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1. Introduction[1]

L’orthographe est une des clés des apprentissages et des réussites scolaire et sociale. L’acquisition d’un niveau de maitrise orthographique suffisant à la production de documents écrits (rapports, courriers, factures, devis, diapositives numériques, sites internet, blog…) est devenue un enjeu social majeur dans une société où domine l’homo scribens et où le savoir-faire seul ne suffit plus (Fayol et Jaffré, 2014). Une bonne connaissance de l’orthographe permet non seulement d’écrire correctement, mais elle est aussi indispensable pour développer une lecture rapide et efficace, permettant une meilleure compréhension. En effet, performances en lecture et en orthographe sont généralement corrélées (p. ex., Holmes et Castles, 2001; Fayol, Zorman et Lété, 2009). Les dissociations parfois observées entre les deux s’expliquent par la difficulté plus grande que représente le rappel précis d’une forme orthographique par rapport à sa reconnaissance (Bosman et Van Orden, 1997; Perfetti et Hart, 2002). Ainsi, une mauvaise orthographe est un facteur de difficultés scolaires et professionnelles qui dépassent la seule situation de production écrite. Dans ce contexte, la maitrise de l’orthographe, c’est-à-dire l’acquisition de connaissances suffisantes pour écrire en respectant les normes orthographiques tant sur le plan lexical que grammatical, reste un enjeu majeur pour l’école d’aujourd’hui.

En français, l’orthographe est particulièrement complexe et difficile. Au niveau lexical, le degré d’opacité des correspondances entre les phonèmes et les graphèmes est très important (Peereman, 1999; Ziegler, Jacobs et Stone, 1996). Au niveau grammatical, les accords en genre et en nombre sont sources de nombreuses erreurs du fait de la forte occurrence de formes orthographiques comportant des marques d’accord absentes à l’oral (p. ex., Brissaud, Cogis et Totereau, 2014). Par conséquent, l’acquisition de l’orthographe nécessite un enseignement régulier qui doit se poursuivre sur l’ensemble du cursus scolaire. En ce sens, les instructions officielles du ministère de l’Éducation Nationale insistent sur l’importance de la consolidation des acquisitions fondamentales au cours du cycle 3 (4e, 5e et 6e année) afin d’assurer à tous les élèves une autonomie suffisante en lecture et en écriture (MEN, 2015). Cependant, cet objectif semble difficile à atteindre et les erreurs orthographiques sont encore très fréquentes à l’entrée au collège (6e année), en particulier dans les établissements défavorisés (p. ex., Totereau, Brissaud, Reilhac et Bosse, 2013). Plusieurs études ont ainsi mis en évidence une baisse avérée du niveau moyen des performances orthographiques des élèves en France (Chervel et Manesse, 1989; Manesse et Cogis, 2007). Face à cette difficulté importante que représente l’enseignement de l’orthographe du français, il semble important de s’interroger sur les pratiques pédagogiques les plus pertinentes et d’évaluer l’efficacité des dispositifs mis en oeuvre pour améliorer l’orthographe des élèves, comme le préconisent les défenseurs de «la pratique éducative basée sur la preuve» (Evidence based practice in education, Thomas et Pring, 2004).

L’écriture sous la dictée fait partie des pratiques les plus couramment citées pour exercer l’orthographe des élèves. Cette pratique se justifie aujourd’hui par plusieurs arguments. D’abord, écrire oblige celui qui écrit à spécifier l’identité et la position de chaque lettre de façon précise, alors que les effets lexicaux et contextuels participent à la reconnaissance en lecture (Berninger et Fayol, 2008). Des études ont ainsi démontré que l’écriture, comparée à la lecture, engendre une meilleure mémorisation de l’orthographe des mots étudiés (Ouellette, 2010; Shahar-Yames et Share, 2008). Ensuite, des études de plus en plus nombreuses suggèrent que le geste d’écriture lui-même participe à l’élaboration de la représentation orthographique (p. ex., Rapp et Lipka, 2011). Une étude en maternelle montre par exemple que les lettres tracées à la main sont ensuite mieux reconnues par les enfants que celles qui ont été frappées au clavier (Longcamp, Zerbato-Poudou et Velay, 2005).

