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1. Problématique

Au cours des dernières années, des changements importants sur le plan des effectifs scolaires s’observent dans les établissements d’enseignement collégial du Québec. On constate en effet une augmentation marquée du nombre d’étudiants présentant un trouble d’apprentissage, un trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) ou encore un trouble de santé mentale (Bouchard et Veillette, 2005; Dufour, 2008; Fichten, Jorgensen, Havel et Barile, 2005; Ministère de l’Éducation, des Loisirs et du Sport (MELS), 2010a et b). Cet ensemble d’étudiants, parfois connu sous l’appellation population émergente ou population en situation de handicap, connaît une augmentation fulgurante dans le réseau collégial public et privé (MELS, 2010a; Pacaud et Richard, 2014). L’accroissement constaté n’est pas étranger aux efforts déployés dans les dernières années pour soutenir la réussite des élèves ayant des besoins particuliers aux ordres d’enseignement primaire et secondaire. Ces élèves sont en effet maintenant plus nombreux à se qualifier et à accéder aux programmes de formation collégiale (MELS, 2010a). Leur garantir l’accès aux apprentissages représente un défi nouveau pour le réseau collégial public et privé.

Une part importante des étudiants en situation de handicap au postsecondaire possède un diagnostic de trouble d’apprentissage (Bouchard et Veillette, 2005; Dufour, 2008; Fichten, Jorgensen, Havel et Barile, 2006). L’étude récente de Pacaud et Richard (2014) révèle plus précisément que le trouble d’apprentissage représente 31,8 % des diagnostics liés aux populations émergentes dans le réseau collégial privé. Leurs travaux démontrent également que la majorité d’entre eux vivent avec au moins un autre diagnostic. Le trouble d’apprentissage fait référence à un certain nombre de dysfonctionnements pouvant affecter l’acquisition, l’organisation, la rétention, la compréhension ou le traitement de l’information verbale ou non verbale (Association canadienne des troubles d’apprentissage, 2002). Bien que la diplomation des étudiants en situation de handicap ne semble pas être affectée lorsqu’ils obtiennent des mesures de soutien adaptées, ces derniers feraient souvent face à des obstacles plus grands (Fichten et al., 2006). Qui plus est, plusieurs ETA commenceraient leurs études postsecondaires non préparés à faire le passage entre une situation où des adultes sont responsables de leurs apprentissages, à celle où ils doivent eux-mêmes en prendre la responsabilité (Connor, 2012).

L’enseignant joue un rôle primordial dans la réussite scolaire des apprenants. Différents travaux portant sur les étudiants ayant des besoins particuliers et l’inclusion scolaire insistent sur l’importance de la qualité des pratiques d’enseignement (Bergeron, 2014; Dubé et Sénécal, 2009; Galand, 2009; Nguyen, Fitchen, Barile, et Lévesque, 2006; Paré et Trépanier, 2010; Rouse et Florian, 1996; Theis, Giguère, Martin et Myre Bisaillon, 2009). Or, plusieurs enseignants ne se considèrent pas outillés et affirment se sentir démunis face aux besoins des ETA (Dufour, 2008). Les auteurs sur le sujet relèvent que les enseignants manquent de connaissances et d’expérience auprès de cette population et éprouvent des doutes quant à leurs compétences à enseigner à ces étudiants (Bouchard et Veillette, 2005; MELS, 2010a et b). Pourtant, la formation et la préparation représentent des éléments essentiels pour soutenir le développement des compétences reliées à la gestion de la diversité (Gaudreau, Legault, Brodeur, Hurteau, Dunberry, Séguin et Legendre, 2008; Thomazet, 2008). Il existe actuellement peu d’outils théoriques et pratiques pour soutenir les enseignants dans le contexte du collégial. Les stratégies pédagogiques et mesures d’accommodement issues de la littérature prennent souvent des formes communes et décontextualisées. Rappelons que la réalité qui nous intéresse ici est relativement nouvelle. Il importe donc de la situer dans un contexte plus global de changement. Vouloir mieux répondre aux besoins des ETA implique des ajustements importants au niveau des pratiques des enseignants.

Globalement, plusieurs établissements d’enseignement collégiaux éprouvent des difficultés à s’adapter à cette nouvelle réalité (MELS, 2010a). Ils doivent planifier et organiser les services et les ressources selon les spécificités de leur milieu (Dufour, 2008) dans un contexte où les ressources financières sont parfois limitées (Fichten et al., 2006). L’ensemble de la problématique supporte la pertinence sociale et scientifique de proposer un projet de recherche visant à soutenir les enseignants. Le MELS (2010a) recommande d’ailleurs de former le personnel scolaire et de développer les connaissances sur les pratiques adaptées au collégial. C’est dans cette perspective que ce projet de recherche-action-formation a été mis en place.

2. Cadre conceptuel

2.1 Le soutien aux étudiants ayant des troubles d’apprentissage

Il est généralement reconnu que les étudiants ayant un trouble d’apprentissage ont besoin d’un soutien supplémentaire relatif à leur projet d’études (Mull, Sitlington et Alper, 2001). Différents services de soutien leur sont offerts et ces derniers varient selon les établissements: tutorat par les pairs, enseignement de stratégies d’apprentissage ou organisationnelles, soutien à l’utilisation des technologies d’aide, etc. Le soutien offert aux ETA peut aussi prendre la forme d’accommodement. Les mesures d’accommodement représentent un soutien particulier à un étudiant dans le but de lui assurer l’accès aux apprentissages et lui permettre de répondre aux exigences du programme de formation (Paré et Trépanier, 2010). Il s’agit de mettre à sa disposition des moyens raisonnables pour compenser ses limites (Boucher, 2011). Lorsqu’un ETA est admis dans un établissement d’enseignement collégial, son rapport d’évaluation précise une variété de mesures d’accommodement dont il peut bénéficier conformément au cadre légal de non-discrimination. L’étudiant doit généralement en faire la demande. Parmi les mesures les plus fréquentes, on retrouve du temps additionnel pour effectuer les travaux et les examens, un local pour la passation des examens, les technologies d’aide, un preneur de notes, etc.

Or, certains auteurs critiquent cette façon d’offrir du soutien en fonction du cadre légal. D’une part, le recours accru aux services particuliers de soutien ainsi qu’aux accommodements serait insuffisant pour assurer la qualité des apprentissages (Scott, McGuire et Shaw, 2003). D’autre part, même si les mesures d’accommodement sont nécessaires, elles représentent des réponses individualisées qui sont moins appropriées dans le contexte de changement démographique des populations étudiantes. En effet, le nombre grandissant d’étudiants en situation de handicap nécessite de nouvelles approches qui permettent à tous les étudiants d’accéder aux apprentissages (Scott et al., 2003). Qui plus est, les réponses individualisées sont plus coûteuses en termes de temps et de ressources humaines (Nolet et McLaughlin, 2005). Dans l’ensemble, cette modalité de fonctionnement présenterait des limites importantes sur le plan de l’efficacité (Hougthon et Fovet, 2012).

