Corps de l’article

1. Introduction

Longtemps utilisé pour aider les élèves en situation d’échec à combler leur retard et à satisfaire aux exigences du programme de formation, le redoublement est progressivement abandonné au profit de solutions alternatives. En fait, il n’a jamais réussi à faire la preuve de son incidence positive sur les acquisitions et surtout, il a été constaté que celui-ci renforçait le problème du décrochage. La classe de prolongation de cycle est une mesure de remplacement qui se met progressivement en place dans certaines écoles au Québec afin d’aider les élèves à maîtriser les connaissances et compétences pour pouvoir vivre un passage réussi à la classe supérieure. Ses conséquences sur la motivation à apprendre et, par voie de conséquence, sur la persévérance sont pourtant méconnues. Comme celle-ci pourrait profiter à davantage d’élèves, il semble nécessaire de documenter pareilles conséquences. Cette étude examine ainsi les retombées associées à cette mesure sur les attentes de succès des élèves, ainsi que la valeur qu’ils accordent aux apprentissages.

2. Problématique

Tel qu’évoqué, le redoublement est reconnu scientifiquement comme étant inefficace (Griffith, Lloyd, Lane et Tankersley, 2010; Guèvremont, Roos et Brownwell, 2007; Hong et Raudenbush, 2005; Hong et Yu, 2007; Jimerson, 2001; McCoy et Reynolds, 1999; Pagani, Tremblay, Vitaro, Boulerice et McDuff, 2001; Wu, West et Hughes, 2008). Cette pratique controversée est pourtant toujours utilisée pour aider des élèves en situation d’échec à rattraper leur retard. Les élèves qui y sont soumis reprennent donc une année scolaire entière et revoient dans leur intégralité les mêmes contenus, afin d’atteindre le niveau de maîtrise requis pour pouvoir passer à une classe supérieure. Cela dit, il est très important de souligner que ceux-ci ont accès à une aide limitée (Jimerson et Kaufman, 2003), alors qu’elle favoriserait très certainement leur mise à niveau.

Les recherches, pour la plupart américaines, ont en effet fait ressortir que cette pratique n’exerçait pas vraiment un effet favorable sur le rendement des élèves et qu’elle pouvait mener ceux-ci à expérimenter des difficultés émotionnelles et sociales. En fait, les élèves qui avaient répété une année ne rapportaient pas de meilleurs résultats que leurs pairs qui affichaient eux aussi un retard, mais qui avaient été promus au niveau supérieur (Gleason, Kwok et Hughes, 2007; Griffith, Lloyd, Lane et Tankersley, 2010; Guèvremont, Roos et Brownell, 2007; Hong et Raudenbush, 2005; Hong et Yu, 2007; McCoy et Reynolds, 1999; Silberglitt, Appleton, Burns et Jimerson, 2006). Des données assez récentes suggèrent aussi que cette pratique pourrait ébranler l’estime personnelle des élèves (Jimerson et Ferguson, 2007; Nagin, Pagani, Tremblay et Vitaro, 2003), induire chez eux des symptômes dépressifs (Quiroga, Janosz, Lyons et Morin, 2012), perturber leurs relations avec leur entourage scolaire et les mener à développer des problèmes de comportement (Jimerson et Ferguson, 2007; Nagin, Pagani, Tremblay et Vitaro, 2003).

Les conséquences sur la motivation ne seraient pas plus positives. Il semblerait effectivement que le redoublement puisse mener les élèves à douter de leur compétence scolaire (Martin, 2009, 2011; McCoy et Reynolds, 1999; Therriault, Bader et Lapointe, 2011) et à dévaloriser les apprentissages (Rosário, Núñez, Valle, González-Pienda et Lourenço, 2013). D’ailleurs, les élèves ayant repris une année seraient plus à risque d’interrompre prématurément leurs études (Alexander, Entwisle et Dauber, 2003; Fine et Davis, 2003; Jimerson, Ferguson, Whipple, Anderson et Dalton, 2002; Ou et Reynolds, 2010; Rumberger, 2011). À la lueur de telles conséquences négatives, Hong et Raudenbush (2005) ont conclu qu’il valait peut-être mieux faire passer les élèves en situation d’échec au niveau supérieur, même s’ils ne maîtrisent pas les connaissances et compétences visées dans le programme.

