours d’une maladie infectieuse à germes Gram-négatif. C’est la défaillance myocardique qui fait la gravité de ce syndrome très brutal et on l’attribue depuis quelque trente ans à un hypothétique facteur de «dépression myocardique », resté jusqu’à maintenant bien mystérieux. Une équipe londonienne croit avoir identifié le coupable: il s’agirait de l’interleukine-6 (IL-6), du moins dans le choc septique que l’on redoute tant chez les enfants atteints de méningite à méningocoque [15]. L’approche expérimentale est astucieuse : elle consiste à incuber du sang total ou des cellules mononucléées de donneurs sains avec 108 méningocoques du groupe B, type MC58; des prélèvements itératifs de plasma ou de surnageant de culture sont faits de 0 à 24heures, l’ARN est extrait, rétrotranscrit en ADNc et hybridé sur puces à ADN (contenant 18 000 gènes humains); sur les 174gènes dont l’expression variait très précocement (3heures) en réponse à l’exposition cellulaire au méningocoque (par rapport à un témoin), cinq codaient pour une protéine diminuant la contraction de myocytes de rat: les IL-1α, -1β, -6, l’IFNγ∈et le TNF-α. Parmi toutes ces cytokines testées sous forme recombinante, seule l’IL-6 induit une défaillance de contractilité des myocytes en tout point comparable à l’activité observée dans le sérum des patients et dans le surnageant des lcucocytes incubés avec le méningocoque. La disparition de l’action inotrope négative du sérum des patients et du surnageant des cultures après immunoadsorption de l’IL-6 confirmait le rôle direct de cette cytokine. La corrélation significative (r = 0,6) entre le taux d’IL-6 circulante et la sévérité de l’atteinte myocardique chez 140patients atteints de méningite sévère était un autre argument de poids. Curieusement, même si l’IL-6 est un médiateur classique de l’inflammation, on aurait plus volontiers incriminé le TNF-α∈ou l’IL-1 dans la pathogénie de la défaillance myocardique. On ne voit pas maintenant ce qui pourrait s’opposer à des tentatives thérapeutiques de blocage de l’IL-6 chez les patients ayant une atteinte méningococcique menaçante.

La douceur, source de longévité

L’animosité est un ensemble de sentiments groupant la méfiance, l’agressivité et la colère. Les hommes qui en font preuve de manière habituelle ont un risque élevé de mourir d’accident cardiovasculaire. C’est ce que viennent de montrer K.A. Matthews et al. à partir de données issues d’un essai d’évaluation des facteurs de risque de ce type d’accidents, le Multiple Risk Factor Intervention Trial. Les habitudes comportementales d’environ un quart des 3110 sujets, exclusivement des hommes, participant à cette étude ont été testées au départ au cours d’un entretien ouvert avec un psychologue et notées selon une grille préétablie. Ces sujets furent suivis durant la période de l’essai (7,1ans) prolongée d’ une période de surveillance (8,9 ans). Au cours de ce laps de temps, 259 d’entre eux moururent d’accident cardiovasculaire. Chacun des sujets décédés fut apparié au hasard avec un sujet toujours vivant, de même âge, race, site d’étude et ayant été testé par la même personne. Les autres facteurs de risque considérés furent la pression artérielle diastolique à l’entrée dans l’étude, la concentration sérique de cholestérol, la consommation de tabac et la survenue d’un accident cardiovasculaire non létal. L’analyse statistique a montré que les sujets faisant souvent preuve d’animosité habituelle ont un plus grand risque de mort par accident cardiovasculaire que les témoins (x 1,6) indépendamment des autres facteurs de risque. On doit noter aussi que ces mêmes sujets, lorsqu’ils ont eu un accident non létal durant la période d’essai sont décédés d’accident cardiovasculaire au cours de la période de surveillance plus fréquemment que les sujets considérés comme conviviaux. En pratique, ce travail incite à informer les hommes coléreux des risques pris et à leur conseiller, outre une hygiène de vie associant exercice physique, régime approprié et abstinence du tabac, de chercher à devenir « zen » ! L’étude ne dit pas ce qu’il en est des femmes.

Prédire l’extinction d’une espèce ?

Le dodo, oiseau de la taille d’un dindon, a certainement disparu de l’île Maurice, mais quand ? Faut-il incriminer sa stupidité, ou le fait que l’homme ait troublé son écologie ? La dernière observation certaine date de 1662, une autre, plus aléatoire, de 1974. Il est évident, cependant, que la dernière vision est forcément antérieure à l’extinction elle-même. Peut-on dater celle-ci ? Un travail récent cherche à évaluer cette date en appliquant une méthode statistique (la distribution de Weibull) à la série linéaire des dix dernières apparitions, échelonnées en se raréfiant entre 1598 et 1662 [17]. La date d’extinction se situerait vers 1690 (entre 1669 et 1797, intervalle de confiance 0,95). La même méthode serait-elle applicable à l’observation d’autres espèces ? Le problème est quelquefois facilement résolu. Aux îles Hawaï un variant d’oiseau coloré et musicien existait à la fin du xixe siècle, et avait disparu en 1923 sous l’effet conjugué des lapins et des orages. On peut se demander si la disparition des gros animaux du genre dinosaure a été due à l’apparition de l’homme, à l’impact d’un astéroïde ou à un changement de climat. Une autre application, plus valable, vient cependant à l’esprit, c’est l’observation des espèces dites «menacées», 10 % ou même plus [18]. La documentation est meilleure en ce qui concerne les oiseaux, dont deux espèces semblent en danger à Hawaï: le nukupu’u qui n’a été vu que sporadiquement ces dernières décennies, et l’akiaola que personne n’a vu depuis 50 ans. Le travail de D.L. Roberts et A.R. Solow permettra-il de convertir des observations en prédictions, et d’analyser des causes, environnementales ou humaines, d’extinction ?

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Le dodo femelle.

Le dodo femelle.

(d’après un croquis du xviie siècle)

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