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1. Introduction

Le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MÉLS, 2009) reconnait l’élève comme l’acteur central de sa réussite. Il ajoute toutefois que le maintien de son engagement sur le plan des apprentissages dépend non seulement de l’accompagnement par ses enseignants, mais aussi par ses parents. Cette recherche[1] s’intéresse aux élèves du premier cycle du primaire, particulièrement au soutien qu’ils reçoivent de leurs parents relativement à l’étude de l’orthographe lexicale à domicile.

L’orthographe lexicale se définit comme la «manière d’écrire les sons ou les mots d’une langue, en conformité d’une part, avec le système de transcription graphique adopté à une époque donnée, d’autre part, suivant certains rapports établis avec les autres sous-systèmes de la langue (morphologie, syntaxe, lexique)» (Catach, 1980, p. 16). Elle occupe une place importante dans l’acte d’écrire car elle exige l’application d’une grande quantité de conventions (Abbott, Berninger et Fayol, 2010; Atwell, 2002). Lorsque l’élève cherche comment orthographier un mot, il n’est pas en mesure de garder en mémoire toutes ses idées, ce qui vient perturber son activité d’écriture (Bourdin, Cogis et Foulin, 2010). Plusieurs chercheurs (Abbott et al., 2010; Bourdin et al., 2010; Gentry, 2000; Graham, 2000; Richards, Berninger et Fayol, 2009) soutiennent qu’il est nécessaire pour l’élève d’automatiser l’accès aux informations orthographiques afin que soient libérées ses ressources attentionnelles pour que ces dernières soient utilisées dans les autres tâches cognitives impliquées dans la production d’un texte. Ainsi, il est primordial qu’un bagage suffisant de mots orthographiés correctement puissent être intégré dans la mémoire à long terme du scripteur, et ce, dès le début du primaire, afin que ces mots puissent être réutilisés en situation de production écrite ou d’écriture dictée (Dreyfus, 2004; Graham, Morphy, Harris, Fink-Chorzempa, Saddler, Moran et Mason, 2008).

Le présent article comporte cinq sections. Après avoir exposé la problématique sur laquelle s’appuient la recherche et les questions qui ont interpellé les chercheurs, les objectifs poursuivis sont présentés, suivis des procédures méthodologiques utilisées. Puis les résultats, qui permettent de dégager la réalité vécue par les parents dans le cadre du soutien qu’ils exercent auprès de leur enfant, sont présentés dans la quatrième section du texte et discutés dans la dernière section.

2. Ancrage problématique

Pothier et Pothier (2004) font état de la problématique liée à l’orthographe lexicale en se basant sur des observations faites en classe et des rencontres avec des parents. Ils constatent que les élèves sont souvent dégoutés, rebutés et découragés par l’orthographe lexicale. Scott (2000) a mis en évidence pour sa part que de nombreux élèves la perçoivent comme étant arbitraire, difficile, voire impossible à apprendre et hors de leur contrôle. Une étude de Berninger, Mizokawa et Bragg (1991) a permis de conclure que les élèves qui ne maitrisent pas l’orthographe lexicale se considèrent comme de mauvais scripteurs, au point de refuser d’écrire, ce qui a pour conséquence de perturber grandement le développement de leur capacité. Selon Chandler (2000), de 15 à 20 % des élèves refusent d’écrire, par peur de faire des erreurs d’orthographe. Graham et ses collaborateurs (2008) ajoutent qu’en plus d’éviter d’écrire les mots qu’il ne connait pas, l’élève se convainc qu’il ne sait pas écrire, ce qui peut freiner le développement de sa compétence.

Il s’avère impossible de traiter de l’écrit sans tenir compte de l’oral car ces deux types de langage sont étroitement reliés. La conscience phonémique et le principe alphabétique sont des aspects fondamentaux de l’apprentissage de l’orthographe lexicale lors de l’entrée dans l’écrit. La conscience phonémique renvoie à la capacité de l’élève d’être conscient des sons qui forment le mot et de leur position dans le mot. Pour sa part, le principe alphabétique consiste à rendre l’élève conscient que chaque son peut être représenté par une lettre ou par un groupe de lettres. Au phonème, qui se définit comme la plus petite unité distinctive de la chaine orale, correspond le graphème, qui est la plus petite unité distinctive ou significative de la chaîne écrite. En français, de 35 à 38 phonèmes (selon les auteurs) correspondent aux 26 lettres. Ainsi, les combinaisons possibles de graphèmes sont énormes, soit plus d’une centaine, à savoir qu’un phonème peut être écrit par divers graphèmes, appelés aussi phonogrammes (ex.: «o, au, eau»). Cette réalité constitue une source importante de difficultés en orthographe (Brissaud, Cogis, Jaffré, Pellat et Fayol, 2011). Ces difficultés apparaissent chez les élèves dès le premier cycle du primaire. De plus, déjà à la fin de la première année, on observe des différences entre les performances des filles et celles des garçons, en faveur des filles (Bégin, Saint-Laurent et Giasson, 2005; MÉLS, 2005). Aussi, Bégin et al. (2005) ont démontré qu’en première année, les élèves des classes défavorisées obtiennent des scores moins élevés en orthographe lexicale que les élèves des milieux favorisés. Pour Scott (2000), la période de l’entrée dans l’écrit se révèle cruciale; des difficultés dans l’acquisition de l’orthographe lexicale chez le scripteur débutant peuvent entrainer des conséquences néfastes dans son cheminement scolaire. Compte tenu de la complexité de cette acquisition et des difficultés d’apprentissage qu’elle entraine, il s’avère pertinent de s’interroger sur la contribution des parents pour soutenir l’enfant dans ses apprentissages.

Soumettre aux élèves une liste de mots pour qu’ils en étudient l’orthographe à domicile est une pratique enseignante répandue en milieu scolaire. D’après une enquête de Fresch  2007), 93 % des enseignants donnent une liste de mots à faire mémoriser aux élèves et leur soumettent ces mots en dictée pour favoriser l’acquisition de l’orthographe lexicale. Graham et al.  2008) relèvent que 90 % des enseignants du primaire fournissent hebdomadairement une liste de mots à étudier. Dans son enquête auprès de 490 enseignants québécois de première et deuxième années du primaire, Mansour (2012) constate que tous les enseignants fournissent une telle liste aux élèves à étudier chaque semaine à domicile.

