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1. Introduction

Si l’enseignant tend à développer chez ses élèves des savoirs textuels, syntaxiques, lexicaux, etc., il doit aussi tenir compte du fait que «ces compétences langagières n’épuisent pas le champ de ce qui est nécessaire pour décider d’écrire, pour aimer écrire, pour produire des textes efficaces, pour utiliser l’écriture à des fins non seulement de transcription mais aussi d’élaboration de savoirs, etc.» (Barré-De Miniac, 2008, p. 14). Dès lors, le rapport à l’écrit, comme composante à part entière de la compétence scripturale, semble prendre une place prépondérante dans la dynamique d’écriture. Ces conceptions et représentations de l’écrit sont élaborées très tôt par les enfants, comme le signale Barré-De Miniac (2002), et permettent de considérer le scripteur dans ses dimensions affective, cognitive, sociale et culturelle.

À partir de cela, et constatant aussi le manque de données sur les perceptions des jeunes élèves face à leur(s) tâche(s) d’écriture, nous nous sommes intéressés à la question du rapport à l’écrit des scripteurs dans les dernières classes de l’enseignement primaire. La visée de cet article est ainsi de présenter une partie des résultats obtenus au cours d’une recherche portant sur le développement scriptural des élèves de cinquième et sixième années primaires (10 à 12 ans) inscrits dans des écoles belges, à travers un dispositif appelé Itinéraires (Colognesi, 2015). Dans cette étude, nous avons expérimenté ce dispositif, qui met l’accent sur le processus d’écriture-réécriture, dans deux classes d’élèves (38 au total), sur une durée de trois semaines, et avons également mobilisé une classe contrôle de 18 élèves de même âge. Nous avons ainsi récolté au total 260 productions écrites (les versions initiales, intermédiaires et finales), enregistré et retranscrit toutes les séances de classe ainsi que les interactions entre élèves. Une étude quantitative a été menée pour déterminer les progrès des élèves d’une réécriture à l’autre en regard des différentes composantes de la compétence scripturale. Nous avons également analysé qualitativement les enregistrements des interactions pour comprendre l’impact des activités prévues par le dispositif (étayages, interactions entre pairs et médiations métacognitives) sur les productions écrites. Nous avons enfin réalisé des études de cas afin de déterminer le rôle que jouent les médiations métacognitives amenées par l’enseignant dans le développement du rapport à l’écrit, et principalement de sa dimension métascripturale. C’est cette partie que nous présentons ici.

2. Cadre conceptuel

La notion de rapport à l’écrit est relativement récente, au point qu’elle est, d’après les rencontres que nous avons avec les enseignants, méconnue par eux, alors que, comme l’expliquent Chartrand et Prince (2009, p. 317), «comprendre le rapport à l’écrit des élèves est essentiel pour agir sur le développement de leurs capacités langagières, clé de voute du développement intellectuel, de la réussite scolaire et de l’épanouissement personnel et social».

2.1 Évolution de la notion

Selon Lafont-Terranova (2009, p. 85), en didactique de l’écriture, les expressions «représentations» et «rapport à l’écriture» ont été employées «concurremment ou de façon complémentaire pour désigner la relation complexe que le sujet entretient avec l’écriture»[1].

La notion de rapport à l’écriture, empruntée aux sciences de l’éducation, a évolué avec le temps. Nous prenons, à l’instar d’autres auteurs, les travaux de Barré-De Miniac comme référence dans le domaine. L’auteure (2000) exprime que le rapport à l’écriture est «un ensemble touffu, complexe, fait d’une multitude de variables entremêlées» (p. 13). Elle le considère comme le lien entre le sujet écrivant et l’objet écriture dans le sens où le rapport à l’écriture est «l’ensemble des significations construites par le scripteur à propos de l’écriture, de son apprentissage et de ses usages» (2002, p. 29). En effet, il désigne «des conceptions, des opinions, des attitudes, de plus ou moins grande distance, de plus ou moins grande implication, mais aussi des valeurs et des sentiments attachés à l’écriture, à son apprentissage et à ses usages» (2000, p. 13).