La dictée n’est cependant pas un simple exercice d’écriture et de nombreuses critiques justifiées ont été formulées à l’encontre de cette pratique qui consistait uniquement, à l’origine, à dicter un texte d’auteur et à sanctionner les erreurs commises (Jaffré, 1992). Bien qu’elle ait évolué fortement depuis son apparition et ait donné lieu à beaucoup de débats, on ne dispose pas d’études testant l’efficacité de cette pratique sur l’apprentissage de l’orthographe. Cependant, au vu des recherches de plus en plus nombreuses sur l’efficacité de l’enseignement explicite, notamment pour l’acquisition de l’orthographe (Berninger et Fayol, 2008; Fayol, Grimaud et Jacquier, 2013), on peut raisonnablement penser que des pratiques amenant l’élève à travailler de façon plus explicite seront plus efficaces que la seule écriture sous la dictée. Aujourd’hui, de nombreuses pratiques encore désignées sous le terme de dictées apportent des variations importantes au dispositif d’origine, pour qu’il devienne un véritable temps d’apprentissage actif et plus seulement un temps d’évaluation et de sanction (Brissaud et Cogis, 2011). C’est le cas, par exemple, de la «dictée 0 faute» ou de la «phrase dictée du jour» (Fisher et Nadeau, 2014; Cogis, Fisher et Nadeau, 2015). Ces dictées, qualifiées de métacognitives et interactives par leurs auteurs, utilisent le support d’une dictée de phrases pour engager les élèves dans une discussion et un débat sur chaque difficulté orthographique rencontrée. Les élèves verbalisent leurs raisonnements orthographiques et l’enseignant guide les échanges. Ce type de dispositif doit permettre à la fois d’acquérir de nouvelles règles ou connaissances lexicales, et de consolider les connaissances déjà acquises qui seront appliquées à des contextes variés. Les analyses des résultats des classes ayant pratiqué ces dictées suggèrent qu’elles sont plus efficaces que les pratiques traditionnelles, et que la réussite de ces dispositifs dépend en partie de l’usage du métalangage et des manipulations syntaxiques effectuées pendant les échanges collectifs (Fisher et Nadeau, 2014 ).

Cependant, réfléchir à l’orthographe d’un mot qu’on est en train d’écrire est aussi une activité individuelle très fréquente. Parmi les propositions pédagogiques pour enseigner l’orthographe, on peut se demander s’il en existe qui pourraient aider les élèves à progresser pendant des situations de dictée individuelle, et quelle est leur efficacité. L’objectif de la présente étude est de tester l’efficacité d’une de ces pratiques, que nous nommerons la dictée guidée par calque[2]. Il ne s’agit pas ici de discuter de l’efficacité des dispositifs d’enseignement incluant des discussions et des débats sur l’orthographe, ni de construire un modèle idéal d’enseignement de l’orthographe, mais uniquement d’évaluer l’efficacité, sur les progrès des élèves en orthographe, d’un support d’aide à la production individuelle d’un texte sous la dictée. Il s’agit d’une dictée faite individuellement sur un support fourni par l’enseignant sur lequel des cases apparaissent pour écrire tous les mots, avec une place précise pour chaque lettre et chaque graphème complexe. L’idée fondatrice de ce support est de pousser les élèves, pendant la dictée, à se poser systématiquement des questions sur l’orthographe à produire, et de les obliger à mobiliser leurs connaissances dans ce domaine. Ainsi, un élève qui écrira «les enfants joue» sera confronté à deux cases vides à la fin du mot «joue», il devra alors s’interroger sur les deux lettres manquantes, donc sur la nature et la fonction du mot, avec quoi il doit s’accorder, etc. L’idée est donc bien d’amener l’élève à un travail métacognitif sur l’orthographe, mais de façon individuelle et non collective. L’hypothèse testée est qu’un entrainement par des dictées guidées devrait permettre aux enfants ayant des connaissances orthographiques mais ayant du mal à les mobiliser en contexte d’écriture sous la dictée, d’améliorer leurs performances orthographiques lexicales et grammaticales en dictée, de façon plus importante qu’un entrainement équivalent par des dictées classiques non guidées. Nous n’attendons pas de progrès plus important en contexte de dictées guidées pour les élèves n’ayant pas les connaissances orthographiques suffisantes, car dans ce cas la confrontation aux cases vides du calque ne leur sera d’aucun secours. Les élèves déjà performants lors de dictées classiques ne devraient pas non plus en bénéficier puisqu’ils se montrent capables de mobiliser leurs connaissances orthographiques spontanément. C’est pourquoi nous avons partagé notre population d’élèves de 6e, en distinguant a priori trois groupes d’élèves selon leur niveau orthographique évalué lors d’une dictée classique au début de l’expérimentation: les groupes des «bons» et des «très faibles» orthographieurs, et celui des «moyen-faibles», seul groupe pour lequel un effet significatif des dictées guidées est attendu.

