Corps de l’article

1. Introduction

C’est en tant que formatrice et chercheuse que nous partageons notre étude[1] conduite à partir de l’interrogation suivante: Comment et sur quoi des artistes en formation à l’enseignement des arts, inscrits dans un programme de maîtrise qualifiante et ayant déjà un emploi comme enseignants d’un art dans une école primaire ou secondaire, peuvent-ils réfléchir pour améliorer leur pratique et construire leur identité professionnelle? Cette interrogation a impulsé la mise en oeuvre d’un dispositif pédagogique visant à développer la compétence professionnelle «S’engager dans une démarche individuelle et collective de développement professionnel» du référentiel des compétences en enseignement (Gouvernement du Québec, 2001) chez des artistes-enseignants. Puis, une deuxième interrogation relevant plus spécifiquement de la recherche a émergé: Est-ce qu’un dispositif pédagogique à visée réflexive (Maleyrot, 2015) centré sur des tensions identitaires[2] (Bourgeois, 2006; Kaddourri, 2006) ressenties (ou non) en pratique peut aider ces enseignants-artistes dans l’exercice de leurs fonctions, ainsi que dans la construction de leur identité professionnelle?

Il nous a semblé que les objets de réflexion de ces personnes en développement professionnel sont particulièrement intéressants à sonder dans le sens où l’on peut supposer que leur engagement dans l’enseignement a pu amener chez eux une rupture avec la pratique artistique soutenue, ou une poursuite de cette pratique simultanément à leur enseignement qui entraîne son lot de défis. En effet, comme le propose Bonin (2017), les artistes-enseignants en formation à l’enseignement peuvent ressentir un malaise «à se définir et à se projeter professionnellement. Ne sachant trop s’ils s’identifient au milieu de l’art ou au milieu de l’éducation, ils développent souvent une représentation dichotomique ou floue de leur profession» (p. 177) pouvant induire des tensions. Dans le cas qui nous intéresse, l’identité des artistes en formation à l’enseignement des arts oscille entre deux pôles: les pôles artistique et éducatif. Il peut s’avérer déchirant de faire le choix de l’enseignement tout en vivant un deuil de la pratique artistique soutenue ou de ne se sentir ni un artiste reconnu ni un enseignant qualifié dans le monde de l’éducation. Cet entre-deux (Tap, 1979) pôles peut initier un processus tensionnel chez les artistes-enseignants au cours duquel les tensions identitaires qu’ils peuvent ressentir ne sont pas nécessairement amenées à leur conscience ou même nommées. Par ailleurs, comme Kaddouri (2006) le spécifie, ces tensions peuvent provoquer un déséquilibre ou une rupture ouvrant des espaces de négociations identitaires propices aux changements et aux transformations identitaires. Or, nous pouvons penser que s’intégrer à l’école, y faire sa place et agir en classe avec ses élèves supposent des tensions identitaires à gérer pour ces artistes qui retournent sur les bancs de l’école pour suivre une formation en pédagogie.

Cet article rend compte d’une étude exploratoire visant premièrement à examiner un dispositif à visée réflexive (qui sera décrit plus loin) guidant des artistes en formation à l’enseignement des arts dans l’examen des tensions identitaires qu’ils peuvent vivre pour se construire une identité professionnelle enseignante et pour trouver leur cohérence identitaire du soi professionnel[3]. Deuxièmement, l’étude vise à analyser les retombées possibles d’un dispositif pédagogique à visée réflexive sur des artistes-enseignants en formation, car nous faisons l’hypothèse qu’une réflexion, bien que centrée sur les tensions identitaires, peut contribuer à améliorer les pratiques.

Au fil du texte, après avoir examiné le contexte dans lequel les artistes en formation évoluent pour se former, nous aborderons la problématique des formateurs pour faire réfléchir les artistes-enseignants. Nous reviendrons ensuite sur les concepts mobilisés dans le dispositif pédagogique à visée réflexive avant d’aborder l’approche méthodologique compréhensive et interprétative de notre étude exploratoire qui nous a permis d’analyser les apports pour les participants du dit dispositif et de dégager certains processus identitaires à l’oeuvre (spécifions tout de suite que pour ce faire nous avons dû rompre le lien d’autorité et d’évaluation[4] avec les participants afin de réduire la désirabilité sociale). Puis, grâce aux mots des participants, nous présenterons des constructions de sens qu’ils ont élaborées durant l’exercice de réflexion sur des tensions identitaires. Pour terminer, nous décrirons des retombées du dispositif pour eux en lien avec les concepts d’intelligibilité mobilisés dans la problématique.

2. Problématique en contexte

Au Québec, en raison de l’article 46 de la loi d’instruction publique relatif aux autorisations d’enseigner, des enseignants des arts non légalement qualifiés ont pu enseigner sans brevet d’enseignement dans des écoles primaires et secondaires grâce à une tolérance d’embauche ou grâce à des autorisations provisoires d’enseigner. Cependant, depuis 2011, un décret ministériel les contraint à se former à l’enseignement à l’université afin d’obtenir un brevet. Pour conserver leur poste en milieu scolaire, plusieurs artistes qui enseignaient une parmi quatre disciplines artistiques (arts plastiques, art dramatique, musique et danse) se sont vus confrontés à cette contrainte. Depuis ce décret, la possibilité de s’inscrire à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) au programme de maîtrise en enseignement des arts (MEA) tout en conservant leur emploi s’offre à eux pour obtenir un brevet. D’ailleurs, l’UQAM est la seule université à offrir ce programme au Québec.