Dans cette perspective, Barré-De Miniac, pour qui l’introduction de la notion de rapport à l’écriture en didactique de l’écriture vient des constats des difficultés et/ou des peurs des élèves à produire de l’écrit, insiste sur les aspects cognitifs qui lient le sujet à l’écriture mais aussi sur les aspects affectifs, culturels et sociaux et décline ainsi le rapport à l’écriture en quatre dimensions (Barré-De Miniac, 2008): l’investissement de l’écriture, les opinions et attitudes par rapport à l’écriture, les conceptions de l’écriture et de son apprentissage, et les modes de verbalisation des procédures d’écriture. Niwese (2010) parle de cette dernière dimension sous les termes de dimension métascripturale.

Chartrand et Blaser (2008)[2] ont emprunté la notion de rapport à l’écriture aux travaux de Barré-De Miniac et l’ont élargie au rapport à l’écrit, en insistant plus particulièrement sur l’écriture associée à la lecture, étant entendu que lire et écrire sont indissociables et vont au-delà de la discipline «français».

Chartrand, Blaser et Gagnon (2006), dans leur conceptualisation du rapport à l’écrit, ont défini les dimensions affective, axiologique et conceptuelle (ou idéelle) correspondant à l’investissement de l’écriture (dimension affective), aux opinions et attitudes par rapport à l’écriture (dimension axiologique), et aux conceptions de l’écriture et de son apprentissage (dimension conceptuelle) de Barré-De Miniac. De plus, les auteurs ont ajouté la dimension praxéologique, absente chez Barré-De Miniac qui «ne considère pas que les pratiques d’écriture font partie du rapport à l’écriture du sujet, pas plus que du sujet» (Chartrand et Blaser, 2008, p. 113).

Dans le cadre de cette recherche, et pour la suite de nos propos, nous nous référons à la fois aux travaux de Barré-De Miniac et à ceux de Chartrand et al., considérant que les notions de rapport à l’écriture et de rapport à l’écrit sont relativement proches. Nous employons désormais le terme plus large de «rapport à l’écrit», en nous centrant sur la dimension métascripturale (Barré-De Miniac, 2000; Niwese et Bazile, 2014) qui s’ajouterait aux dimensions déjà mentionnées par Chartrand et al. (2006).

2.2 La dimension métascripturale

Cette dimension renvoie aux verbalisations possibles que les sujets font émerger à propos de leurs pratiques. Il s’agit en fait, selon Falardeau et Grégoire (2006, p. 35), de «la façon dont les scripteurs parlent de leurs démarches d’écriture». Par conséquent, cette dimension concerne la verbalisation des pratiques des écrivants, leurs choix, l’état de leur travail, les difficultés qu’ils rencontrent, les solutions qu’ils choisissent, etc. Ces verbalisations ne se font pas naturellement ni de manière spontanée. Ainsi, pour permettre aux scripteurs de verbaliser leur cheminement, l’enseignant mais aussi les pairs peuvent jouer un rôle majeur par le biais des médiations métacognitives proposées au fil du processus d’écriture. Signalons que, selon Reulier (2013), le fait de verbaliser ses connaissances et ses procédures, dans le cadre d’activités collaboratives, peut avoir une influence sur le développement même de ces connaissances et procédures grâce aux apports des pairs.

Concernant les théories de la métacognition, deux branches d’études distinctes apparaissent. La première renvoie au savoir métacognitif mis en évidence par Flavell (1987), c’est-à-dire le savoir déclaratif qu’une personne a sur elle-même, sur les tâches qu’elle a à accomplir, les stratégies dont elle dispose, et les interactions entre ces trois éléments. La seconde branche d’étude, laquelle nous intéresse particulièrement, renvoie au savoir procédural qu’une personne mobilise pour réguler ses activités de résolution de problèmes et d’apprentissage (Veenman, Van Hout-Wolters et Afflerback, 2006, p. 4). Pour réaliser cela, des opérations métacognitives – ou compétences métacognitives – (Colognesi et Van Nieuwenhoven, 2016; Efklides, 2008) peuvent intervenir avant, pendant et après la tâche. Elles sont au nombre de six: orienter, planifier, vérifier, réguler, évaluer et autoréguler. Lorsqu’elles portent sur la production écrite, il s’agit d’opérations métascripturales. Ainsi, les écrivants vont pouvoir s’exprimer et réguler leurs activités avant, pendant et après la situation d’écriture en répondant aux questions sollicitées par l’enseignant ou les pairs.