Depuis la mise en place de sa dernière réforme, le ministère de l’Éducation du Québec (MELS, 2003) recommande d’ailleurs l’adoption de solutions alternatives pour aider les élèves en situation d’échec à récupérer leur retard dans les apprentissages. La classe de prolongation de cycle a été adoptée dans certaines écoles en conformité avec cette nouvelle orientation, mais celle-ci a fait l’objet de peu d’études empiriques. Il est donc difficile d’établir si elle engendre des retombées plus positives que le redoublement.

Bien qu’à première vue, cette classe puisse présenter des similitudes avec le redoublement qu’elle cherche à remplacer, elle prévoit et propose une aide personnalisée afin de donner la chance aux élèves de combler leur retard. En fait, comme le recommande Jimerson (2001), elle tient compte des progrès accomplis par ceux-ci et s’efforce de développer et de consolider chez eux des connaissances et habiletés, ainsi que des méthodes de travail, stratégies et comportements, qui sont nécessaires pour vivre un passage réussi en troisième secondaire. Sur le plan des apprentissages plus particulièrement, parce que les élèves n’ont pas réussi à satisfaire aux exigences de fin de premier cycle en français et/ou en mathématiques, les enseignants se font une priorité de les aider à se mettre à niveau. Aussi, le ratio maître-élèves y est réduit (1 enseignant: 20 élèves) et cela est favorable à un enseignement et à l’offre d’un soutien plus personnalisés. Comme le suggèrent ces quelques pistes, bien peu d’informations sont disponibles à propos de cette mesure alternative au redoublement. Une meilleure connaissance de celle-ci s’avérerait pourtant profitable, puisqu’elle semble avoir le potentiel d’aider les élèves en situation d’échec à développer des dispositions favorables à leur persévérance dans les apprentissages. Cette étude répond à ce besoin et elle documente ainsi l’incidence de la classe de prolongation de cycle sur la motivation à apprendre d’élèves en situation d’échec.

3. Contexte théorique

La motivation scolaire est un construit multidimensionnel. Pour estimer l’orientation que prend celle-ci sous l’effet du dispositif étudié, cette recherche s’appuie sur un modèle attente-valeur qui a été proposé par Pintrich et Schrauben (1992). Comme son nom le suggère, ce modèle à deux composantes permet de poser un regard sur les attentes de succès des élèves et la valeur qu’ils accordent aux apprentissages; des perceptions qui seraient à l’origine du désir de s’engager, qui, lui, se veut une manifestation observable de la motivation. Plus spécifiquement, le modèle en question permet de se pencher sur l’évaluation que les élèves font de leur compétence (inhérente à la composante des attentes de succès), ainsi que le jugement qu’ils posent sur l’intérêt et la valeur des apprentissages et les buts qu’ils poursuivent en lien avec ceux-ci (inhérents à la composante de la valeur accordée aux apprentissages). Ces concepts clés sont d’ailleurs définis ci-après.

Ainsi, le sentiment de compétence fait référence au jugement que posent les élèves sur leurs habiletés scolaires générales et propres à des apprentissages particuliers. Ce sentiment permettrait de déterminer le degré de confiance qu’ont les élèves en leur capacité de réussir (Eccles et Wigfield, 2002). Par voie de conséquence, il permettrait aussi d’inférer le niveau d’efforts que ceux-ci sont prêts à investir (Wigfield, Eccles, Schiefele, Roeser et Davis-Kean, 2006), ce qui revient à dire qu’il jouerait un rôle déterminant dans le choix de s’engager (Bouffard et Vezeau, 1998; Fredricks, Blumenfeld et Paris, 2004).