Dans ce programme de maîtrise qualifiante dans lequel le modèle du professionnel réflexif (Schön, 1994) est mis en oeuvre – tout comme dans les autres programmes de formation à l’enseignement – la maîtrise de douze compétences en enseignement (Gouvernement du Québec, 2001)[5] est exigée des artistes-enseignants pour l’obtention du diplôme menant au brevet décerné par le ministère.

Pour être admis à la formation, en plus d’avoir un contrat dans une école, ces artistes enseignants doivent posséder un baccalauréat[6] ou l’équivalent dans la discipline qu’ils enseignent. Ils détiennent donc, dès le début de leur formation universitaire de 2e cycle, une expérience de la profession enseignante sans avoir suivi une formation pédagogique formelle au préalable. La formation qualifiante exigée devient alors concomitante à leur pratique telle une formation continue, s’éloignant dès lors du modèle de formation initiale à l’enseignement de 1er cycle en alternance. Toutefois, le développement d’une posture de praticien réflexif (Altet, 1994; Beckers, 2007; Correa Molina, Collin, Chaubet, Gervais, 2010; Donnay et Charlier, 2008; Gouvernement du Québec, 2001; Paquay, 1994, Perrenoud, 2001) dans l’exercice de leur profession est maintenu d’un cycle universitaire à l’autre. Vacher (2011), à cet effet, soulève que «les masters centrés sur les métiers de la formation qui se mettent en place, bien que sous contraintes, offrent probablement des perspectives de développement ou d’entrée dans la pratique réflexive» (p. 76). Or, cette façon de faire, liée au paradigme réflexif des formations à l’enseignement (Paquay, 1994), destine les étudiants à devenir des praticiens réflexifs, ceci afin de «mieux s'adapter à la réalité changeante du milieu de travail. L’enseignant se doit d’avoir une bonne capacité de renouvellement, d'analyse et de réflexion critique […]. Certains nouveaux rôles que les enseignants auront à jouer exigeront l'acquisition de nouvelles compétences» (Gouvernement du Québec, 2001, p. 125).

À cet égard, les directives incluses au document prescriptif de formation à l’enseignement par compétences (Gouvernement du Québec, 2001) incitent une modalité de formation, soit la pratique réflexive, en l’instituant comme une composante de la compétence «S'engager dans une démarche individuelle et collective de développement professionnel». Cette exigence appelle donc la mobilisation par l’étudiant/enseignant d’un type de réflexion impliquant «une volonté d’apprendre méthodiquement de l’expérience et de transformer sa pratique d’année en année» (Perrenoud, 1999 dans Gouvernement du Québec, 2001, p. 125). Il est proposé de réfléchir avec méthode, c’est-à-dire: se donner un cadre, une démarche, des outils et des moyens pour «cibler les objets de sa réflexion» (Gouvernement du Québec, 2001). Vu comme un mode de développement professionnel, comme une façon de transformer des pratiques ou d’acquérir des compétences spécifiques par diverses mises en situation, réfléchir avec méthode contribue à ce que l’enseignant devienne un praticien réflexif tel que défini par Schön (1994): un professionnel capable de réfléchir dans l’action d’engendrer des savoirs par ses actions.

Dans un tel paradigme de formation à des professions impliquant un nombre élevé de décisions à prendre dans des contextes complexes d’intervention comme une classe (Schön, 1994), les formateurs universitaires se doivent de développer divers dispositifs à visée réflexive afin d’accompagner (Paul, 2009) les artistes à devenir des praticiens réflexifs (Brockbank et McGill, 1998; Maleyrot, 2015; Pérez-Roux, 2015) compétents dans une situation de simultanéité travail/formation vers la profession enseignante (Balleux et Pérez-Roux , 2011; Chaubet et Gervais, 2014).

Les cours de maîtrises qualifiantes s’inscrivant dans une perspective réflexive (comprendre, penser) ont la mission d’accompagner les étudiants/enseignants à réfléchir par «divers exercices de lucidité professionnelle» (Perrenoud, 1999 dans Gouvernement du Québec, 2001, p. 126) de manière structurée et outillée, et ce, par divers moyens d’analyse discursifs: retour rétrospectif, autobiographie professionnelle, récits de pratique, inventaires, autoconfrontation, analyse d’incidents critiques de la pratique, retours sur les pratiques (Correa-Molina et al., 2010). Ces exercices peuvent être alimentés par les apports conceptuels et pratiques (Gouvernement du Québec, 2001).