2.2.1 Orienter et planifier

Avant d’entrer dans la tâche d’écriture, pour anticiper ses actions, l’élève peut faire appel à deux opérations métacognitives: l’orientation et la planification. L’orientation permet à l’écrivant de se fixer, en fonction de la consigne/du projet, identique pour tous, des buts personnels à atteindre. On demandera à l’élève d’identifier un objectif personnel, par exemple à quoi il veut arriver, quels buts il se donne, pour qui il écrit, dans quelle intention, etc. La planification, quant à elle, consiste, par une représentation correcte de l’activité à réaliser, à analyser la tâche et les informations dont on dispose pour effectuer «un relevé des stratégies disponibles, [à] prévoir comment procéder, [à] déterminer les étapes de la réalisation» (Portelance, 1999, p. 45). On pourrait alors faire dire à l’écrivant comment il pense procéder, par quelles étapes il va passer, la démarche qu’il va entreprendre pour arriver à ses buts, etc.

2.2.2 Vérifier et réguler

En cours d’écriture, mettant en avant les composantes d’explicitation, de décentration, d’autoquestionnement et de régulation, les compétences de vérification et de régulation vont intervenir. Ainsi, vérifier, c’est amener le scripteur à expliciter les erreurs qu’il détecte, à trouver les écarts entre les actions qu’il réalise et la planification imaginée. La régulation, quant à elle, amène à observer et à analyser sa démarche, à la justifier ou à l’ajuster si nécessaire (Colognesi et Van Nieuwenhoven, 2016). C’est aussi permettre à l’individu d’expliciter ses choix, les arguments qu’il convoque pour effectuer les modifications qu’il applique.

2.2.3 Évaluer et autoréguler

Ces deux dernières compétences, afférentes aux composantes d’autoévaluation et d’explicitation, sont rassemblées, car, même si l’évaluation peut s’activer tout au long de la tâche d’écriture, elles viennent toutes deux en fin de travail. Ainsi, la compétence d’évaluation amène le scripteur à interroger l’objectif qu’il s’est fixé, les stratégies activées au fil de l’écriture, la planification imaginée, etc., faisant ainsi le point sur la réalisation de la tâche. La compétence d’autorégulation, quant à elle, suppose un recul plus large que la tâche juste terminée. En effet, il s’agit alors de regarder le processus dans son ensemble, mettant ainsi en avant les forces et les limites de celui-ci, mais aussi les éventuelles modifications à apporter pour améliorer la rapidité et l’efficacité de l’exécution de la tâche.

2.3 Le rôle de l’enseignant dans le développement de la dimension métascripturale

Pour développer la dimension métascripturale, des médiations métacognitives avant, pendant et après l’écriture semblent nécessaires. En effet, pour qu’un individu comprenne ses processus internes, étant donné que la métacognition ne va pas de soi et n’est pas spontanée, comme le met en évidence Portelance (1999), il faut nécessairement passer par une interaction sociale initiée par l’enseignant. Les médiations métacognitives peuvent se focaliser, selon Efklides (2008), sur trois aspects: les sentiments (familiarité de la tâche, difficultés, sensation de plaisir, etc.), les jugements métacognitifs (estimation de l’exactitude des réponses apportées, de l’effort fourni, du temps requis, etc.), les connaissances pendant le processus d’écriture spécifiques à la tâche (ce qu’un scripteur prend en compte quand il écrit).

L’enseignant peut proposer des médiations métacognitives variées et adaptées au moment, sous forme de questionnement en lien avec les six compétences déployées supra. Ces «prompts métacognitifs», expression utilisée par Gagnière (2010), sont orientés soit sur le processus par la verbalisation des planifications, les stratégies, les erreurs repérées, etc., soit sur les justifications des actions effectuées.