Pour ce qui est de l’intérêt, il peut être défini comme l’attrait et la satisfaction que les élèves éprouvent en lien avec les apprentissages. Il influencerait leur degré de vigilance (Hidi et Renninger, 2006) et les buts qu’ils choisissent de se fixer (Hidi, 2001; Wigfield, Eccles, Schiefele, Roeser et Davis-Kean, 2006). Hidi et Renninger (2006) se sont d’ailleurs prononcées sur les caractéristiques communes aux tâches qui éveillent l’intérêt. Ces tâches prendraient une signification personnelle et une allure nouvelle et susciteraient un engagement actif. L’utilité perçue, pour sa part, consiste en un jugement que posent les élèves sur l’utilité des tâches et les conséquences du choix de s’engager dans celles-ci (Wigfield, Cambria et Eccles, 2012). Cette évaluation pourrait être inspirée des caractéristiques des tâches elles-mêmes, de préférences individuelles, de perceptions en lien avec les compétences et de la difficulté de la tâche, de souvenirs affectifs et interprétations liés aux réalisations antérieures et, enfin, d’attitudes et attentes perçues dans l’entourage (Wigfield, Eccles, Schiefele, Roeser et Davis-Kean, 2006). Il faut préciser que l’utilité perçue peut être liée à des buts à court ou plus long terme. En effet, une tâche peut paraître peu intéressante dans l’immédiat et être tout de même perçue comme étant importante, car elle est associée à une cible à atteindre (Wigfield, Eccles, Schiefele Roeser et Davis-Kean, 2006). Les élèves prennent effectivement soin de déterminer si les activités scolaires correspondent aux buts qu’ils poursuivent. À cet effet, ils pourraient tendre vers l’adoption de buts de maîtrise. Si c’est le cas, ils accorderont une valeur accrue au processus d’apprentissage et chercheront à acquérir de nouvelles connaissances, habiletés et compétences (Belenky et Nokes-Malach, 2012). Cela pourrait les mener notamment à faire usage de stratégies d’apprentissages sophistiquées (Linnenbrink et Pintrich, 2002). Les élèves pourraient aussi pencher vers l’adoption de buts de performance. Le cas échéant, ils seront grandement préoccupés par leur rendement (Grant et Dweck, 2003). Concrètement, ils pourraient alors chercher à faire la démonstration de leurs compétences et que celles-ci soient socialement validées par d’autres (ibid., 2003). Il convient de préciser que ces deux types de buts ne s’excluent pas mutuellement. Bien au contraire, ils peuvent même être compatibles.

Les chercheurs qui ont documenté l’évolution de différentes dimensions de la motivation chez des élèves en situation de reprise ont surtout relevé des déclins. Récemment, Martin (2009, 2011), Therriault, Bader et Lapointe (2011) et, avant eux, McCoy et Reynolds (1999) ont effectivement observé que les élèves soumis à cette pratique en venaient à réévaluer à la baisse leur compétence scolaire. La première équipe de chercheurs a aussi relevé que la reprise menait les élèves à se désintéresser des apprentissages et à les dévaloriser. Ils ont d’ailleurs observé que les élèves en venaient à délaisser les buts de maîtrise. Des résultats semblables, indiquant que cette pratique pourrait avoir un effet négatif sur les perceptions que les élèves ont en lien avec leurs capacités et la valeur de certaines stratégies qui visent à favoriser les apprentissages, ont été partagés par Rosário, Núñez, Valle, González-Pienda et Lourenço (2013). Ces chercheurs en sont d’ailleurs venus à proposer qu’au lieu de contraindre les élèves à reprendre une année, il vaudrait mieux leur permettre de poursuivre un cheminement normal et leur faire bénéficier d’interventions qui sont susceptibles de les aider à rattraper leur retard.

3.1 La présente étude

Si la classe de prolongation de cycle ne permet pas aux élèves de poursuivre un parcours normal, celle-ci met néanmoins à leur disposition un soutien qui les aide à faire les acquisitions nécessaires pour pouvoir réintégrer, dès l’année suivante, la classe ordinaire. Cela dit, très peu de données sont disponibles à son sujet et permettent ainsi d’estimer ses effets potentiels sur les dimensions préalablement décrites et qui sont révélatrices de la motivation que les élèves témoignent envers les apprentissages. Pourtant, de pareilles connaissances permettraient de déterminer si cette mesure génère des effets plus désirables que le redoublement et si elle mérite ainsi d’être appliquée à différents cycles et ordres d’enseignement. La présente étude cherche à répondre à ce besoin et elle poursuit donc les objectifs spécifiques suivants:

  1. Comparer sur une durée d’un an l’évolution des attentes de succès générales et disciplinaires (en français et en mathématiques) chez des élèves ayant expérimenté la prolongation de cycle par rapport à celles de pairs du même âge, sans difficulté reconnue, qui étaient scolarisés en classe ordinaire;

  2. comparer sur une durée d’un an l’évolution de la valeur accordée à la scolarisation et aux apprentissages (en français et en mathématiques) chez ces deux groupes d’élèves qui étaient soumis à ces différentes conditions de scolarisation.