Fayol (2008) et Pothier et Pothier (2008) insistent sur la nécessaire mémorisation des mots, notamment, dans les cas où il n’y a pas de correspondance entre les phonèmes et les graphèmes, comme dans le mot «habit». En effet, dans ce cas, l’enfant doit se souvenir que «habit» débute par la lettre «h» qui est muette, et qu’il se termine par la lettre «t» qui est également muette. C’est en mémorisant ces détails que l’élève arrivera à bien orthographier ce mot. Or, pour que l’acquisition se fasse et qu’elle soit efficace, la mémorisation doit être accompagnée de stratégies[2] (Brissaud et al., 2011; Chandler, 2000; Fayol et Gaonac’h, 2007; Fresh, 2007). Comme le précisent Brisseau et al. (2011), il n’est pas tout de faire observer par les élèves les mots écrits. Les mots doivent ensuite disparaitre de leur vue, être effacés, cachés pour qu’ils se donnent mentalement une représentation de leur structure et de la succession de leurs graphèmes. Par ailleurs, la mémorisation lexicale peut être favorisée par l’analyse des régularités orthographiques (Réseau canadien de recherche sur le langage et l’alphabétisation, 2009). Un accompagnement effectué à partir de ces régularités permet aux élèves de découvrir, manipuler et classer des mots selon leurs particularités. Selon Fayol et Gaonac’h (2007), il est possible d’inciter les élèves à recourir à des stratégies de mémorisation pour améliorer leur performance.

Tel qu’évoqué supra, un nombre important d’élèves du primaire ont à étudier hebdomadairement l’orthographe lexicale à domicile. Selon le Conseil supérieur de l’éducation (CSÉ, 2010), les recherches portant sur les travaux scolaires à domicile, limitées jusqu’ici surtout à l’étude des effets de leur durée sur les résultats scolaires, devraient s’intéresser désormais à d’autres dimensions, notamment à des facteurs contextuels comme l’attitude des parents face à ces travaux ou encore le soutien qu’ils apportent à l’enfant. Il est reconnu que l’engagement des parents dans la vie scolaire de leurs enfants est d’une importance capitale pour leur réussite (Fishel et Ramirez, 2005; Mattingly, Prislin, McKenzie, Rodriguez et Kayzar, 2002; Normandeau et Nadon, 2000). Certaines études ont mis en évidence qu’il existe des différences dans la participation des parents lors des travaux scolaires à domicile en fonction de leur statut socioéconomique et de leur niveau de scolarité. Les familles moins favorisées et moins scolarisées auraient tendance à moins s’engager que les familles plus favorisées et plus scolarisées (Deslandes, 2005; Deslandes, Rouseau, Rousseau, Descôteaux et Hardy, 2008). Selon une recherche menée par Deslandes et Bertrand (2004), les parents auraient davantage tendance à s’engager lorsqu’ils sentent que leurs efforts ont de l’effet sur les apprentissages et les résultats scolaires de leur enfant. Néanmoins, il n’est pas toujours facile pour les parents d’accompagner leur enfant pendant la réalisation de ses travaux scolaires, car il arrive que cette activité entre en conflit avec de nombreuses tâches et occupations quotidiennes. Landry-Cuerrier et Migneault  (2009) indiquent, dans une étude chez des parents d’élèves de deuxième année du primaire, que les mères consacrent plus de temps que les pères à la réalisation des travaux scolaires à domicile.

Peu de recherches ont porté sur la participation des parents sous l’angle du soutien offert à l’enfant au moment de la réalisation des travaux scolaires. Hoover-Dempsey, Battiato, Walker, Reed, DeJong et Jones (2001) précisent que l’accompagnement parental peut prendre différentes formes: simplement jeter un oeil sur l’enfant afin de s’assurer qu’il fasse le travail prescrit; s’asseoir près de lui pour être attentif aux difficultés éprouvées et lui apporter une aide appropriée; le questionner, l’encourager, se donner en modèle ou lui proposer des stratégies qui lui permettront d’effectuer efficacement les tâches demandées. Pour Landry-Cuerrier et Migneault (2009) de même que Chouinard, Archambault et Rheault (2006), la diversité des pratiques familiales peut contribuer à maintenir les inégalités entre les élèves. Il est donc important selon eux de favoriser la collaboration entre l’école et la famille dans le but de soutenir les parents dans la réalisation des travaux scolaires de l’enfant.

Que dit la recherche à propos du soutien parental apporté à l’enfant à domicile spécifiquement à propos de l’étude de l’orthographe lexicale? Très peu d’éléments de connaissance sont disponibles, d’où le caractère inédit de la recherche ici présentée. Un seul article (Loeffler, 2005) a été recensé à ce sujet où un outil permettant de créer un lien entre la famille et l’école pour l’apprentissage de l’orthographe lexicale a été expérimenté. Il s’agit d’une grille, remplie par les parents, que l’enfant doit remettre à son enseignant. Cette grille a pour objectif de développer les habiletés des enfants à identifier les mots qui leur posent problème et à utiliser des stratégies pour apprendre l’orthographe conventionnelle de ces mots. Il est à noter que cette publication de Loeffler concerne uniquement des élèves de la cinquième année du primaire et ne fait pas mention des méthodes concrètes utilisées par les parents pour soutenir leur enfant.

Notre recherche tente de répondre aux questions suivantes: Comment les parents accueillent-ils la tâche d’accompagnement de leur enfant par rapport à l’étude de l’orthographe lexicale? Quelle importance et quelles significations y accordent-ils? Quelles procédures d’accompagnement utilisent-ils? Proposent-ils des stratégies d’étude aux enfants? Lesquelles? Existe-t-il des différences entre les parents dans les façons d’accompagner les enfants? Quels liens entretiennent les parents et les enseignants dans le cadre de cette tâche?

