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1. Introduction

Alors que l’université se démocratise et évolue dans un contexte marqué par une massification de son enseignement, l’apparition conjointe des sollicitations de la réforme Licence Master Doctorat et de la loi sur l’autonomie des universités a impulsé de profonds changements visant à faciliter l’organisation d’une offre de formation plus ouverte, plus adaptée aux particularités d’un public hétérogène et conforme au processus d’harmonisation européenne des cursus et des diplômes.

Pour appuyer ces changements, si les expérimentations de dispositifs médiatisés qui se réclament du développement de l’autonomie d’apprentissage et de la réflexivité se construisent comme une critique de l’existant (Bezille, 2002), elles font dans le même temps apparaître de nouvelles problématiques liées au caractère original des espaces et des temporalités que ces derniers font entrer en ligne de compte: tutorat en direction des apprenants, gestion des «espaces informels» situés entre les temps de formation, individualisation des parcours de formation, médiation, etc. Par extension, puisque la mission première des instances éducatives du supérieur consiste à former des apprenants, en vue de les rendre ultérieurement autonomes dans leurs pratiques professionnelles sur le marché de l’emploi, la question de leur accompagnement dans les dispositifs médiatisés est cruciale. À ce titre, il convient, d’un point de vue épistémologique, de s’interroger sur des modalités de guidage à considérer à l’ère du Web 2.0 pour favoriser le développement de l’autonomie d’apprentissage des apprenants, ainsi que d’évaluer leur potentiel et leurs limites à atteindre cet objectif.

Ce sont les questions que nous souhaitons aborder dans cet article, en prenant appui sur une étude exploratoire qui a eu lieu durant l’année universitaire 2014-2015 à l’Institut universitaire et technologique (IUT) de Béziers, dans le cadre d’un dispositif expérimental d’anglais langue étrangère (L2). Pour ce faire, nous commençons par définir la notion d’autonomie, situer les enjeux qui lui sont afférents dans le contexte socioéducatif actuel et relier ces apports à la question de la médiation à l’ère du numérique. Nous présentons ensuite ledit dispositif d’anglais L2 ainsi qu’un modèle d’accompagnement à l’autonomie d’apprentissage. Nous évaluons enfin le potentiel de la médiation proposée et ouvrons une discussion autour des résultats issus de cette étude exploratoire.

2. Accompagner le développement de l’autonomie d’apprentissage à l’ère du Web 2.0: état de la question

Pour Duquette (2002), les institutions éducatives doivent viser l’autonomie de l’individu, à entendre comme une caractéristique fondamentale de la nature humaine (Varela, 1989) dont la finalité consiste, à terme, à permettre au sujet de s’émanciper et de prendre le pouvoir sur son destin. D’après cette définition, «être autonome», c’est avoir atteint un stade cognitif suffisant pour pouvoir accomplir seul une tâche donnée et, pour cela, avoir préalablement effectué un cheminement intellectuel incluant une action réflexive (Gérard, 2006) à des niveaux variés[1] et mobilisant des compétences qui, comme la prise de recul, la conscientisation, la criticalité, la sensibilisation aux obstacles et à l’autocontrôle, ne sont pas acquises de manière innée.

À cet effet, en contexte institutionnel, viser le développement de l’autonomie d’apprentissage nécessite de s’interroger quant à des formes de médiation à considérer pour assister l’apprenant au mieux dans son processus de réflexion. Dans cette optique, si de nombreux travaux ont déjà abordé cette question dans des contextes d’apprentissage divers (apprentissages informels, en classe, en centres de langue, etc.), l’avènement du Web 2.0 a introduit des changements structurels majeurs qui nécessitent de réinterroger la relation «autonomie-guidage pédagogique» à l’aune des enjeux socioculturels actuels.

2.1 Développement de l’autonomie d’apprentissage et outils numériques

Avec l’avènement du Web 2.0, le rôle des institutions éducatives ne se pose plus en termes de détermination des composants des enseignements (rôle de transfert d’information), mais en termes d’identification des composants d’un accompagnement dont la forme reste à déterminer. Ce besoin d’aide est directement lié à l’avènement de la «société numérique» (Compiègne, 2007), dans laquelle les informations sont accessibles par tous, partout et en temps réel. À cet effet, promouvoir le développement de l’autonomie d’apprentissage à l’ère du Web 2.0 revient à aménager des formations qui visent, non pas seulement à favoriser le «seul» transfert des connaissances, mais qui permettent d’accompagner dans le même temps les apprenants dans la recherche, l’analyse, la sélection et la mobilisation de savoirs dématérialisés.

Par ailleurs, à l’ère du Web 2.0, la technologie bouleverse les relations pédagogiques entre enseignants et apprenants, impacte les interactions didactiques (entre approches centrées sur l’enseignant, l’apprenant et/ou les tâches), remet en cause les méthodes d’apprentissage, leurs effets sur les manières d’apprendre et modifie les modes de construction de l’offre de formation (de la formation sur catalogue à la formation sur mesure). L’introduction du numérique dans la sphère éducative est donc «transformatrice» des pratiques enseignantes et «modificatrice» des méthodes d’apprentissage. En particulier, les attentes des étudiants (besoins de communiquer selon des protocoles non formels et non imposés par une instance éducative) et les connaissances des enseignants (intégration du numérique dans leur formation initiale et continue) ont changé. Ces mutations induisent une redistribution des rôles, des besoins, des attentes (apprenants comme enseignants), des espaces, des modalités et des temporalités. Ainsi, comme l’usage actuel des boitiers cliqueurs, des SPOCs ou d’autres techniques visant à «dynamiser» les amphithéâtres le montrent, si les institutions du supérieur s’attachent à adapter leur offre de formation pour introduire plus de souplesse dans les cadres qu’ils proposent, la réflexion sur les modalités d’accompagnement, d’aide et de suivi dans les dispositifs médiatisés constitue encore un défi majeur à relever[2].