L’amélioration de la qualité de l’enseignement est de plus en plus présentée comme une voie à privilégier afin de prévenir les difficultés des étudiants en Amérique du Nord (Janney et Snell, 2006; MELS, 2010a; Nolet et McLaughlin, 2005). L’accent mis sur l’enseignement efficace représenterait une approche puissante et proactive pour fournir un accès plus égalitaire à l’éducation (Scott et Gregg, 2000). Il s’agit d’offrir des environnements d’apprentissage accessibles à tous. C’est dans cet esprit que les chercheurs insistent de plus en plus sur les apports de la conception universelle de l’apprentissage (CUA) afin de favoriser l’accès aux apprentissages au postsecondaire (McGuire, Scott et Shaw, 2006). La différenciation pédagogique est aussi reconnue comme une approche qui permet de prendre en compte les besoins de tous les apprenants dans un contexte de diversité (Paré et Trépanier, 2010). Actuellement, les écrits québécois laissent penser que les services de soutien offerts aux étudiants en situation de handicap tiennent peu compte du type d’enseignement et de la nature des activités d’apprentissage proposées en salle de classe.

D’autres chercheurs proposent de privilégier des démarches à l’intérieur desquelles les enseignants posent un regard critique sur leurs pratiques (Dubé et Sénécal, 2009). Toutefois, améliorer les pratiques afin d’offrir des environnements d’apprentissage accessibles à tous nécessite des changements dans la façon d’interpréter les difficultés scolaires et de concevoir les modalités de soutien destinées aux étudiants en situation de handicap. Selon Ainscow (1996), la majorité des approches et des méthodes développées pour les aider est axée sur l’individu; elle passe par une évaluation centrée sur l’étudiant afin de déterminer les caractéristiques qui l’empêchent d’apprendre. Or, au lieu de se centrer uniquement sur les caractéristiques individuelles de l’étudiant, il importe également d’analyser comment ces éléments interagissent avec l’environnement éducatif à l’intérieur duquel il évolue. Il s’agit de passer d’un modèle biomédical à un modèle social du handicap (Kumar et Wideman, 2014).

2.2 Le modèle social du handicap

Le modèle social du handicap (Organisation mondiale de la santé, 2001) est à la base de plusieurs travaux reliés à l’intervention auprès de personnes ayant des besoins particuliers. Des liens étroits peuvent être effectués entre ce modèle et l’approche écologique de Bronfenbrenner (1979) ainsi que le modèle de processus du handicap (Fougeyrollas, 1998) qui considèrent l’impact des obstacles environnementaux sur la participation sociale de l’individu. Ils ont en commun de considérer l’interaction entre les caractéristiques de la personne et de son environnement. Le modèle social du handicap s’appuie sur une reconnaissance que les capacités de l’étudiant peuvent être compromises par les manques du système éducatif. Les difficultés ne sont pas perçues comme étant uniquement le propre de l’étudiant, mais résultent de la rencontre entre l’étudiant et la situation scolaire qui a été pensée pour lui. Il s’agit donc de définir les difficultés scolaires en tenant compte des tâches, des activités et des caractéristiques de l’environnement éducatif (Avramidis, Bayliss et Burden, 2002). Ce projet de recherche-action-formation poursuit l’intention d’aider les enseignants à tenir compte de ces dimensions. Pouvant être compris comme un dispositif de formation continue, il paraît important d’en préciser les caractéristiques.

2.3 Caractéristiques générales du projet

Dans une perspective professionnalisante, l’intention des chercheuses est d’aider les enseignants à analyser les situations éducatives rencontrées et à choisir les stratégies d’enseignement appropriées, et ce, en s’appuyant sur les connaissances issues de la recherche. Ce projet s’éloigne donc d’une logique d’application de stratégies prêtes à l’emploi. En outre, afin d’être plus efficace, il se construit en fonction des besoins définis par les praticiens (Ministère de l’Éducation du Québec, 1999; Rouse et Florian, 1996) et offre un soutien à long terme (Garcia Cedillo et Fletcher, 2010). C’est dans la visée de générer de nouveaux savoirs et des transformations de pratiques que le projet propose des occasions de réflexion critiques sur la pratique (Deppeler, 2010). L’accompagnement offert aide les participants à rendre explicite et à remettre en question les représentations et principes qui guident leurs actions (Bourassa, Serre et Ross, 2003; Marchand, 2011). De plus, cette démarche implique des mises à l’essai de pratiques (Ainscow, 2003) afin de soutenir l’apprentissage et l’adaptation des participants (Dewey, 1972; Kolb, 1984). La création d’espaces de coopération, reconnue comme pouvant favoriser l’émergence de nouveaux savoirs et de pratiques qui tiennent compte de la diversité (Deppeler, 2010) se situe au coeur du projet.

3. Méthodologie

3.1 Un devis participatif de recherche-action-formation

La recherche participative est une approche qui revendique la nécessité de réunir chercheurs et praticiens dans la production de connaissances (Anadon et Couture, 2007). Considérée comme une voie prometteuse en formation continue des enseignants (Uwamariya et Mukamurera, 2005), elle peut se comprendre comme la création d’un espace interactif où un groupe d’acteurs se mobilisent autour d’un projet visant à transformer la réalité (Bourassa, Bélair et Chevalier, 2007). Parmi les formes de recherche participative, la recherche-action-formation a été privilégiée puisqu’elle permet de travailler simultanément autour de trois pôles: recherche, action et formation. Le pôle recherche concerne la production de savoirs utiles pour les praticiens et la communauté scientifique. Le pôle action correspond aux cycles de planification, d’action, d’observation et de réflexion sur la pratique afin de créer de nouveaux savoirs. Le pôle formation représente l’intégration de connaissances issues de la recherche visant à soutenir l’action. Ces connaissances sont intégrées dans les échanges ou à travers différentes activités et modalités de formation planifiées (coanalyse de textes et de vidéos, activités expérientielles, exposés interactifs, congrès), en fonction des besoins manifestés par les enseignants. Le pôle formation permet de générer certaines remises en question des façons de faire et de penser afin d’élargir le répertoire habituel de pratiques.

Les objectifs de cette recherche sont: 1) décrire les savoirs pratiques coconstruits par les enseignants et 2) décrire le processus d’apprentissage collectif et les stratégies de formation soutenant l’amélioration des pratiques au collégial. Dans le cadre de cet article, seules les données entourant le premier objectif sont présentées.