Les élèves qui font l’expérience de cette mesure alternative sont donc comparés à des pairs du même âge qui ont été promus en troisième secondaire. En fait, comme cela a été fait dans le cadre de recherches s’intéressant aux conséquences du redoublement, un tel procédé permet de se pencher sur le vécu d’élèves d’un certain âge ayant bénéficié ou non de la mesure à l’étude. À cet effet, si on garde en tête que la motivation fluctue normalement à la baisse pendant l’adolescence (Dotterer, McHale et Crouter, 2009; Fredricks et Eccles, 2002; Jacobs, Lanza, Osgood, Eccles et Wigfield, 2002; Middleton, Kaplan et Midgley, 2004; Watt, 2004), une telle démarche de comparaison peut aider à interpréter les effets propres à la mesure étudiée. Aussi, un tel procédé peut permettre de faire un parallèle entre les conséquences propres à la prolongation de cycle et celles qui sont associées au redoublement, car les études s’intéressant précisément aux effets de cette dernière pratique s’y prenaient souvent de cette même façon.

4. Méthodologie

4.1 Participants

Au total, 116 élèves francophones, plus spécifiquement 64 garçons et 52 filles, fréquentant 3 écoles secondaires publiques montréalaises, ont été sondés pendant l’année scolaire 2010-2011. Ceux-ci étaient alors âgés de 13 à 17 ans (X̅ = 14,84 ans, σ = ,72) et étaient scolarisés en classe de prolongation de cycle (n = 74 élèves en situation d’échec) et en classe ordinaire de troisième secondaire (n = 42).

4.2 Instrumentation

Un questionnaire papier a été administré en classe et celui-ci était constitué de onze sous-échelles. Les sous-échelles en question ont permis de mesurer chez les élèves leurs attentes de succès générales et spécifiques aux domaines du français et des mathématiques et (de la même façon) la valeur qu’ils accordent à la scolarisation en général et aux apprentissages dans les deux matières qui viennent d’être citées. Précisons que l’instrument était rédigé en français et que, pour chaque item, les élèves devaient encercler, sur une échelle de réponse de type Likert, graduée de 1 (fortement en désaccord) à 6 (fortement d’accord), une réponse correspondant à leur perception personnelle.

Ainsi, les attentes de succès scolaires générales et celles liées plus spécifiquement aux apprentissages en français et en mathématiques ont été documentées à l’aide de trois sous-échelles élaborées et validées par Harter (1982) et traduites par Pierrehumbert, Zanone, Kauer-Tchicaloff et Plancherel (1988): le sentiment de compétence à l’école (quatre items, α = ,69; p. ex.: «Je suis aussi bon(ne) que les autres à l’école») et les sentiments de compétence en français (quatre items, α = ,86; p. ex.: «Je trouve que je suis bon(ne) en français») et en mathématiques (quatre items, α = ,89; p. ex.: «Je réussis bien les activités en maths»).

Quant à la valeur accordée à la scolarisation en général et aux apprentissages en français et en mathématiques, elle a été documentée à l’aide de huit sous-échelles tirées des travaux de différents chercheurs: l’intérêt pour les études (trois items, α = ,81; p. ex.: «Ce qu’on fait en classe est intéressant») et l’utilité perçue des études (quatre items, α = ,87; p. ex.: «Ce qu’on apprend à l’école me sera utile dans la vie») validées par Ntamakiliro, Monnard et Gurtner (2000); l’adoption de buts de maîtrise (trois items, α = ,83; p. ex.: «Le plus important pour moi à l’école, c’est d’apprendre le plus possible») et de performance (quatre items, α = ,84; p. ex.: «C’est important pour moi d’être un(e) des meilleur(e)s de ma classe») validées par Harackiewicz, Durik, Barron, Linnenbrink-Garcia et Tauer (2008); l’intérêt pour les tâches en français (quatre items, α = ,78; p. ex.: «Ce qu’on fait en français est intéressant») et l’utilité perçue de celles-ci (quatre items, α = ,83; p. ex.: «Ce qu’on apprend en français est utile et nécessaire»), ainsi que l’intérêt pour les tâches en mathématiques (trois items, α = ,72; p. ex.: «Ce qu’on fait en maths est vraiment très intéressant») et l’utilité perçue de celles-ci (trois items, α = ,72; p. ex.: «Ce qu’on apprend en maths est utile et nécessaire») elles aussi validées par Ntamakiliro, Monnard et Gurtner (2000).

