Corps de l’article

1. Introduction

Même si plusieurs recherches ont montré que des pratiques d’éveil à la lecture et à l’écriture chez les jeunes enfants favoriseraient le développement ultérieur des habiletés de lecture et d’écriture et permettraient ainsi de diminuer les échecs en lecture (Lonigan, Burgess et Anthony, 2000; Sénéchal et Lefebvre, 2002; Storch et Whitehurst, 2002), peu d’interventions directes en matière d’éveil à la lecture et à l’écriture ont été documentées sur le plan scientifique (Myre-Bisaillon, Dionne, Puentes-Neuman, Raîche et Villemagne, 2010) dans cette période de développement crucial chez l’enfant, même si on sait qu’il s’agit d’un facteur de protection (Cantin, Bouchard et Bigras, 2012). Pour leur part, Burns, Espinosa et Snow (2003) constatent l’inégalité des contacts avec l’écrit des enfants de milieux défavorisés, comparativement à leurs pairs provenant de milieux plus aisés. Pour Japel, Vuattoux, Dion et Simmons (2009), l’inégalité entre les enfants de différents milieux, quant à l’étendue et à la richesse de leur vocabulaire, est alarmante.

Des initiatives d’alphabétisation familiale et de prévention de l’analphabétisme présentent des voies concrètes pour sensibiliser les parents à l’importance de l’écrit. Ces initiatives apparaissent particulièrement efficaces auprès des jeunes issus de milieux défavorisés (Wagner, 2002). Depuis quelques années, des recherches s’intéressent aux effets des pratiques familiales en matière d’éveil à la lecture et à l’écriture sur le développement ultérieur de ces compétences (Roberts, Jurgens et Burchinal, 2005). Certaines recherches indiquent que les pratiques éducatives parentales (Puentes-Neuman, Cournoyer et Martin, 2004; Thériault et Lavoie, 2004; Burns et al., 2003) et l’attitude parentale face à la littératie (Puentes-Neuman, Cournoyer et Martin, 2004) semblent prédire la réussite scolaire des jeunes enfants. Les parents ont donc un rôle important à jouer par les pratiques éducatives qui leur sont associées (Myre-Bisaillon, Breton, Boutin et Dionne, 2012; Puentes-Neuman et al., 2004). Conséquemment, plusieurs programmes visant l’adoption de pratiques favorables à l’éveil à la lecture chez les parents ont été mis de l’avant au Québec, dont une initiative interministérielle de grande envergure, le Programme d’aide à l’éveil à la lecture et à l’écriture en milieu défavorisé (MELS, 2003), implanté dans toutes les régions administratives depuis 2003. L’évaluation des impacts du Programme (Myre-Bisaillon et al., 2010) mène toutefois au constat que peu d’interventions sont réalisées directement auprès des familles (tout comme elles sont peu documentées sur le plan scientifique); l’enfant étant la cible première des activités offertes par les organismes et les activités de sensibilisation, plus nombreuses que celles de formation, d’accompagnement ou d’intervention auprès des familles (Myre-Bisaillon et al., 2010). Si un bout de chemin a été parcouru avec les familles et les organismes communautaires, certains milieux de vie des enfants ont été oubliés. C’est le cas, notamment, des services de garde en milieu scolaire.

On sait aujourd’hui que les jeunes ayant participé à des activités touchant la lecture ou l’écriture, que ce soit à la maison ou à la garderie, apprennent plus facilement à lire, sont de meilleurs lecteurs et lectrices (MELS, 2003). Plusieurs facteurs interviennent dans la réussite scolaire de l’enfant dès le début de sa scolarisation. L’apprentissage de la lecture est une pierre angulaire dans la réussite scolaire des enfants, car la grande majorité des élèves éprouvant des difficultés scolaires en ont aussi en lecture (Saint-Laurent, Giasson et Drolet, 2001). Les premiers apprentissages entourant la lecture prennent donc une importance particulière, et ce, avant même la scolarisation formelle. En effet, l’enfant d’âge préscolaire développe des habiletés relatives à l’entrée dans l’écrit, développement qui s’inscrit dans ce qu’on nomme l’éveil à la lecture et à l’écriture (Thériault et Lavoie, 2004).

L’objectif de la présente recherche, dont certains résultats seront présentés dans le cadre de cet article, était d’expérimenter un programme d’éveil à la lecture et à l’écriture dans les services de garde en milieu scolaire, milieu peu étudié sur le plan de la recherche et contexte d’intervention intéressant étant donné le nombre d’heures que les enfants y passent. Le cadre théorique de l’éveil à la lecture et à l’écriture sera brièvement exposé de même que certains éléments de contexte tels que la vulnérabilité à l’âge préscolaire, le contexte des services de garde et le concept d’engagement en lecture. Par la suite, le programme expérimenté sera décrit de même que les conditions d’expérimentation. Les résultats en lien avec l’engagement et l’ouverture face aux livres seront présentés et discutés.