2. Méthode

2.1 Participants

Cent vingt et un enfants âgés en moyenne de 12 ans (âge réel allant de 10 ans et 10 mois à 13 ans et 4 mois; écart type de 5 mois) ont participé à l’intégralité de cette étude (49 filles et 72 garçons)[3]. Ces enfants étaient scolarisés en première année de collège dans six classes de 6e de deux collèges publics des départements français de la Savoie (73) et de l’Ain (01). Ils étaient issus de classes socio-économiques moyennes. Afin d’éviter les éventuels effets dus à l’environnement d’apprentissage (collège, classe, enseignant), les groupes expérimentaux et contrôles contiennent autant de classes de chacun des deux établissements concernés. Il est à noter qu’initialement huit classes, soit 217 élèves, participaient à cette étude, mais que deux classes ont dû être exclues des analyses du fait du non-suivi du protocole dans son intégralité. Quarante-huit élèves ont par ailleurs été exclus des analyses (20 du groupe expérimental, 28 du groupe contrôle) du fait de leur absence à l’une des dictées tests (N=22) ou à au moins une des dictées d’entrainement (N=26, en moyenne 3,3 entrainements non faits).

La dictée de prétest a été utilisée pour constituer trois groupes d’élèves de niveau initial en orthographe différent. En moyenne, les 121 participants ont écrit correctement 80,9 % des mots au prétest. Le groupe qualifié de très faibles orthographieurs (TF) comprenait 22 élèves (12 dans les classes expérimentales et 10 dans les classes contrôles). Pour être considéré de niveau «très faible», un élève devait avoir correctement orthographié moins de 70 % des mots au prétest, soit plus de 10 % en dessous de la moyenne générale. Le pourcentage de mots correctement orthographiés s’élevait à 62 % et 60 % respectivement pour les élèves de niveau très faible des classes expérimentales et des classes contrôles. Cette différence n’était pas significative (t(20) < 1). Le groupe de niveau intermédiaire, ou moyen-faible (MF), comprenait 46 élèves (22 dans les classes expérimentales et 24 dans les classes contrôles) dont les performances se situaient entre 70 % et 85 % de mots correctement orthographiés, soit moins de 10 % en dessous de la moyenne générale et moins de 5 % au-dessus. En moyenne, les enfants des classes expérimentales et contrôles répondant à ce critère avaient orthographié correctement un nombre équivalent de mots: 77 % et 79 % respectivement, soit une différence non significative (t(44) = 1.3). Enfin, le groupe des bons orthographieurs (B) comprenait les 53 élèves (31 dans les classes expérimentales et 22 dans les classes contrôles) ayant correctement orthographié au moins 85 % des mots cibles. En moyenne, 92 % et 90 % des mots respectivement avaient été correctement écrits par les élèves des classes expérimentales et contrôles répondant à ce critère. Dans ce groupe, la différence au prétest entre les élèves des classes expérimentales et contrôles s’est avérée significative (t(51) = 2.7, p < .01). Nous avons alors choisi de retirer de nos analyses les quatre élèves les plus performants au prétest (98 % à 99 % de mots justes). Le groupe des bons orthographieurs (B) dans les classes expérimentales a ainsi été réduit à 27 élèves, avec une moyenne de 91,6 % de mots justes devenant équivalente à celle des bons orthographieurs des classes contrôles (t(47) = 1.9). Les âges moyens des élèves des différents groupes sont présentés dans le Tableau 1.