4.3 Déroulement

Deux collectes de données ont été réalisées au cours de l’année scolaire 2010-2011, soit une première en début d’année et une seconde en fin d’année. À la suite de celles-ci, les réponses des élèves ont été numérisées à l’aide de la version 21 du logiciel IBM SPSS et soumises à des analyses.

4.4 Méthode d’analyse

Afin de mesurer l’évolution de la motivation d’élèves scolarisés en classe de prolongation de cycle par rapport à celles d’élèves cheminant en classe ordinaire (3e secondaire), des analyses de variance multivariées à mesures répétées (MANOVA) ont été effectuées. Deux analyses ont été réalisées, une première sur des dimensions reflétant les attentes de succès générales et disciplinaires et une seconde sur des dimensions liées aux valeurs générales et disciplinaires. Les deux facteurs suivants ont été considérés: le groupe d’appartenance et le temps de mesure. Les variables dépendantes ont donc fait l’objet d’analyses de variance de type 2 (groupes) X 2 (temps de mesure). À noter, lorsqu’un test multivarié indiquait un effet significatif, un regard était posé sur les résultats du test univarié afin d’identifier la ou les dimension(s) sur laquelle/lesquelles le ou les facteurs considéré(s) agissai(en)t. La taille de ce ou ces dernier(s) effet(s) a été estimée à l’aide du coefficient «êta carré partiel» (ηp²).

5. Résultats

Voici les résultats des analyses qui ont été réalisées afin de comparer l’évolution de la motivation à apprendre chez des élèves ayant expérimenté la classe de prolongation de cycle comparativement à celles de pairs du même âge qui ont été promus en troisième secondaire.

5.1 Effets sur les attentes de succès

Afin de déterminer si les attentes de succès ont évolué de manière distincte chez les deux groupes, tel que précisé, une première analyse a été effectuée sur ces trois variables: le sentiment de compétence général et ceux plus spécifiques aux apprentissages en français et en mathématiques. Les résultats du test multivarié (Trace de Pillai) indiquent que l’effet du groupe n’atteint pas le seuil de signification (F(3,112) = 1,17, p = ,33). Il en est de même pour l’effet du temps (F(3,112) = 1,98, p = ,12). L’interaction de ces deux facteurs est néanmoins significative (F(3,112) = 12,36, p < ,001).

L’analyse univariée (ANOVA) révèle que deux dimensions sont soumises à l’influence de l’interaction du groupe d’appartenance et du temps, soit le sentiment de compétence à l’école et celui plus spécifique aux apprentissages en français (voir tableau 2). D’abord, en ce qui concerne le sentiment de compétence général, une augmentation est décelée chez les élèves expérimentant la prolongation de cycle. Il convient toutefois de spécifier qu’en début d’année ceux-ci se sentaient moins compétents que leurs pairs scolarisés en classe ordinaire (troisième secondaire) (voir figure 1). Une telle différence entre les groupes n’est toutefois plus décelée en fin d’année. Des résultats semblables ressortent en ce qui concerne le sentiment de compétence spécifique aux apprentissages en français. Celui-ci s’est encore une fois amélioré chez les élèves expérimentant la prolongation de cycle. Par opposition, pendant cette même période, les élèves scolarisés en classe ordinaire ont rapporté un sentiment de compétence en baisse. De plus, les deux groupes se distinguaient à la première et à la seconde mesure. En début d’année, les élèves en prolongation de cycle se sentaient moins compétents vis-à-vis cette matière, mais ils ont rapporté un gain tel qu’ils en sont venus à s’exprimer plus favorablement que leurs homologues scolarisés en classe ordinaire à la fin de l’année scolaire (voir figure 2). Les valeurs «êta carré partiel» (ηp²) associées à ces deux effets significatifs sont respectivement de ,17 et ,20 et cela indique donc que ceux-ci sont de grande taille (Cohen, 1988).