2. Cadre théorique et éléments de contexte

2.1 L’éveil à la lecture et à l’écriture

Dans le cadre de la présente recherche, le concept d’éveil à la lecture et à l’écriture fait référence à ce que Giasson (2004) définit comme les acquisitions en lecture et en écriture (connaissances, habiletés et attitudes) que l’enfant réalise sans enseignement formel et avant de lire de manière conventionnelle. Par exemple, l’enfant a du plaisir lorsqu’on lui raconte une histoire, demande à ses parents ce qui est écrit sur une affiche, est capable de tourner les pages d’un livre, pose des questions sur les écrits de son milieu, etc. L’enfant s’éveille donc à la lecture et à l’écriture par son contact avec du matériel écrit dans son milieu familial et social, mais également par les interactions avec l’adulte à propos de ce matériel. Il s’agira d’apprentissages qui se font de façon naturelle et informelle. L’éveil de l’enfant au monde de l’écrit peut davantage s’actualiser dans un milieu où l’écrit est présent, lorsque les adultes savent attirer son attention sur le matériel et l’accompagner dans ses découvertes. C’est dans cette perspective que le programme d’éveil à la lecture et à l’écriture des services de garde en milieu scolaire (ÉLÉ-SGMS) a été pensé, de même que la formation des éducatrices. Enfin, un autre principe autour duquel s’est construit le programme ÉLÉ-SGMS est celui de l’importance de la lecture d’histoire à voix haute. En effet, nombreux sont les travaux qui ont démontré les effets positifs de cette pratique sur le plaisir de lire, le développement des habiletés ultérieures en lecture et l’engagement en lecture (Al-Mansour et Al-Shorman, 2011; Fisher et Medvic, 2003; Gibson, Gold et Sgouros, 2007; Gold et Gibson, 2001; Hudson et Test, 2011; Swanson, Wanzek, Petscher, Vaughn, Heckert, Cavanaugh, Kraft et Tackett, 2011; Wiseman, 2010)

2.2 Vulnérabilité à l’âge préscolaire

Les récentes études sur l’écart entre le niveau de préparation des enfants lors de leur entrée à l’école se multiplient (Desrosiers, Tétreault et Boivin, 2012; Janus et Duku, 2007; Société canadienne de pédiatrie, 2012). On sait également que le pourcentage d’enfants «n’étant pas prêts» à entreprendre la scolarité augmente dans les milieux défavorisés (Gauthier, Richard, Bissonnette, 2005) et que les habiletés en lecture et en écriture sont identifiées comme étant au centre d’un ensemble d’apprentissages scolaires (Conseil supérieur de l’éducation [CSE], 2012).

Parallèlement, les recherches montrent que l’apprentissage de la lecture et de l’écriture intervient dans la réussite scolaire de l’enfant. Pour Giasson (2011), les difficultés rencontrées lors de l’apprentissage de la lecture sont les principales causes d’échec en première année. De plus, qu’on pense aux données de l’Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes (ELNEJ) ou à l’Étude longitudinale sur le développement des enfants du Québec (ELDEQ) ou encore aux travaux de Becker (2011), tous s’entendent sur le fait que les enfants de familles à faible revenu et les enfants dont la mère est peu scolarisée ont des scores plus faibles sur le plan du développement cognitif et langagier (CSE, 2012). En milieux défavorisés, environ 30 % à 50 % des enfants présentent un retard de développement sur le plan cognitif (Pomerleau, Malcuit, Moreau et Bouchard, 2005). Pour expliquer ces constats, de nombreuses études portent sur la relation importante qui existe entre ce que la famille peut apporter sur le plan de l’éveil à la lecture et à l’écriture et le développement de ces compétences (De Jong et Leseman, 2001; Sénéchal et Lefevre, 2002). Mais on constate du même souffle que les enfants des familles en situation défavorisée seraient également les plus difficiles à rejoindre dans leur milieu familial (Myre-Bisaillon et al., 2010). Dans ce contexte, pour rejoindre ces enfants, il devient alors pertinent de s’intéresser aux autres milieux de vie qu’ils fréquentent régulièrement, dès leur entrée à l’école. D’ailleurs, Thériault et Lavoie (2004) mentionnent l’importance de la responsabilité partagée en matière d’éveil à la lecture et à l’écriture. Cependant, si ce partage est souvent admis entre la famille, le milieu communautaire et l’école, il est relativement nouveau lorsqu’on parle des services de garde en milieu scolaire.