À cette fin, les formateurs universitaires de la maîtrise en enseignement des arts (MEA) se retrouvent devant le défi de créer des dispositifs réflexifs destinés à des artistes faisant ou ayant fait carrière artistique tout en enseignant déjà un art. Ils se doivent aussi de déterminer les moyens à privilégier et choisir sur quoi réfléchir. Devant ce défi pédagogique, nous pensons que les tensions identitaires (Bourgeois, 2006; Kaddouri, 2002; 2006) liées à la situation d’entre-deux (Tap, 1979) sont des pistes de réflexion fructueuses, tant comme apports conceptuels que comme résultats de recherche (Duval, 2011). Nous émettons l’hypothèse que ces tensions identitaires, une fois conscientisées par les étudiants, se profilent comme des espaces propices à une réflexion féconde tant sur le plan identitaire que pratique. Elles peuvent disposer d’un potentiel à faire réfléchir «sur soi» et sur sa pratique, ce qui nous interpelle précisément. C’est pourquoi nous formulons ces questions qui guident notre étude: Comment la réflexion dirigée sur les tensions identitaires d’artistes-enseignants agit-elle sur leur construction identitaire au cours d’une formation qualifiante à l’enseignement des arts? En quoi la réflexion par des artistes-enseignants sur des tensions identitaires les aide-t-elle à se transformer lors de leur formation à l’enseignement? Et finalement, si retombées il y a, sont-elles en affinités avec les effets de la réflexivité documentés par la recherche?

L’étude poursuit trois objectifs: 1) examiner et comprendre si et comment la prise en compte des tensions identitaires comme source de réflexion agit sur les artistes-enseignants en formation qualifiante; 2) identifier les retombées sur leur construction identitaire; 3) identifier les retombées de ce type de réflexion et les comparer à celles recensées dans les écrits.

3. Repères conceptuels

Nos conceptions épistémologiques relatives à notre posture de formatrice et de chercheuse s’inscrivent dans une perspective constructiviste où la construction identitaire est considérée comme un «processus dynamique au cours duquel la personne se définit et se reconnaît par sa façon de réfléchir, d’agir et de vouloir dans les contextes sociaux et l’environnement où elle évolue» (ACELF, 2006, p. 12)[7]. Ensuite, notre postulat est que la construction identitaire (Dubar, 1991) mobiliserait la réflexion, et que la réflexion impulserait la construction identitaire comme un effet de vases communicants. Dans ce cas, tel que Vanderberghe (2006) l’entend, la réflexion est définie comme un retour du sujet sur l’objet par lequel le sujet se tourne vers ses propres opérations pour les soumettre à une analyse critique. Compte tenu de l’importance que peuvent prendre les tensions identitaires dans la construction identitaire des individus au travail, voyons plus en détail les types de tensions que peuvent vivre les artistes-enseignants ainsi que les profils identitaires que ces tensions peuvent engendrer.

Dans nos travaux antérieurs, nous avons identifié des tensions identitaires que peuvent vivre des enseignants de la danse en milieu scolaire lors de leur construction identitaire (Duval, 2011). Elles sont indiquées dans le tableau 1. Dans ces travaux, nous avons pris comme point de repère théorique la perspective de Dubar (1991) sur la construction identitaire, opérante par une double transaction[8]. D’une part, dans les processus identitaires au travail, lorsque l’artiste fait l’effort de se construire en soi, qu’il doit se définir pour soi-même ou construire une image de soi-même, cela relève de la transaction biographique qui s’articule dans le temps et qui mène à l’identité pour soi[9]. D’autre part, lorsque l’artiste doit se définir à autrui en interaction avec cet autrui ou projeter l’image qu’il souhaite renvoyer aux autres, cela relève de la transaction relationnelle qui s’articule dans l’espace et qui mène à l’identité pour autrui. Cette double transaction, biographique/intrasubjective (interne de l’individu) et relationnelle/intersubjective (externe à l’individu, avec autrui et organisation) en simultané, mène à l’identité provisoire (une synthèse identitaire temporaire de l’interne et de l’externe) ou à l’identité contingente en contexte (constatée à un moment du parcours en soi et avec l’autre). L’identité au travail dépend donc de la reconnaissance que l’individu reçoit de ses savoirs, de ses compétences et de son image (interne et externe).

Selon nos résultats, à certains moments et en contexte particulier, des décalages ou tensions identitaires peuvent se manifester lors de la double transaction, et ce, au sein de la transaction biographique par des tensions intrasubjectives et au sein de la transaction relationnelle par des tensions intersubjectives.

Bien que ces tensions aient été décelées auprès d’enseignantes de danse (Duval, 2011), nous en proposons une transposition sur le plan pédagogique aux étudiants de la MEA des trois autres arts. Puis, sur le plan de la recherche, nous les avons transposés dans notre cadre conceptuel et comme catégorie d’analyse de données relatives à une autre étude auprès d’enseignants des quatre arts et avons réalisé qu’ils maintiennent leur pertinence chez les enseignants des autres arts (Duval, sous presse, 2019). C’est ainsi que nous affirmons le réinvestissement des résultats de nos recherches en formation.