3. Objectifs de la recherche

Relativement à l’étude de l’orthographe lexicale à domicile chez des élèves du premier cycle du primaire, la recherche veut connaitre la réalité vécue par les parents dans le cadre du soutien qu’ils exercent auprès de leur enfant et comparer cette réalité en fonction du milieu socioéconomique de l’école fréquentée par les élèves, du sexe des élèves et des parents de même que du niveau de compétence des élèves en orthographe lexicale.

4. Méthodologie

La recherche s’est déroulée auprès de parents d’élèves dans 15 commissions scolaires, qui ont accepté de collaborer, situées dans sept régions du Québec. Pour sélectionner les parents, un choix d’écoles a d’abord été effectué à partir des indices de milieu socioéconomique par école publiés par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec (MÉLS, 2008). Une gamme d’écoles qui se distinguent par leur indice de milieu socioéconomique (IMSÉ: écoles favorisées: indice un et deux - écoles défavorisées: indices neuf et dix) a été retenue. C’est à partir des écoles retenues, lesquelles ont accepté de collaborer à l’enquête en participant au recrutement des parents, que l’échantillon a été constitué. Il est formé de 264 parents d’élèves du premier cycle du primaire. Nous souhaitions nous concentrer sur des parents d’élèves du premier cycle, car cette période d’entrée dans l’écrit est cruciale dans le cheminement scolaire et le développement de la compétence à écrire; elle constitue un moment clé dans la poursuite de ce développement. Dans cette enquête, c’est la diversification des informateurs plutôt que leur représentativité statistique qui a servi de critère de sélection de l’échantillon. En plus du lien qui relie les parents à une école de milieu favorisé ou défavorisé, les critères de diversification des parents utilisés ont été le niveau scolaire des élèves (première et deuxième années), le sexe des élèves et leur niveau de compétence en orthographe lexicale (en difficulté – sans difficulté)[3].

La collecte des données s’est échelonnée sur deux ans, à chaque année à partir du mois de février jusqu’à la fin du mois de mai. Au cours de la première année, 136 parents d’élèves de deuxième année ont été interrogés et au cours de la seconde, 128 parents d’élèves de première année. La figure 1 expose la répartition des parents de l’échantillon.

Figure 1

Échantillon des parents de l’enquête

Échantillon des parents de l’enquête

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Les données ont été recueillies au moyen d’un entretien téléphonique individuel et structuré (Boutin, 1997) conformément aux questions de recherche. Les entretiens ont duré entre 15 et 30 minutes et ont été enregistrés. Ils ont été transcrits et analysés en suivant la méthode de l’analyse systématique de l’information (Van der Maren, 2003). Les unités d’analyse ont été constituées à partir de la séquence des questions posées aux parents et de leurs réponses. Les données ont été analysées et classées au moyen de codes permettant de bien identifier les différents passages des discours des parents (ex.: stratégies d’étude proposées à l’enfant, perceptions de la part des parents par rapport au niveau de compétence de l’enfant). Ces codes ont facilité l’analyse des données, à savoir qu’ils ont permis de vérifier si tel segment du discours du parent était codé en fonction de la bonne unité d’analyse et s’il répondait de fait à telle question et pas à une autre. Au moment de la phase de la synthèse des données, du sens a été accordé à l’information en fonction des objectifs de la recherche et les critères de diversification utilisés pour la constitution de l’échantillon ont été pris en compte. Le logiciel NVivo a facilité le traitement et l’organisation des données. Il a été particulièrement utile pour effectuer leur analyse comparative en fonction des critères de diversification de l’échantillon, soit le milieu socioéconomique de l’école fréquentée par les élèves, le sexe des élèves et leur niveau de compétence en orthographe lexicale. Le sexe des parents a également été pris en compte.

5. Résultats

Le tableau 1 présente une vue d’ensemble des résultats saillants correspondant aux six rubriques composant les entretiens. Cette présentation synthétique permet de relever certaines ressemblances et certaines différences dans les constats issus de l’enquête, selon le milieu socioéconomique de l’école, le sexe des élèves et celui des parents et le niveau de compétences des élèves.

5.1 La tâche: sa compréhension de la part des parents et son importance pour eux

Les parents ont été interrogés sur leur compréhension de la tâche soumise à leur enfant par son enseignant. La très grande majorité des parents (95 %) déclarent que leur enfant reçoit une liste des mots en leçon dont il doit étudier l’orthographe à domicile pour la retenir. Ainsi, ils comprennent bien la signification de cette tâche. Cependant, quelques parents d’élèves de première année (5 %) mentionnent que leur enfant doit seulement lire les mots ou les reconnaitre globalement plutôt que de les étudier afin d’en retenir l’orthographe. Par ailleurs, presque la totalité des parents disent accorder de l’importance à l’étude de l’orthographe lexicale à domicile. Pour 60 % de ces parents, elle est importante pour sa nature fonctionnelle, soit la maitrise de la langue écrite voire orale, soit l’apprentissage de méthodes de travail, ou encore la préparation à la vie professionnelle. Le quart de ces parents mettent plutôt l’accent sur sa nature institutionnelle; elle est importante pour obtenir de bons résultats scolaires ou les améliorer, réussir la dictée en classe ou poursuivre son cheminement scolaire sans encombre. Ce sont des parents des élèves de deuxième année qui vivent des difficultés en orthographe lexicale qui sont les plus nombreux à relier la leçon d’orthographe à domicile à la performance scolaire. D’autres parents mentionnent que la leçon d’orthographe est importante parce qu’il est de leur devoir et de leur responsabilité d’accompagner leur enfant dans ses travaux scolaires. Cet accompagnement leur permet d’assurer une continuité des apprentissages réalisés en classe, de constater les difficultés ou les progrès de l’enfant et de le soutenir de façon appropriée.