3.1.1 Les participants et les méthodes de collecte et d’analyse des données

Ce projet a été réalisé entre 2011 et 2013 dans un collège privé du centre du Québec. Le choix du groupe de participants a été effectué de manière volontaire (Savoie-Zajc, 2004). Les enseignants ou chargés de cours qui souhaitent s’engager devaient manifester leur intérêt par courriel. Six enseignants composent le groupe de participants. Ils proviennent tous de programmes différents (sciences, anglais, éducation spécialisée, archives médicales, philosophie et littérature). Le nombre d’années d’expérience des enseignants varie entre 4 et 20 et la moyenne se situe à 15,5. Deux principales méthodes de collectes sont exploitées: l’entrevue de groupe en amont et en aval du projet ainsi que les rencontres de recherche-action-formation. Toutes les rencontres sont enregistrées à partir d’un enregistreur numérique. Au total, 24 demi-journées collectives et interactives de trois heures sont effectuées. Afin de favoriser l’engagement des enseignants, un dégagement de 4,4. C.I. (une demi-journée par semaine) est prévu au budget. La plupart des rencontres se déroulent à un intervalle de deux semaines.

Dans une perspective compréhensive, l’analyse des données est ancrée dans un paradigme qualitatif/interprétatif (Savoie-Zajc, 2004) et effectuée selon les principes de l’analyse thématique (Paillé et Mucchielli, 2008) qui consiste à faire émerger les thèmes centraux des données sans leur imposer d’emblée un cadre d’analyse. Ce processus inductif et ouvert permet de donner un sens encore non exploré aux données. La démarche implique des cycles itératifs de collecte et d’analyse favorisant le travail de validation écologique continue auprès des participants. Les données sont transcrites à l’aide du logiciel Olympus et analysées à partir du logiciel NVivo.

3.2 Déroulement général de la recherche

Le déroulement général est décrit afin d’aider le lecteur à situer les différentes étapes ayant jalonné la recherche. Elles s’actualisent dans une trajectoire hélicoïdale où les chercheuses et les participants retravaillent continuellement sur les étapes déjà entamées. La coconstruction de la problématique initiale débute lors des entretiens de groupe alors que les enseignants sont questionnés sur les défis de l’enseignement aux ETA. Les résultats analysés leur sont soumis lors de la première rencontre afin de réajuster la problématique. Elle est revisitée lors des rencontres au fur et à mesure que les participants délibèrent sur la pratique. Parallèlement, les participants coconstruisent l’objectif principal servant à guider les actions à entreprendre. La situation désirée est ainsi formulée: intervenir efficacement auprès des étudiants ayant un trouble d’apprentissage afin de favoriser leur réussite éducative. Après quelques activités de formation visant à répondre au besoin manifesté d’en apprendre davantage sur les troubles d’apprentissage, sur l’évolution des services de soutien ainsi que sur le vécu de ces étudiants, les participants sont invités à identifier les situations qui posent des défis dans leur quotidien et à recueillir leurs observations dans un journal de bord. Il s’agit d’un outil de développement professionnel qu’ils complètent selon leur convenance. De cette étape émergent différentes prises de conscience quant aux limites de leur répertoire habituel de pratiques. Ils réalisent également que les connaissances issues de la recherche ainsi que les informations contenues dans les notes de service sont insuffisantes pour comprendre les besoins de l’ETA dans le contexte spécifique de leur classe et de leur discipline. À ce moment, ils prennent collectivement la décision de rencontrer chacun de leurs ETA. Trois questions sont ciblées: 1) Comment se manifeste ton trouble et quelles sont tes difficultés dans ma classe? 2) Qu’est-ce qui, dans mes pratiques pédagogiques, t’aide ou pourrait t’aider? 3) Qu’est-ce qui, dans mes pratiques pédagogiques, ne t’aide pas? Ces rencontres représentent un moment décisif dans le projet alors que les enseignants centrent leur attention sur les besoins et défis que vivent leurs étudiants tout en établissant des ponts avec la nature des activités et des pratiques pédagogiques qu’ils privilégient. Comprenant mieux ce qui fait obstacle à l’apprentissage des étudiants et ce qui les aide, les enseignants entrevoient plus concrètement des pistes d’action qu’ils mettent à l’essai et soumettent ensuite au groupe aux fins de coanalyse.

4. Résultats

Les résultats de recherche sont présentés en deux parties. La première concerne la problématique générale de l’enseignement aux ETA. La deuxième constitue une mise en relation entre certains obstacles à l’apprentissage et les pratiques pédagogiques mises à l’essai par les enseignants.

4.1 La problématique entourant l’enseignement aux ETA

Lors de l’entrevue de groupe en amont ainsi que tout au long du projet, les enseignants discutent de ce qu’ils vivent et pensent au regard de l’enseignement aux ETA. Ces aspects évoluent tout au long de la démarche. L’analyse des données permet de dégager trois éléments plus récurrents dans les propos des enseignants: les obstacles, les préoccupations et les difficultés liées à l’enseignement.

4.1.1 Les obstacles

Les participants à la recherche mettent en lumière deux éléments qui font obstacle à la mise en oeuvre d’un enseignement plus adapté aux besoins des ETA. De manière unanime, ces derniers relatent leur manque de formation pour bien comprendre les troubles d’apprentissage ainsi que connaître les stratégies d’enseignement susceptibles de soutenir leur apprentissage:

Moi, je dirais, il y a le système oui, mais aussi que les enseignants ne sont pas assez formés pour détecter ça, comprendre ce que c’est ce genre de maladie parce que, moi, j’ai des étudiants dyslexiques, je sais un peu c’est quoi, mais pourquoi c’est comme ça? Est-ce que ça se soigne, ça se soigne pas?

F1-G1, 267

Le deuxième obstacle concerne le temps requis pour offrir le soutien aux ETA. Les enseignants énoncent différentes tâches qui demandent du temps, une ressource considérée comme précieuse et rare: mettre en oeuvre certaines mesures d’accommodement, rencontrer les étudiants, analyser ses pratiques pédagogiques et les besoins des étudiants ou différencier son enseignement.

4.1.2 Les préoccupations des enseignants

Les participants expriment différentes préoccupations à l’égard des ETA. Le concept de préoccupation réfère à une inquiétude et comporte une composante affective. Il se rapporte à quelque chose du passé, du présent ou aux conséquences d’une action éventuelle (Bareil, 2004).

Une part de leurs préoccupations se rapporte au bien-être psychologique des étudiants. En effet, ils expriment le souhait que les ETA se sentent bien et en sécurité dans leur classe. Plusieurs enseignants manifestent d’ailleurs une préoccupation relative à l’estime de soi de ces étudiants ainsi qu’au regard de l’isolement dont certains semblent souffrir.