2.2 Matériel et procédures

Chaque élève participant à l’étude a été soumis à une phase d’entrainement de huit semaines, à raison d’un entrainement par semaine. Trois dictées tests ont été dictées à tous les élèves pour évaluer leur niveau et tester l’effet de l’entrainement: une au début de l’étude (dictée de prétest dans la semaine qui précède la semaine 1 d’entrainement), l’une au bout de quatre semaines d’entrainement (dictée de test intermédiaire), la dernière à la fin de l’entrainement (dictée de posttest dans la semaine qui suit la semaine 8 d’entrainement). Toutefois, seuls les résultats au prétest et au posttest seront présentés ici, le test intermédiaire ne se distinguant pas significativement des deux autres mesures.

2.2.1 Dictées tests

Afin d’éviter la répétition d’une même dictée plusieurs fois pour un même élève tout en permettant la comparaison des résultats au prétest et au posttest, trois dictées tests de difficulté équivalente ont été construites à partir de celle utilisée par Totereau et al. (2013). Ces dictées étaient de même longueur (77 à 79 mots) et ont été construites pour présenter le même degré de difficultés lexicale et grammaticale (voir annexe 1). Ainsi, par exemple, elles comprenaient le même nombre de verbes du premier groupe conjugués au présent de l’indicatif à la troisième personne du pluriel, avec le même type de mot en sujet du verbe, le même nombre d’accords en genre et en nombre entre déterminants et noms et entre noms et adjectifs. Le score général de chaque dictée test a été calculé en pourcentage de mots orthographiquement exacts sur l’ensemble du texte de la dictée (aussi bien sur le plan lexical que grammatical[4]). Chaque classe a effectué l’une de ces dictées, tirée au sort, avant la phase d’entrainement (prétest), une autre après quatre semaines d’entrainement (non présenté dans l’article) et une autre encore à la fin de la phase d’entrainement (posttest). Pour toutes les classes, chaque dictée test a été effectuée sur une feuille de format A4 pourvue de lignes simples.

2.2.2 Dictées d’entrainement

Pour chaque classe, les huit dictées d’entrainement étaient choisies par les enseignants eux-mêmes, parmi une liste de 17 dictées de longueur équivalente (58 à 61 mots), toutes sélectionnées dans des ouvrages scolaires de 6e afin de correspondre à des textes de difficulté équivalente et adaptée à ce niveau scolaire. Ce choix laissé aux enseignants leur a permis de choisir des dictées dont les textes correspondaient aux auteurs ou aux thématiques qu’ils souhaitaient aborder avec leurs élèves. De plus, chaque classe ayant été entrainée avec des textes différents, l’efficacité de l’entrainement ne pourra pas être attribuable à la nature des textes d’entrainements, mais bien au dispositif. Ce choix ainsi que celui de ne pas proposer un entrainement intensif mais d’adopter un rythme de dictée hebdomadaire, soit une dictée d’entrainement par semaine pendant huit semaines, a permis de tester l’efficacité des entrainements en situation écologique et de garantir une appropriation la plus large possible par la population enseignante.

Dans les classes du groupe contrôle (dictées non guidées), les élèves effectuaient les huit dictées d’entrainement sur des feuilles de format A4 pourvues de lignes simples. Dans les classes du groupe expérimental (dictées guidées avec calque), les élèves effectuaient les huit dictées d’entrainement sur des feuilles de format A4 pourvues de cadres vides prévus pour y écrire les mots dictés (voir Figure 1A). Les cadres donnent à l’élève une information sur le nombre de lettres des mots, la taille des lettres (montante, descendante) et leur association éventuelle avec une ou deux autres lettres pour constituer un graphème complexe. Un exercice de présentation des consignes à respecter et de familiarisation avec les calques a été proposé aux élèves du groupe expérimental avant les dictées d’entrainement, afin qu’ils s’entrainent à écrire dans les cadres à raison d’une lettre par case (il y a autant de cases que de lettres), avec l’écriture de leur choix. L’enseignant leur expliquait que les cases surmontées d’un trait correspondaient à des graphèmes complexes de deux ou trois lettres ([ou], [oi], [eau], etc.). Un exemple de texte écrit dans les cadres était montré aux élèves pendant cette phase de familiarisation (voir Figure 1B).

Figure 1 (A et B)

Dictée avec calque

Dictée avec calque

(1A) Extrait du support vierge, tel que distribué aux élèves pour effectuer une dictée guidée, correspondant au texte «… un pêcheur très pauvre qui avait du mal à nourrir ses six enfants».