3.1 Tensions identitaires intrasubjectives et intersubjectives

Les tensions identitaires, de par leur nature, peuvent induire un inconfort qui demande résolution pour les individus. Elles peuvent être ressenties au fil d’une ligne du temps professionnelle à la suite des événements porteurs de tensions. Elles sont perturbatrices de l’identité et elles créent des entre-deux (ou des écarts) entre des pôles contrastants. Ainsi, en tant que forces constructives, bien que déstabilisantes, les tensions identitaires ont pour effet de perturber une certaine harmonie dans le spectre d’un entre-deux pôles. Elles peuvent cependant pousser un individu à prendre des actions pour apaiser cette tension (Kaddouri, 2002; Bourgeois, 2006) afin de trouver une cohérence identitaire.

Ces sphères sont des espaces-temps où des tensions identitaires peuvent être ressenties entre des pôles contrastants intrasubjectifs: entre soi-artiste et soi-enseignant; entre soi et formation; entre soi et identité visée; entre soi et définitions multiples; ou entre soi et avenir. Par ailleurs, elles peuvent être ressenties entre des pôles contrastants intersubjectifs: soi et institution; soi et autrui; soi et pratique.

Tableau 1

Sphères de négociations et tensions identitaires d’EDMS (Duval, 2011)

Sphères de négociations et tensions identitaires d’EDMS (Duval, 2011)

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De manière complémentaire, des profils identitaires provisoires ont été identifiés dans ces travaux antérieurs (Duval, 2011). Ils ont été répertoriés à partir de la présence ou non de tensions ressenties dans quatre des six sphères de négociations identitaires: faire sa place, rencontrer l’autre, agir et se réaliser. Dépendamment de leur emplacement (dans quelles sphères), de leur intensité et des contextes dans lesquels s’inscrivent leurs tensions, les enseignants peuvent se retrouver dans des profils provisoires diversifiés: confort, inconfort, engagements identitaires multiples, ambivalence, transformation ou confrontation. Ces profils sont provisoires, car face à une sensation de déstabilisation identitaire, les enseignants d’arts peuvent, grâce à un processus réflexif, adopter des attitudes et des conduites afin d’atteindre une sensation de mieux-être identitaire.

Les six profils provisoires (tableau 2) dépendent de l’intensité des tensions ressenties dans trois sphères de négociation identitaires intersubjectives (faire sa place, rencontrer l’autre et agir) et une intrasubjective (se réaliser). En voici de brèves descriptions:

  • Un individu engagé dans sa carrière d’artiste-enseignant peut vivre un profil identitaire provisoire de «confort identitaire» lorsqu’il y a peu ou pas de tensions au sein des quatre sphères de négociations identitaires. Par exemple, l’artiste-enseignant est reconnu dans son école, vit un sentiment d’appartenance au milieu scolaire, se réalise pleinement, a de l’aisance à se définir à autrui et ne vit pas de soucis majeurs dans sa pratique pédagogique.

  • Lorsque des tensions ressenties par un individu sont accrues dans les différentes sphères, un profil identitaire provisoire d’«inconfort identitaire» peut se dessiner. Par exemple, l’artiste-enseignant a de la difficulté à être reconnu ou soutenu par l’équipe-école, il éprouve des soucis dans sa pratique pédagogique et sachant même qu’il pourrait changer sa pratique, il ressent qu’il ne le peut pas.

  • Un artiste-enseignant qui vit des tensions dans la sphère «faire sa place» dans l’institution et qui revendique des conditions de travail adéquates, par exemple un local dédié à son art dans l’école, peut présenter un profil identitaire provisoire de «confrontation identitaire» dans l’organisation.

  • Un artiste-enseignant qui ressent des tensions dans la sphère «se réaliser» parce qu’il jongle avec les différentes définitions du soi professionnel pour se réaliser et qu’il doit concilier ses identités en s’engageant dans des projets variés en tant qu’artiste et/ou de pédagogue peut se retrouver dans un profil identitaire provisoire «d’engagements identitaires multiples».

  • Des tensions ressenties par un individu dans les sphères «agir» et «se réaliser» pourraient entraîner un profil identitaire provisoire de «transformation identitaire». Par exemple, un artiste-enseignant fait en sorte de travailler dans la sphère «agir» pour changer sa pratique en introduisant une nouvelle modalité de gestion de classe ou en mobilisant davantage sa créativité.

  • Enfin, pour conclure sur les profils, des tensions ressenties par un individu dans les quatre sphères produisent une situation tensionnelle maximale et deviennent un frein à l’agir ce qui peut conduire à un identitaire provisoire d’«ambivalence identitaire».

Tableau 2

Profils identitaires provisoires relatifs aux tensions identitaires de quatre sphères de négociations identitaires (Duval, 2011)

Profils identitaires provisoires relatifs aux tensions identitaires de quatre sphères de négociations identitaires (Duval, 2011)

Légende: Le (+) indique la présence de tensions dans la sphère, le (-) indique la faible intensité des tensions et la flèche en continu indique une présence constante des tensions des enseignants.