D’autres préoccupations concernent les relations entre l’ETA et les autres étudiants de la classe. Par exemple, les enseignants se demandent comment les autres étudiants perçoivent le fait que les ETA obtiennent des mesures d’accommodement, par exemple l’utilisation de l’ordinateur ou l’accès au local d’examen. Ils se disent soucieux des jugements dont pourraient être victimes ou dont sont victimes certains d’entre eux. Les données mettent également en évidence que les enseignants se sentent mal à l’aise vis-à-vis des questionnements d’étudiants sans trouble d’apprentissage qui ne comprennent pas le sens de ces mesures d’accommodement: Pourquoi elle a les notes de cours avant? Moi aussi, je les veux. Pourquoi elle, elle peut faire ça dans un endroit tranquille? Moi, ça me dérange aussi le bruit (F1-G2, 378). Ils se demandent si la question doit être abordée ouvertement en classe ou plutôt être évitée: Est-ce qu’un prof peut aborder la question des besoins particuliers avec un groupe? Qu’ils sachent qu’il y a des étudiants avec des besoins particuliers (F1-G1, 950).

Moi, à chaque fois que j’ai un étudiant comme ça, aller vers lui pour lui demander si je lui donne plus de temps, je me sens toujours mal, pis je ne sais pas comment l’aborder. Est-ce que les autres à côté écoutent, est-ce qu’ils entendent?

F1-G1, 971

Une préoccupation prédominante dans les propos des enseignants se rapporte aux limites du soutien à offrir. Elle est très présente au départ du projet et tend à s’estomper au fil des rencontres. De manière générale, plusieurs s’interrogent sur l’ampleur que l’aide apportée doit prendre: Est-ce que l’on doit tout adapter ou juste adapter quelques petites choses? (F1-G1, 553). Cet élément revêt cependant plusieurs autres aspects. Certains se demandent si le soutien offert ne représente pas une «béquille» qui galvauderait ou dissimulerait le niveau de compétence de l’étudiant. Conséquemment, ils se disent préoccupés vis-à-vis de leur capacité à répondre aux exigences du marché du travail après l’obtention du diplôme. Plusieurs s’interrogent donc sur les limites de l’aide à apporter, ayant l’impression d’aller au-delà de ce qui est légal:

Des fois, je me demande si l’aide que j’apporte dans certains cas […] Ça va pas au-delà. La limite, elle est où, entre ce à quoi il a droit et le moment où je suis presque en train de lui souffler la réponse?

F1-G2, 383

L’analyse des données révèle que cette préoccupation s’associe également aux questions de justice et d’équité vis-à-vis de l’ensemble des étudiants. En effet, les enseignants s’interrogent à propos de la limite qui distingue des mesures d’accommodement par opposition à des privilèges qui favoriseraient les ETA au détriment des autres étudiants. Plus particulièrement au départ du projet, des enseignants manifestent une volonté de traiter tous les étudiants de la même façon (F2-G2, 399) et que les étudiants sachent qu’ils les traitent tous de la même manière. À ce moment, cela se traduit par l’intention d’exploiter des pratiques pédagogiques, du matériel ainsi que des tâches évaluatives similaires pour tous. Dans certains programmes techniques et préuniversitaires, l’uniformisation semble revêtir une plus grande importance alors qu’un climat de compétition caractérise parfois les relations entre les étudiants qui veulent obtenir de meilleurs résultats afin d’accéder à des programmes universitaires contingentés. Des enseignants se disent coincés entre le désir d’offrir un soutien particulier à l’ETA et celui d’offrir un soutien uniforme dans une logique de hiérarchisation des performances et d’identification de l’élite: Je suis pris entre l’égalité et l’attention individuelle que requièrent ces étudiants-là (R6, 422). L’extrait suivant témoigne de manière éloquente de cet aspect:

Nous, en sciences, on discrimine les étudiants entre eux, parce que le système est sur nos épaules et nous demande de faire ce tri-là. On a la cote R. Les étudiants veulent aller dans des programmes contingentés, alors il faut qu’ils puissent se démarquer du groupe.

R6. 355

Il est intéressant de noter qu’au terme du projet, des participants disent avoir développé une vision plus consciente et critique de ces enjeux. Un enseignant qualifie d’ailleurs cette prise de conscience comme étant l’un des éléments les plus significatifs de son processus d’apprentissage.

Toujours sur le plan des limites du soutien à offrir, les participants se demandent si l’aide apportée n’est pas nuisible au développement de l’autonomie de l’étudiant, par exemple de sa capacité à s’organiser et à se prendre en charge. Il s’agit d’un élément ayant fait l’objet de nombreuses discussions au sein du groupe. Les enseignants souhaitent ne pas «faire à la place» et sont d’avis que l’étudiant doit prendre en charge son projet éducatif et ses apprentissages. Selon eux, le développement de l’autonomie de l’étudiant s’avère l’un des éléments importants à viser dans les modalités de soutien. Ils se demandent comment opérationnaliser cet objectif: Comment les rendre plus autonomes? Comment l’amener à se faire plus confiance ou à venir chercher de l’aide par lui-même? (F1-G2, 330). Les résultats de recherche démontrent une certaine tension entre le désir d’apporter le soutien nécessaire sans toutefois limiter l’étudiant dans le développement de ses habiletés et de ses compétences:

On veut pas les infantiliser, pis c’est pas comme ça qu’on développe leur autonomie non plus. Mais, elle est où la marge? On veut l’amener à développer son autonomie, mais on est en train de lui nuire en étant trop, je le sais pas, là. Ça, cette balise-là, c’est pas évident.

F1-G2. 354

Intimement liées à cet aspect, plusieurs préoccupations entourant la capacité des ETA à répondre aux exigences du marché du travail sont relevées dans les données des premières rencontres du projet. Insistant sur les normes de productivité, les limites anticipées quant au support et aux accommodements offerts sur le marché du travail, les exigences élevées des employeurs ainsi que les difficultés importantes de certains ETA, les participants se posent des questions entourant la légitimité de certains accommodements et anticipent des échecs professionnels potentiels:

Sur le marché du travail, est-ce qu’on va vraiment leur donner ce support-là? C’est toujours cette question-là qui me revient. Déjà en stage, ils s’attendent à ce que les étudiants soient plus autonomes. Et on leur demande d’être autonomes.

R6, 344

Parfois, les propos recueillis laissent entrevoir une vision selon laquelle certaines professions ne seraient pas à la portée des ETA. Du moins, les enseignants se demandent quel est leur rôle de formateur dans ce contexte et jusqu’où apporter du soutien.

Pour terminer cette section concernant les préoccupations, un dernier aspect mérite une attention particulière. Il s’agit du fait que les enseignants manifestent le souci de ne pas nuire aux autres étudiants. Ils se demandent comment ne pas mettre de côté le reste du groupe, ne pas diminuer le rythme d’apprentissage et passer «la matière» tout en offrant l’aide nécessaire à l’ETA.