Tableau 1

Corrélations bivariées

Corrélations bivariées

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Tableau 2

Moyenne (X̅) et écart-type (σ) et valeur de F, degré de signification et taille de l’effet (ηp²) des variables associées aux attentes de succès

Moyenne (X̅) et écart-type (σ) et valeur de F, degré de signification et taille de l’effet (ηp²) des variables associées aux attentes de succès

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Figure 1

Évolution du sentiment de compétence général

Évolution du sentiment de compétence général

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Figure 2

Évolution du sentiment de compétence en français

Évolution du sentiment de compétence en français

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5.2 Effets sur la valeur accordée aux apprentissages

De la même manière, afin de déterminer si la valeur générale consacrée à la scolarisation et celle accordée plus spécifiquement aux apprentissages en français et en mathématiques ont évolué distinctement, une seconde analyse a été réalisée sur ces huit variables: l’intérêt et l’utilité perçue des études, les buts de maîtrise et de performance et l’intérêt et l’utilité perçue des apprentissages en français et en mathématiques. Les résultats du test multivarié indiquent encore une fois que l’effet du groupe n’atteint pas le seuil de signification (F(8,107) = 1,38, p = ,22). En revanche, ils indiquent un effet significatif du temps (F(8,107) = 4,34, p < ,001). Quant à l’interaction de ces deux facteurs, elle est aussi non significative (F(8,107) = 1,12, p = ,36). L’analyse univariée (ANOVA) vient préciser que, dans le temps, l’utilité perçue des études, les buts de maîtrise, les buts de performance et l’utilité perçue des apprentissages en mathématiques ont tous diminué (voir tableau 3). Comme les révèlent les coefficients «êta carré partiel» (ηp²), les trois premiers effets sont de moyenne taille. Des valeurs de ,10, ,08 et ,10 sont notées au regard de cet indice. Il n’y a effectivement que le dernier résultat, relatif à l’utilité perçue des apprentissages en mathématiques, qui est assorti d’un coefficient de ,04 indiquant un effet de petite taille.

Tableau 3

Moyenne (X̅) et écart-type (σ) et valeur de F, degré de signification et taille de l’effet (ηp²) des variables associées à la valeur accordée à l’école et aux apprentissages (en français et en mathématiques)

Moyenne (X̅) et écart-type (σ) et valeur de F, degré de signification et taille de l’effet (ηp²) des variables associées à la valeur accordée à l’école et aux apprentissages (en français et en mathématiques)

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6. Discussion

6.1 Différences attribuables au dispositif à l’étude

L’augmentation du sentiment de compétence général, chez les élèves expérimentant la prolongation de cycle, est quelque peu surprenante. En fait, pendant l’adolescence, les élèves en viennent typiquement à éprouver de plus en plus de doutes quant à leurs capacités (Fredricks et Eccles, 2002; Jacobs, Lanza, Osgood, Eccles et Wigfield, 2002; Watt, 2004). Le gain en question ne peut d’ailleurs pas être observé chez les élèves qui ont été promus en troisième secondaire. Ainsi, cela suggère que le dispositif à l’étude pourrait avoir un effet positif, du moins, sur cette dimension de la motivation. Il semble, à tout le moins, qu’il s’avère moins néfaste que le redoublement, qui minerait de pareilles croyances en lien avec les capacités (Martin, 2009, 2011; Therriault, Bader et Lapointe, 2011).

À cet effet, il se peut que cette augmentation, liée au sentiment de compétence général, soit attribuable simplement au fait que les élèves en classe de prolongation de cycle considéraient les performances de leurs pairs pour juger de leur propre efficacité (Bandura, 1997). En effet, ils côtoyaient quotidiennement des élèves qui éprouvaient des difficultés semblables aux leurs et il y a lieu de croire qu’ils avaient alors, en certaines occasions, l’opportunité de se comparer et d’évaluer plus positivement leurs performances. Par opposition, les élèves cheminant en classe ordinaire sont exposés à des pairs faisant preuve de niveaux d’habiletés supérieurs. Comparant leurs performances à celle d’élèves réussissant mieux, leurs croyances quant à leurs capacités pouvaient être ébranlées. Ainsi, c’est peut-être parce que les élèves en prolongation de cycle se comparent à des pairs de niveaux similaires qu’ils en viennent à poser un regard plus favorable sur leurs habiletés.