(1B) Même extrait du support complété par le texte, tel qu’attendu.

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2.2.3 Procédure expérimentale

L’objectif de cette étude étant de tester un outil d’aide à la mobilisation des connaissances orthographiques en situation écologique, l’ensemble des textes a été dicté par les enseignants des classes participantes, à raison d’un texte par semaine, sur une suite de semaines consécutives hors vacances scolaires, entre février et juin 2014. Au début de chaque dictée d’entrainement, les élèves étaient prévenus qu’il s’agissait de «s’entrainer» à l’orthographe en faisant des dictées, et que ces dictées ne seraient pas notées. Pour la dictée elle-même, les enseignants des classes participantes avaient pour consigne de lire chaque phrase en entier puis de redonner trois fois chaque groupe de mots, les uns après les autres. Ils devaient indiquer la ponctuation et ne pas relire l’ensemble du texte une fois la dictée terminée. Un temps de relecture était donné à chaque élève à la fin de chaque dictée d’entrainement. L’enseignant ramassait ensuite les productions des élèves, puis distribuait le texte qui venait d’être dicté aux élèves et pouvait le commenter. Cette démarche était identique dans les deux types d’entrainement. Les productions des élèves n’étaient pas corrigées par les enseignants ni rendues aux élèves. Les huit dictées d’entrainement ont été menées par un professeur de la classe, qui avait pour consigne de ne rien changer à son programme d’enseignement en dehors des moments de dictée. Il est également important de noter que le matériel des dictées guidées (cadres correspondant aux mots à écrire, Figure 1) était entièrement généré par un logiciel et fourni aux enseignants, qui ne pouvaient donc pas construire ce type de matériel eux-mêmes et l’utiliser à d’autres moments de classe que celui des dictées d’entrainement. Les feuilles pourvues de lignes simples (groupe contrôle) pour les huit dictées d’entrainement étaient également fournies aux enseignants.

Les dictées «test» étaient fournies par les expérimentateurs aux enseignants quelques jours avant le test afin d’éviter toute préparation des élèves à la dictée. Les modalités de passation (consignes, absence de correction, etc.) étaient les mêmes que pour les dictées d’entrainement, mis à part le fait que tous les élèves écrivaient leur dictée sur une feuille pourvue de lignes simples.

3. Résultats

Les pourcentages moyens de mots orthographiquement exacts à la dictée de prétest et à la dictée de posttest sont présentés dans le Tableau 1 en fonction du type d’entrainement suivi (dictées guidées et dictées classiques) et des groupes de niveau préalable en orthographe (TF, MF et B). Globalement, les plus faibles orthographieurs sont ceux qui semblent le plus progresser entre prétest et posttest, alors que les bons orthographieurs, logiquement, maintiennent leur très bon niveau aux deux temps de test.

Tableau 1

Caractéristiques des participants et résultats en fonction de leur groupe de niveau préalable en orthographe (TF, MF et B): âges moyens, pourcentages moyens de mots justes (et écart-types) à la dictée de prétest et à la dictée de posttest en fonction de l’entrainement suivi (dictées guidées et classiques)

Caractéristiques des participants et résultats en fonction de leur groupe de niveau préalable en orthographe (TF, MF et B): âges moyens, pourcentages moyens de mots justes (et écart-types) à la dictée de prétest et à la dictée de posttest en fonction de l’entrainement suivi (dictées guidées et classiques)

Tableau 1 (suite)

Caractéristiques des participants et résultats en fonction de leur groupe de niveau préalable en orthographe (TF, MF et B): âges moyens, pourcentages moyens de mots justes (et écart-types) à la dictée de prétest et à la dictée de posttest en fonction de l’entrainement suivi (dictées guidées et classiques)

Note: TF = très faibles; MF = moyen-faibles; B = bons orthographieurs

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Une analyse préliminaire a été effectuée pour vérifier l’équivalence entre les trois textes appariés (annexe 1). L’ANOVA (logiciel STATISTICA) a testé l’effet, sur les résultats aux dictées tests, des variables suivantes: le temps (prétest et posttest), le niveau (TF, MF ou B), la dictée test effectuée (dictée A, B ou C) et les interactions entre ces trois facteurs. Les résultats montrent que les seuls effets significatifs sont celui du niveau (F(2, 220) = 278, p < .0001) et celui du temps de la dictée (F(1, 220) = 6,3, p < .05). Pour la variable dictée et ses interactions avec les autres variables, la valeur du F est toujours inférieure à 1. Ainsi, les scores aux différents tests ne semblent pas varier significativement en fonction de la dictée A, B ou C.