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Selon notre hypothèse, amener les tensions à la conscience des participants et leur présenter des profils identitaires provisoires possibles peut diriger leur attention sur les aspects intrasubjectifs et intersubjectifs de leur construction identitaire. Après cette prise de conscience, les participants pourraient vouloir agir sur ces tensions au besoin. Ainsi, l’appropriation par les participants de ces résultats de travaux de recherche antérieurs sur les tensions identitaires deviendrait alors propice à la réflexion, au changement et à la construction de l’identité au travail. Réinvestis en formation, ces résultats pourraient alors devenir des outils réflexifs par une transposition personnalisée de ceux-ci.

4. Cadre méthodologique de l’étude

Dans cette étude qualitative, réalisée selon une approche compréhensive et interprétative, nous adoptons une double posture de formatrice et de chercheuse, et ce, en deux volets de la production de données. En effet, nous avons d’abord mis en oeuvre le volet pédagogique dans lequel le dispositif à visée réflexive sur les tensions identitaires est proposé aux artistes-enseignants et ensuite le volet recherche sur les effets de ce dispositif proposé aux artistes-enseignants.

4.1. Volet pédagogique ou réfléchir aux tensions à partir de résultats de recherche

Entre 2012 et 2016, 53 étudiants inscrits à la maîtrise en enseignement des arts ont été appelés à réfléchir de manière guidée sur les résultats des travaux antérieurs sur les tensions et profils identitaires provisoires énoncés dans la section précédente. D’abord, les résultats de nos études antérieures ont été communiqués à l’oral et par écrit aux étudiants et nous avons suscité une réflexion sur les tensions identitaires qu’ils auraient possiblement vécues dans les six sphères de négociation identitaires (devenir, faire sa place, rencontrer l’autre, se réaliser, agir et se projeter). La prise de conscience des tensions et des profils identitaires provisoires issus de la recherche et la transposition de ces résultats sur soi devient une occasion pour amener les artistes-enseignants à réfléchir sur le soi professionnel et devient la source de la réflexion sur leur construction identitaire.

4.1.1 Dispositif réflexif de formation à l’enseignement

Dans le cadre de cette étude, nous avons investigué un dispositif à visée réflexive, tel que défini par Maleyrot (2015) et Pérez-Roux (2015), afin que les artistes-enseignants puissent réfléchir de manière structurée sur les tensions identitaires qu’ils peuvent vivre eux-mêmes et sur les profils provisoires dans lesquels ils se reconnaissent (tableau 1 et tableau 2). Imposé lors de l’un des cours de la formation de MEA intitulé «Développement professionnel: identité et pratiques réflexives», ce dispositif vise à développer la compétence: «S’engager dans une démarche individuelle et collective de développement professionnel». Il a d’abord été spécifiquement demandé à 53 étudiants de relever et de justifier s’il y avait ou non des tensions chez eux dans chacune des 6 sphères de négociations identitaires. Ensuite, il s’agissait d’identifier, selon eux, dans quel profil identitaire ils se reconnaissaient. Cette réflexion se faisait par écrit et était ensuite partagée à l’ensemble des participants du cours.

4.2 Volet recherche

Une fois les réflexions réalisées grâce au dispositif à visée réflexive relatif aux notions de tensions identitaires et de profils identitaires (Dubar, 2000; Kaddouri 2002; 2006; Duval, 2011), nous avons voulu documenter, afin de les comprendre, les effets du dispositif en utilisant des données discursives écrites. Ces données visaient à répondre à la question: Qu’en est-il de la réflexion dirigée sur des tensions identitaires pour transformer (ou non) la pratique d’artiste-enseignant déjà en exercice et qui se qualifie afin d’obtenir un brevet en enseignement des arts?

4.2.1 Dispositif méthodologique

C’est dans une approche compréhensive, où l’artiste est considéré «comme un acteur social créateur de significations, un être en devenir qui change au rythme du contexte, de son univers intérieur, de ses projets et désirs» (Anadón et Savoie-Zajc 2004, p. 31), que le dispositif a été analysé par les artistes-enseignants.

À titre de formatrice et de chercheuse, nous adoptons ainsi une posture épistémologique constructiviste de l’identité (Élias, 1991) pour analyser les contenus de textes réflexifs rédigés par les participants pour les besoins d’un cours de leur formation ainsi que pour prendre en compte a posteriori leurs réponses sur les apports d’un tel dispositif.

Avec le consentement des participants, nous avons voulu comprendre, par l’analyse des contenus (Paillé et Muchielli, 2005) écrits produits, les tensions identitaires ressenties, les profils provisoires identifiés et les apports sur l’agir nommés par les participants. Nous avons analysé ceux-ci en déterminant des catégories conceptualisantes (Paillé et Muchielli, 2005) de manière inductive. Après analyse, nous avons pu relier certains apports du dispositif à visée réflexive à d’autres déjà documentés par la recherche.

5. Résultats

D’abord, l’analyse des bilans réflexifs portant sur les tensions et les profils identitaires relatifs au premier volet, soit le volet pédagogique sur la mise en oeuvre du dispositif, démontre que les 53 artistes-enseignants ont su déceler la présence ou non de tensions dans 6 sphères de négociations identitaires. De surcroît, chaque participant a su identifier un profil identitaire provisoire qui lui correspondait selon la présence ou non de tensions dans quatre des six sphères et selon leur intensité.