2.3 Les services de garde en milieu scolaire

Les jeunes enfants passent beaucoup de temps à l’école, non seulement en classe, mais aussi au service de garde qui les accueille le matin, le midi, après l’école et lors des congés scolaires. Analysant les données recueillies dans le cadre de l’étude longitudinale du développement des enfants du Québec (ÉLDEQ, 1998-2012), Giguère et Desrosiers (2010) rapportent que la moyenne d’heures passées en service de garde est d’environ 14 heures par semaine pour les élèves à la maternelle. Qui plus est, on sait aujourd’hui que le développement des compétences en lecture et en écriture n’est pas exclusif à la classe et qu’il s’inscrit en continuité avec les pratiques dans les différents milieux dans lesquels l’enfant évolue (Teale, 2001). Les services de garde en milieu scolaire fréquentés par les enfants d’âge préscolaire représentent un environnement où il est possible de rejoindre un grand nombre d’enfants. De plus, le cadre moins formel des services de garde en milieu scolaire permet une plus grande souplesse dans le choix et l’animation des activités préparées par le personnel. Pour Baillargeon (1990), le personnel des services de garde en milieu scolaire peut avoir une approche naturelle et travailler à partir des intérêts des enfants; il n’a pas à se conformer à des contraintes bien précises en termes d’apprentissage, il peut tirer profit des évènements et naviguer entre routine et spontanéité. C’est dans ce contexte que nous avons posé l’hypothèse que ce milieu pouvait être approprié pour mettre en place des activités d’éveil à la lecture et à l’écriture auprès d’enfants qui fréquentent la maternelle, qui intègrent ainsi progressivement le système scolaire et qui n’ont pas eu la chance d’être suffisamment stimulés à la maison. Dans cette perspective, un programme d’éveil à la lecture et à l’écriture spécifique aux SGMS (ÉLÉ-SGMS) qui accueillent des enfants de 4 et de 5 ans a été développé.

2.4 L’engagement face à la lecture

Il est important de mentionner que, comme toute recherche, celle-ci est traversée par des valeurs qui orientent le choix des objets, mais aussi l’approche préconisée pour répondre au problème identifié. La démarche se situe dans le courant selon lequel le jeu et le plaisir d’apprendre qu’il suscite favorisent le développement de l’intérêt de l’enfant (CSE, 2012) ainsi que son engagement pour l’activité proposée (Gouziens-Desbiens et Dieryck, 2012). En ce sens, entre le courant voulant que les enfants d’âge préscolaire apprennent plus systématiquement les bases de la lecture et de l’écriture et l’autre cherchant d’abord à susciter l’intérêt de l’enfant par le jeu, le plaisir et la découverte, nous optons plutôt pour ce dernier. En effet, à travers le projet ÉLÉ-SGMS, nous cherchions d’abord à développer le plaisir face aux activités de lecture à partir d’activités d’éveil tout en développant chez les enfants des habiletés de compréhension. La place qu’occupe le langage écrit dans les activités familiales est l’un des prédicteurs les plus fiables pour assurer l’éveil à la lecture et à l’écriture de l’enfant et son engagement à l’égard du langage écrit à l’école (MELS, 2003).

Ces dernières années, l’engagement en lecture a été identifié comme ayant un effet positif sur les habiletés en lecture. Pour Guthrie et Wigfield (2000) l’engagement comporte des dimensions cognitive, affective et sociale, et est fortement lié à la réussite en lecture, car l’élève qui lit activement et fréquemment améliore sa compréhension. En 2005, l’équipe du North Central Regional Educational Laboratory (NCREL) a reconnu que l’engagement en lecture est nécessaire à la réussite des élèves.

Pour rendre compte de cet engagement, nous nous sommes appuyés sur les indicateurs utilisés dans le programme d’évaluation, d’intervention et de suivi (EIS) auprès des jeunes enfants de 0 à 6 ans (Dionne, Tavares, Rivest et Bricker, 2006). Ce programme permet de recueillir des renseignements sur le plan fonctionnel et éducatif selon six domaines de développement (motricité fine, motricité globale, adaptatif, cognitif, communicatif et social) pour lesquels des grilles d’observation et des critères d’évaluation ont été développés. À partir de ces grilles, nous avons travaillé en collaboration avec la chercheure Dionne pour définir les critères permettant d’évaluer l’engagement des enfants de 4 ans et de 5 ans lors d’activités d’éveil. Ainsi, au regard des critères du programme EIS, l’ouverture face aux livres a également été retenue pour rendre compte des attitudes des enfants face aux livres.

