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Santé mentale : malaise dans l’évaluationRemarques pour améliorer la politique de l’expertise en santé publiqueMental health: discontent in the evaluationRemarks to improve the policy of the expertise in public health[Notice]

  • Alain Ehrenberg

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  • Alain Ehrenberg
    CESAMES,
    Centre de Recherches Psychotropes, Santé Mentale, Société,
    UMR 8136 CNRS-Université René Descartes-Paris 5,
    Inserm U611,
    45, rue des Saints-Pères,
    75270 Paris Cedex 06,
    France.
    ehren@ehess.fr

Ce texte est publié conjointement par les revues médecine/sciences et Esprit.

En septembre 2005, le service d’expertise collective de l’Inserm publie un rapport préparé à la demande de la CANAM (Caisse nationale d’assurance-maladie des professions indépendantes) sur Les troubles des conduites chez l’enfant et l’adolescent [1]. Ce rapport complète une expertise faite en 2002 sur les troubles de l’enfant et de l’adolescent, mais qui n’avait pas inclus ce syndrome. Aussitôt publié, il déclenche un séisme polémique au moins aussi virulent que celui provoqué par l’évaluation des psychothérapies paru en 2004, dans le contexte d’une réforme des professions de psychothérapeute et de l’établissement d’un statut juridique pour exercer [2, 3]. Ces deux rapports ont des objets différents (l’efficacité des psychothérapies, d’une part, un trouble touchant entre 3 et 9 % des 13-18 ans, d’autre part), mais les polémiques se situent sur un même registre, celui d’une guerre qui a explosé depuis quelques années entre les approches dynamiques inspirées par la psychanalyse, qui défendent une conception du sujet humain socialisé et parlant, et les thérapies comportementalo-cognitivistes, qui défendent une conception du sujet naturel et cérébral. Cela veut dire que les manières de considérer les pathologies, leurs causes, leurs indications de traitements, l’évaluation de la façon dont un patient va mieux sont différentes. Disons tout de suite qu’il est des plus difficiles de sortir de la querelle parce que la psychiatrie avive à un point inégalé une tension qui existe dans tous les domaines pathologiques entre une perspective holiste ou globale et une perspective physiopathologique ou réductionniste (en un sens neutre) [4, 5]. Il est néanmoins possible de clarifier le débat en précisant en quoi consiste cette expertise en santé mentale et ce qu’elle devrait être. Après avoir rapidement passé en revue la teneur de la polémique, je proposerai un abord différent de l’analyse produite par l’Inserm, car au-delà des excès en tout genre, elle suscite un malaise dont il convient de rendre compte en le rendant explicite. Il faut aussi préciser que j’interviens dans ce débat à deux titres : en tant que sociologue dont l’expertise scientifique consiste à clarifier les choix qui s’offrent en termes sociaux pour décider entre ce qui est préférable et ce qui l’est moins ; en tant que directeur d’une unité de recherche en sciences sociales associée à l’Inserm (ainsi qu’au CNRS et à l’université Paris 5) et spécialisée dans les questions de santé mentale. Le lecteur doit noter que nous n’avons pas été consultés sur la façon dont on pourrait ou devrait poser les problèmes en fonction d’objectifs qui auraient dû être clarifiés. Les sciences sociales sont-elles une cerise sur le gâteau de la recherche en santé publique ? Les réactions à la publication sont immédiates. « L’Inserm sème le trouble », écrivent quatre pédopsychiatres dans Le Monde début octobre 2005 [6]. « Un monde d’apocalypse a envahi le courrier adressé au Nouvel Observateur depuis la parution » de ce dernier rapport, poursuit l’hebdomadaire trois semaines plus tard [7]. Une pétition (pas de zéro de conduite pour les enfants), lancée à la fin de l’année 2005 et qui a réuni en mars 2006 plus de 100 000 signatures, s’insurge à la fois contre la méthode du rapport et ses recommandations : « Les enfants dépistés seraient soumis à une batterie de tests élaborés sur la base des théories neuropsychologie comportementaliste qui permettent de repérer toute déviance. À une norme établie selon les critères de la littérature scientifique anglo-saxonne. Avec une telle approche déterministe et suivant un principe de linéarité, le moindre geste, les premières bêtises d’enfants risquent d’être interprétées comme l’expression d’une personnalité pathologique qu’il conviendrait de neutraliser au plus vite ». Une lettre ouverte a été …

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