À la lumière des deux volets, pédagogique et recherche, les résultats en réponse à nos questions de recherche s’organisent en trois parties: processus identitaire et réflexif complémentaires; tensions et profils identitaires provisoires (Duval, 2011); apports du dispositif à visée réflexive sur les tensions identitaires. Des extraits des données discursives écrites seront présentés pour appuyer les trois parties.

5.1 Processus identitaire et réflexif complémentaires

L’analyse des données produites par les 53 étudiants ayant écrit un bilan réflexif sur leurs tensions identitaires à partir de la consultation et de la transposition personnelle de nos résultats de recherche antérieures (2011) sur les tensions et profils identitaires révèle qu’une réflexion provoquée sur ceux-ci enclenche deux processus simultanément. Les processus identitaire et réflexif pourraient être comparés à des vases communicants au sein d’un entre-deux tensionnel. Cet entre-deux pôles contrastants devient propice pour construire son identité, comme en témoigne ce participant:

Prendre conscience, c’est retourner en soi-même et constater ce qu’on est en train de faire… Dans la distanciation de soi, on peut apprendre à construire son savoir… Elle [la distanciation] a souligné en gras la nécessité de réfléchir son identité en constante transformation.

J.F.

L’individu peut être en mesure de conscientiser ses tensions pour enclencher sa construction identitaire. En revanche, le processus réflexif pour sa part est déclenché lorsqu’un individu tente d’apaiser une tension identitaire. La récurrence de ces constats fait penser à la complémentarité des deux processus.

5.2 Tensions et profils identitaires provisoires

Les tensions identitaires s’avèrent structurantes pour négocier l’identité et pour propulser des prises de décisions dans l’action, notamment dans les sphères de négociation identitaire «devenir», «faire sa place», «se réaliser» et «agir». Les participants, par le simple fait de tenter de situer s’il y a ou non des tensions en présence dans les différentes sphères identitaires, enclenchent un processus réflexif sur le soi professionnel qui porte l’individu à agir de diverses manières. Il s’agit alors d’une autre complémentarité: la réflexion sur la tension porte à l’action et l’action transforme l’identité. Les propos de cette participante en témoignent:

Les tensions que je vis présentement sont en fonction de mon adaptation au milieu et dans ma prise de position face à cette nouvelle identité d’artiste-enseignante. Les transformations identitaires se manifestent afin de faciliter cette adaptation. Les engagements identitaires multiples sont une forme de réponses à la diminution des tensions que peuvent créer les changements. D’autre part, je suis persuadée qu’elles sont susceptibles de changer encore durant mon cheminement de carrière.

C.

Si une personne ressent (ou non) des tensions, le fait de déterminer où elles se situent (ou non), de les nommer, d’identifier si elle mobilise ou non des stratégies pour les apaiser provoque pour elle des constats identitaires fructueux, documentés dans l’étude. L’exercice permet de nommer un profil identitaire provisoire. Le texte de ce participant, qui justifie le profil auquel il s’identifie, en témoigne:

Le profil de confort et d’aisance identitaire est probablement celui qui correspond le plus à mon profil actuel. Bien que la sphère Agir comporte plusieurs irritants, elle n’affecte pas ma pratique au point de me remettre en question ou de douter de ma place dans l’enseignement. Les tensions mentionnées rendent ma tâche plus ardue, mais elles agissent également à titre de moteur et me poussent constamment à améliorer et bonifier mes interventions artistiques et pédagogiques.

S.

La réflexion peut provoquer chez les individus des questionnements en cascade[10]. Dans le cadre de l’étude, il semble que le fait que les participants se soient approprié des résultats de recherche sur les tensions identitaires, qu’ils aient pris conscience de leur intensité et qu’ils aient identifié un profil identitaire provisoire devient une porte d’entrée à de nombreux autres questionnements identitaires. Ces questionnements peuvent être de nature biographique intrasubjective ou relationnelle intersubjective. Ils provoquent des ébullitions inhabituelles chez les individus qui s’y prêtent, mais, dans la plupart des cas, ces questionnements, lorsqu’ils trouvent certaines réponses, peuvent entraîner un apaisement, une satisfaction ou un mieux-être professionnel, et ce, même lorsque certaines tensions subsistent.

Lorsque je m’observe en rapport à la sphère agir, je réalise que cet aspect de mon identité est en pleine transformation. Je suis à l’aise dans ma pratique enseignante; j’aime énormément ce que ma profession implique. J’aime planifier, observer, évaluer, enseigner les gestes techniques, tisser des liens avec mes élèves, etc. Mais j’ai tellement à apprendre encore! Certainement, la maîtrise en enseignement me conscientise sur plusieurs aspects de ma pratique à faire évoluer, mais aussi, chaque expérience d’enseignement la transforme et la teinte subtilement… Si l’on estime que l’introspection mène indubitablement au changement, peut-on vraiment affirmer un jour être confortable et complètement stable dans la sphère agir comme enseignants?

A.