3. Objectifs

Le programme ÉLÉ-SGMS visait plusieurs objectifs: augmenter la stimulation liée à la lecture et à l’écriture, développer le plaisir autour des livres, développer la sensibilité au schéma du récit, développer la capacité à répondre à des questions de type microsélection, inférence et réaction au texte, développer l’interaction autour du livre, développer la motricité fine et la motricité globale et développer le vocabulaire. À travers ces objectifs, l’engagement et l’ouverture face aux livres ont également été observés et ce sont ces résultats qui seront ici présentés. Plus spécifiquement, nous comparons des groupes de milieux défavorisés et favorisés à l’entrée en classe maternelle et à la fin de l’année scolaire. Nous comparerons également les enfants en fonction de leur exposition ou non aux activités du programme ÉLÉ-SGMS.

4. Méthodologie

L’expérimentation a consisté à implanter un projet d’ÉLÉ dans des SGMS. Ainsi, les éducatrices ont reçu une formation et un accompagnement pour animer le programme auprès des élèves de maternelle au cours de l’année. Les élèves ont participé à une évaluation de leurs habiletés en éveil au début et à la fin de l’année. Un groupe d’élèves a participé au programme d’ÉLÉ et un second groupe n’a pas été exposé aux activités.

4.1 Le programme ÉLÉ-SGMS

Le programme ÉLÉ-SGMS est organisé autour d’activités, telles que l’animation du livre, l’activité de vocabulaire, la chanson ou la comptine, la psychomotricité (au gymnase ou à l’extérieur), la pause animée, le coin lecture et le bricolage. Ces activités sont conçues pour favoriser l’éveil à la lecture et à l’écriture des enfants de 4 ou 5 ans et s’articulent autour de thèmes explorés au cours desquels les activités régulières du service de garde suivent leur cours. Ainsi, les éducatrices et les responsables du SGMS qui animent le projet ont en main le matériel nécessaire pour offrir de courts ateliers d’ÉLÉ qui peuvent durer entre 5 minutes et 30 minutes. L’approche préconisée lors des ateliers est avant tout basée sur le plaisir et la découverte afin de donner le goût aux enfants de participer et de leur faire développer un sentiment positif par rapport à la lecture et à l’écriture. Chaque thème est traité sur deux à trois semaines et les éducatrices ont à leur disposition 18 thèmes qui suivent un ordre prédéterminé par l’équipe de recherche. Les livres ont été sélectionnés avec l’aide de conseillères pédagogiques du préscolaire en fonction des thématiques abordées qui ont été choisies de concert avec les milieux.

4.2 Déroulement

L’expérimentation s’est déroulée sur une année scolaire, soit l’an 2010-2011 dans deux régions et en 2011-2012 dans les deux autres régions, tel que présenté dans le tableau 1. La cinquième région, celle de la Montérégie, est celle des groupes contrôles. Chaque élève, ayant fait l’objet du consentement écrit d’un parent, a été évalué à deux moments, avant et après l’exposition au programme d’éveil. L’objectif plus large du projet de recherche consistait à évaluer plusieurs habiletés d’éveil en lecture et en écriture. Pour ce faire, les élèves ont été libérés environ 45 minutes pendant les heures de classe pour participer à l’évaluation de leurs habiletés.

4.3 Participants

Pour l’expérimentation, les SGMS éloignés des grands centres urbains du Québec ont été ciblés dans ces quatre régions: Côte-Nord, Outaouais, Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine et Abitibi-Témiscamingue. Ces régions sont caractérisées par un haut taux de ruralité et de défavorisation (CSE, 2009). De plus, la sélection des SGMS situés dans des écoles dont l’indice de milieu socio-économique (IMSE) représente les milieux les plus défavorisés (9-10) a constitué un critère d’échantillonnage, car les activités d’ÉLÉ dans ces milieux répondent à un important besoin de stimulation pour les enfants en âge de fréquenter la maternelle. La participation de quatre écoles par commission scolaire a été visée et les SGMS avec des bassins d’élèves de maternelle supérieurs à dix enfants par groupe ont également servi à déterminer les écoles ciblées.

Afin d’évaluer les effets du programme, des groupes contrôles ont été formés en plus des groupes expérimentaux. Tel que présenté dans le tableau 1, un total de 556 enfants dans 25 écoles ont participé au projet de recherche. Parmi ceux-ci, 488 enfants (87,8 %) proviennent des quatre régions dans lesquelles le programme a été expérimenté, 68 enfants (12,2 %) proviennent d’une région contrôle, soit la Montérégie. Plus de 400 enfants ont bénéficié du programme de façon régulière ou sporadique, selon leur fréquentation du service de garde, au cours de l’expérimentation officielle, ce qui représente 72 % de tous les participants à la recherche, et 82 % des élèves des régions expérimentales.