Enfin, en accord avec les travaux de Hutchins (2000) sur la cognition distribuée[3], envisager la conception de modalités d’accompagnement favorisant le développement de l’autonomie d’apprentissage des apprenants à l’ère du Web 2.0 revient à se demander comment la technologie peut être mise à profit dans un cadre à la fois souple (flexibilité des systèmes pour rendre compte de la diversité et de la variabilité de l’élément humain) et adaptatif (pour pallier l’impossibilité de prévoir a priori les besoins et les stratégies de travail des apprenants), dans des espaces de travail qui se caractérisent essentiellement par une participation collective au sein de communautés distantes (Zourou et Lamy, 2013).

2.2 Développement de l’autonomie d’apprentissage et médiation formative à l’ère du Web 2.0

En vue de mettre au point un modèle pédagogique susceptible de promouvoir le développement de l’autonomie d’apprentissage à l’ère du numérique, ces quelques éléments d’analyse semblent indiquer que la médiation dans les dispositifs numériques peut tout d’abord se définir comme une action pédagogique personnelle et méthodologique, destinée à aider les apprenants dans leurs stratégies d’appropriation des connaissances au sein d’environnements en ligne.

À ce titre, l’accompagnement du développement de l’autonomie d’apprentissage à l’ère du numérique peut, sur le plan formatif, théoriquement se caractériser par deux processus de construction du savoir (voir figure 1):

  1. un processus d’élargissement du champ d’action de capacités déjà construites par l’apprenant, par l’intégration dans sa démarche de construction du savoir des éléments provenant de différentes ressources informatiques (site vitrine d’information, bases de données de documents…) et/ou humaines (pairs et/ou enseignant) accessibles en ligne. En vue de viser le développement de l’autonomie d’apprentissage, certains auteurs comme Jonassen (1991) ou Van der Veer et Valsiner (1994) préconisent que la médiation entre le savoir et les apprenants repose sur le «déjà-là» dont les apprenants disposent, puisque ces derniers n’entrent pas vierges de connaissances dans leur apprentissage. En considérant de cette façon les acquis antérieurs des apprenants comme un point de départ au processus de construction de leurs propres connaissances, le formateur aurait ainsi pour vocation de faire office de «personne ressource» (Rogers, 1969), d’étayer les apprentissages (Bruner, 1983/1998), d’engager les apprenants dans un processus actif de construction personnelle du savoir (Guerrero et Villamil, 2000) et de les encourager à se fixer leurs propres buts d’apprentissage.

  2. un processus d’agrandissement de la capacité à agir de l’apprenant (développement), grâce à son engagement au sein d’une communauté de pratique (Lave et Wenger, 1991) en ligne, au sein de laquelle des interactions autorisant la transmission de formes culturelles évoluées de conduite, la maîtrise progressive de celles-ci dans un cadre coopératif et la mobilisation de façon intentionnelle et volontaire de ces nouvelles formes sont possibles. Il découle de ce positionnement que la présence de l’enseignant est fondamentale dans l’environnement de travail pour appuyer le processus d’étayage et de co-construction du savoir, faciliter la gestion des conflits sociocognitifs entre pairs et promouvoir la construction du lien social.

2.3 Développement de l’autonomie d’apprentissage et médiation instrumentale à l’ère du Web 2.0

Parallèlement à cela, l’ère du Web 2.0 a entraîné une reconfiguration des temps et espaces de travail, un bouleversement des pratiques sociales (apprenantes et enseignantes notamment) et un élargissement des capacités à agir des individus au sein d’un monde virtuel parallèle au monde euclidien (cyberespace). Avec l’avènement du numérique, les apprenants sont ainsi amenés de façon incidente à entretenir des interactions complexes avec la «machine»; la prise en compte de la dimension instrumentale des environnements de travail est donc cruciale à l’ère du Web 2.0 pour favoriser le développement de l’autonomie. Ceci conduit à s’interroger sur des points d’interface à envisager pour relier les systèmes complexes de l’activité humaine (notamment pensée et langage) aux artefacts médiatisés de travail.

À cet effet, au sein d’un environnement médiatisé, l’apprenant a tout d’abord la possibilité d’élargir le champ d’action de capacités déjà construites en se formant seul, par exemple en consultant, synthétisant ou en comparant des documents disponibles en ligne ou accessibles sur des plateformes pilotées par un enseignant (Moodle, Claroline, etc.). Dans cette optique de travail, un guidage peut être obtenu auprès des pairs et/ou de l’enseignant, grâce à des outils de communication (a)synchrones comme le clavardage, le forum de discussion ou des outils de visioconférence.

De même, pour permettre aux apprenants de bénéficier (autant que possible) d’expériences d’apprentissage potentiellement favorables à la reconfiguration (sur le plan intrapsychologique) d’une capacité à agir construite sur le plan interpsychologique, les outils numériques permettent-ils d’offrir aux apprenants des occasions multiples d’introduire des apprentissages situés (à travers des situations complexes, authentiques et signifiantes) en leur donnant la possibilité de mobiliser leurs ressources personnelles, de construire ensemble des connaissances, de résoudre des problèmes et de développer leurs compétences (Perrenoud, 1999). Ainsi, dans un environnement numérique de travail, les apprenants peuvent-ils, grâce au travail collectif accompli en ligne, hypothétiquement observer les compétences/connaissances des uns et des autres, s’interroger sur le chemin cognitif parcouru par des pairs compétents pour accomplir seuls la tâche réalisée et prendre la mesure de la distance cognitive personnelle qui les sépare du bagage cognitif requis pour la réalisation de la tâche, et donc mener une action réflexive à même de les rendre, à terme, autonomes pour accomplir une tâche qui, préalablement, se posait comme un obstacle pour eux.

3. Ingénierie pédagogique: conception d’un modèle d’accompagnement à l’autonomie d’apprentissage à l’ère du numérique

En vue de i) conduire un travail d’exploration des processus propres à un travail autonome des apprenants dans un dispositif d’apprentissage médiatisé et ii) comprendre comment la médiation formative et instrumentale des environnements de travail Web 2.0 est en mesure de moduler le développement de l’autonomie d’apprentissage des apprenants, une expérimentation a été mise en place à l’Institut universitaire de technologie de Béziers.