Ces bilans réflexifs ont non seulement contribué à apaiser certaines tensions (juste du fait de les nommer ou par la mobilisation de certaines stratégies), mais ils ont aussi montré que les questionnements restent vifs en procédant ainsi. La réflexion sur l’identité peut remuer des fondements du développement professionnel.

Si l’un des objectifs d’un dispositif à visée réflexive est certes de former un praticien réflexif, il semble qu’une réflexion provoquée sur les tensions identitaires soit fructueuse, qu’elle lui donne une importance et une crédibilité et qu’elle peut entraîner les étudiants à maintenir la réflexion sur l’action, comme en témoigne (M.): Je souhaite continuer à réfléchir et à me mettre au défi pour garder mon enseignement actuel et vivant; ou comme le relate cette participante:

La réflexion sur les tensions identitaires m’a permis de mieux comprendre des réactions de mes collègues, de clarifier mes choix pédagogiques ou relationnels et de m’affirmer comme professionnelle auprès de mes pairs, de mes élèves et de leurs parents […] les réflexions ont contribué à augmenter ma confiance et de réaliser l’importance de s’arrêter pour réfléchir.

A

Dans les bilans réflexifs, il est montré que la réflexion provoquée sur les tensions identitaires contribue à valoriser la pratique enseignante ou à mieux vivre la double posture artiste-enseignant. C’est ce que ces deux extraits de récits rapportent:

Mon attitude renouvelée face à mon identité m’a aidé à accorder à mon travail et à mes collègues le mérite qu’il se doit.

N.

Il faut accepter les irritants comme les bons côtés de notre profession d’artiste et d’enseignant […] Il faut cependant accepter de vivre avec cette dichotomie pour pouvoir cheminer dans les deux professions et essayer que tout s’équilibre.

G.

5.3 Apports du dispositif à visée réflexive sur les tensions identitaires

Par rapport aux bilans analysés, nous avons pu constater que la réflexion sur les tensions identitaires ressenties par les artistes-étudiants-enseignants permet d’atteindre les apports documentés dans la littérature scientifique. En effet, l’empowerment ou le pouvoir d'agir est décelé chez quelques participants en ces mots: Réfléchir sur les tensions de l’agir me fait réaliser que je dois et que je vais communiquer mes valeurs et expliquer aux élèves et aux parents pourquoi faire de la musique, d’expliquer les bienfaits aux élèves et aux parents (J.). Une participante réalise par la réflexion sur les tensions que la façon de les apaiser lui est propre en son contexte scolaire et qu’elle peut agir pour ce faire: Au lieu de me sentir inadéquate, je constate que j’ai des façons de faire qui me définissent et qui me distinguent des autres. Cela me donne confiance et me procure la force nécessaire pour continuer sans me dévaluer (A.). Un autre participant ajoute à ce pouvoir d’agir l’actualisation de soi comme autre apport de la réflexion sur les tensions et profils identitaires: J’ai pu mettre les mots qu’il fallait pour éclaircir ma position et pouvoir entreprendre une démarche vers l’actualisation de soi (G.).

Une autre forme d’effet de la réflexion sur les tensions identitaires est l’émancipation par l’action d’un participante:

Une distanciation sereine s’est effectuée suite au processus d’analyse des sphères en tension. Il s’en est suivi une sorte d’émancipation professionnelle, par laquelle je suis passée à l’acte, me positionnant de façon plus affirmée dans ma pratique enseignante. J’ai fait des choix assumés.

C.

D’autres participants vont dans le même sens: Je me positionne maintenant. Je me connais mieux, cela me permet d’avoir plus confiance en moi, de me sentir moins imposteur, ma pratique est moins hasardeuse, plus organisée (G.2.). Un autre participant (C.2) exprime qu’aiguiser sa pratique réflexive agit sur l’avancement de son enseignement et un autre (D.) ajoute qu’il est prêt à défendre sa matière et à éviter des risques de tensions.

La réflexion sur la sphère agir a aussi eu comme effet de transformer le soi et la pratique. C’est ce que deux participants expriment dans leurs mots. Le premier exprime les changements de la pratique:

J’ai le souci de m’actualiser constamment, je veux amener les élèves plus loin, ouvrir leurs horizons, leur faire découvrir de nouvelles musiques et de nouveaux instruments. Toujours en quête de nouveaux projets et de nouvelles approches.

C.3

Le deuxième exprime des changements du soi professionnel dans une fusion des postures artistiques et pédagogiques:

J’ai pu intégrer des changements à ma pratique qui m’offrent une vision de moi-même plus confiante et solide. Les deux voix de mon appellation artiste-enseignante ne sont pas deux voix distinctes, mais plutôt une façon de vivre ma pratique où deux voix deviennent une seule, pour chanter une mélodie unique et puissante.

