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Les droits de l’enfant ont été, dès l’origine, un volet de la Déclaration des Droits de l’Homme. Après différentes étapes, une convention de Nations Unies (CRC, Convention of the Rights of the Child) définissait, en novembre 1989, ces droits avec application prévue pour septembre 1990. La CRC a été ratifiée par plus de pays qu‘aucun autre texte concernant les droits de l’Homme (on peut, cependant, signaler l’abstention de la Somalie et des États-Unis). Elle incluait tous les droits de base de l’enfant de moins de 18 ans : droit de vivre, d’avoir un nom et une identité, de grandir dans une famille, de ne pas être exploité, d’être consulté en ce qui le concerne [1], d’avoir une vie privée… Cinquante ans après les premières déclarations, six ans après la CRC, il faut constater que ces droits élémentaires sont loin d’être respectés, bien que la mesure exacte selon laquelle la convention a été appliquée soit parfois difficile à évaluer. Les données de l’Unicef en 2004 sont, à cet égard, impressionnantes. Quelques problèmes sont particulièrement dramatiques tels que : le travail des enfants, leur implication dans des conflits armés ; les conséquences, dans certains pays, provoquées par le Sida à l’état endémique ; enfin, de grandes catastrophes naturelles. Dans un premier temps, les données accessibles concernant ces problèmes majeurs à l’échelle mondiale seront évoquées. Une évaluation, au moins partielle a été menée plus récemment par un groupe de l’Unicef (Unicef Innocenti Research Centre) dans 62 pays, qui permet d’ajouter aux chiffres globaux des valeurs récentes et des exemples précis de la façon dont la Convention a fait l’objet de mesures législatives, appuyées par une pression des ONG nationales [2]. Mais les allocations de crédit sont souvent insuffisantes, et n‘atteignent pas toujours ceux qui devraient en bénéficier. Quelques exemples seront fournis à partir de cette enquête.

Le travail des enfants

Le BIT (Bureau International du Travail) a fourni des chiffres en 2001, concernant le nombre d’enfants de 5 à 14 ans, que l’on peut considérer comme au travail, ainsi que les conditions de ce travail [3]. Il s’agit d’un phénomène volatil, revêtant des formes très variées, mais auquel aucun pays, ni aucune région ne semble échapper (Figure 1) :

  • Enfants exerçant une activité économique : 352 millions, qui se décompose comme suit :

    • Travail qu’on peut considérer comme acceptable (valeur éducative, tâches ménagères) : 106 millions.

    • Travail qu’il faut abolir, mais échappant souvent au contrôle des institutions officielles, ou dû aux conditions économiques du pays : 246 millions (soit un enfant sur six astreint au travail).

    • Travail mettant en danger la santé physique, mentale, ou la moralité : 179 millions (soit un enfant sur huit).

    • Travail dangereux, qui demanderait une interruption immédiate : 111 millions d’enfants de moins de 15 ans, 59 millions d’adolescents de 15 à 17 ans.

    • Activités intrinsèquement condamnables, telles que la prostitution, l’esclavage et la traite, le recrutement forcé pour des conflits armés : 8,4 millions.

Figure 1

Carte du monde (Unicef) avec la fréquence du travail des enfants selon les différents pays.

Carte du monde (Unicef) avec la fréquence du travail des enfants selon les différents pays.

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Les secteurs dans lesquels travaillent ces enfants

D’après les analyses du BIT, une première catégorie comprend

  • les enfants « producteurs » dans les mines, l’industrie, les ateliers. Il s’agit, en général, de petites entreprises ne respectant aucune législation. On peut citer des fonderies, des ateliers de verrerie ou de textiles, des fabriques de tapis. Les locaux, souvent mal aérés, ont été désignés comme « ateliers à sueur » (sweat workshop).

  • L’agriculture reste la plus grande utilisatrice d’enfants, jusqu’à un tiers de la main d’oeuvre agricole dans certains pays en développement, entraînant partout malnutrition et mortalité plus élevées dans les campagnes que dans les villes.

  • Une autre catégorie comporte des enfants en servitude ou même en esclavage. La servitude pour dettes existe dans des pays asiatiques, les enfants pouvant être loués ou même vendus comme domestiques à des familles plus riches. Ce sont le plus souvent des fillettes de moins de 13 ans dont l’isolement favorise l’exploitation. Dans certains pays africains, des enfants destinés à la domesticité ou à la prostitution sont mis en esclavage encore plus tôt, dès l’âge de 5 ans.

  • Il y a enfin les filles astreintes à des tâches domestiques à temps plein.

  • Chez tous, évidemment, l’absence de scolarisation entraîne l’analphabétisme.

Les données précédentes doivent être complétées par une étude des causes (pourquoi les enfants travaillent-ils ?), et des conséquences qu’entraîne ce travail prématuré.

