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La tuberculose pulmonaire (TP), due à l’infection par Mycobacterium tuberculosis (MT), est, avec le Sida et le paludisme, une des trois pathologies infectieuses majeures qui sévissent à l’état pandémique. En effet, plus de 8 millions de cas nouveaux et aux alentours de deux millions de décès sont recensés annuellement [1, 2]. Les études épidémiologiques ont montré, cependant, que tous les individus ne sont pas infectés, 20 % environ gardant une réaction négative à la tuberculine, d’où l’hypothèse d’une résistance naturelle. Cette réponse immunitaire naturelle à l’infection par MT fait intervenir de multiples mécanismes pouvant aboutir à l’induction d’une réponse spécifique. On sait, par ailleurs, que parmi les individus exposés, même en régions de forte endémie, seuls 10 % feront une tuberculose active, ce qui permettrait de distinguer la susceptibilité à l’infection de sa progression vers une maladie. Parmi ceux qui évoluent vers un état pathologique, il s’agira dans la moitié des cas, de tuberculose primaire progressive alors que, pour les autres, ce sera plutôt une réactivation ou une tuberculose post-primaire qui survient à un âge plus avancé. De nombreuses observations ont suggéré une prédisposition familiale à la maladie, et, sans doute, l’existence d’une composante génétique [3, 4].

Le contrôle de l’infection chez les individus résistants requiert la mise en place d’une réponse immunitaire cellulaire spécifique de type Th1. Ce type de réponse nécessite la présence au site infectieux de cellules spécialisées (macrophages alvéolaires, lymphocytes T CD4+, CD8+ et γδ), de cytokines pro-inflammatoires (IL-12, IL-18 et TNF-α) ainsi que de chimiokines (RANTES, MIP-1α, IL-8 et MCP-1), dont l’action sur la migration des différentes sous-populations cellulaires au niveau du site est déterminante pour la formation du granulome [5]. Il est admis, en ce qui concerne cette dernière catégorie, que MCP-1 (monocyte chemoattractant protéine-1), un puissant « chimio-attractant » des monocytes et des lymphocytes T, occupe une place prépondérante dans la défense anti-mycobactérienne [6].

Une recherche pluricentrique récente a été menée d’abord sur une population mexicaine, puis confirmée sur une série coréenne [7]. Dans l’exploration des sujets mexicains, les auteurs ont étudié 445 patients récemment infectés qu’ils ont comparés à 518 témoins sains, dont 334 étaient positifs à l’intradermoréaction à la tuberculine (IDR+) et 176 négatifs (IDR-). Des signes radiologiques de tuberculose pulmonaire étaient retrouvés chez les 445 malades. Cette étude a montré qu’un polymorphisme fréquent du promoteur du gène MCP-1, en l’occurrence la mutation -2518 A->G, était un facteur de risque hautement associé au passage de la forme latente à la forme active de la TP (p = 0,00001). La population mexicaine qui a fait l’objet de cette étude est une population panmictique, composée pour l’essentiel de Mestizos, du district fédéral de Mexico, qui sont sur le plan ethnique issus d’un mélange entre Hispaniques, Amérindiens et Noirs africains. En étudiant la distribution de plusieurs SNP (single nucleotide polymorphism) localisés sur le chromosome 17 (17q11.2), région déjà identifiée comme associé à la susceptibilité à la TP [8], les auteurs ont montré que les patients porteurs de l’allèle -2518 G en simple dose avaient 2,3 fois plus de risque de développer une tuberculose active, alors que pour les homozygotes GG le risque était 5,4 fois plus important. Ces données montraient donc un effet dose du polymorphisme A-2518G sur la susceptibilité à la TP. La validité des résultats obtenus sur cette population mexicaine était confortée par le fait que d’autres SNP, non liés à la maladie, étaient observés en équilibre de Hardy-Weinberg.