M.2

Nous avons pu identifier dans les réponses fournies des apports de la réflexion sur les tensions et profils identitaires pour les participants, soit la cohérence identitaire. Par exemple, (M.2) exprime ceci: La pratique réflexive me confirme que je suis sur la bonne voie. Ce que je vis en ce moment correspond à ce que je recherchais dans ma vie. De plus, (E.) écrit: Aujourd’hui, je sais que je suis bien où je suis et (M.3) ajoute à son tour que ses réflexions étaient orientées et cohérentes par rapport à ce que je suis ainsi qu’à ce à quoi j’aspire. La réflexion a aussi permis la gestion des émotions dans le processus d’apprentissage (Kathpalia et Heah 2008). (C.3) mentionne que: Définitivement, la confiance et l’estime de soi s’améliorent avec la pratique réflexive, ça fait descendre la pression et l’anxiété et (S.) ajoute qu’elle est heureuse, car la réflexion provoquée lui a permis d’affronter son complexe d’infériorité.

Un autre apport identitaire a aussi été analysé, soit celui de donner un sens à sa pratique:

Réfléchir aux tensions identitaires et constater que j’en ai peu, que j’ai un profil identitaire de confort et d’engagements identitaires multiples pour me réaliser, me permet de faire la paix avec mon parcours et de vraiment me sentir «à ma place» même si j’occupe plusieurs fonctions à la fois.

A.2

En terminant ce point, le dispositif réflexif sur les tensions identitaires vise à accompagner l’artiste-étudiant dans sa transition professionnelle, dans la construction d’une nouvelle identité et dans l'approfondissement de ses capacités de réflexion sur l'action et en cours d'action pédagogique et artistique.

Je crois que d’avoir organisé conceptuellement les tensions et les stratégies pour les résoudre me permettra de savoir comment réagir lorsqu’une tension se présentera. De clarifier ces concepts est le premier pas vers le réinvestissement dans mon milieu. Par exemple la prochaine fois que je vivrai une tension dans la sphère «Faire sa place», je saurai que pour être efficace, je dois utiliser l’argumentation, la revendication ou la défense.

M.

6. Discussion

Nous avions émis l’hypothèse que les tensions identitaires se profilent comme des espaces propices à une réflexion féconde tant sur le plan de la construction identitaire que pratique professionnelle. Nous avions comme objectifs: d’examiner et de comprendre en quoi la prise en compte des tensions identitaires comme source de réflexion est agissante; d’en identifier et d’en comprendre les retombées chez des artistes-enseignants en formation qualifiante.

Nos résultats montrent que les tensions examinées par soi-même peuvent déclencher des interpellations réflexives sur soi, pouvant produire des effets s’apparentant à d’autres qui sont documentés sur la réflexivité. Les plus saillants en affinités avec nos résultats sont: le «pouvoir d’agir accru», l’«optimisme», l’«énergisation», le sentiment d’efficacité accru, le sentiment d’appartenance augmenté et l’empowerment (Brockbank et McGill, 2007; Chaubet et Gervais, 2014; Chaubet, Kaddouri, Fischer, 2016; Osterman et Kottkamp 2004). Les tensions identitaires comme objet de réflexion, même si elles sont déstabilisantes, peuvent contribuer au changement, à la transformation identitaire.

Le fait de mettre à contribution la réflexivité dans un dispositif visant à prendre conscience de tensions identitaires identifiées dans des résultats de recherche antérieures permet aux individus de relativiser, de cerner plus aisément la nature des malaises ressentis. En tissant des liens concrets entre recherche et formation dans un tel dessein, ces bilans ont été l’occasion pour les étudiants de mobiliser des concepts construits par des chercheurs pour se construire, se transformer. En se familiarisant avec des résultats de recherche, ils ont pu par la suite se les réapproprier et les transposer dans leur vécu.

Par leur nature, les tensions peuvent s’avérer structurantes pour négocier l’identité et pour générer des prises de décisions dans l’action. La réflexion sur celles-ci encourage l’action pour les apaiser afin d’atteindre un mieux-être professionnel ou afin d’atteindre la satisfaction des besoins fondamentaux pour une motivation accrue: autonomie, compétence et appartenance (Deci et Ryan, 2000).

7. Conclusion

À la lumière de nos résultats, nous croyons porteur et signifiant de mettre en oeuvre un dispositif à visée réflexive pour des artistes en formation à l’enseignement orienté sur les tensions identitaires, ou même pour d’autres professionnels en formation. Il s’agit d’un moyen structurant pour se transformer et pour agir sur sa pratique. De plus, ce dispositif amène les étudiants à comprendre et à s’approprier les concepts issus de la recherche.

Le modèle ici présenté devient l’occasion d’une distanciation réflexive pour «voir autrement» (Chaubet, Kaddouri, Fischer, 2016, p. 4) son identité professionnelle afin de la comprendre par les tensions qu’elle peut engendrer et possiblement de mobiliser des stratégies identitaires (que l’on peut apparenter à des pistes de solutions ou d’actions) pour la construire.

Bien que la recherche et l’expérimentation réflexive ont été réalisées avec des enseignants du domaine des arts, nous espérons que le thème des tensions identitaires a suscité une certaine réflexion chez les lecteurs. Pour les retombées futures, nous souhaitons que cette étude puisse en inspirer d’autres relatives au réinvestissement de résultats de recherche en formation ou sur les tensions identitaires inhérentes à d’autres professions. Mentionnons également la nécessité de continuer à documenter et à comprendre les effets de la réflexivité pour construire l’identité au travail.