Les causes sont majoritairement d’ordre socio-culturel et économique

  • Pauvreté et analphabétisme des parents, sous-développement rural,

  • différence de salaire avec celui d’un adulte, exigences physiques spécifiques,

  • absence ou décès du père, emploi et absence des parents,

  • familles nombreuses, absence de contrôle.

Les conséquences peuvent être graves pour la santé de l’enfant exposé à des toxiques dans certaines conditions, tels les produits chimiques, les industries du cuir, celles des tapis par exemple

Le travail dans les mines comporte un risque de silicose. Dans la construction, dans l’agriculture, on demande à un enfant le même effort qu’à un adulte, provoquant par là des troubles du développement et de la croissance (Figure 2). La prostitution, enfin, est fréquemment cause de Sida. Pour la plupart de ces enfants, l’analphabétisme persistera toute la vie.

Figure 2

Situation socio-culturelle des enfants du monde en développement en 2005 (Unicef).

Situation socio-culturelle des enfants du monde en développement en 2005 (Unicef).

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Quelles mesures préconiser pour remédier à cet état de fait ?

Après la CRC de 1989, restée lettre morte, un projet a été en 1999 adopté à Genève par les représentants de 174 pays, demandant aux gouvernements des mesures immédiates pour l’élimination des formes de travail les plus dangereuses.

Le boycott des produits fabriqués par les enfants (les tapis du Pakistan) a pu quelquefois présenter des effets positifs. Ces effets peuvent aussi être pervers, et le débauchage conduit les enfants à se tourner vers d’autres métiers plus informels et dangereux, dont la prostitution. Le boycott n’aurait de sens que s’il était accompagné d’une rescolarisation.

L’Unicef a préconisé six mesures destinées à éliminer le travail des enfants :

  • l’élimination immédiate des travaux dangereux,

  • l’enseignement obligatoire et gratuit,

  • l’amélioration de la protection légale,

  • l’enregistrement à la naissance, empêchant une fraude sur l’âge,

  • l’amélioration du contrôle des données,

  • enfin, l’établissement de codes de conduite, concernant hygiène, sécurité, discrimination, horaires, durée d’activité….

Ces derniers codes sont définis dans les pays industrialisés, en particulier en Europe, même si les obligations en sont parfois contournées [4]. Selon les pays, l’âge minimum pour l’emploi est 15 ou 16 ans (16 ans en France), la durée du travail quotidien est en général de 8 heures, le travail de nuit étant interdit : les temps de repos sont définis, ainsi que le repos hebdomadaire. Des codes ont aussi été définis dans des pays en développement. Les travaux agricoles et domestiques sont cependant autorisés à 12 ans dans plusieurs pays africains, des travaux potentiellement dangereux le sont à 14 ans en Inde et au Sri Lanka, à 15 et 16 ans dans de nombreux pays.

Les enfants face à la guerre

Dans beaucoup de conflits armés : Afghanistan, Irak, Cambodge en Asie, Somalie, Rwanda, Liberia, Sierra Leone, Angola en Afrique, ainsi qu’en Haïti, ou dans les guerres du Caucase, le nombre d’enfants victimes est énorme [6] :

  • tués, 2 millions,

  • gravement blessés ou mutilés, 6 millions,

  • sans abri, 12 millions,

  • orphelins ou séparés de leur famille, plus de 1 million,

Le traumatisme psychologique a touché au moins 10 millions d’enfants.

Dans 44 pays, en Afrique, Birmanie, Colombie… le recrutement de 300 000 enfants soldats, dont certains n’ont pas plus de 8 ans, est un traumatisme spécifique. Exposés en première ligne, apprenant à tuer ou à torturer, employés comme porteurs ou démineurs, ces enfants sont recrutés de force, parfois abattus s’ils refusent. Ils connaissent la faim, la peur et sont souvent drogués pour être rendu insensibles. Contre ces abus, une « Coalition pour l’arrêt du recours aux enfants-soldats » a été fondée en 1998 par des ONG dont Amnesty International et Human Rights Watch.

Ce fléau s’étend parfois jusqu’à des pays en paix et développés. C’est ainsi que des enfants d’origine kurde ont été recrutés dans des pays européens. Il faut également signaler des forces paramilitaires dans lesquelles sont enrôlés des enfants en Grande-Bretagne, aux États-Unis où existent des corps de Young Marines. L’assemblée générale de l’ONU a adopté en mai 2000 un protocole additionnel à la Convention des droits de l’enfant pour empêcher les engagements armés, limiter les enrôlements, et protéger les engagements volontaires. Ce protocole, signé par 79 pays, n’a été ratifié que par 6 d’entre eux.