Comment on va aider ces étudiants-là qui ont un cheminement particulier tout en ne mettant pas de côté le reste de la classe, tout en maintenant notre rythme de cadence avec les autres? Ça, au niveau pédagogique, réussir à passer notre matière pis tout ça, pas prendre de retard, pis aider ceux qui en ont de besoin en mettant plus de temps, mais en nuisant pas au reste du groupe.

G2, 255

4.1.3 Les difficultés reliées à l’enseignement

Une part importante des propos des enseignants est liée aux difficultés rencontrées dans l’exercice de leur fonction. L’un des défis relevés est celui de cerner et de comprendre les besoins de l’ETA. Au départ du projet, les enseignants associent ce défi au manque de formation et de connaissances. La participation à différentes activités de formation comble certains besoins des enseignants à ce niveau. Par contre, des défis persistent et les participants relatent la complexité d’identifier ce que les étudiants ont compris ou moins bien compris, la nature de leurs difficultés ou encore leur profil d’apprentissage: J’ai beau écrire au tableau, j’ai beau présenter des films, je ne le sais pas si ça correspond à leur façon d’apprendre (R9, 636). C’est particulièrement le cas lorsque certains ETA sont plus réticents à demander de l’aide ou à communiquer avec les enseignants, même s’ils les y invitent.

Une autre difficulté reliée à l’enseignement concerne le maintien d’un climat de classe positif et de respect entre les étudiants. Les enseignants se voient face au défi de répondre aux questions des étudiants sans trouble d’apprentissage vis-à-vis des mesures d’accommodement ou du trouble d’apprentissage ainsi qu’au défi de cerner ce qu’il est possible de révéler à la classe par opposition à ce qui doit demeurer confidentiel: Surtout comment l’expliquer? Et comment me sentir, parce que si je le fais, est-ce que j’ai fait quelque chose de pas bien? (R6, 1007). Un défi supplémentaire consiste à intervenir lorsque des comportements discriminatoires se manifestent en classe ou à composer avec des cas de rejet ou d’isolement:

En tout cas, une grande majorité, c’est des étudiants à part, ils ont comme l’impression qu’ils sont moins bons que les autres et puis ça les décourage. C’est là-dessus qu’il faut travailler. Si on pense que pédagogiquement y’a quelque chose à faire, mais avant tout, c’est de faire partie du groupe. Ils ne sentent pas qu’ils font partie du groupe, ils ne sentent pas que quelqu’un les comprend, ils sont isolés et ça devient très, très, très difficile. Moi j’en ai une comme ça.

R3, 2411

Particulièrement en début de projet, les participants rapportent la difficulté d’offrir un enseignement qui soit adapté aux besoins des ETA. Certains expriment un sentiment d’incompréhension et de doute au regard de ces aspects alors que d’autres relatent ne pas vouloir nuire aux apprentissages de ces étudiants de par la nature de leurs pratiques pédagogiques. Certains mentionnent tout simplement ne pas savoir quoi faire ou comment faire:

Quand cette jeune fille là arrive et qu’elle me dit: j’y arrive pas. Dans ma tête, qu’est-ce que je pourrais faire pour rejoindre cette étudiante-là. Qu’est-ce que je pourrais mettre en place, comment je pourrais lui expliquer? Quelles autres stratégies que celles que j’utilise déjà pourrais-je mettre en place?

F1-G2, 318

Plus spécifiquement en ce qui a trait aux mesures d’accommodement, des inconforts et limites sont relevés par les enseignants. C’est le cas d’un enseignant vivant un malaise de devoir permettre à un ETA d’enregistrer son cours, de peur que le cours ne circule entre les étudiants. De surcroît, lors de certaines sessions spécifiques, des enseignants décrivent une surcharge de travail découlant d’un grand nombre d’ETA dans leurs groupes. C’est surtout la gestion des mesures d’accommodement liées aux évaluations qui semble problématique. Les participants expriment du mécontentement quant à la lourdeur des démarches administratives à effectuer afin que les étudiants puissent accéder au local d’examen ainsi que pour rendre l’examen disponible. Ils notent le fait que le local d’examen est pratiquement rempli à sa pleine capacité et qu’il en résulte un niveau de bruit et de chaleur trop élevé pouvant nuire à la performance de l’étudiant. Alors que l’évaluation est effectuée en classe pour le reste du groupe, les ETA qui sont au local d’examen ne bénéficient pas de certaines explications apportées par les enseignants.

Un dernier défi rapporté concerne la gestion des différents rythmes d’apprentissage. Dans leurs cours, les enseignants indiquent qu’une partie de leurs étudiants ont besoin de plus de temps pour réaliser les tâches (dont les ETA) alors que certains sont très rapides. Préoccupés par l’idée de maintenir le rythme d’apprentissage convenant aux «étudiants moyens», les participants perçoivent un défi majeur: C’est difficile de maintenir le rythme de groupe quand on a des étudiants qui ont des troubles d’apprentissage (R6, 333). De manière révélatrice, un enseignant exprime une tension entre la nécessité d’accélérer le rythme d’apprentissage pour répondre aux besoins des étudiants ayant un niveau de performance plus élevé et l’importance de ralentir le rythme pour d’autres, dont certains ETA. En bout ligne, il fait face à l’impression constante de négliger les besoins de certains étudiants: C’est qui que je laisse tomber? (R6, 869)

Enseigner dans un contexte où une diversité d’apprenants évolue ensemble pose des défis importants aux enseignants qui manifestent différentes préoccupations. Dans le cadre de cette recherche-action-formation, tous ces éléments ont été au coeur des échanges. En se centrant toujours davantage sur les besoins de leurs étudiants et sur la nature de leurs pratiques, les enseignants élargissent leur répertoire initial de pratiques tel qu’en témoigne la section suivante.

4.2 Les obstacles à l’apprentissage et les pratiques pédagogiques mises à l’essai

À travers cette démarche, les participants cherchent à mieux comprendre les besoins de leurs étudiants afin de juger des actions à mettre en place pour assurer l’accès aux apprentissages. Les rencontres individuelles effectuées avec les ETA permettent de cerner leurs besoins et les difficultés spécifiques qu’ils rencontrent: cibler l’essentiel, respecter les consignes de réalisation d’une tâche, exécuter certaines tâches (prise de notes, travaux, exercices, gestion du matériel) dans le temps prescrit, mémoriser de l’information, maintenir son attention et sa concentration, s’organiser et gérer son projet d’études et finalement, gérer son temps. Ces difficultés sont appréhendées en tenant compte des activités d’enseignement et d’apprentissage privilégiées par l’enseignant. Cette section décrit donc cinq obstacles à l’apprentissage révélés par les ETA ainsi que les pratiques pédagogiques mises à l’essai par les enseignants pour les surmonter. Certaines des pratiques pédagogiques sont de nature plus universelle et préventive tandis que d’autres représentent des stratégies pour accommoder spécifiquement les ETA.

