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Présentation

L’objectif général de cet ouvrage collectif international coordonné par Maurice Tardif et Jean-François Desbiens est de porter un regard critique sur la notion de «compétences» qui sert, depuis plus de 20 ans, d’organisateurs et d’analyseurs conceptuels en formation à l’enseignement, mais aussi dans l’exercice de la profession enseignante. Réunis en dix chapitres, les textes présentent une synthèse de réflexions et de travaux francophones concernant la formation d’«enseignants compétents». L’ouvrage est organisé en deux parties. La première partie comprend cinq textes généraux portant sur les fondements conceptuels des compétences ainsi que sur leur place à l’intérieur des cadres institutionnels ou sociaux globaux au Québec et en Europe. La deuxième partie regroupe des recherches empiriques et des démarches expérientielles ciblant divers aspects de la formation des enseignants à propos des compétences incluant les stages, la formation pratique, les cours théoriques, la reconnaissance des acquis d’expérience et la fin du parcours de formation à l’enseignement.

En posant d’abord les fondements de la compétence, le premier chapitre proposé par Philippe Perrenoud tente de répondre à trois questions cruciales: 1) À quel niveau d’abstraction convient-il de situer le référentiel de compétences? 2) Quelles compétences faut-il développer en formation initiale et à quel point doivent-elles l’être? 3) Est-ce que la formation des professeurs se limite à un ensemble de compétences? Le deuxième chapitre rédigé par Philippe Jonnaert pointe la faiblesse de la cohérence interne du document intitulé: «La formation à l’enseignement: les orientations, les compétences professionnelles» (Gouvernement du Québec, Ministère de l’Éducation, 2001). Ce regard critique s’appuie sur des données extraites de l’analyse de deux dimensions: d’une part, la cohérence entre l’approche utilisée dans le programme et les orientations précisées dans le cadre d’orientation curriculaire et, d’autre part, la cohérence entre la formalisation des compétences dans le programme et les caractéristiques d’une compétence précisées dans le document lui-même. Les résultats de l’analyse permettent à Jonnaert de constater «que les compétences pour la formation professionnelle des enseignants au Québec restent à formuler clairement et complètement» (p. 55). Dans le troisième chapitre, Maurice Tardif et Véronique Jobin dressent un bilan critique de 20 ans de réforme québécoise. Dans un premier temps, les auteurs décrivent l’actuel système de formation des enseignants avec les principales réformes qui l’ont marqué et l’organisation qui en a résulté. Dans un deuxième temps, ils discutent des enjeux et des difficultés qui semblent affecter l’implantation de ces réformes dans les programmes de formation initiale à l’enseignement. En troisième lieu, ils traitent des perceptions et des évaluations des étudiants, les nouveaux diplômés et les enseignants à propos de leur formation. Bernard Wentzel, dans le quatrième chapitre, propose un texte qui rend compte d’une analyse documentaire portant sur la place de l’approche par compétence dans la construction d’orientations et d’objectifs politiques communs à l’Union européenne (UE) qui met en exergue le manque de profondeur théorique de cette dernière. En étudiant la manière dont les enseignants répondent à l’approche par compétences (APC) dans la Communauté française de Belgique, le cinquième chapitre écrit par Arnault Deltour et Éric Mangez tente de déterminer les aspects de l’APC qui suscitent les critiques et ceux qui remportent une certaine adhésion. Dans le sixième chapitre, Enrique Correa Molina et Colette Gervais situent l’utilisation du concept polysémique de compétence dans le contexte de la formation initiale à l’enseignement en s’appuyant sur des résultats d’études qui traitent de sa pertinence dans les stages. Les auteurs avancent principalement deux arguments pour défendre l’intérêt et la pertinence de ce concept: 1) la compétence offre un cadre pour comprendre la pratique professionnelle; 2) la compétence redonne du sens au concept d’alternance en formation professionnelle. Ahmed Zourhlal et Sandra Coulombe proposent dans le septième chapitre une réflexion critique du processus de reconnaissance des acquis disciplinaires (RAD) au baccalauréat en enseignement professionnel dans une université québécoise. Ils remettent notamment en question la perspective professionnalisante de la RAD dans le contexte de l’approche par compétences et analysent comment cette composante de la formation contribue au développement des compétences professionnelles propres à l’enseignement. En s’appuyant sur leur expérience de responsables de cours en gestion de classe, Cecilia Borges et Annie Malo soulèvent dans le huitième chapitre les enjeux et les possibilités de soutenir le développement des compétences dans les cours théoriques à l’université. Les auteures reprennent les propos du CAPFE qui mentionne que le référentiel de compétences du ministère de l’Éducation du Québec serait «sous-utilisé dans les cours dits théoriques» (CAPFE, 2011, p. 10) bien que les compétences soient au coeur de la formation. Le neuvième chapitre rédigé par Jean-François Desbiens, Jaouad Alem et Bruce Oddson présente les résultats d’une analyse secondaire de données obtenues par Bidjang et al. (2005). Cette analyse porte sur l’appréciation par 401 personnes enseignantes associées du niveau de maitrise des compétences en enseignement de stagiaires finissants réalisée à l’aide du référentiel québécois publié en 2001. Leurs résultats amènent le lecteur à remettre en question la façon dont il faut utiliser le référentiel pour évaluer et interpréter le niveau de développement des compétences des stagiaires en enseignement. Le dernier chapitre écrit par François Vandercleyen, Ghislain Carlier et Yves Devilllers fait état d’une recherche réalisée en Belgique francophone, qui montre comment l’expérience des enseignants associés (EA) génère une redéfinition, voire une reconstruction du référentiel de compétences prescrit. Les résultats mettent en évidence, entre autres, la façon dont les EA déclarent opérationnaliser ce référentiel à partir de leurs propres conceptions du métier d’enseignant et d’accompagnateur de stagiaires.