5.2 Accompagnement parental, moments et climat d’étude

La plupart des parents (97 %) affirment qu’ils apportent un soutien à l’enfant relativement à l’étude de sa leçon d’orthographe. Dans les deux tiers des familles, ce sont les mères seules qui apportent du soutien, et ce, autant chez les élèves de première que ceux de deuxième année. Les pères sont beaucoup moins engagés et le sont davantage auprès des garçons, des élèves sans difficulté et de ceux qui proviennent d’écoles de milieu socioéconomique favorisé. Ils interviennent auprès de seulement 10 % des enfants. Dans les autres familles, le père et la mère se partagent la tâche d’accompagnement. Le discours des parents permet de constater que ceux qui consacrent un plus grand nombre de moments d’accompagnement par semaine sont des parents d’enfants qui présentent des difficultés en orthographe lexicale: de un à deux moments aux élèves qui ne manifestent pas de difficulté et de deux à six moments à ceux en difficulté, surtout des garçons. De plus, ces moments d’étude sont plus longs chez les élèves en difficulté: plus de dix minutes pour ces derniers et moins de dix minutes pour ceux sans difficulté.

Tableau 1

Synthèse des principaux résultats

Synthèse des principaux résultats

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En ce qui a trait au climat dans lequel l’étude se réalise, si plus de la moitié des parents déclarent que l’enfant étudie dans un environnement qui offre des conditions favorables à l’apprentissage, c’est tout de même 42 % des parents qui reconnaissent que d’autres activités peuvent perturber le moment où l’enfant effectue son travail. Certains parents indiquent la présence d’autres membres de la fratrie, des enfants plus vieux qui font eux aussi leurs travaux scolaires au même moment que l’enfant ou encore des plus jeunes dont les parents doivent s’occuper ou tout simplement du va-et-vient dans la pièce. D’autres parents précisent que la préparation du repas se déroule au moment même où l’enfant réalise son étude des mots. Puis, dans quelques familles, le téléviseur est en fonction lors de la réalisation de l’étude.

Avec des jeunes enfants, il y a plein d’activités! (rires). J’en ai aussi une de 5 ans, un de 2 ans. Des fois, c’est mouvementé. J’essaie de les envoyer dans le salon regarder la télé ou peu importe là, leur trouver autre chose à faire, mais souvent ils vont venir tourner pareil autour. Puis, malheureusement, souvent, c’est dans la préparation du souper aussi que les devoirs arrivent.

Parent 19

5.3 Déroulement de l’accompagnement parental et des moments d’étude des enfants

En ce qui concerne le déroulement des moments d’étude, il ressort que le quart des parents ne veillent pas à ce que l’enfant prenne connaissance des mots pour en étudier l’orthographe avant qu’ils les lui dictent pour vérifier ses connaissances. Ils soutiennent que les mots ont déjà été vus par leur enfant en classe. Selon les propos des parents, il y a plus de garçons en première année, et davantage ceux en difficulté en orthographe lexicale, qui ne prennent pas connaissance des mots avant d’être soumis à une dictée par le parent; en deuxième année, c’est plutôt des élèves qui ne présentent pas de difficultés qui en plus grand nombre procèdent ainsi, mais aussi des élèves en difficulté.

Je prends la liste de mots qui est dans la liste de devoirs hebdomadaires. Je lui dis les mots, puis elle doit les écrire sans avoir rien vu auparavant.

Parent 90

A contrario, les autres parents tiennent à ce que l’enfant consacre un moment d’étude pour s’approprier l’orthographe des mots (seulement le premier jour d’étude dans 12 % des cas) avant que leurs connaissances soient vérifiées au moyen de la dictée des mots. Certains parents (14 %) tentent de rendre la leçon divertissante par l’utilisation du jeu de règles, par exemple des jeux de cartes, alors que d’autres emploient des supports à l’apprentissage tels un ordinateur, un tableau ou un cahier conçu spécifiquement pour l’apprentissage de l’orthographe lexicale à domicile. Ces parents proviennent à 70 % d’écoles situées en milieu socioéconomique favorisé. Cependant, les propos des parents révèlent que la majorité des enfants examinent la liste de mots tout en la maintenant sous leurs yeux. Seulement neuf parents d’enfants des deux niveaux scolaires mentionnent que l’enfant prend connaissance des mots pour ensuite les soustraire de sa vue afin de les rendre présents mentalement de façon visuelle ou auditive, et ce, avant que le parent procède à la dictée. Notons aussi que les propos des parents ont permis de constater que pour 10 % des élèves, l’étude de la leçon d’orthographe se réduit à seulement copier les mots, notamment chez des garçons et des élèves en difficulté. Autrement dit, ces élèves ne sont pas soumis à une dictée au cours de laquelle le parent invite l’enfant à écrire ou épeler les mots sans les avoir sous les yeux.

La pratique de soutien la plus courante chez les parents consiste à vérifier les connaissances orthographiques de l’enfant au moyen d’une dictée des mots. À ce propos, quelques parents, principalement ceux d’enfants sans difficulté et ceux d’enfants qui proviennent d’écoles situées en milieu socioéconomique favorisé, précisent qu’ils modifient l’ordre des mots tels qu’ils apparaissent dans la liste lorsqu’ils les dictent à l’enfant afin de bien tester sa capacité mémorielle. Aussi, quelques parents d’élèves de première année mentionnent qu’ils laissent s’écouler un délai entre le moment de l’étude et la vérification des apprentissages par la dictée de mots afin de s’assurer que l’enfant a bien mémorisé l’orthographe de ceux-ci. Il s’agit d’une pratique mise en oeuvre surtout auprès d’élèves issus d’écoles situées en milieu socioéconomique favorisé.

Souvent, je varie l’ordre dans lequel, lui, il les a appris parce que des fois il dit: «Oui, je le sais maman. Le prochain, c’est ça». Ça fait que pour essayer de varier un p’tit peu le procédé, des fois, je pars de la fin jusqu’au début pour essayer de le mélanger un p’tit peu et voir ce qu’il a bien retenu.