Tableau 1

Récapitulatif de la composition des groupes

Récapitulatif de la composition des groupes

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4.4 Évaluation prétest/post-test

4.4.1 Scénario d’éveil à la lecture

Le scénario d’éveil à la lecture vise à évaluer différentes habiletés à partir d’une histoire lue à des groupes de quatre enfants. Le lecteur pose des questions (auxquelles on répond parfois secrètement à l’oreille du lecteur, parfois en groupe) et un observateur code (selon un code préétabli pour les réponses secrètes) les réponses des enfants à l’aide d’une grille d’observation. Les enfants ont été regroupés par quatre et ont répondu à 15 questions. C’est à travers ce scénario que l’engagement et l’ouverture démontrés pour les livres sont évalués par observations. Des tests individuels viennent compléter le portrait de chaque enfant sur le plan des habiletés d’éveil à la lecture et à l’écriture, mais pour les besoins de cet article, seuls les instruments en lien avec les résultats présentés seront décrits.

4.4.2 Instrument

Le Programme d’évaluation, d’intervention et de suivi (EIS), (Dionne et al., 2006), permet notamment d’évaluer les habiletés des jeunes enfants, ce qui a inspiré les éléments de la grille d’observation élaborée dans le cadre de ce projet portant sur les attitudes des élèves lors de leur participation au scénario d’éveil. Un travail conjoint partant des critères identifiés dans le programme EIS a permis de construire l’outil d’évaluation utilisé pour mesurer l’engagement et l’ouverture dans la présente recherche.

L’engagement a été observé et codé en fonction des critères suivants: l’enfant reste avec le groupe, l’enfant regarde les images, l’enfant pose des questions, l’enfant répond aux questions. La qualité de l’engagement de l’enfant a été évaluée à la fin du scénario d’éveil. Elle a été qualifiée de faible, moyenne ou forte. Pour que la qualité de l’engagement de l’enfant soit codée comme étant forte, les quatre critères d’engagement devaient avoir été observés positivement. Enfin, au début du scénario d’évaluation, les enfants ont été invités à regarder plusieurs livres. Les observations pendant cette période ont permis de mesurer quatre critères liés à l’ouverture aux livres: l’enfant commente les livres, il prend les livres, il ouvre les livres et il montre les images.

4.4.3 Méthodes d’analyse

L’engagement a été analysé à partir de la comparaison entre le groupe expérimental et les groupes contrôles favorisé et défavorisé, et cela en fonction des observations réalisées pendant le scénario d’évaluation. Ainsi, dans les analyses liées à l’engagement, les élèves des groupes contrôles ont été comparés aux élèves exposés. Pour les observations liées à l’ouverture aux livres, nous avons comparé les données à l’intérieur des groupes expérimentaux séparant les enfants inscrits à temps plein aux services de garde (n=423) aux enfants n’étant pas inscrits à temps plein (n=65). Nous préciserons ce choix en présentant les résultats obtenus.

Comme toutes les variables analysées dans cet article sont de type dichotomique, c’est un modèle linéaire généralisé qui a été utilisé pour l’analyse. La variable dichotomique était la variable réponse du modèle et les variables explicatives étaient le temps, le groupe et l’interaction entre ces deux facteurs. Lors de comparaisons multiples, c’est une correction de Sidak qui a été effectuée. Un p-value de 0,05 a été considéré comme étant significatif et les analyses ont été produites à l’aide du logiciel SPSS v20.

5. Résultats

5.1 L’engagement

Tout d’abord, le pourcentage d’enfants présentant 3 ou 4 attitudes d’engagement (1- l’enfant reste avec le groupe; 2- l’enfant regarde les images; 3- l’enfant pose des questions et 4- l’enfant répond aux questions) a été comparé avec le groupe expérimental, les groupes contrôle favorisé et contrôle défavorisé. Ce pourcentage a augmenté dans le groupe expérimental entre le début (72,1 %) et la fin de la maternelle (78,6 %), alors qu’il a diminué dans le groupe contrôle défavorisé (100 % en début de maternelle; 84 % en fin de maternelle). Les enfants du groupe contrôle favorisé ont également présenté un plus fort engagement entre le début et la fin de la maternelle en passant de 84,2 % à 97,3 %. L’évolution de l’engagement entre le début et la fin de la maternelle ne semble pas être la même dans les trois groupes (Effet Groupe*Temps, Khi-deux de Wald=9,962, ddl=2, p = 0,007).