Pour tester l’effet de l’entrainement, une ANOVA a été effectuée avec le facteur temps en intra-participant (prétest et posttest) et les facteurs niveaux (TF, MF et B) et conditions d’entrainement (dictées guidées et classiques) en inter-participants. Globalement, les progrès entre prétest et posttest sont significatifs (F(1,111) = 20.8, p < .001), tout niveau et toutes conditions confondues. Les différences de scores entre les trois groupes de niveau orthographique sont également significatives (F(2,111) = 191.3, p < .001). L’effet principal du type d’entrainement n’est pas significatif (F(1,111) = 1.4), on ne peut donc pas conclure à un effet bénéfique de l’entrainement avec dictées guidées sur l’ensemble des élèves. L’interaction significative entre le niveau orthographique préalable et les temps de mesure (F(2,111) = 10.1, p < .001) confirme notre observation que les élèves progressent différemment entre prétest et posttest selon leur niveau orthographique préalable. Les interactions niveau orthographique préalable x type d’entrainement, et temps de mesure x type d’entrainement, ne sont pas significatif (Fs < 1). Enfin, l’interaction de niveau 2, c’est-à-dire celle entre les trois facteurs, révèle une tendance à la limite de la significativité (F(2,111) = 2.7, p = .07), suggérant que le type d’entrainement pourrait moduler les progrès observés pour une partie des élèves, comme l’illustre la Figure 2. Des analyses de contrastes évaluant les effets simples du temps de mesure dans les différents groupes montrent qu’il n’y a aucune augmentation des scores entre prétest et posttest chez les élèves ayant le niveau orthographique le plus élevé (F(1,111) < 1). Au contraire, un progrès significatif est observé entre prétest et posttest chez les élèves du groupe le plus faible (F(1,111) = 25, p < .0001) et chez les élèves de niveau intermédiaire (F(1,111) = 6.05, p < .05). D’autres analyses de contrastes permettent de préciser que l’interaction entre temps de mesure et type d’entrainement n’est pas significatif pour les élèves du groupe faible (F(1,111) = 1,5, n.s.) ni pour les élèves les plus performants (F(1,111) = 2,1, n.s.), mais est significatif pour les élèves moyen-faibles (F(1,111) = 5,2, p < .05). Ces résultats suggèrent donc un effet significatif du type d’entrainement, en faveur de l’entrainement par dictées guidées, uniquement pour le groupe d’élèves intermédiaires, qualifiés de moyen-faibles en orthographe (MF).

Figure 2

Progrès moyens, en pourcentage de mots justes, entre le prétest et le posttest, en fonction de l’entrainement suivi (dictées guidées et dictées non guidées) et des groupes de niveau préalable en orthographe (très faibles, moyens-faibles et bons orthographieurs)

Progrès moyens, en pourcentage de mots justes, entre le prétest et le posttest, en fonction de l’entrainement suivi (dictées guidées et dictées non guidées) et des groupes de niveau préalable en orthographe (très faibles, moyens-faibles et bons orthographieurs)

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Afin de vérifier la stabilité des résultats de l’analyse de contrastes de l’ANOVA malgré les faibles effectifs de nos différents sous-groupes, nous avons calculé pour chaque élève un score de progrès (score au posttest moins score au prétest) et nous avons effectué des analyses non paramétriques (U de Mann-Whitney) comparant, pour chaque groupe de niveau, la différence de progrès entre prétest et posttest (Figure 2). Chez les élèves ayant le niveau orthographique le plus élevé (groupe B), l’analyse non paramétrique confirme une différence des progrès non significative entre les deux types d’entrainement pour ce groupe (Z = 0.8). Chez les élèves du groupe le plus faible au prétest (TF), l’analyse non paramétrique confirme une différence des progrès non significative entre les deux types d’entrainement pour ce groupe (Z = 1.3). Au niveau individuel, 10 élèves de ce groupe des plus faibles sur 12 ont progressé dans le groupe entrainé avec les dictées guidées (83 %) et leur progrès est en moyenne de 5,3 % (étendue 1,2-11,7). Dans le groupe des élèves faibles entrainés avec les dictées classiques, 9 sur 10 ont progressé (90 %), leur progrès est en moyenne de 7,7 % (étendue 1,9-15,7).