Parent 108

Lors de la dictée de mots, la moitié des élèves, dont une majorité de filles, écrivent les mots dictés par le parent sans les regarder. De plus, 20 % des parents demandent plutôt à l’enfant d’épeler les mots et non de les écrire; les garçons et les élèves qui ne présentent pas de difficulté en orthographe lexicale sont plus nombreux à utiliser l’épellation comme modalité de réponse. Enfin, le tiers des parents, surtout ceux d’enfants qui fréquentent une école en milieu socioéconomique favorisé, leur font varier les modalités de réponse, c’est-à-dire en utilisant l’écriture et l’épellation. La correction suit la dictée, où certains parents invitent l’enfant à s’autocorriger; d’autres lui indiquent ses erreurs ou encore lui proposent de consulter sa liste de mots. Ensuite, les enfants sont sollicités afin de réécrire les mots lorsqu’ils comportent des erreurs, c’est-à-dire à les recopier en ayant les mots modèles sous leurs yeux.

5.4 Stratégies d’étude proposées par les parents

Le soutien parental pour l’étude de l’orthographe lexicale est réduit dans plusieurs familles (le quart) à la dictée des mots à l’enfant. Les parents indiquent qu’ils ne lui proposent pas de stratégies ou de moyens spécifiques pour l’aider à s’approprier l’orthographe des mots de la liste. En revanche, les trois quarts des parents disent offrir un soutien à l’enfant en lui proposant des stratégies ou des moyens ayant pour but de faciliter son étude.

Les stratégies plus couramment proposées aux enfants sont de lire les mots, les observer, les séparer en syllabes et se les représenter mentalement. De plus, utiliser des mots de même famille pour aider l’enfant à se rappeler la lettre muette à la fin des mots (ex.: savant-savante), insister sur les sons des graphèmes ou des syllabes en dictant les mots à l’élève, établir les correspondances entre les graphèmes et les phonèmes, utiliser des rimes ainsi que comparer les mots à l’étude avec des mots semblables sont d’autres stratégies mises en oeuvre. Aussi, certains parents placent les mots en contexte signifiant en faisant des dictées de phrases, en formulant des phrases oralement ou en invitant l’enfant à le faire. D’autres parents proposent d’épeler les mots mentalement ou à voix haute. Quelques parents repèrent des particularités dans les mots avec l’enfant ou lui font porter attention à celles-ci (ex.: le «h» et le «e» muets dans «haie»). Un certain nombre de parents fournissent des repères mémoriels et des stratégies mnémotechniques. Par exemple, un parent mentionne qu’il invite l’enfant à penser à la queue de la souris qui ressemble à la lettre «s» afin que celui-ci n’oublie pas d’inscrire le «s» à la fin du mot «souris». D’autres font remarquer la présence de mots courts à l’intérieur de mots plus longs. Quelques parents mentionnent qu’ils insistent sur les mots plus difficiles en les pratiquant souvent avec l’enfant. Enfin, quatre parents d’enfants de deuxième année précisent qu’ils peuvent demander à l’enfant des mots à l’improviste au cours de la semaine.

Le discours des parents permet de constater que certaines stratégies sont davantage utilisées au sein des familles dont l’enfant fréquente une école située en milieu socioéconomique favorisé. Ainsi, ces parents sont plus nombreux à faire repérer à l’enfant des particularités dans les mots pour les deux années scolaires, mais davantage auprès des garçons en deuxième année. Aussi, les filles, les élèves sans difficulté en orthographe lexicale et ceux provenant d’écoles en milieu socioéconomique favorisé de deuxième année sont plus couramment invités par les parents à se représenter mentalement l’orthographe des mots ou à utiliser des stratégies phonologiques. Les parents d’enfants parmi ceux issus d’écoles en milieu socioéconomique favorisé, et particulièrement chez les élèves sans difficulté en première année et les filles en deuxième année, proposent en plus grand nombre de placer les mots en contexte à l’intérieur de phrases. Les parents de garçons et notamment d’élèves qui présentent des difficultés en deuxième année leur suggèrent davantage de stratégies mnémotechniques ou essaient d’en trouver avec eux; ces parents sont aussi plus nombreux à faire copier les mots à l’enfant pour en retenir l’orthographe. Enfin, un petit nombre de parents (4) d’élèves de deuxième année en difficulté et provenant d’écoles de milieu favorisé demandent les mots à l’improviste à l’enfant au cours de la semaine. Par ailleurs, mettre l’accent sur les mots difficiles ou revenir sur les mots appris lors des semaines précédentes sont des stratégies qui sont davantage utilisées par les parents d’élèves de première année sans difficulté. Enfin, chez les parents d’élèves de deuxième année, ce sont davantage les filles qui sont invitées à séparer les mots en syllabes et davantage des élèves qui présentent des difficultés qui sont sollicités à regrouper les mots de même famille et à utiliser des repères pour faciliter la rétention.

5.5 Comportements des enfants et perceptions des parents quant à leur niveau de compétence

Les parents ont également été invités à s’exprimer au sujet du comportement de l’enfant dans le cadre de la réalisation de sa leçon d’orthographe. À cet égard,  6 parents sur 10 considèrent que leur enfant collabore bien et réagit positivement. Ce sont les filles (56 %) et les élèves sans difficulté en orthographe lexicale (60 %) qui adoptent en plus grand nombre un comportement favorable face à l’étude des mots. Certains parents décrivent l’attitude positive de l’enfant en précisant qu’il est «attentif, concentré, motivé, enthousiaste, assidu ou encore calme» lorsqu’il réalise l’étude des mots. Toutefois, plus du tiers des élèves exercent continuellement de la résistance et tentent d’éviter la réalisation de l’étude ou encore manifestent une attitude variable d’un moment d’étude à l’autre. Des parents mentionnent que l’enfant peut être «colérique, impatient, découragé ou désespéré» face à la réalisation de sa leçon. Ce groupe est composé massivement de garçons et d’élèves qui manifestent des difficultés en orthographe lexicale.

Concernant la perception des parents quant au niveau de compétence de l’enfant, notamment pour les élèves en difficulté, une discordance est constatée entre cette perception et le jugement des enseignants. Plus de la moitié des parents des élèves qui ont été identifiés par leur enseignant comme ayant des difficultés en orthographe lexicale considèrent que l’enfant n’en présente pas. En revanche, au regard de la perception des parents pour les élèves sans difficulté, c’est plutôt une concordance qui est constatée entre cette perception et le jugement des enseignants. Presque tous les parents des élèves qui ont été identifiés par leur enseignant comme ayant de la facilité en orthographe lexicale ont déclaré que l’enfant ne présente pas de difficulté.