4.2.1 Le rythme d’apprentissage rapide

Le rythme d’apprentissage rapide en classe est rapporté tant par les enseignants que par les ETA comme un défi important. En effet, les étudiants mentionnent avoir besoin de plus de temps pour réaliser les tâches et les travaux. Quant aux enseignants, ils observent un écart quant aux rythmes d’exécution et d’apprentissage entre les étudiants de leur groupe classe. Plusieurs ajustements ont été effectués par ces derniers en vue de considérer cet aspect dans le cadre de leur enseignement. Ils ont, d’entrée de jeu, développé une attention particulière et une plus grande conscience face au rythme dans leur classe. J’ai vraiment pris conscience de regarder et d’être plus attentif à ça. J’avais le souci que tout le monde soit rendu au même endroit et en particulier ceux qui ont des difficultés (R4, 1673). Une première mise à l’essai amène quelques enseignants à ralentir le rythme dans leur classe. Toutefois, face au risque de prendre du retard, les enseignants constatent que cette stratégie ne peut être utilisée dans tous les contextes ou pour toutes les activités. Par conséquent, ils déterminent des moments plus opportuns pour ralentir le rythme: par exemple, l’enseignement d’un nouveau contenu ou de notions plus complexes. Cela semble s’associer à des bénéfices: Ça prend un peu plus temps, mais on en sauve par la suite parce qu’on n’a pas à répéter plusieurs fois (R6, 211). Par ailleurs, lorsque les enseignants adressent des questions aux étudiants, ils laissent un délai avant de recueillir les réponses afin de permettre à chacun de réfléchir individuellement. Dans le but de composer avec les écarts liés aux rythmes d’exécution des étudiants, les enseignants proposent également davantage d’activités coopératives en faisant varier les modes de regroupement. À cet effet, ils rapportent que les regroupements hétérogènes en fonction des rythmes d’apprentissage et des niveaux de performance favorisent l’entraide entre les étudiants, évitant ainsi que des groupes d’étudiants plus performants terminent beaucoup plus rapidement les tâches. L’un des enseignants expérimente la formation de groupe homogène. Ce dernier laisse le choix aux étudiants de travailler dans deux locaux différents. Dans l’un d’eux se regroupent des étudiants jugeant leur niveau de maîtrise d’un savoir suffisant pour travailler de manière autonome. Des exercices obligatoires doivent être effectués en plus d’exercices supplémentaires plus complexes. Dans l’autre se retrouvent des étudiants moins confortables avec l’objet d’apprentissage et désireux d’obtenir un soutien de la part de l’enseignant. Ils se concentrent sur les exercices obligatoires. L’enseignant rapporte que cette stratégie lui a permis d’ajuster son niveau de soutien et de respecter le rythme d’apprentissage et les besoins de ses étudiants. D’autres mises à l’essai, qui s’apparentent davantage aux mesures d’accommodement, sont réalisées dans la visée spécifique que l’ETA ne se sente pas contraint par le temps. Certains envoient à l’avance les notes de cours, les consignes associées aux travaux ou les exercices à réaliser afin que l’ETA puisse en faire une première lecture avant le cours. Ils accordent du temps additionnel hors classe pour la réalisation de certains exercices, formatifs ou travaux. Il est intéressant ici de souligner que l’enseignant n’applique pas la stratégie seulement parce qu’elle est inscrite sur la note de service; il comprend en quoi cela aide l’étudiant.

4.2.2 La multiplicité des tâches cognitives sollicitées

La multiplicité des tâches cognitives sollicitées simultanément a également été soulevée comme un défi par les ETA. Par exemple, certains disent éprouver des difficultés à écouter et à écrire en même temps. Devant ces témoignages, les enseignants prennent conscience qu’ils sollicitent fréquemment plusieurs tâches cognitives de manière simultanée. Pour contrer cet obstacle à l’apprentissage, les participants mettent à l’essai différentes stratégies. Par exemple, ils font des pauses lors d’un visionnement afin de permettre aux étudiants de résumer la partie de contenu présentée ou de répondre aux questions proposées. Ils prennent également le soin d’éviter de donner des explications lorsque les étudiants sont occupés à écrire ou à lire. Dorénavant, ils sollicitent l’attention des étudiants et leur demandent de suspendre les tâches entamées avant de s’adresser à eux. Quelques-uns rapportent faire des efforts pour éviter de parler en même temps qu’ils écrivent au tableau. Enfin, lorsque certains mentionnent le numéro d’une page à joindre dans un document, ils l’inscrivent au tableau et accordent un petit délai afin que tous les étudiants atteignent la page requise. Ces stratégies déployées ne sont pas sans rappeler la conception universelle de l’apprentissage.

4.2.3 Le recours fréquent aux longs exposés magistraux

Lors des rencontres avec les enseignants, des ETA indiquent que le recours fréquent aux longs exposés magistraux complexifie le maintien de leur attention et fait obstacle à la compréhension des objets d’apprentissage. Admettant se situer parfois dans une pédagogie plus frontale et transmissive, certains enseignants remettent en question leurs pratiques. Soutenus par les chercheuses, ils s’interrogent sur la place des savoirs dans leurs activités d’apprentissage et prennent conscience qu’à l’intérieur des contextes d’apprentissage usuels, les étudiants sont souvent placés dans une posture passive. Au fil des rencontres et de manière plus marquée à la deuxième année du projet, les enseignants cherchent à concevoir des activités d’apprentissage qui comportent un défi à résoudre par la mobilisation de connaissances. Ils s’efforcent d’identifier et de mettre à l’essai des approches et des méthodes pédagogiques qui favorisent le questionnement, l’analyse, la découverte et l’action des étudiants. Les données de l’an deux montrent que dans la planification des activités d’apprentissage, les enseignants accordent davantage d’importance aux interactions et à la coopération entre les étudiants. Ainsi, les cours sont des occasions d’analyser et de résoudre des problèmes, de synthétiser des contenus, d’élaborer des schémas ou des tableaux, d’expliquer et de comparer sa compréhension d’un phénomène ou sa façon de faire en petits groupes, d’effectuer des exercices et d’évaluer le travail de ses pairs, etc. En somme, plusieurs mises à l’essai contribuent à rendre l’ensemble de leurs étudiants plus actifs et participatifs dans leurs apprentissages.