5.2 La qualité de l’engagement

La qualité d’engagement de l’enfant a été évaluée à la fin du scénario d’éveil. Elle a été qualifiée de faible, moyenne ou forte. Entre le début et la fin de la maternelle, le pourcentage d’enfants ayant une forte qualité d’engagement a augmenté dans le groupe expérimental alors qu’il a diminué chez les deux groupes contrôles (Effet Groupe*Temps, Khi-deux de Wald=13,896, ddl=2, p-value = 0,001). En effet, à la fin de la maternelle, le pourcentage d’enfants présentant une forte qualité d’engagement est beaucoup plus grand chez le groupe expérimental et celui-ci augmente entre le début (44,8 %) et la fin de la maternelle (64,5 %). Au contraire, chez le groupe contrôle favorisé, le pourcentage d’enfants présentant une forte qualité d’engagement diminue entre le début (35,3 %) et la fin de la maternelle (26,3 %), pour se retrouver significativement inférieur à celui des enfants formant le groupe expérimental. Il en va de même pour le groupe contrôle défavorisé: 44,0 % des enfants présentent une forte qualité d’engagement en début de maternelle et 16,0 % d’entre eux le démontrent en fin de maternelle.

5.3 Ouverture aux livres

Pour l’ouverture aux livres, la collecte de données s’est faite différemment entre la région contrôle et les régions expérimentales au début de la maternelle. Nous n’avons dons pas pu retenir les données du prétest de la région contrôle. Nous avons donc comparé à travers les groupes expérimentaux, les enfants ayant fréquenté les SGMS (n=423) par rapport à ceux n’ayant pas ou peu fréquenté les services de garde (n=65). Les analyses effectuées ont permis de comparer les groupes dans le temps (prétest, post-test) ainsi que les groupes entre eux. Nous présentons ici les résultats des quatre items nous renseignant sur l’ouverture aux livres.

5.3.1 Les enfants prennent les livres

L’observation dans le temps entre les enfants qui prennent les livres ou non permet de noter un écart entre les groupes exposés par rapport aux groupes peu ou pas exposés au programme ÉLÉ-SGMS au début de la maternelle, tout comme à la fin de la maternelle, mais cet écart n’est pas significatif (Effet Groupe*Temps, Khi-deux de Wald =0,246, ddl=2, p-value = 0,884). En effet, le pourcentage d’élèves qui prennent les livres est significativement plus grand chez les élèves qui ont fréquenté les SGMS (79,9 % en début de maternelle; 94,0 % à la fin) que chez ceux qui ne les ont pas fréquentés (69,8 % en début de maternelle; 88,1 % à la fin).

5.3.2 Les élèves ouvrent les livres

En ce qui a trait aux enfants qui ouvrent les livres, en début d’année, plus d’élèves exposés au programme ouvrent les livres, et cela demeure vrai à la fin de la maternelle. Ainsi, en début de maternelle, 74,4 % des élèves exposés au programme ouvrent les livres, alors qu’ils sont 61,8 % des élèves non exposés à le faire. De même, en fin d’année, 96 % des élèves exposés ouvrent les livres comparativement à 90,6 % des élèves non exposés. Cependant, le groupe des élèves non exposés présente un gain supérieur à celui des élèves exposés (Effet Groupe*Temps, Khi-deux de Wald =6,237, ddl=2, p-value = 0,044).

5.3.3 Les enfants commentent les livres

Le pourcentage d’élèves qui commentent les livres est supérieur chez les élèves exposés au programme par rapport à ceux qui ne le sont pas, et cela est vrai en début (29,8 % par rapport à 12,1 %) comme en fin d’année (42,2 % par rapport à 33,3 %). Cette différence entre les groupes concernant les enfants qui commentent ou non les livres n’a cependant pu être démontrée statistiquement (Effet Groupe*Temps, Khi-deux =5,232, ddl=2, p-value = 0,073).

5.3.4 Les enfants montrent les images

Lorsqu’on observe le fait que les enfants montrent les images ou non, on note une différence significative entre les deux groupes qui est maintenue dans le temps, mais l’écart observé n’est pas significatif (Effet Groupe*Temps, Khi-deux de Wald =1,800, ddl=2, p-value = 0,407). Ainsi le pourcentage d’élèves qui montrent les images au cours du scénario d’éveil est plus grand dans le groupe expérimental des enfants fréquentant le SGMS, et cela en début (18,3 % versus 7,5 %) comme en fin d’année (34,5 % versus 22,6 %).

En résumé, la comparaison des résultats des évaluations d’élèves du groupe expérimental avec ceux des groupes contrôles favorisé et défavorisé entre le début et la fin de la maternelle nous laisse penser que le programme a contribué au développement de l’engagement et à la qualité de l’engagement des enfants à travers leur participation aux activités du programme ÉLÉ-SGMS.

Pour ce qui est de l’ouverture aux livres, il ne semble pas y avoir de différence (sauf pour le pourcentage d’élèves qui ouvrent les livres, à la faveur des élèves non exposés au programme), entre les enfants qui ont participé aux activités du programme par rapport à ceux qui n’ont pas fréquenté le SGMS pendant l’année d’expérimentation.