5.6 Communication parents-enseignants

Les parents ont aussi été interrogés pour savoir si l’étude de l’orthographe à domicile a fait l’objet d’échanges avec l’enseignant. Plus des trois quarts de ceux-ci n’ont pas eu d’échange direct avec l’enseignant concernant la réalisation de l’étude des mots à domicile. Toutefois, quelques parents précisent qu’ils ont assisté à une rencontre collective à l’école en début d’année scolaire et au cours de laquelle l’enseignant a fait part de l’importance de l’étude des mots à domicile ou encore du fonctionnement souhaité pour la réalisation de cette leçon.

En début d’année, ils nous présentent leur façon de faire et ils nous disent ce qui en est. Donc, ils nous présentent des informations concernant l’étude du vocabulaire aussi. Justement, ils nous avaient expliqué qu’il allait y avoir une liste et puis qu’il allait y avoir des tests là-dessus à chaque semaine. Le déroulement a été présenté en début d’année, sauf qu’après ça il n’y a pas eu d’autres discussions par rapport à ça avec l’enseignant.

Parent 109

De plus, certains parents mentionnent que l’enseignant leur a fait parvenir par écrit, par le biais de l’enfant, des suggestions ou des procédures écrites pour l’aider à s’approprier l’orthographe des mots. D’autres ont plutôt indiqué que les écrits venant de l’enseignant se destinent à l’élève pour le féliciter au regard de son rendement.

Bien, sur la feuille de devoirs, elle a dit de répéter les mots, disons deux fois, les faire écrire deux fois chacun. Des fois, elle donne des directives, mais pas plus que ça. C’est vraiment écrit sur sa feuille de devoirs.

Parent 35

Elle a souvent des encouragements dans son cahier, parce qu’elle a quand même des belles dictées, c’est toujours dans sept sur dix en montant. Puis, c’est toujours un petit «Bravo! Continue tes beaux efforts!

Parent 116

En contrepartie, 20 % des parents déclarent avoir échangé avec l’enseignant à propos de l’étude de l’orthographe à domicile. La grande majorité d’entre eux sont des parents d’enfants qui présentent des difficultés. Ces échanges, initiés dans certains cas par le parent et dans d’autres cas par l’enseignant, ont porté sur les difficultés de l’enfant et sur des procédures susceptibles de le soutenir dans son étude. Ils se sont déroulés le plus souvent lors de la rencontre de la remise des bulletins.

À la maison, je voyais qu’il avait des difficultés, mais je me disais que peut-être que c’était moi qui n’étais pas correct avec… Un moment donné, j’ai écrit dans son agenda «J’ai besoin d’aide, parce que je trouve que ça ne va pas bien» et c’est là qu’on s’est rencontré.

Parent 110

6. Synthèse discussion et conclusion

La discussion porte sur les apports de l’étude en regard des écrits scientifiques afin d’en dégager quelques points qui posent problème et de proposer des pistes à préconiser.

L’un des constats de cette recherche est que la majorité des parents considèrent que la tâche d’étude de l’orthographe lexicale à domicile est importante. Deslandes et al.(2008) ont aussi fait ressortir que la plupart des parents sont d’avis que les travaux scolaires à domicile ont une pertinence. Pour 60 % des parents de notre enquête, l’étude de la leçon d’orthographe est importante à cause de sa nature fonctionnelle, c’est-à-dire pour apprendre à communiquer par écrit, pour développer une compétence. Pour d’autres parents (le quart de l’échantillon), cette importance prend plutôt un sens institutionnel, à savoir qu’ils mettent de l’avant les contraintes de l’institution scolaire, telles que bien réussir à la dictée hebdomadaire ou avoir de bons résultats scolaires. Selon Chauveau et Rogovas-Chauveau (1993), appréhender l’apprentissage de la langue en fonction de sa nature fonctionnelle offre davantage de chances de réussir, alors que lui attribuer un sens institutionnel conduit plus souvent à des difficultés, l’apprentissage étant appréhendé comme une obligation. Aussi, des parents (le quart) associent l’importance qu’ils accordent à l’étude de l’orthographe à domicile à leur rôle d’accompagnateurs des apprentissages de l’enfant, de partenaires des enseignants ou encore précisent que le domicile est un lieu plus propice que la classe, car l’enfant peut y bénéficier d’un soutien individuel. Une enquête publiée par la Fédération des comités de parents du Québec (FCPQ, 2010) révèle des constats similaires à ceux issus de notre étude, bien qu’ils portent sur les travaux scolaires à domicile en général. Ainsi, les parents ne tendent pas à reléguer à la classe et à l’enseignant, seuls, la responsabilité de l’apprentissage de l’orthographe lexicale.

En ce qui a trait au soutien des enfants par les parents, il est dévoilé que ce sont massivement les mères qui le prennent en charge. Ce phénomène peut être relié en partie à des changements sociétaux. Le CSÉ (2010) rapporte que 23,9 % des enfants vivent dans une famille monoparentale composée majoritairement de femmes. Notre enquête révèle que seule une minorité de pères exercent un soutien à l’étude, particulièrement auprès des garçons, des élèves sans difficulté et des élèves qui fréquentent une école située en milieu favorisé. Nonobstant les changements sociétaux évoqués ci-dessus, divers intervenants du milieu scolaire soulignent l’importance d’un plus grand engagement des pères auprès de leur garçon (MEQ, 2004). À ce sujet, dans son avis Pour une meilleure réussite des garçons et des filles, le CSÉ (1999) recommandait d’inciter les pères à s’engager davantage auprès de leur garçon dans des activités qui les présentent comme modèles de lecteurs et de scripteurs, puisque le manque de motivation des garçons envers l’école et les tâches scolaires peut être associé au manque de modèles masculins positifs et constructifs. Ainsi, les pères pourraient davantage saisir cette situation d’étude de l’orthographe lexicale à domicile pour accompagner leur fils et lui démontrer l’importance de l’écrit. À cet égard, des expériences de rencontres littéraires entre des pères et leur fils en milieu socioéconomique défavorisé afin d’inculquer aux garçons le goût de lire et d’écrire et leur fournir un modèle masculin se sont avérées fructueuses (Lavoie, Lévesque et Marin, 2013).