3.1 Présentation du contexte institutionnel

En France, les IUT dispensent une formation initiale et continue destinée à préparer aux fonctions d’encadrement technique et professionnel dans certains secteurs de la production, de la communication et/ou des services en général. Dans le contexte de IUT, le développement de l’autonomie des apprenants est un objectif clé de la formation: il s’agit plus particulièrement à la fois de permettre aux étudiants d’acquérir les compétences attendues dans leur secteur professionnel et de leur offrir une réelle culture du milieu dans lequel ils vont intégrer leur activité à terme. Pour permettre une certaine homogénéité à l’échelle nationale, les formations en IUT sont encadrées par un Programme pédagogique national (PPN) décrivant les contenus pédagogiques des Diplômes universitaires de technologie (DUT).

La formation qui nous intéresse ici est le DUT Métiers du multimédia et de l’Internet (MMI), qui vise à former des techniciens supérieurs du Web (webmestres, techniciens audiovisuels ou encore infographistes). Dans le PPN MMI (Gouvernement français, 2013[4]), l’autonomie y est décrite comme un objectif à atteindre dans l’activité professionnelle des futurs techniciens, comme un moyen d’acquérir des savoirs en formation et au-delà, comme un «savoir-faire» entraîné et mesuré lors de projets tutorés et de stages en entreprise, ainsi que comme la possibilité d’«apprendre autrement». Par ailleurs, le PPN (Ibid.) indique que: «apporter l’autonomie en matière d’apprentissage ne signifie pas laisser l’étudiant seul avec l’information: une grande importance sera accordée au tutorat et à l’innovation pédagogique» (p. 26). La notion d’autonomie y est donc corrélée à celle d’accompagnement, d’où la nécessité, dans ce contexte, de s’interroger sur des modalités de guidage à considérer pour favoriser le développement de l’autonomie d’apprentissage des apprenants.

Enfin, le PPN MMI s’organise autour de deux unités d’enseignement (UE): l’une intègre des aspects communicationnels dans lesquels nous retrouvons l’enseignement du droit, du marketing, ainsi que de deux langues étrangères obligatoires[5]; l’autre intègre les aspects technologiques, comme l’algorithmique/programmation, l’audiovisuel ou l’infographie. Pour chaque matière (appelée module), le PPN précise les objectifs, compétences visées, prérequis, contenus, modalités de mise en oeuvre et prolongements possibles. Dans le cadre de la présente expérimentation, les informateurs suivaient le module d’anglais du second semestre de la première année d’étude du DUT.

3.2 La maquette du module d’anglais dans le PPN MMI

En formation MMI, les étudiants n’ont pas (a priori) pour vocation de devenir des spécialistes en langue étrangère dans leur vie professionnelle future. Du point de vue de l’enseignement-apprentissage des langues, ces étudiants correspondent à un public LANSAD[6], un secteur d’enseignement qui se caractérise par son caractère hétérogène (voir Deyrich et Leroy, 2015, par exemple). Le PPN du second semestre universitaire concernant le module d’anglais de la formation MMI est le suivant:

Tableau 1

Programme de formation du module d’anglais (semestre 2) – extrait du PPN MMI

Programme de formation du module d’anglais (semestre 2) – extrait du PPN MMI

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Dans cette fiche, nous pouvons entrevoir le maillage serré qui existe entre l’intitulé du cours (Anglais) et le contenu du programme général du DUT, qui fait appel à de multiples compétences de la part des apprenants. La langue anglaise y est par ailleurs définie comme un outil de communication devant être sollicité pour faire travailler les étudiants sur

  • des compétences transversales professionnalisantes: rédaction d’une note de synthèse, utilisation des TIC, rédaction d’un rapport, recherche d’information, conduite de réunion, enregistrement vidéo, réalisation d’une présentation orale;

  • des savoir-faire académiques et méthodologiques: activités autour du débat, de l’argumentation, de l’analyse, de la compréhension et du traitement de l’information;

  • leur culture générale et professionnelle: connaissance des médias et de l’actualité du monde anglophone;

  • le développement de leur autonomie: encouragement à réaliser du travail personnel en anglais sur des temps extracurriculaires et à s’appuyer sur des outils extérieurs au cours (Portfolio européen des langues et centres de ressources de langues) pour mener à bien ce travail.

Dans le PPN, la référence à la langue anglaise, en tant qu’outil de communication, n’apparaît finalement que dans un volume «moindre»; l’accent est en effet mis sur la fluidité orale (aisance), la maîtrise d’un lexique spécifique au domaine (langue technique et économique) et la rédaction de documents à visée professionnelle (exemple de la note de synthèse). Ainsi, contrairement à l’aspect apparemment «décloisonné» de l’intitulé du cours (Anglais), le PPN incite en réalité à faire des ponts avec des contenus enseignés dans d’autres cours du DUT (culture d’entreprise, économie des médias, réseaux, culture scientifique et technique, etc.) et, par les nombreux objectifs que vise le module d’anglais – y compris l’acquisition d’une langue dite «de spécialité» –, ce dernier s’inscrit donc pleinement dans la logique professionnalisante propre aux IUT.

3.3 Intégrer la dimension professionnalisante dans le module d’anglais

Dans l’optique de conception d’un modèle d’accompagnement susceptible de promouvoir le développement de l’autonomie d’apprentissage à l’ère du numérique, le PPN soulève, du point de vue de l’ingénierie pédagogique, un certain nombre de questions, en raison du nombre important de paramètres qu’il embrasse

  • la question de la formation des enseignants de langues. Dans ce cours d’anglais, il s’agit en effet de faire travailler les apprenants, non seulement sur des pratiques discursives en langue de spécialité, mais également sur des contenus et des compétences professionnelles qui peuvent potentiellement ne pas être du ressort d’un enseignant de langue (la connaissance des médias et de l’informatique par exemple). De manière à mettre en oeuvre le PPN, une piste pourrait alors consister, dans une logique d’ingénierie pédagogique, à allier langue et contenu, en proposant des enseignements de type EMILE, éventuellement en collaborant avec des enseignants de disciplines autres que linguistiques (journalistes ou informaticiens par exemple). Une telle approche transversale permettrait ainsi de remédier au problème des compétences qui incombent aux enseignants de langues et de proposer une mise en oeuvre cohérente du programme: non seulement en offrant aux apprenants la possibilité de réviser ou de revoir en cours de langue des connaissances/savoir-faire/savoir être étudiés précédemment dans d’autres disciplines, mais aussi en leur proposant de consolider le champ d’action de capacités déjà construites;