Dans une seconde étape, ces résultats ont été confirmés dans une population coréenne (malades/témoins : 129/162), ethniquement différente et plus homogène, issue de Mongols et d’Asiatiques du Nord. Dans ce cas, le risque était 2,8 et 6,9 fois plus important chez les individus AG et GG respectivement, confirmant ainsi, et même renforçant les données obtenues au Mexique. Le choix judicieux des catégories de témoins sains (IDR+ et IDR-) a permis de préciser que le variant G est significativement associé au passage de l’état de primo-infection (latent) à l’état de tuberculose active et non à la susceptibilité intrinsèque d’être infecté par la bactérie.

Les résultats obtenus apparaissent en désaccord avec ceux d’une étude précédente, effectuée au Brésil, où le variant MCP-1 semblait n’avoir aucun effet sur la susceptibilité à la tuberculose pulmonaire [8]. Cette discordance est probablement liée au choix des populations témoins de la première étude (utilisation de pseudo-témoins familiaux) qui fait perdre de sa puissance au calcul statistique. Elle pourrait être due aussi à un terrain génétique différent. Cette dernière hypothèse paraît, cependant, moins probable, étant donné que les résultats obtenus au Mexique ont été confirmés sur une seconde population génétiquement différente.

Ayant constaté que le taux de MCP-1 était plus élevé chez les patients tuberculeux que chez les témoins IDR+ et IDR- (p = 0,00001) (Figure 1A), les auteurs ont recherché une corrélation avec l’allèle G. Cette corrélation est extrêmement nette, le taux le plus élevé étant observé chez les sujets porteurs du génotype GG (Figure 1B). Cette augmentation va de pair avec la diminution du taux d’IL-12p40 circulante, un composant nécessaire à l’expression de l’IL-12 (Figure 1B). Cette corrélation négative, hautement significative (p = 0,00001) suggère que la surproduction de MCP-1 exerce une régulation négative sur l’expression de l’IL-12p40 et donc de l’IL-12.

Figure 1

A. Comparaison des taux de MCP-1 et d’IL-12p40 chez les patients tuberculeux et chez les témoins sains (IDR+ et IDR-). Les patients montrent un taux significativement plus élevé de MCP-1 (p=0,00001). B. Analyse des taux de MCP-1 et d’IL-12p40 en fonction du génotype des patients (MCP-1-2518 AA, AG, GG). Il existe une corrélation hautement significative avec l’allèle G. Le taux le plus élevé de MCP-1 étant observé chez les sujets porteurs du génotype GG. Cette augmentation va de pair avec la diminution du taux d’IL-12p40 circulante (p=0,00001) chez les mêmes patients.

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Les auteurs ont aussi procédé à une vérification expérimentale. Ils ont montré que la stimulation de monocytes de porteurs sains (IDR+) et de génotype GG aboutit aux mêmes profils d’expression du tandem MCP-1/IL-12p40. De plus, l’utilisation d’anticorps anti-MCP-1 libère la production d’IL-12 dans le surnageant de culture de monocytes GG, alors que l’addition de MCP-1 dans le milieu de culture de monocytes AA, induit cette fois une diminution de production d’IL-12p40. L’ensemble de ces résultats suggère qu’un taux de MCP-1 au-dessus d’un certain niveau exercerait un effet de rétrocontrôle négatif sur la synthèse d’IL-12, ce qui aurait pour effet de déréguler la réponse de la voie Th1.

Il est sûrement intéressant de noter que si ce génotype paraît agir sur la progression de l’infection, il ne semble pas augmenter la susceptibilité à la mycobactérie, permettant ainsi de distinguer les deux processus. Cet effet ayant été retrouvé dans deux populations totalement indépendantes démontre bien l’existence d’une composante génétique dans le développement de la maladie. On ne peut pas, cependant, écarter totalement l’existence de variantes entre diverses populations. Le rôle pivot joué par IL-12 dans la résistance aux pathogènes intracellulaires, dont M. tuberculosis, plaide en faveur du mécanisme MCP-1/IL-12. Cependant, au vu de sa fréquence élevée dans la population générale, il paraît peu probable que le variant A2518G soit le seul déterminant génétique de la susceptibilité à la tuberculose, mais il est indéniablement un des plus fortement associé.