4.2.4 Le nombre élevé de consignes et d’étapes à réaliser

Certains ETA soulignent qu’un nombre élevé de consignes et d’étapes à réaliser nuit à leur compréhension de la tâche et qu’en conséquence, ils éprouvent des difficultés à s’organiser dans leur travail. Devant ce constat, les enseignants s’efforcent d’identifier dans leur plan de cours les activités impliquant de nombreuses étapes à réaliser ainsi que la mobilisation de plusieurs ressources. Ils examinent leur façon de structurer, de présenter et d’accompagner les étudiants lors de ces activités. Les propos recueillis révèlent qu’ils prennent conscience du fait qu’une partie des difficultés de compréhension et d’organisation des étudiants peuvent découler de facteurs pédagogiques. De ce constat résultent des efforts pour effectuer des ajustements dans leurs pratiques. Par exemple, ils rendent disponibles à tous les étudiants des outils organisationnels plus clairs et structurés: une planification séquentielle précise du contenu d’un cours, une liste de tâches à réaliser par rapport à une activité ou encore un inventaire de ressources et d’outils à consulter. Ils utilisent également des repères qui sollicitent à la fois les sens visuels et auditifs et présentent des exemples concrets de ce qui est attendu comme tâche ou comme travail. Globalement, les enseignants adaptent leurs activités et leur matériel de manière à favoriser la compréhension de l’ensemble des étudiants. Afin de soutenir spécifiquement certains ETA, des enseignants rapportent morceler les tâches à réaliser, offrir plus fréquemment des rétroactions en cours de réalisation et être plus attentifs à la progression de ces derniers.

4.2.5 La grande quantité d’informations à traiter

La grande quantité d’informations contenues dans les notes de cours, les textes ou encore les exposés est reliée à la difficulté de cibler ce qui est important et conséquemment, à se préparer pour les évaluations. Pour s’ajuster à ce défi, les enseignants offrent des plans de leçons pour chacun des cours, parfois sous forme d’arborescence, en précisant les thèmes importants et les sous-thèmes qui y sont associés. Ils utilisent des moyens pour morceler l’information contenue dans les notes de cours ou lors des exposés. Les enseignants offrent également des outils pour la prise de notes en indiquant certains repères sur les contenus essentiels et les idées principales. Ils illustrent les objets d’apprentissage à partir d’images, d’exemples concrets ou de paroles significatives afin de créer des repères pour les étudiants. Ils explicitent le contenu important par des repères visuels ou auditifs et proposent aux étudiants des stratégies afin de repérer ces éléments (par exemple surligner les idées principales).

Au terme de la première année du projet, les enseignants prennent conscience du fait que la plupart des pratiques mises à l’essai pour faire face aux obstacles rapportés par les ETA profitent à l’ensemble de leurs étudiants: Parce qu’elle me dit qu’elle ne comprend pas les travaux, je fais alors un aide-mémoire au tableau […] Là, ils vont faire: ah oui, oui, je comprends. Bon, ça sert à elle, mais ça sert à tout le monde (An2-R3, 1842). L’an deux du projet est alors marqué par un intérêt accru pour la différenciation pédagogique. Voulant combler ce besoin, les chercheuses invitent les enseignants à participer à une journée de formation sur la différenciation pédagogique lors d’un congrès. Ainsi, une autre partie des données témoigne de différentes mises à l’essai de pratiques différenciées: proposer des choix d’activités, de sujets ou de sources à utiliser, varier les processus au sein d’une même leçon et offrir plus souvent la possibilité de travailler seul, en dyade ou en équipe. Les participants disent apprécier la découverte de ces nouvelles possibilités d’action: J’ai découvert une nouvelle façon d’enseigner, pis c’est le fun, Au moins, je sais qu’ils aiment ça. J’ai un groupe que je n’ai jamais vu de même (An2-R3).

Qui plus est, en cherchant à réduire les obstacles à l’apprentissage, les discussions et questionnements du groupe se sont naturellement orientés vers ce que représente apprendre. Ces questions ont été approfondies graduellement. Les données montrent qu’à l’an deux, la planification des participants concerne moins des stratégies ponctuelles et davantage des situations complètes d’enseignement-apprentissage. Qui plus est, les réflexions recueillies entourant la planification de l’action se rapportent à un plus grand nombre de considérations: intentions pédagogiques, sens et utilité de l’activité ou des savoirs, nature du défi proposé et rôle de l’étudiant dans la construction de ses connaissances.

Pour conclure cette section, une dernière modalité de soutien paraît pertinente à expliciter. Le fait de rencontrer les ETA en début de session et après quelques cours est relié à plusieurs impacts positifs selon les participants. Ils insistent sur le fait que cette rencontre permet de renforcer leur relation et que l’étudiant se sent considéré. Ils ajoutent que leurs perceptions sur l’étudiant et le trouble d’apprentissage sont modifiées. En effet, ils affirment mieux comprendre leurs besoins ainsi que la pertinence d’adapter leur enseignement et de mettre en oeuvre les mesures d’accommodement prescrites. De plus, l’ETA leur fournit plusieurs pistes de solutions pouvant contribuer à le soutenir dans son apprentissage. Les retombées de ces rencontres sont décrites comme étant déterminantes dans le processus.

5. Discussion

Les résultats obtenus contribuent à enrichir la compréhension actuelle de la problématique entourant l’enseignement aux ETA dans le contexte collégial. La question des obstacles perçus par les enseignants concorde avec d’autres résultats de recherche qui mettent en évidence le manque de formation (Bouchard et Veillette, 2005; Dufour, 2008; MELS, 2010a). En ce qui a trait au manque de temps, les participants insistent sur l’apport crucial du dégagement d’une demi-journée par semaine dans le processus d’amélioration des pratiques. Selon eux, ce moment inclus dans leur tâche hebdomadaire facilite le travail d’analyse et de planification individuel ainsi que les rencontres collectives. Certes, les enseignants indiquent que la présence des ETA ajoute de nouvelles responsabilités à leur tâche d’enseignement. Or, les principales insatisfactions rapportées s’associent davantage à la lourdeur des opérations administratives reliées à certaines mesures d’accommodement (par exemple, la gestion des locaux pour les examens) et moins aux ajustements pédagogiques. Ce type de réponses individualisées, qui se multiplie à mesure que le nombre d’ETA augmente, est d’ailleurs critiqué par son coût élevé en temps et en énergie (Nolet et McLaughlin, 2005). Qui plus est, cela peut entraver les efforts visant à faire émerger des formes d’enseignement qui répondent aux besoins de tous les étudiants (Ainscow, 1996).

Les enseignants expriment plusieurs inquiétudes en ce qui concerne les relations entre l’ETA et les autres étudiants de la classe. Ils constatent que leur participation sociale n’est pas toujours optimale et éprouvent un malaise à aborder la question du trouble d’apprentissage et des mesures d’accommodement auprès des autres étudiants. Ils se demandent s’ils doivent en parler en classe et, le cas échéant, comment le faire. Ces constats mettent en évidence la nécessité de les aider à mieux comprendre les troubles d’apprentissage et la fonction des mesures d’accommodement. Des activités de formation auraient avantage à porter sur les moyens d’aborder ces questions, de favoriser la participation sociale des ETA, d’intervenir en cas de discrimination et de créer un climat de respect et de coopération entre les étudiants.