Point de vue

Cet ouvrage s’avère particulièrement intéressant pour l’ensemble des acteurs qui oeuvrent dans la sphère éducative, du préscolaire à l’université. Il permet en effet de comprendre avec discernement la vaste portée de la vogue des compétences dans la formation des enseignants et ainsi de développer un regard critique par rapport à ce concept controversé. Ce livre a également pour intérêt de proposer plusieurs définitions de la notion de compétences, grâce à l’éventail d’approches suggérées par les auteurs qui y ont contribué. Chaque auteur apporte son point de vue à la lumière de ses propres recherches. Plusieurs textes traitent des fondements conceptuels de l’approche par compétences, que ce soit au Québec, en Belgique ou ailleurs en Europe et amènent ainsi le lecteur à se saisir des différentes nuances nécessaires à une compréhension élargie du concept. Par ailleurs, les textes abordant la formation initiale des enseignants par le biais de l’approche par compétences sont diversifiés pour ainsi répondre à plusieurs questions. Ils font état autant de résultats de recherches empiriques que de textes critiques portant sur l’approche par compétences. Ils tendent à préciser le sens que donnent les enseignants en formation à cette approche ainsi que la pertinence du concept en formation pratique des enseignants. Certains responsables de programmes se questionnent également sur le développement des compétences à l’intérieur de cours théoriques. Cette richesse s’exprime aussi par la variété des méthodes utilisées, qu’elles soient qualitatives ou quantitatives. À ce propos, signalons que certains textes requièrent un minimum de connaissances statistiques afin d’apprécier leurs résultats (voir chapitres 5 et 9). Nonobstant ce constat, les auteurs de ces chapitres explicitent les résultats et les rendent facilement intelligibles pour les néophytes en méthodes quantitatives. Bien que l’ouvrage regroupe la collaboration de plusieurs chercheurs étrangers, il est à noter que les textes faisant référence au référentiel de compétences du Québec sont fortement représentés (sept textes sur dix). Si seulement trois textes abordent des compétences à l’extérieur du Québec, notamment en Belgique et en Suisse, il demeure intéressant pour le lecteur de prendre connaissance des différences substantielles qui caractérisent les référentiels de compétences européens comparativement au référentiel québécois. À la suite de la lecture des différents chapitres, le lecteur retiendra que les référentiels de compétences dans le champ de l’éducation sont loin d’être complètement actualisés et de faire l’unanimité, que ce soit auprès des praticiens ou des chercheurs, autant au Québec qu’en Europe francophone. En ce qui a trait à la lecture de l’ouvrage, il est possible pour le lecteur de débuter avec le chapitre qui rejoint davantage ses intérêts. En effet, il est concevable pour ce dernier de saisir en partie ou complètement la nature de l’approche par compétences, nécessaire à la compréhension du chapitre puisque chacun des chapitres introduit certains fondements de l’approche par compétences de façon plus ou moins étendue, selon l’essence du texte.

En guise de conclusion, les directeurs de l’ouvrage décrivent les perspectives d’avenir de l’approche par compétences qui, selon eux, doivent passer par le stage en enseignement, car il présente un «très fort potentiel de développement professionnel» (p. 263). Toutefois, il semblerait que le stage ne parvienne pas toujours à «s’actualiser pleinement, notamment en raison de la difficulté chronique à connecter les différents milieux de formation de manière cohésive» (p. 263). Partant, les auteurs suggèrent qu’il serait pertinent de prioriser cette problématique dans des recherches futures.