6. Limites

D’abord, tel qu’il a été précisé, les attitudes des enfants par rapport à l’ouverture aux livres ne nous ont pas permis de comparer les groupes contrôles initialement prévus aux groupes expérimentaux. Toutefois, les résultats présentés à partir des analyses des groupes expérimentaux nous renseignent sur l’ouverture aux livres avant la maternelle. En outre, les groupes contrôles du présent projet de recherche sont de petite taille, ces résultats pourront être validés avec un plus grand échantillon contrôle. Enfin, comme les élèves des SGMS de l’échantillonnage sont présents dans quatre régions différentes, des analyses plus poussées pourraient nous renseigner sur les particularités régionales et nous permettre d’évaluer la variabilité interrégion.

7. Discussion

On sait aujourd’hui que les jeunes ayant participé à des activités d’éveil à la lecture et à l’écriture, que ce soit à la maison ou à la garderie, apprennent plus facilement à lire et sont de meilleurs lecteurs et lectrices (MELS, 2003). Toutefois, comme le souligne Larivée (2012), peu de solutions sont proposées et il resterait beaucoup à faire pour préciser les stratégies efficaces afin de favoriser la préparation des enfants avant l’arrivée à la maternelle (Cantin et al., 2012). Les résultats de l’expérimentation de ce programme ouvrent une porte intéressante sur des initiatives qui pourraient être mises de l’avant dans les services de garde en milieu scolaire, milieu de vie très fréquenté par les enfants de la maternelle.

Par l’approche préconisée à travers les activités du programme et la manière de les animer de façon ludique, permettant par exemple différentes positions d’écoute lors de l’histoire, favorisant les commentaires spontanés des enfants et les laissant libres de participer, nous cherchions avant tout à susciter l’intérêt des enfants à travers le plaisir, et en conséquence, à favoriser leur engagement pour les activités d’ÉLÉ. Dans le même courant, l’étude de Gouziens-Desbiens et Dieryck (2012) a mesuré l’accès au concept de fraction en comparant des groupes de milieux défavorisés et favorisés en situation de jeu ou en situation d’exercice. Les résultats de leur expérimentation portent à la réflexion suivante: «la situation de jeu favoriserait plus qu’en situation d’exercice l’engagement et la motivation y compris pour l’activité d’identification des fractions identiques et elle favoriserait un meilleur ancrage des notions chez l’élève» (p. 84), ce qui s’est avéré particulièrement probant chez les élèves les plus faibles de leur échantillon. Cette étude nous permet de penser que des activités d’éveil dans des contextes moins formels que la classe permettent de développer un engagement positif face aux livres.

De plus, cet engagement et cette ouverture développés dès la période préscolaire sont importants, car on sait que la lecture et l’écriture sont au centre d’un ensemble d’apprentissages nécessaires et essentiels à la réussite du parcours scolaire. Enfin, associer les livres au plaisir à la maternelle est certainement une formule gagnante dans un contexte où les activités d’éveil ont été peu présentes avant l’entrée à l’école. Éventuellement, il sera également possible d’établir des corrélations entre les résultats obtenus sur l’engagement et les scores en lecture dans le temps pour nos échantillons.

Toutefois, à l’instar de nombreux travaux de recherche qui ont démontré les effets positifs de la lecture à voix haute, qui était au centre du programme d’intervention expérimenté, nous pouvons penser que l’intégration de cette pratique dans le milieu de vie qu’est le service de garde ne peut qu’être bénéfique. Par exemple, Gibson et al. (2007) démontrent que la lecture à haute voix pour les élèves du primaire permet, entre autres, d’associer la lecture au plaisir, d’apprendre des mots, de construire les compétences liées à l’écoute, de développer le vocabulaire, de devenir des lecteurs indépendants plus qualifiés, de développer leur compréhension de la lecture et d’être motivés pour lire par eux-mêmes. Dans le même sens, selon Fisher et Medvic (2003), plus les élèves sont exposés à des histoires, plus ils auront d’occasions d’entendre un langage riche, d’apprendre du nouveau vocabulaire, de saisir les structures de l’histoire et de développer le plaisir de lire. Ils suggèrent également que les élèves qui sont régulièrement exposés à la lecture d’histoires développent des compétences qui les préparent pour la lecture. Enfin, la métaanalyse de Swanson et al. (2011) a révélé des effets significatifs et positifs pour les interventions entourant la lecture à haute voix sur le langage des enfants, la conscience phonologique, les concepts exprimés à travers les images, la compréhension, et le vocabulaire. Ces résultats suggèrent que les interventions entourant la lecture à haute voix permettent aux élèves à risque en lecture d’avoir de meilleurs résultats en littératie que ceux n’ayant pas participé à ces interventions. L’ensemble de ces résultats va donc dans le sens des effets positifs de l’intégration de la lecture à voix haute dans les services de garde en milieu scolaire, pratique qui était au centre du programme d’intervention ÉLÉ-SGMS expérimenté.