Les enfants dans les catastrophes naturelles

Peut-on comparer aux traumatismes des conflits armés ceux que provoquent les catastrophes naturelles [6] ? Pendant la dernière décennie, il y aurait eu environ 66,5 millions d’enfants qui auraient été touchés (World Disasters Report, 2001). Un exemple récent, celui du tsunami de l’Océan Indien, est responsable, selon une approximation fiable, de la disparition d’environ 100 000 enfants. Pour ceux qui ont survécu, les besoins immédiats, eau, nourriture ou abri, ont été relativement bien satisfaits, mais le choc émotionnel et social a été beaucoup moins bien envisagé. L’enfant est particulièrement vulnérable, il est aussi un apte à porter des jugements. L’interrogatoire de 300 jeunes de 7 à 17 ans, au Sri Lanka et en Thailande, a montré leur désarroi devant la perte des familles, et leur frustration devant la lenteur de reconstruction des foyers et des écoles. Les enfants, dans ces circonstances, demandent à être consultés en tant qu’acteurs à part entière.

Les enfants dans les pays où le Sida est endémique

Un quart de siècle après la mise en évidence des premiers cas, la pandémie de Sida est une menace sans précédent pour l’avenir de certains pays et des jeunes générations. Les rapports chiffrés de l’Unicef donnent le vertige : six jeunes de moins de 25 ans contaminés à chaque minute, cette classe d’âge représentant environ le tiers des séropositifs de la planète, soit 10 millions de personnes. Les chiffres les plus accablants s’observent en Afrique (Afrique du Sud, Lesotho, Zimbabwe) [7] (Figure 3).

Figure 3

Carte de l’Afrique avec l’évolution de la contamination par le Sida de 1984 à 2000.

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Les enfants sont les premières victimes des conséquences de cette pandémie. L’Unicef signale 860 000 enfants privés de leurs enseignants, et donc déscolarisés de fait. En analysant les situations familiales, on peut envisager deux catégories d’enfants victimes, ceux dont les parents sont malades et ceux qui ont perdu leurs parents [8]. Dans le premier groupe, on constate une augmentation de la mortalité infantile, des retards au développement, des risques accrus de malnutrition. Les aînés souffrent d’avoir à prendre soin de leurs parents. Dans le deuxième groupe, estimé à 15 millions d’enfants, il y a ceux qui ont perdu un de leurs parents ou les deux. Dans 11 pays d’Afrique, la proportion des orphelins atteint 15 %. Elle pourrait en 2010 représenter 2,5 % de la population infantile africaine, avec de graves conséquences sanitaires, psychologiques, économiques et sociales. Selon l’article 26, ces enfants auraient droit à une prise en charge par l’état, souvent inexistante en Afrique. Un règlement dans ce sens n’existe que dans 6 pays sur 46 (13 %) de l’Afrique subsaharienne. Les enfants, dispersés et non répertoriés, entrent alors dans le cercle vicieux de l’illettrisme et de la pauvreté.

L’Unicef préconise une éducation précoce et répétée au cours des années, un « processus suivi », informant les enfants dès un très jeune âge des modes de transmission de la maladie, ces informations répétées étant progressivement assimilées. Elle insiste aussi auprès des responsables politiques sur les mesures à prendre pour éviter la transmission de la maladie aux enfants. Le risque de transmission de la mère à l’enfant semble mieux compris, avec les mesures à prendre par les femmes enceintes séropositives.

Il existe une relation alarmante et claire, entre l’exploitation sexuelle des enfants et la propagation du Sida. Un million d’enfants, chaque année, seraient entraînés dans le commerce du sexe et, de ce fait, particulièrement exposés : il y a cinq à six fois plus d’adolescentes infectées que d’adolescents. Ces faits exigent une éducation des jeunes et de la société, mais aussi des efforts pour supprimer ce commerce organisé et réduire la demande des partenaires.

On le voit, les situations sont variables, plus ou moins dramatiques, mais rarement satisfaisantes (Encadré). Elles demandent toutes un effort majeur pour que les conventions soient signées, ratifiées, et respectées. Dans les pays industrialisés et développés, les possibilités matérielles existent, mais leur application n’est pas toujours contrôlée. Les pays dits en développement souffrent d’une inadéquation entre les exigences internationales et les budgets suffisants pour permettre leur application. Le nombre d’intervenants, la complication administrative peuvent aussi être cause d’inertie ou de corruption. Une aide efficace est sûrement nécessaire, de même qu'un contrôle pour s’assurer que des fonds alloués sont bien affectés à la destination prévue, et ne se perdent pas en route. L’exemple du Brésil est encore différent. Une croissance rapide, accompagnée d’expansion économique, une démographie galopante ont entraîné la marginalisation de cohortes d’enfants. Le Brésil est actuellement un pays de violence, et un effort particulier est requis pour que les enfants ne soient pas entraînés dans cette spirale. Quels que soient les problèmes et leur variété, il y a à faire pour que, partout, soit respectée la convention de 1989.