Les résultats de cette recherche montrent que plusieurs enseignants sentent une pression en provenance d’étudiants qui souhaitent que les pratiques et le soutien offert soient uniformes afin de pouvoir se démarquer des autres et ainsi accéder aux programmes universitaires contingentés. Au départ du projet, quelques propos recueillis laissent paraître une certaine confusion entre l’égalité et l’équité chez les enseignants. Bien intentionnés et motivés à l’idée de traiter également chaque étudiant, certains semblent accorder une valeur positive au fait d’uniformiser leurs pratiques. Or, dans une telle logique, certains étudiants pourraient ne pas obtenir le soutien nécessaire leur permettant d’avoir des chances égales de réussite. Les enseignants témoignent du fait que la différenciation de l’enseignement et les mesures d’accommodement entrent en contradiction avec certaines demandes du système scolaire. Lemay (2001) apporte un éclairage intéressant entourant ces questions fortement discutées pendant le projet. L’auteure stipule que les enseignants se retrouvent face à deux demandes contradictoires. Dans une logique de formation, l’enseignant doit soutenir l’apprentissage de chacun et le faire progresser de manière optimale en lui offrant l’aide particulière dont il a besoin. Or, le fonctionnement du système scolaire le place aussi dans une logique de sélection où son mandat est aussi de désigner les meilleurs étudiants à partir de méthodes d’enseignement et d’évaluation standardisées. Selon Lemay (2001), il s’agit de voies incompatibles qui causent des inconforts aux enseignants. L’enseignement aux étudiants en situation de handicap semble effectivement porteur de dilemmes éthiques et en ce sens, St-Vincent (2012) insiste sur l’importance de créer des espaces de dialogues ouverts et respectueux afin que les praticiens puissent mettre à jour et clarifier les enjeux collectifs et individuels impliqués.

Mise en évidence dans le cadre de cette étude, la préoccupation relative à la capacité des ETA à se conformer aux exigences du marché de l’emploi représente un discours répandu chez les enseignants (Boucher, 2011). Il importe à cet effet de susciter des réflexions entourant leur rôle principal qui est de prendre les moyens nécessaires pour que tous puissent développer leurs compétences et accéder aux apprentissages. Des enseignants croient à tort que les mesures d’accommodement représentent un nivellement vers le bas. Pour atténuer ces craintes, ils auraient avantage à être informés quant aux obligations des milieux de stage et des employeurs relativement à l’exercice des droits des personnes en situation de handicap. Le MELS (2010a) suggère d’ailleurs d’améliorer les connaissances des enseignants relatives aux questions légales.

Les résultats issus des premières rencontres montrent que les enseignants éprouvent des difficultés à comprendre les besoins des ETA, ce que d’autres travaux (MELS, Ibid.) ont révélé aussi. En plus de cet aspect, un défi relevé dans les résultats est celui d’adapter l’enseignement en conséquence. Ce constat ne paraît pas surprenant; le portrait de la population étudiante a changé radicalement dans un contexte où les enseignants sont rarement formés en éducation. Les résultats révèlent aussi qu’un moment crucial du projet correspond à l’étape où les enseignants se centrent sur les besoins des étudiants et établissent des ponts entre les difficultés que ces derniers vivent et leurs pratiques pédagogiques. Il s’agit d’un résultat important, car cela semble les aider à entrevoir de nouvelles options pédagogiques susceptibles de favoriser l’apprentissage.

Par ailleurs, il est intéressant de constater que ce projet visant initialement à aider les enseignants à soutenir l’apprentissage des ETA aura mené à l’identification de besoins et de défis qui concernent aussi des étudiants qui ne sont pas en situation de handicap. Les enseignants prennent conscience que cibler l’essentiel, demeurer concentré ou gérer simultanément plusieurs ressources, par exemple, représentent des défis auxquels font face plusieurs de leurs étudiants sans trouble d’apprentissage. De surcroît, un constat important que font ces derniers se rapporte au fait que plus souvent, les façons de répondre à ces défis s’associent davantage à des pratiques d’enseignement de qualité qui aident tous les étudiants et préviennent les difficultés. Les résultats indiquent que les enseignants ne se limitent pas à l’application obligatoire des mesures d’accommodements inscrites sur la note de service; ils identifient et mettent en oeuvre des options pédagogiques plus universelles qui favorisent l’apprentissage de tous. Ces constats renforcent l’importance de la formation relative aux approches qui favorisent l’apprentissage de tous en classe, telles que la conception universelle de l’apprentissage et la différenciation pédagogique, ainsi qu’aux pratiques d’enseignement efficaces et de qualité. L’analyse des données montre qu’en travaillant collectivement à trouver des moyens originaux pour soutenir l’apprentissage des ETA, les discussions se sont naturellement orientées autour de ce que représente apprendre ainsi que de la place des savoirs à l’intérieur des activités d’apprentissage. En se centrant sur l’apprentissage et en comprenant mieux les processus qui y sont liés, les participants entrevoient de nouvelles façons de faire. Nos résultats mettent en évidence qu’une meilleure compréhension des processus d’apprentissage est intimement liée à la mise en oeuvre de pratiques d’enseignement de plus grande qualité en contexte de diversité.

6. Conclusion

Cette recherche apporte certaines précisions quant aux défis auxquels les enseignants peuvent faire face et contribue à documenter certains obstacles à l’apprentissage vécus par les étudiants en plus de démontrer que les besoins qu’ils expriment ne sont pas «si particuliers». Une partie de la pertinence sociale de la recherche-action réside dans le fait qu’elle permet de travailler à partir des représentations des enseignants et les engage dans un processus créatif de résolution de problèmes. La formation ne peut se limiter à dire et à montrer quoi faire aux enseignants (Ainscow, 2003). Ces constats renforcent l’idée selon laquelle une voie importante pour le développement de l’inclusion scolaire est d’engager les enseignants dans une activité collective réflexive et critique où ils cherchent à identifier, à travers leurs propres pratiques, les obstacles à la participation sociale et à l’apprentissage de tous les étudiants (Ibid.).

Cette étude présente certaines limites. Premièrement, les constats ne sont pas d’application universelle et ne peuvent être transférés qu’à des contextes similaires. Deuxièmement, les retombées de cette recherche ne touchent pour l’instant qu’un petit nombre de praticiens. Il est par ailleurs possible que les enseignants retournent à leurs habitudes pédagogiques. Il serait intéressant que d’autres projets de recherche abordent plus spécifiquement les dilemmes éthiques que suscite la présence des étudiants en situation de handicap au collégial. Il y aurait aussi lieu d’étudier les défis et enjeux spécifiques liés à l’évaluation. Qui plus est, comme le soulignent Kumar et Wideman (2014) en parlant de la conception universelle de l’apprentissage, il existe actuellement peu d’évidences scientifiques relatives aux impacts de telles approches sur les étudiants. Il s’agit certainement d’une voie à explorer.