7.1 Milieux de garde scolaire

Les SGMS se sont développés rapidement au Québec et la qualité des services est jugée très variable (CSE, 2006). Pour jouer leur rôle éducatif complémentaire à la mission de l’école, tel que favoriser l’éveil à la lecture et l’écriture auprès des enfants de maternelle, le personnel des SGMS a besoin d’être outillé, surtout dans le contexte actuel où plusieurs éducateurs possèdent peu de formation liée à l’emploi.

Par ailleurs, les services de garde en milieu scolaire représentent un riche potentiel pour favoriser le développement des enfants. Le personnel des services de garde passe un nombre important d’heures en présence des élèves dans un contexte autre que celui de la classe. Pour certains enfants, le nombre d’heures de fréquentation des services de garde scolaire est équivalent à celui passé en classe (CSE, 2006). C’est donc un milieu qui s’avère pertinent pour poursuivre la mission éducative de l’école, et dans le cas présent, augmenter la stimulation langagière des enfants dans des contextes informels.

Les activités qui ont été animées dans les services de garde peuvent être vues comme complémentaires aux activités scolaires, mais lorsqu’elles prennent la forme d’activités de temps libre, tel qu’Araújo (2012) le présente, elles apportent aussi aux enfants des compétences spécifiques qu’ils n’auraient pas pu acquérir dans le cadre d’apprentissages formels. Il y a ici un enjeu important dans les services de garde: le temps libre versus le temps organisé. Nous pensons pour notre part que les deux se côtoient, que le simple fait que de nouveaux livres attrayants, dont certains ont été lus à travers des activités animées favorise la curiosité des enfants et leur ouverture face au monde de l’écrit.

Soulevons enfin que les enfants de notre échantillon, n’allant pas aux SGMS, ont présenté moins de comportements montrant une ouverture aux livres et cela avant même de débuter l’école. Ce résultat nous rappelle les études qui ont montré que certains enfants issus de milieux défavorisés qui n’ont pas fréquenté de milieu de garde avant leur entrée à la maternelle ont développé moins d’habiletés utiles à leur scolarisation. Ainsi on pourrait penser que les enfants n’étant pas inscrits aux SGMS dans notre échantillon pourrait aussi être ceux qui n’ont pas ou peu fréquenté de milieux de garde avant leur entrée à la maternelle. Une réflexion plus large s’impose sur l’importance de rejoindre ces enfants et de favoriser leur participation aux activités d’ÉLÉ à l’âge préscolaire. Ceci étant dit, il est encourageant d’observer que les enfants qui ont participé aux activités du programme ÉLÉ-SGMS prennent plus spontanément les livres après l’année d’expérimentation, qu’ils démontrent également une plus forte qualité d’engagement. Il pourrait donc s’avérer intéressant que l’ensemble des enfants de maternelle puissent bénéficier d’un programme d’éveil. Cette piste a d’ailleurs été soulevée à quelques reprises lors des entretiens de groupe organisés avec les éducatrices et les responsables qui ont animé le programme. L’objectif étant de rejoindre les enfants « qui en ont vraiment besoin » (Éducatrice 11-10).

8. Conclusion

Le présent article rend compte des effets du programme ÉLÉ-SGMS auprès des enfants, quant à l’engagement et à l’ouverture dans des activités d’éveil à la lecture. Les comparaisons des groupes de milieux défavorisés et favorisés, exposés ou non au programme, ont été établies en fonction des évaluations en début et fin de la maternelle, nous permettent de conclure que le programme a eu des effets positifs quant à l’engagement dans les activités d’éveil. Les études se multiplient pour découvrir comment peuvent se mettre en place chez les tout-petits des attitudes positives vis-à-vis le monde de l’écrit afin que ces attitudes positives favorisent ultérieurement l’entrée dans la scolarisation formelle. Ainsi, à la suite des résultats obtenus dans le cadre de cette étude, il est possible de penser que des activités animées en service de garde scolaire peuvent avoir des effets bénéfiques sur l’engagement dans des activités de lecture ultérieures. Sur le plan de la recherche, tel que Giguère et Desrosiers (2010) le concluaient, les SGMS ont été négligés. Pourtant, les résultats présentés dans cette recherche laissent entrevoir ces milieux comme de nouveaux contextes d’intervention porteurs, qui favoriseraient le plaisir et la découverte dans une perspective éducative.