  • si l’on se réfère au PPN MMI, il est aisé de constater qu’un nombre important de compétences doit être simultanément convoqué lors des cours d’anglais, alors même que la dotation horaire concédée au module est somme tout assez restreinte (15 heures TP et 15 heures TD étudiant). À cet égard, travailler en mode projet constitue une option à considérer pour optimiser le rapport «curriculum riche/dotation horaire restreinte». Tout d’abord, l’intégration de l’approche par projet (APP) dans les formations permet de mettre en oeuvre un maillage très étroit entre les savoirs académiques abordés par les apprenants dans les différentes matières du PPN et les compétences acquises au cours de temps de travail plus axés sur la pratique (TP). Ensuite, l’APP favorise la création de liens entre les différents acteurs présents dans le dispositif pédagogique: les participants produisent ensemble, interrogent, échangent, prennent des décisions, demandent de l’aide, effectuent des recherches et obtiennent un résultat collectif; la co-construction du savoir ouvre de surcroît des perspectives de développement d’une autonomie de travail pour chaque apprenant et le projet offre un cadre au sein duquel la perspective constructiviste des apprentissages et le développement de l’autonomie d’apprentissage peut être approchée et discutée. Enfin, d’un point de vue langagier, le mode projet donne à réaliser diverses «tâches» – ou «real-world activities» (Ellis, 2003) – c’est-à-dire des plans de travail principalement orientés vers le sens, conduisant les apprenants à manier la langue d’une manière proche de la vie réelle et pouvant concerner une ou plusieurs des cinq compétences d’une L2. La tâche implique donc l’apprenant dans des processus cognitifs et permet d’identifier si l’objectif assigné en amont a bien été réalisé;

  • dans l’optique de travail induite par le recours aux tâches professionnelles, la L2, tout en restant à première vue au «second plan», constitue en réalité un incontournable, dans la mesure où c’est de son utilisation que va pouvoir émaner le résultat final. Ce cadre de travail – mis en avant par le Conseil de l’Europe dans le cadre de l’approche actionnelle – permet au médiateur de «s’effacer», pour ne pas «faire écran», tout en jouant un rôle central entre les apprenants et le savoir. De fait, l’enjeu de l’approche par les tâches est de conduire l’apprenant à construire ses connaissances dans et par le collectif (les pairs, l’enseignant, les professionnels du domaine), que ce soit en présentiel ou à distance.

3.4 Dispositif pédagogique exploratoire

3.4.1 Trois hypothèses

Afin de mettre en oeuvre le module d’anglais tel qu’il est décrit dans le PPN MMI, un modèle d’accompagnement pédagogique visant – outre les objectifs listés dans le PPN – à favoriser le développement de l’autonomie d’apprentissage des étudiants, a été mis en place à l’IUT de Béziers. Ce modèle répond à trois hypothèses:

  1. en concevant l’activité humaine comme le résultat d’une co-construction entre l’acteur et les composants de l’environnement d’apprentissage, les tâches et la collaboration en ligne entre pairs forment un cadre susceptible de conduire à l’apprentissage et à une restructuration constante du savoir (Lave et Wenger, 1991);

  2. à l’ère du Web 2.0, l’image d’Épinal de la «classe» perd tout son sens, pour devenir une communauté d’apprentissage en réseau (Laferrière, Bracewell, Breuleux, Erickson, Lamon et Owston, 2001) reposant davantage sur une co-élaboration de connaissances (Bereiter et Scardamalia, 2003); ce cadre de travail justifie de mener une réflexion sur la notion heuristique «d’espaces d’actions encouragées» (Durand, 2008), au sein desquels la/les prescription(s) du formateur et le dispositif pédagogique d’appui ouvrent des possibles pour les apprenants, tout en limitant les choix;

  3. le statut de l’enseignant passe de «transmetteur de savoirs» à «accompagnateur pédagogique» et son rôle consiste à soutenir un environnement social propice au développement des fonctions cognitives de chaque participant. Ainsi que nous l’avons indiqué précédemment, cette action peut être réalisée en partant de ce que les apprenants savent faire seuls ou par la mise en place de tâches réalisées en groupe (Guk et Kellog, 2007), la finalité étant d’éveiller des processus cognitifs qui n’auraient pu être envisagés sans l’aide de tiers (pairs ou accompagnateur pédagogique).

3.4.2 Contexte du dispositif

Pour tester ces hypothèses, une expérience se focalisant sur la mise en oeuvre d’une APP et invitant les étudiants à réaliser en groupe une publicité en anglais a été mise en place auprès de trois groupes d’étudiants, comptant respectivement 26 étudiants chacun, soit au total 78 étudiants. Cette publicité, destinée à informer les jeunes sur un fait de société ciblé (danger de la cigarette/drogue/alcool, dépression, pollution, abandon des animaux, harcèlement des jeunes/sexuel, etc.), se voulait être une tâche préprofessionnalisante, dans la mesure où elle invitait les participants à réfléchir tant au contenu et aux aspects techniques de la publicité qu’aux trajectoires d’apprentissage de chacun au sein des groupes de travail.

Pour faciliter la mise en oeuvre de l’APP dans le module d’anglais, les séances de cours ont eu lieu dans le cadre d’un dispositif pédagogique fonctionnant d’après un principe d’alternance entre activités collaboratives et individuelles favorisant l’émergence d’un modèle hybride de cours d’un genre nouveau, qui ne se caractérise plus seulement par un cadre spatio-temporel (présentiel/distance; synchrone/asynchrone), mais par i) une continuité entre temps de travail en classe et hors classe (à la maison et/ou en ligne), ii) une continuité entre les contenus de différents modules présents dans le PPN (expression/communication et production audiovisuelle notamment), iii) des salles de cours aménagées pour la mise en oeuvre d’une APP (configuration des tables en îlots, accès libre aux ordinateurs/téléphones portables/tablettes, utilisation du tableau blanc pour favoriser la représentation cartographique des connaissances produites par le groupe, etc.) et iv) par des consignes invitant les apprenants à faire conjointement appel à des savoir-faire techniques (productions numériques) et communicationnels (langue française et anglaise) pour réaliser la tâche.