Bon nombre de parents ont reconnu que le climat dans lequel la leçon d’orthographe se réalise n’est pas suffisamment approprié, causé par certains parasites. Il est reconnu que l’une des conditions favorables pour réaliser les travaux scolaires à domicile consiste à offrir à l’enfant un endroit calme en évitant notamment la télévision, la radio et le va-et-vient continuel de personnes (CSÉ,  2010; Racicot, 2008). Il peut être difficile dans certaines familles de réunir les conditions les plus favorables à l’étude à domicile, notamment de créer du calme dans l’environnement immédiat. S’affairer aux besognes ménagères, se tenir à jour par rapport aux évènements d’actualité, veiller à toutes les activités de tous les enfants, etc. peuvent constituer des entraves à un climat propice à l’étude. Il appartient toutefois aux parents de tenter de réduire au minimum les éléments environnementaux pouvant déranger le travail de l’enfant.

L’enquête a permis de découvrir qu’un nombre appréciable de parents n’exige pas que l’enfant prenne un temps d’étude des mots avant de les lui soumettre en dictée; ils précisent qu’il n’est pas nécessaire que leur enfant y consacre du temps, car ceux-ci ont été préalablement vus en classe. Mansour (2012) a constaté, au terme d’une enquête réalisée auprès de 490 enseignants de première et deuxième année du primaire, que la très grande majorité des enseignants (94 %) soumettent régulièrement aux élèves des mots dont ils doivent mémoriser l’orthographe en leçon sans avoir préalablement travaillé avec eux sur ces mots en classe. Ainsi, il est possible que les parents présument de certaines pratiques enseignantes alors qu’en réalité ces pratiques ne sont guère adoptées par les enseignants, à tout le moins, pas par tous les enseignants. Il est reconnu que l’une des stratégies gagnantes en matière d’orthographe lexicale consiste à apprendre, à mémoriser les graphèmes constituant chaque mot (Brisseau et al., 2011). Mais pour apprendre et mémoriser l’orthographe, la tâche la plus idoine consiste à y consacrer des moments d’étude. Ainsi, il serait approprié que ces parents, notamment de garçons et d’élèves en difficulté, leur fassent prendre l’habitude de l’étude des mots avant qu’ils leur soient dictés; ce mode opératoire pourra contribuer à les responsabiliser et pourra être favorable à une meilleure rétention orthographique. Cette habitude, si elle était façonnée préalablement en classe par les enseignants, faciliterait l’accompagnement des parents à domicile.

Si plus de la moitié des parents veillent à ce que l’enfant prenne un temps d’étude journalière de sa leçon d’orthographe avant qu’ils ne vérifient ses acquis au moyen de la dictée des mots, ils affirment pour la plupart que ce temps d’étude se réalise en maintenant les mots sous ses yeux. Or, il est reconnu que la constitution de représentations mentales exige que les mots disparaissent de la vue de l’apprenant (Brisseau et al., 2011). En fait, les parents ne semblent pas suffisamment conscients que l’étude des mots de la part des enfants, quand ils sont constamment en présence de leur vue durant tout le temps de l’étude, ne les incitent pas assez à développer des représentations mentales qui favorisent l’appropriation de l’orthographe comme le fait l’écriture des mots en absence de leur vue. Également, la singulière copie des mots, pour les étudier ou corriger des erreurs, c’est à dire leur écriture en présence de leur vue, n’est pas suffisante. Réécrire plusieurs fois les mots sans se pratiquer à se les représenter mentalement ne garantit en rien leur mémorisation. Il est reconnu que seule la présence mentale de l’orthographe du mot en garantit sa rétention (Ibid.). Le fait de reproduire le mot peut favoriser chez certains enfants sa représentation mentale. Toutefois, il est de loin plus efficace de se représenter mentalement les mots plusieurs fois, selon leur degré de complexité, que de les réécrire plusieurs fois sans s’en donner une représentation en tête (Racicot, 2008). Les parents devraient donc être informés que les stratégies d’étude évoquées ci-dessus ne produisent pas, par avance, la situation future de vérification des acquis orthographiques qui fera suite, soit à la maison par la dictée des mots à l’enfant par le parent, soit en classe, par la dictée par l’enseignant, où l’enfant devra écrire les mots en absence de leur vue. Dans la situation également relatée par des parents où les mots dictés sont seulement épelés par l’enfant, les parents et les enfants ne simulent pas, par avance, la situation d’avenir et d’examen soumise en classe, soit l’écriture des mots dictés et non leur épellation. L’enfant s’expose ainsi à un moindre rendement. La situation d’avenir (Gaté, Géninet, Giroul et Payen de La Garanderie,  2009; La Garanderie,  1993; Racicot, 2008), absente de la démarche d’étude, peut expliquer le propos de certains parents, à savoir que l’enfant sait orthographier les mots à la maison, mais qu’au moment de la dictée en classe, il fait des erreurs.

Il est encourageant d’apprendre que la majorité des parents proposent à l’enfant des stratégies destinées à favoriser son appropriation de l’orthographe de la liste de mots. Davantage de parents d’élèves en difficulté en première et deuxième année et de filles en deuxième année ont fait mention de cette information. Selon Cooper, Jackson, Nye et Lindsay (2001), Hoover-Dempsey et  al., (2001) et Landry-Cuerrier et Migneault (2009), les enfants dont les parents apportent un soutien pendant la réalisation des travaux scolaires à domicile ont plus de chance de réussir en classe. Nos résultats montrent que ce soutien n’est pas garant de réussite en orthographe lexicale. Ce sont les parents des élèves en difficulté qui passent le plus de temps avec leur enfant pour ce qui est de la leçon d’orthographe. Ce temps, toutefois, ne comprend pas nécessairement l’accompagnement approprié afin que l’enfant apprenne à mettre en action les procédures nécessaires à son apprentissage.