Un résultat semblable ressort en ce qui concerne le sentiment de compétence spécifique aux apprentissages en français. Un gain est noté chez les élèves qui ont expérimenté la prolongation de cycle, alors qu’une diminution est relevée chez les élèves cheminant en classe ordinaire. Il y a lieu de penser qu’un même processus de comparaison est à l’origine du gain relevé chez les élèves expérimentant le dispositif à l’étude.

Ces deux résultats sont donc à l’avantage des élèves scolarisés en classe de prolongation de cycle et ils peuvent être dus à des influences multiples. Par exemple, il se pourrait que la réduction du ratio maître-élèves ait permis de mieux répondre aux besoins différenciés des élèves. Le cas échéant, les élèves ont pu faire à nouveau l’expérience de petits succès, ce qui leur a permis de regagner quelque peu confiance en leurs capacités. Si cette interprétation traduit effectivement la réalité, ce gain coïnciderait alors avec celui noté récemment, en pareilles circonstances, par une équipe de chercheurs espagnols (Recio et Díaz, 2010).

Sans être précisément attribuables au ratio maître-élèves, il se peut aussi que ces résultats soient liés simplement à l’attention et au soutien dont ont bénéficié les élèves soumis à ce nouveau dispositif (Hansen et Larson, 2007). Des interactions plus individualisées ont peut-être permis aux enseignants de mieux apprécier les progrès réalisés par les élèves et cela les a peut-être d’ailleurs menés à offrir plus fréquemment de la rétroaction positive. Le cas échéant, cela a peut-être mené les élèves à se sentir plus compétents. Dans le même esprit, mais du point de vue des élèves, parce qu’ils interagissaient de manière plus fréquente et proximale avec leur enseignant, peut-être parvenaient-ils à mieux interpréter les jugements qui étaient posés sur leurs performances et cela a pu engendrer un effet bénéfique sur leurs croyances par rapport à leurs capacités (Bandura, 1997).

Quoique moins probable, il se peut, par ailleurs, que ces gains soient dus au fait que les élèves étaient conscients que le dispositif dont ils bénéficiaient faisait l’objet d’une évaluation. Ainsi, afin de plaire à leurs enseignants qui y avaient investi beaucoup de leur temps et de leurs énergies, ils ont pu s’exprimer avec davantage d’enthousiasme qu’ils ne l’auraient fait en d’autres circonstances. Or, si cette explication est juste, des gains auraient dû être relevés sur plusieurs des dimensions de la motivation qui ont été mesurées. Évidemment, selon cette même logique, les élèves en classe ordinaire n’auraient probablement pas perçu la pertinence de se prononcer de manière plus favorable qu’ils ne le font habituellement, parce qu’ils ne faisaient pas l’expérience d’un dispositif dont l’efficacité était évaluée.

6.2 Effets généraux sur la motivation

De manière moins surprenante, nos résultats révèlent, pour la plupart des élèves, des diminutions significatives dans le temps sur des variables liées à la valeur perçue de l’école et des apprentissages scolaires, c’est-à-dire l’utilité perçue des études, les buts de maîtrise et de performance et l’utilité perçue des mathématiques. Ces dimensions sont toutes liées positivement et il n’est donc pas surprenant qu’elles prennent une orientation semblable (voir tableau 1). De même, ces diminutions concordent en quelque sorte avec les observations effectuées préalablement par d’autres chercheurs selon lesquelles, à l’adolescence, les élèves auraient tendance à dévaloriser les apprentissages (Jacobs, Lanza, Osgood, Eccles et Wigfield, 2002; Middleton, Kaplan et Midgley, 2004; Watt, 2004).

En ce qui concerne les buts plus précisément, rappelons que ceux-ci ne sont pas mutuellement exclusifs et, ainsi, des élèves qui dévalorisent l’acquisition ou l’amélioration de connaissances et de compétences peuvent aussi être peu enclins à faire la démonstration de leurs habiletés (Darnon, Dompnier, Gilliéron et Butera, 2010; Shim, Ryan et Anderson, 2008). À noter, ceux-ci peuvent adopter des buts additionnels qui n’ont pas été examinés dans le cadre de cette étude, qui s’appuyait sur le modèle de Pintrich et Schrauben (1992), et qui, par conséquent, n’a prêté attention qu’aux orientations de performance et de maîtrise. D’ailleurs, parce que les intentions des élèves peuvent être beaucoup plus complexes qu’elles ne le semblent de prime abord, certains chercheurs adoptent des modèles théoriques plus sophistiqués (Elliot et McGregor, 2001; Elliot, Murayama et Pekrun, 2011) pour étudier exclusivement les buts poursuivis par les élèves en situation d’apprentissage et le lien entre ceux-ci et leur engagement et leur persévérance dans les apprentissages.