Du point de vue des consignes de travail, les étudiants étaient invités à élaborer – au sein de groupes comptant trois ou quatre étudiants (soit 6 ou 7 groupes par TD) – plusieurs documents liés à la conception et à la production audiovisuelle: un diaporama présentant les objectifs de la publicité (en français), un scénario de la production du film (en français) à partir de mots clés et un storyboard récapitulant les différentes scènes envisagées avant le tournage et le montage du film (en anglais). Ce travail préparatoire à la réalisation audiovisuelle – qui ne relève pas stricto sensu du «champ d’action» d’un cours d’anglais – avait déjà été réalisé par les étudiants (en français) dans d’autres modules intégrés au PPN.

3.4.3 Phases du dispositif

Concernant l’organisation des séances de cours, quatre phases ont été prévues:

Phase A (séance aller, collective): une fiche descriptive des activités a été distribuée aux étudiants. Cette dernière avait pour rôle de servir de guide quant au déroulement général du projet, à présenter les différentes étapes qui le constituaient et à donner des informations quant au déroulement de la première session de travail, au cours de laquelle il a été demandé aux étudiants de:

  • i) former des groupes de quatre personnes, ii) prendre connaissance du projet et des différents documents à rendre au cours de l’avancée du projet (diaporama, fichier texte pour le storyboard et réalisation audiovisuelle), iii) mettre en oeuvre des sessions de remue-méninges au sein des groupes afin de faire émerger des pistes à envisager pour mener le projet à bien, iv) apporter des précisions quant aux actions envisagées pour concrétiser les idées retenues à l’issue de la phase de remue-méninges et v) mettre au point, au sein de leur groupe, un plan de travail incluant une répartition des tâches (individuelles et collectives) intermédiaires à accomplir pour tendre vers la réalisation du projet final (production audiovisuelle en anglais);

  • se répartir entre eux, au sein de chaque groupe, des rôles prédéfinis par l’enseignant (animateur du groupe, scribe, secrétaire et intendant) et qu’ils devaient ensuite conserver durant toute la durée du projet;

  • observer que l’enseignant ne faisait partie d’aucun groupe. La fiche précisait à cet égard que l’enseignant ne répondrait à aucune question, non seulement pour favoriser la collaboration entre pairs, mais aussi parce qu’une partie des réponses aux questions se trouvait dans une foire aux questions accessible sur la plateforme Moodle du cours. Ces diverses consignes avaient pour but de permettre à l’enseignant de jouer pleinement son rôle d’«accompagnateur pédagogique» et de médiateur dans les savoirs co-construits par les étudiants.

Phase B (séance intermédiaire, individuelle): les étudiants ont été invités à réaliser seuls un travail défini lors de la phase de répartition des différentes tâches au sein des groupes (recherche d’images intégrées au diaporama, rédaction de textes slogan, identification des mots clés, storyboard, etc.). Ce travail a été réalisé à l’IUT, dans une salle informatique. Durant cette séance de travail, les étudiants étaient libres de discuter entre eux, de s’interroger quant à la pertinence de leurs apports au groupe/projet, de se rendre sur la Toile, etc.

Phase C (séance retour, collective): les étudiants avaient pour consigne de i) mettre en commun les documents préparés par chacun, ii) reprendre les questions qui ont émergé au cours de la première séance et de faire part des réponses/solutions qui ont été envisagées par chacun pour y remédier et iii) préparer la présentation finale de leur projet, comprenant à la fois un volet écrit (diaporama, mots clés et storyboard) et une partie orale, prenant appui sur les différents documents écrits.

Phase D (séance d’évaluation): il a été demandé aux étudiants de i) évaluer – à l’aide d’un formulaire fourni par l’enseignant – le travail accompli par le groupe et le travail personnel de chacun au sein des groupes, ii) réaliser un bilan des savoirs, savoir-faire et savoir-être acquis au cours de la réalisation du projet et iii) de présenter oralement aux enseignants de deux disciplines concernées par le projet (anglais et production audiovisuelle) les différentes réalisations finales produites par les divers groupes de travail (diaporama en français et production audiovisuelle en anglais).

3.5 Données et méthodologie d’analyse

3.5.1 Nature des données

Pour analyser le potentiel de la médiation envisagée dans le dispositif à promouvoir le développement de l’autonomie d’apprentissage des apprenants, nous avons fait le choix méthodologique de mener une observation participante, qui correspond à une méthodologie s’inscrivant dans une perspective d’ethnographie de la communication (Cefaï, 2010) et dont l’objectif est de saisir les changements et les modifications en jeu dans une société en perpétuelle évolution/modification. L’observation participante menée dans cette étude a pris appui sur différents documents, recueillis au fur et à mesure du déroulement de l’expérimentation, à savoir:

  • des enregistrements audiovisuels présentant les différentes phases de l’APP (de A à D), la façon dont l’enseignant prépare la salle de cours pour la mise en oeuvre de la phase A, les différentes activités réalisées par les étudiants au cours des phases A, B et C, ainsi que des présentations réalisées par des étudiants lors de la séance Retour (phase D). Ces enregistrements ont été effectués au sein de chacun des trois groupes d’étudiants qui ont suivi le module d’anglais; chaque enregistrement dure en moyenne 4 h 30 min;

  • l’ensemble des documents fournis par l’enseignant aux étudiants en présentiel et sur la plateforme Moodle (fichiers textes, exemple de documents audiovisuels déjà réalisés, exemples de diaporamas, liens Web en lien avec la thématique de la publicité, etc.);

  • les productions finales des étudiants: productions audiovisuelles en anglais et productions textuelles et graphiques en français;

  • des entretiens semi-directifs avec l’enseignant d’anglais initiateur du projet, qui a été interrogé à trois reprises: i) avant le projet, pour identifier les raisons sous-jacentes à la mise en oeuvre de cette initiative pédagogique, ii) pendant le projet (qui s’étale sur trois semaines) et iii) après le déroulement du projet, afin d’identifier les points positifs et les limites de l’initiative portée;

  • la retranscription des échanges ayant eu lieu entre l’enseignant et des étudiants ayant participé au projet, deux mois après la fin de l’expérience. Cinq étudiants ont été interrogés (sur la base du volontariat) en groupe et ont répondu librement à une série de questions liées à leur perception du projet. Le but était d’avoir un retour de la part des usagers quant aux modalités de travail proposées durant l’expérimentation.