Nous avons constaté que certaines stratégies d’étude sont plus largement proposées aux enfants par les parents dont l’élève fréquente une école de milieu socioéconomique favorisé. Par exemple, ils travaillent davantage avec leur enfant sur des aspects fondamentaux de l’apprentissage de l’orthographe lexicale au moment de l’entrée dans l’écrit, soit la conscience phonémique et le principe alphabétique. Ce sont aussi surtout ces parents qui rendent divertissant cet apprentissage par l’utilisation du jeu ou de divers supports (tableau, ordinateur, cahier spécifique pour pratiquer l’orthographe). Ils utilisent ainsi certains principes de la pédagogie des expériences positives (Pourtois et Desmet, 2004), c’est-à-dire qu’ils semblent portés à mettre en place des façons de faire ludiques qui ont du sens pour l’enfant et qui sont destinées à conserver ou susciter son intérêt. Si ce type de pratiques semble lié aux conditions sociales, des stratégies d’accompagnement peuvent être développées dans tout milieu socioéconomique, par l’intermédiaire d’expériences et de recherches-actions. Il s’agit de reconnaitre et valoriser les compétences de chacun (parents, enseignants, membres de la communauté) et de considérer l’éducation comme une préoccupation partagée (Pourtois, Desmet, Lahaye, Della Piana, Hardi, Horlin et Humbeeck, 2010)

Il est à retenir que des stratégies d’accompagnement ont davantage été nommées par des parents de filles. Aussi, les filles, les élèves sans difficulté en orthographe lexicale et les élèves provenant d’écoles en milieu socioéconomique favorisé en deuxième année sont ceux qui sont les plus couramment invités par les parents à se représenter mentalement l’orthographe des mots. Il est reconnu que l’une des meilleures stratégies mémorielles à utiliser en ce qui a trait à l’orthographe lexicale est de se créer des représentations mentales des mots soumis pour étude (Brisseau et al., 2011; Stanké, 2011).

Ces modalités de soutien parental peuvent avoir une influence sur le rendement des élèves en orthographe lexicale et peuvent constituer des éléments de compréhension des écarts de rendement, notamment entre les filles et les garçons, et entre les milieux socioéconomiques.

Par ailleurs, la résistance à la leçon d’orthographe manifestée plus particulièrement par des garçons et des élèves en difficulté en orthographe lexicale peut constituer ce que Feyant (2012) nomme un signal précoce et précurseur de décrochage scolaire. Il y a lieu d’être attentif à ce clivage entre les garçons et les filles, entre les élèves sans difficulté et ceux en difficulté au regard de l’orthographe lexicale, au début de la scolarisation primaire; un tel phénomène peut se révéler être une première version du décrochage scolaire, le «décrochage de l’intérieur» (Bernard, 2011). Tel que mentionné par le MÉLS (2005), il est primordial de se soucier de l’apprentissage de l’écriture chez les garçons et les élèves en difficulté. Nos résultats confirment cette nécessité de leur porter une attention particulière pour ce qui est de l’orthographe lexicale.

Une différence marquée a été mise en évidence entre la perception des parents et le jugement des enseignants pour ce qui est du niveau de compétence en orthographe lexicale des élèves en difficulté. Cette différence montre tout l’impératif des dialogues parents-enseignants afin qu’ils mettent en commun leurs perceptions et leurs jugements à propos des enfants, qu’ils les discutent, et s’entendent pour apporter les meilleures réponses à leurs besoins. À propos des relations enseignants-parents en matière d’étude de l’orthographe lexicale à domicile, la majorité des parents déclarent n’avoir eu aucun échange avec l’enseignant. Une recherche réalisée par Graham et al. (2008), non pas auprès de parents mais auprès de 248 enseignants de la première à la troisième année du primaire, indique encore plus largement cette absence de communication. Selon cette enquête, seulement 8 % des enseignants contactent les parents à propos des apprentissages en orthographe lexicale à réaliser à domicile. Gill et Scharer (1996) affirment pour leur part que paradoxalement, les parents sont parfois mis en cause lorsque les élèves éprouvent des difficultés puisque la liste de mots est le plus souvent à étudier à domicile. Quelques parents, particulièrement des parents d’élèves en difficulté, affirment avoir eu un ou plus d’un moment de communication avec l’enseignant concernant les difficultés de l’enfant et la mise en oeuvre de procédures d’accompagnement. Stimuler la participation des parents dans la réalisation des travaux scolaires à domicile devrait faire partie des stratégies utilisées afin de favoriser le développement de l’orthographe chez les enfants (Sipe, 1994). Les résultats de notre enquête montrent que de grands pas sont à franchir dans cette direction. Quels que soient les moyens employés, les échanges parents-enseignants devraient entre autres amener les partenaires à clarifier leur rôle en les définissant en complémentarité et à soutenir les parents afin qu’ils se sentent compétents pour accompagner leur enfant (CSÉ, 2010).

Cette enquête réalisée auprès de 264 parents d’élèves de première et deuxième année du primaire contribue de diverses façons à l’avancement des connaissances sur l’étude de l’orthographe lexicale à partir de listes de mots données en leçon à domicile. Elle montre toute la pertinence pour la communauté scientifique de s’intéresser aux parents auxquels l’enseignant confie la responsabilité de l’accompagnement des élèves pour cette tâche récurrente tout au cours de l’année scolaire.

Notre recherche n’avait que le seul souci de bien cerner et de bien représenter une telle situation et non de généraliser les résultats à l’ensemble des parents d’élèves de première et deuxième année du primaire. De plus, un seul outil de collecte des données a été utilisé, soit l’entretien, qui a permis le développement des connaissances sur la base des stricts propos des parents. Il a offert à ces derniers l’occasion de décrire, de leurs points de vue, la situation d’étude de la leçon d’orthographe et son accompagnement, dans le cadre d’une rencontre téléphonique d’une durée de 15 à 30 minutes. Dans un autre volet de la recherche, les connaissances produites seront complétées et mises en lien avec celles issues par des entretiens avec les enfants des mêmes parents.