7. Conclusion

La présente étude visait donc à documenter l’évolution de la motivation d’élèves du secondaire scolarisés en classe de prolongation de cycle. Les résultats permettent de relever chez ceux-ci une augmentation de leur sentiment de compétence à l’école et de celui plus spécifique aux apprentissages en français. Il se pourrait ainsi que le dispositif étudié ait exercé un effet positif sur les attentes de succès et qu’il soit plus favorable à la motivation des élèves en situation d’échec que ne l’est le redoublement (Martin, 2009, 2011; Rosário, Núñez, Valle, González-Pienda et Lourenço, 2013). Il convient d’ailleurs de rappeler qu’il est courant que ces attentes se détériorent à cet âge. Cela incite donc d’autant plus à croire que le dispositif ait effectivement pu exercer une influence positive. Mais, comme le suggèrent les différentes pistes qui ont été proposées, des facteurs qui n’ont pas été contrôlés peuvent entretenir un lien avec ces résultats.

À cet effet, la principale contribution de cette recherche aux connaissances consiste à avoir généré des résultats qui offrent un premier aperçu des retombées sur la motivation qui sont associées à cette mesure alternative au redoublement, même s’il est difficile de proposer une interprétation claire de ces retombées. Quant aux bénéfices pour la pratique enseignante, ils sont évidemment limités étant donné que seules les perceptions personnelles des élèves ont été documentées. Néanmoins, en référence aux pistes qui ont été avancées, il y a lieu de penser encore une fois qu’un ratio maître-élèves réduit permet d’intervenir de manière plus personnalisée et, incidemment, cela permet peut-être de mieux soutenir les élèves non seulement dans la construction de leurs connaissances et compétences, mais aussi sur le plan motivationnel. Si cette hypothèse est juste, il conviendrait alors de garder en tête cette piste lors de la planification d’interventions remédiatrices destinées à des élèves en difficulté ou en situation d’échec.

Même si cette étude a été menée avec rigueur, il faut reconnaître qu’elle présente plusieurs limites. D’abord, elle s’est limitée à documenter les perceptions des élèves soumis à ces différentes conditions de scolarisation. Il aurait pourtant été profitable de rencontrer les enseignants intervenant en classe de prolongation de cycle et de recueillir auprès de ceux-ci des informations en ce qui a trait aux pratiques auxquelles ils ont recours pour soutenir la motivation de leurs élèves. Ces informations auraient permis de mieux décrire ce modèle organisationnel et de cerner en quoi il se distingue du redoublement. Aussi, cela aurait permis de faire une meilleure interprétation des changements qui se sont produits sur les dimensions mesurées.

De plus, si une telle étude était reproduite, il serait profitable de documenter les acquisitions des élèves en français et en mathématiques, afin d’établir si leurs perceptions traduisent fidèlement l’état de leurs compétences et afin de déterminer si la prolongation de cycle s’avère plus profitable que le redoublement pour soutenir les élèves en situation d’échec à combler leur retard.

Dans un autre ordre d’idées, il faut admettre que l’échantillon était de petite taille. À ce titre, il aurait été avantageux de pouvoir sonder davantage d’élèves faisant l’expérience de ce dispositif, par exemple en recrutant plusieurs classes où celui-ci est testé. En plus de remédier à cette limite, une telle initiative aurait permis de mieux documenter les caractéristiques de ce dispositif, d’estimer plus justement ses effets sur la motivation et de discerner en quoi il se distingue du redoublement qu’il vient remplacer.

Enfin, il est probable que cette étude n’estime que partiellement les retombées associées à un tel dispositif. En fait, les enseignants participant à la mise en oeuvre en étaient à une première expérience. Leurs pratiques sont susceptibles de se bonifier. Ainsi, afin de constater la pleine mesure de l’efficacité de la prolongation de cycle, il serait intéressant, si une telle étude était renouvelée, de solliciter à nouveau leur participation. Peut-être que des différences plus révélatrices pourraient alors être observées.