3.5.2 Traitement des données

Le traitement des données a été réalisé dans le cadre d’une approche multimodale et multidimensionnelle (Charnet, 2008). Pour cela, deux axes de recherche ont été pris en compte: d’une part, un axe horizontal, celui du temps chronologique du projet, de l’enchaînement des activités et des différents acteurs impliqués (de la phase A à la phase D) et, d’autre part, un axe vertical correspondant à celui de l’utilisation qui a été faite des ressources mises à disposition par l’enseignant (mais pas seulement) et qui ont été utilisées par les étudiants pour la production de leurs documents intermédiaires et finaux.

À cet effet, dans l’analyse, nous nous appuyons à la fois sur des observations de la situation (enregistrements) dont le contenu marque des changements d’étape dans l’avancée du projet (Vinck, 2009), sur les ressources proposées aux participants et sur les discours des acteurs impliqués dans le projet (entretiens). Le but de l’approche suivie n’est donc pas de comprendre les spécificités du projet mais de souligner les apports et les limites des modalités d’accompagnement pédagogique proposées dans le dispositif exploratoire pour favoriser le développement de l’autonomie d’apprentissage des apprenants.

4. Résultats

4.1 Analyse des données

Les entretiens réalisés avec les étudiants montrent tout d’abord que les ressources présentes sur la Toile leur permettent de visualiser de façon concrète le travail à réaliser («c’est sur Internet, donc c’est possible»), de choisir collectivement des «modèles» à atteindre et de co-construire, dans un deuxième temps, des trajectoires de travail (répartition de lots de travail, fixation d’un calendrier, anticipation des obstacles…) à accomplir pour tendre vers ce qu’ils considèrent comme un objectif. Dans cette optique, la projection/visualisation semble agir comme un levier et cette impression de «toucher du doigt» un livrable – lequel reste pourtant à construire dans son intégralité – paraît mettre la notion d’accessibilité de la tâche à la fois au centre du processus collectif de construction de la tâche et du processus individuel d’élargissement du champ d’action de capacités déjà construites. Ces résultats vont donc dans le sens de notre première hypothèse.

Par ailleurs, lors des activités collectives en présentiel, la notion d’affordance (Gibson, 1977) semble se trouver au coeur des activités mises en place. Les étudiants ont été regroupés par petits groupes et l’enseignant a mis à leur disposition des documents de «guidage». Les enregistrements analysés montrent que les étudiants i) mutualisent leurs connaissances (interprétation des documents et des ressources numériques fournis par l’enseignant), ii) essaient d’inférer du sens à partir des documents fournis (identification notamment des rendus intermédiaires), iii) font des hypothèses sur les possibilités d’interprétation de la tâche posée, iv) se concertent et/ou vont chercher de l’aide en ligne quand des difficultés se présentent, en L2 notamment. À cet égard, il semble que l’organisation du dispositif ait facilité l’interaction entre les pairs, l’entraide et la concertation et ait permis aux étudiants observés d’aller plus loin dans leurs démarches intellectuelles, non seulement pour faire avancer le projet (dans 70 % des cas), mais aussi pour résoudre des problèmes linguistiques en anglais (30 %). A ce titre, l’analyse des données montre que, grâce à l’«espace d’actions encouragées» rendu possible par le dispositif pédagogique mis en place, l’étudiant cherche, en conformité avec notre deuxième hypothèse, à consolider, voire à agrandir le champ d’action de capacités déjà construites.

Enfin, les présentations orales, destinées à générer des prises de position ou l’expression de points de vue, ont, comme le montrent les données vidéo, permis à chaque étudiant de s’entraîner à prendre la parole en public et ont donné lieu à des débats prenant appui sur les exposés présentés et les thématiques abordées. Comme nous l’avons évoqué, la réalisation des exposés a découlé d’un travail collectif préalable qui a nécessité partage, échange, recherche d’aide et mutualisation de la part des étudiants. Lors des présentations devant le groupe classe, les enregistrements montrent que, contrairement aux phénomènes récurrents d’inhibition que l’on observe souvent à l’oral en classe de L2, l’atmosphère de travail est plutôt détendue. Ainsi, le cadre proposé, en incitant les étudiants à mettre en avant un produit collectif n’engageant pas leur responsabilité individuelle, leur a-t-il permis de moins subir le poids de «la» bonne réponse, de travailler dans un climat moins «tendu» et de dépasser leurs blocages linguistiques à l’oral, souvent liés à l’ego langagier (Guiora et Acton, 1979). Par ailleurs, le travail proposé autour de l’exercice de présentation orale a servi d’appui à la mise en place d’une discussion entre les étudiants sur les contenus qui venaient de leur être présentés (et qu’ils avaient eux-mêmes préparés). Cet espace de discussion – qui combine (inter)action, analyse réflexive, confrontation, médiation et discussion – a constitué une occasion pour eux de réfléchir de façon collégiale et d’échanger sur des problématiques professionnelles, d’approfondir certains aspects du futur environnement socio-économique du groupe classe et de dédramatiser les problèmes rencontrés au cours du projet. En conformité avec notre troisième hypothèse, l’enseignant semble donc, dans cette expérimentation, avoir apporté sa contribution au développement de l’autonomie d’apprentissage des informateurs en les conduisant à i) penser/produire/présenter ensemble pour dépasser des blocages individuels liés à la représentation de la tâche et aux étapes à suivre pour mener à bien le projet, ii) à identifier/négocier du sens pour mener à bien la tâche et iii) en leur permettant de visualiser, en fin de projet, un résultat concret (un livrable, ici un film audiovisuel) issu de leur travail commun et pouvant potentiellement être valorisé dans un curriculum vitae ou un portfolio (comme un blog ou une page web personnelle, par exemple). À cet égard, comme la tâche finale requiert nécessairement de compléter au préalable une multitude de tâches intermédiaires et faisant à chaque fois intervenir des savoir-être, savoir-faire et savoirs différents – tout en étant complémentaires – le dispositif vise à conduire l’apprenant à prendre en charge son apprentissage (pilotage) et à développer des stratégies (étayage), pour parvenir à réduire les écarts qui peuvent exister entre ce qu’il est en mesure de faire et ce qu’il est attendu de lui à un moment t. En accompagnant ce processus de co-construction du savoir, l’enseignant devient ainsi – bien qu’en étant, en apparence seulement, à la marge du dispositif – moteur d’une dynamique qui associe enrichissement de l’offre de formation et développement d’une professionnalité propre à chaque individu.