Chez les élèves du groupe intermédiaire, qualifiés de moyens-faibles (MF), l’analyse non paramétrique confirme une différence des progrès significative entre les deux types d’entrainement pour ce groupe (Z = 2.3, p < .05). L’amélioration des performances des élèves moyens-faibles est donc plus importante après avoir suivi l’entrainement avec dictées guidées qu’après avoir suivi l’entrainement avec dictées classiques. Au niveau individuel, 15 élèves moyen-faibles sur 22 ont progressé dans le groupe entrainé avec les dictées guidées (68 %) et leur progrès est en moyenne de 6,3 % (étendue 2,5-10,6). Dans le groupe des élèves moyen-faibles entrainés avec les dictées classiques, 11 sur 24 ont progressé (46 %), leur progrès est en moyenne de 4,8 % (étendue 1,4-10,6).

4. Discussion et conclusion

L’objectif de cette étude était d’évaluer l’effet d’un entrainement hebdomadaire à l’orthographe par des dictées guidées sur les performances orthographiques d’élèves de sixième. Les évolutions de performances ont été comparées à celles d’un groupe contrôle de même niveau entrainé par des dictées classiques. Trois groupes de niveaux orthographiques initiaux contrastés («très faibles», «moyens-faibles» et «bons») ont été établis en fonction des scores obtenus à la dictée de prétest précédant l’entrainement. Conformément à notre hypothèse, les résultats suggèrent que le fait d’effectuer huit dictées guidées à raison d’une par semaine pendant huit semaines est plus efficace que le fait d’effectuer le même nombre de dictées classiques pour faire significativement progresser en orthographe les élèves de niveau moyen-faible. Par ailleurs, les élèves très faibles en orthographe bénéficient autant d’un entrainement par des dictées classiques que d’un entrainement par dictées guidées. Une interprétation plausible de cette différence est de supposer que pour les élèves moyen-faibles, les supports fournis lors des dictées guidées (voir Figure 1) leur ont permis, pendant la phase d’entrainement, de mobiliser et d’appliquer de façon plus systématique leurs connaissances orthographiques (calcul syntaxique, lexique orthographique, stratégies de vérification). Par exemple, face à un mot au pluriel qu’ils auraient écrit spontanément sans «s» final, par inattention ou parce qu’ils ne savent pas encore appliquer la règle de façon automatique, ils ont été confrontés à une case finale vide, qui les a obligés à se focaliser sur la terminaison du mot et à mobiliser cette règle grammaticale. Ils ont ensuite, lors de la dictée posttest (qui, rappelons-le, était une dictée classique non guidée), été capables de réactiver ces connaissances et d’appliquer plus systématiquement les règles orthographiques et grammaticales. Pour ces élèves, le guidage proposé faciliterait donc la métacognition et la réflexion explicite sur leurs productions écrites, et de là la consolidation et l’application plus systématique des règles d’écriture du français qu’ils connaissent déjà au moins partiellement. Les cadres de la dictée guidée donnaient à l’élève une information sur le nombre de lettres des mots, la taille des lettres (montante, descendante) et leur association éventuelle avec une ou deux autres lettres pour constituer un graphème complexe. Il n’est pas possible de déterminer ici si ces différentes informations ont toutes une pertinence. D’autres expériences doivent être menées pour savoir si, par exemple, l’information sur le nombre de lettres uniquement (cases toutes de même taille) aurait été aussi efficace.