Au final, la validation des trois hypothèses semble montrer que la mise en place d’une APP prenant appui sur le Web 2.0 a favorisé chez les étudiants observés le développement de nouvelles capacités à agir, qui se sont traduites par l’acquisition des savoirs/compétences/savoir-être directement transférable sur le marché de l’emploi. Ainsi, à travers un cadre posé par l’enseignant, la professionnalisation – c’est-à-dire la capacité à agir en contexte professionnel – de l’étudiant a-t-elle pu prendre forme à différents moments: réflexion sur les connaissances abordées et traitées par les pairs et personnellement, évaluation pluridisciplinaire des résultats produits par les groupes d’étudiants et réflexion sur un travail encadré mais ouvrant néanmoins des possibles (par exemple, le mode de fonctionnement de chaque groupe, le thème choisi ou encore les ressources numériques à utiliser). Ici, professionnalisation aux métiers du numérique et autonomisation à l’ère du numérique peuvent ainsi être perçues comme deux trajectoires d’apprentissage parallèles tendant vers un objectif commun, à savoir rendre l’apprenant à même d’exercer son métier de manière indépendante, sans être soumis au pouvoir d’autrui (Barbot et Camatarri, 1999). Ce qui, à l’entrée à l’IUT, n’était pas encore accessible aux étudiants observés – faute de savoirs/savoir-faire/savoir-être dans une sphère d’activité professionnelle donnée – le devient à présent par le protocole expérimental et l’accompagnement proposé.

4.2 Qualification du modèle d’accompagnement

À partir de ces analyses, l’autonomie d’apprentissage de l’apprenant peut être caractérisée comme la destination finale d’un processus de (co)-construction de connaissances qui s’est matérialisé dans les données collectées par des traces d’éveil de processus cognitifs qui n’auraient pu avoir lieu sans l’intervention de l’enseignant/des pairs et/ou le recours aux outils numériques.

Le projet proposé dans la présente expérimentation donnait à réaliser, sur des temps de travail individuels et collectifs, des supports de communication à destination de pairs, en faisant appel à des acquis intégrés à la zone d’autonomie (déjà-là), mais aussi à des compétences/connaissances/savoir-être en devenir qui ont justifié de faire appel à d’autres acteurs du dispositif pour pouvoir être mobilisés. Accompagner, dans cette démarche, revenait ainsi à aider l’apprenant à réaliser de bout en bout une tâche donnée en

  • anticipant les écueils potentiels auxquels il pourrait être confronté (travail en équipe, gestion des délais, problèmes linguistiques, problèmes techniques, mauvaise compréhension des consignes, etc.);

  • établissant des liens possibles avec d’autres disciplines (partenaires de l’expérience institutionnelle), d’autres acteurs (certains connus et d’autres non) ou encore différents supports de ressources (en ligne et hors ligne);

  • mettant à sa disposition un cadre de travail rassurant, structuré et «ouvert» aux stratégies d’apprentissage de chacun (approche constructiviste). Ce positionnement rejoint le point de vue de Allaire (2006), qui attribue au concept d’affordance (Gibson, 1977) une acceptation sociale qui dépasse la perspective d’interaction «personne-objet» ou «personne-machine» et qui envisage de considérer les interactions de type «personne-personne», qu’elles aient lieu en face à face ou en réseau (sur Internet, par exemple);

  • lui donnant les moyens d’être responsable de son apprentissage et de sa construction personnelle, en favorisant le compagnonnage (par la mise en commun d’un même objectif) et le partage (de la responsabilité, de la réussite, des décisions et des erreurs réalisées par le groupe).

Ainsi, dans cette expérimentation, le cadre de travail proposé semble faire passer l’enseignement de la langue anglaise au second plan de l’apprentissage, alors qu’il n’en est rien en réalité, puisque c’est précisément cette langue qui fait ici office de véhicule de construction du savoir collectif[7]; un constat que corrobore également les propos tenus par l’enseignant maître d’oeuvre de l’expérience au cours de l’entretien semi-directif, dont le contenu a par ailleurs été retranscrit et passé au crible du modèle des gestes professionnels (Bucheton et Soulé, 2009). Ce modèle (figure 1) définit l’action enseignante comme une sollicitation, à des degrés et moments divers, de quatre macro-préoccupations (étayage, atmosphère, tissage et pilotage) faisant office de charpente pour appuyer un processus central de transmission des connaissances, caractérisé ici par la macro-préoccupation «savoir».

Figure 1

Un multi-agenda de préoccupations enchâssées (Bucheton et Soulé, 2009)

Un multi-agenda de préoccupations enchâssées (Bucheton et Soulé, 2009)

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Dans l’expérimentation décrite, les quatre préoccupations de soutien structurent également la démarche d’accompagnement de l’enseignant observé et le savoir associé à la réalisation de la tâche est toujours au centre des macro-préoccupations de l’enseignant. Cependant, dans cette expérimentation, le savoir n’est plus l’apanage d’une seule discipline (tissage); sa transmission se fait selon des modalités d’étayage (enseignant accompagnateur pédagogique et non transmetteur de savoirs) cohérentes avec une atmosphère professionnelle de travail (non structurée par un discours professoral) et sa mise en oeuvre (pilotage) se fait dans un cadre laissant aux étudiants une certaine liberté quant à leurs choix d’organisation (temps, espace, sous-tâches, consignes, etc.).