La significativité de l’effet de l’entrainement guidé ne doit pas occulter le fait que, malgré tout, les progrès observés dans le groupe des orthographieurs moyens-faibles restent modestes et ne leur permettent pas d’atteindre les scores des bons orthographieurs (4 % de gain en 8 semaines pour le groupe entrainé avec les dictées guidées). Ce résultat est néanmoins encourageant et suggère que les dictées guidées peuvent être un outil pédagogique à développer, mais il laisse penser que le protocole suivi dans cette recherche pourrait ne pas être optimal. Plusieurs propositions non exclusives les unes des autres peuvent être faites pour l’améliorer. Une première proposition concerne le rythme et l’intensité de l’entrainement. Dans le cadre des remédiations de difficultés cognitives spécifiques, il est généralement admis qu’une période de remédiation ou d’entrainement intensive est plus efficace qu’une période plus longue mais moins intensive (p. ex., Habib, 2014). On peut donc raisonnablement penser qu’envisager l’entrainement non pas sur une période plus longue, mais de façon plus intensive sur la même période, permettrait de renforcer, voire d’amplifier les progrès observés. La seconde proposition touche au protocole lui-même, qui était assez minimaliste dans le cadre de notre expérience pour essayer d’évaluer l’effet isolé du calque-guide, en dehors de toute interaction additionnelle entre élèves ou entre les élèves et l’enseignant. Dans un cadre scolaire moins restrictif, l’intégration d’un travail de réflexion collectif associé aux dictées avec guide (comme proposé dans la dictée du jour ou la dictée 0 faute de Fisher et Nadeau [2014]), ainsi que la présence d’une correction immédiate (feedback) faite par l’enseignant (Hattie et Timperley, 2007), faciliteraient probablement l’identification par les élèves des erreurs commises et des règles orthographiques et grammaticales à appliquer. Enfin, un temps dédié à une autocorrection ou à une correction entre pairs stimulerait l’implication des élèves dans leur production écrite par l’apprentissage par les pairs (Brissaud, Cogis, Jaffré, Pellat et Fayol, 2011).

Pour les élèves les plus faibles, les progrès après huit dictées d’entrainement sont importants quel que soit le type d’entrainement, ce qui suggère une certaine efficacité d’un entrainement régulier à l’écriture de textes sous dictée. Cette efficacité est cependant relative puisque les élèves de ce groupe n’ont pas, malgré les progrès, rattrapé leur retard (67 % de mots justes au posttest en moyenne, alors que le groupe moyen-faible est à 78 % au prétest). De plus, en l’absence d’un groupe contrôle d’élèves de même niveau en orthographe et n’ayant fait aucune dictée dans un même période de huit semaines, on ne peut pas exclure l’hypothèse que les progrès de ces élèves sont liés à d’autres facteurs que la présence de dictées, comme le travail régulier et l’exposition à des mots pendant huit semaines de classe. On note surtout que les dictées guidées n’ont pas eu d’effet spécifique dans ce groupe, ce qui laisse penser que les élèves faibles n’ont pas profité du guidage pendant les dictées. On peut supposer que ces élèves n’ont peut-être pas acquis les connaissances orthographiques à mobiliser, ou bien qu’ils n’ont pas eu les ressources suffisantes pour les mobiliser, malgré le guidage. Pour ces élèves faibles, il est probable que des dispositifs d’enseignement élaborés, pendant lesquels ils pourraient profiter à la fois des connaissances des autres élèves (p. ex. lors d’échanges collectifs), d’un accompagnement plus individualisé et d’un guidage plus appuyé, leur permettraient d’acquérir les connaissances qui leur manquent pour profiter du guidage minimal que constituent les cadres des dictées guidées. Les séances d’accompagnement personnalisé, renforcées dans la réforme du collège, pourraient conduire, chez les élèves en difficulté, à utiliser ces dictées guidées accompagnées d’un travail individualisé sur les difficultés rencontrées par chaque élève. Enfin, la version couleur des calques peut être proposée pour les élèves très faibles. Cette version ajoute une information supplémentaire sur la nature des lettres, consonnes ou voyelles, ce qui peut être un guide supplémentaire pour compléter une case vide. Par exemple, la couleur sur une lettre finale manquante permettrait à l’élève de trancher entre un e (accord de genre) et un s (accord de nombre).

Pour conclure, cette étude montre que la réalisation de dictées guidées par les calques facilite les progrès des élèves de niveau moyen-faible en orthographe, même dans des conditions sans interaction ni discussion sur l’orthographe avec les autres élèves ou avec l’enseignant. Les dictées guidées par calque semblent donc être un outil intéressant à utiliser pour amener les élèves à un travail réflexif autonome sur leurs productions écrites, en complément d’autres propositions pédagogiques incitant à un travail métacognitif et à l’interaction entre pairs.