4.3 Modélisation du protocole d’accompagnement à l’autonomie d’apprentissage

Dans cette réorganisation des macro-préoccupations – par rapport au modèle proposé par Bucheton et Soulé (2009) – l’enseignant structure sa démarche professionnelle d’accompagnateur pédagogique à travers trois pôles (figure 2):

Figure 2

Le multi-agenda de l’enseignant d’anglais dans le contexte de l’expérimentation réalisée à l’IUT

Le multi-agenda de l’enseignant d’anglais dans le contexte de l’expérimentation réalisée à l’IUT

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  • un pôle institutionnel (proposé par le PPN), au sein duquel le tissage fait référence aux rapprochements entre modules de formation formant un tout, à savoir la maquette pédagogique du DUT;

  • un pôle professionnel (posé par le projet proposé), au sein duquel l’étayage et l’atmosphère sous-tendent la mise en oeuvre d’une pratique professionnelle réelle, intégrant les opérations d’acteurs divers (collaborateurs et décisionnaires) présents physiquement ou à distance;

  • un pôle pédagogique, dans lequel le pilotage s’organise autour des ressources humaines et numériques présentes dans le dispositif de formation. Ces ressources servent de «liant» pour contribuer au développement de l’autonomie d’apprentissage des apprenants.

Ainsi, les apprenants, en étant placés au coeur du dispositif, sont-ils ici acteurs de leur savoir et, contrairement au modèle présenté à la figure 1 – dans lequel le pilotage du savoir est assuré par l’enseignant – ont à présent la responsabilité de piloter tout ce qui est associé au pôle «savoir» (contenu, progression, évaluation…); le savoir, quant à lui, se trouve au croisement de trois pôles imbriqués sur un plan vertical (pédagogique, institutionnel et professionnel), tout en étant situé aux confins d’une multitude de disciplines (tissage) sur un plan horizontal (figure 2). L’intitulé «savoir» fait d’ailleurs en réalité référence dans l’expérimentation à savoir, savoir faire et savoir-être et reste central, dans la mesure où il constitue l’objectif à atteindre pour les apprenants. Par ailleurs, comme le processus d’appropriation est conditionné, d’après les socioconstructivistes, par la maturité des processus cognitifs, un accompagnement a été prévu dans le dispositif pour permettre, autant que possible, aux apprenants de développer leur autonomie d’apprentissage. Pour ce faire, une consigne a été posée par l’enseignant (point de départ de travail de construction du savoir) et l’environnement de travail proposé – en tant que moyen de résolution des consignes – invitait les apprenants à mettre en oeuvre diverses stratégies d’étayage en ligne et hors ligne, dans le cadre d’une atmosphère de travail simulant un cadre professionnel réel, pour réaliser une tâche.

5. Discussion

L’étude proposée montre que l’entrée de l’Internet sur la scène de la pédagogie permet à la didactique d’élargir son champ d’action aux horizons du cyberespace – dans lequel le paramètre «espace-temps» est ancré dans une réalité virtuelle obéissant à une dimension du fait social caractérisée par de nouvelles «manières d’agir, de penser et de sentir, extérieures à l’individu» (Durkheim, 1988, p. 97) qui offre l’opportunité d’incorporer, au sein des environnements pédagogiques, des pratiques innovantes visant l’accompagnement du développement de l’autonomie d’apprentissage des étudiants.

En vue d’appuyer ces pratiques, dans la suite de cette expérimentation, nous pensons qu’il pourrait être utile d’avoir recours au concept de zone proximale de développement (ZPD), issu des travaux de Vygotski (1934/1997), en raison des notions de «médiation formative», «médiation instrumentale», «développement», «autonomie» et «capacité à agir» que ce dernier met en synergie et qui font largement écho aux concepts que nous avons sollicités au cours de cette étude. Le concept de ZPD nous conduira peut-être à aborder la question de l’accompagnement du développement de l’autonomie d’apprentissage sous de nouveaux angles:

  1. les processus de développement décrits par Vygotski en contexte de classe sont-ils transposables dans le cadre d’activités en ligne? Comment le Web 2.0 peut-il promouvoir le développement de la ZPD des étudiants?

  2. le rôle «ressource» joué par l’enseignant (éveiller les processus de développement) et les possibilités offertes par le Web 2.0 (interactions avec les pairs en ligne, par exemple) facilitent-ils l’autonomie d’apprentissage?

  3. quel potentiel un enseignement intégrant le numérique détient-il pour promouvoir le développement de l’autonomie d’apprentissage des apprenants?

En l’état, la présente étude a permis d’obtenir des résultats qui semblent encourageants pour faciliter le développement de l’autonomie d’apprentissage des apprenants dans un cadre expérimental donnant à l’enseignant la possibilité d’innover et questionnant le potentiel du numérique dans son adaptation aux contraintes imposées par la professionnalisation des étudiants et des enseignants.

6. Conclusion

Dans cet article, nous avons mené une exploration conjointe des processus propres à un travail autonome dans un dispositif d’apprentissage médiatisé et des formes d’accompagnement mises en oeuvre par un enseignant pour soutenir l’autonomie d’apprentissage d’informateurs dans le contexte singulier des IUT. En proposant une modélisation de l’accompagnement à l’autonomie à l’ère du Web 2.0, cet article a permis de poser les fondations d’une réflexion portant sur la définition du rôle de l’enseignant à l’aune des enjeux socioéducatifs actuels. Entre travail individuel et collectif, entre autonomie et socialisation, entre apprentissage théorique et professionnalisation, l’accompagnement de l’enseignant semble être la clé pour faciliter le développement de nouvelles capacités à agir: place du savoir comme central et relayé par d’autres macro-préoccupations organisées selon des pôles qui rapprochent attentes universitaires (contenus dans le PPN), volonté de se professionnaliser (projet professionnel) et expertise de l’enseignant dans une discipline donnée (dispositif de formation). Si l’augmentation du champ de l’agir professoral (Cicurel, 2011) à l’ère du numérique offre à cet égard à l’enseignant un large panel de solutions d’accompagnement pouvant être intégrées à des situations pédagogiques diverses (dont certaines restent à inventer) pour favoriser le développement de l’autonomie de chacun, la suite du projet nous conduira sans doute à explorer cette question en prenant appui sur la notion de ZPD.