L’enseignant peut aussi utiliser le principe des «alloconfrontations» entre pairs. Gagnière (2010) explique qu’il s’agit de permettre «une modification des représentations par la prise de distance opérée face à sa propre activité du fait de la confrontation à l’activité d’un autre, qui, en agissant autrement, permet de comparer, d’évaluer et de justifier ses propres procédures» (p. 105). Concrètement, les écrivants sont invités, sans montrer leur texte, à partager avec un ou plusieurs pairs-auteurs l’état d’avancement de leur écrit, les questions qu’ils se posent, les difficultés qu’ils rencontrent, les stratégies qu’ils mobilisent, les étapes par lesquelles ils passent, etc.

En conséquence, il nous semble que la médiation métacognitive, qu’elle soit apportée par l’enseignant ou par les pairs, peut jouer un rôle dans l’amélioration de la dimension métascripturale, que nous estimons être, à la suite d’autres auteurs, une des composantes du rapport à l’écrit. Étant donné que les pratiques verbalisées (métascripturales) vont concerner les dimensions affective, axiologique, conceptuelle et praxéologique du rapport à l’écrit, il s’agit d’une composante qui peut également avoir une influence sur le développement global de ce rapport. Les objectifs de notre étude sont donc, d’une part, de comprendre si la médiation métacognitive renforce le développement de la dimension métascripturale (qui concerne les processus mis en jeu dans une pratique d’écriture tandis que le métacognitif englobe d’autres dimensions non spécifiques contribuant au développement de connaissances) et, d’autre part, de voir si et de quelle manière les autres composantes du rapport à l’écrit se modifient.

3. Questions de méthodologie

Nous présentons ici succinctement le dispositif proposé aux élèves ainsi que l’échantillon, les modalités de recueil et de traitement des données en justifiant les choix effectués en regard des objectifs.

3.1 Le dispositif proposé aux élèves: Itinéraires

Le dispositif Itinéraires (Colognesi, 2015) s’appuie sur l’analyse contrastée de deux dispositifs d’écriture existants (Colognesi et Lucchini, 2016): le chantier d’écriture (Jolibert, 1988) et l’atelier d’écriture (Lafont-Terranova, 2009; Niwese, 2010). Il procède par des réécritures successives permettant à l’élève de faire progresser une rédaction initiale vers une version finale dont le scripteur est satisfait. Presque trois semaines sont nécessaires au déploiement complet du processus d’écriture, à raison d’une séance par jour. Pour permettre les progrès, trois types d’activités sont prévues entre les différentes réécritures: des étayages amenés par l’enseignant et liés au genre de texte à produire; des temps de partage de productions entre pairs pour donner des rétroactions aux auteurs; des médiations métacognitives avant, pendant, après les différents moments de travail des textes. La figure 1 donne une vue d’ensemble du dispositif vécu par les élèves et montre l’alternance entre les étayages et les temps de partage entre pairs, ainsi que la transversalité des médiations métacognitives.

Figure 1

Dispositif Itinéraires vécu par les élèves

Dispositif Itinéraires vécu par les élèves

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Dans le cas qui nous occupe, la tâche d’écriture proposée aux élèves était de rédiger un avis de recherche permettant de retrouver leur doudou d’enfance. Les étayages offerts par l’enseignant ont porté sur la comparaison d’avis de recherche modèles pour que les élèves déterminent la superstructure du texte, sur les anaphores pour qu’ils évitent les répétitions du nom du personnage ainsi que sur le lexique approprié à la description physique d’un individu pour qu’ils enrichissent le vocabulaire de leur texte. Chaque étayage a fait l’objet d’une ou deux séances de 50 minutes. L’expérimentation a eu lieu en avril 2015.

3.2 Échantillon

Si nous avons expérimenté le dispositif dans plusieurs classes[3], ainsi que dans une classe contrôle, nous avons choisi, pour étudier le rapport à l’écrit, de nous centrer sur la classe appartenant à un établissement bruxellois d’indice socio-économique égal à 1[4] et comportant 22 élèves de 10-11 ans (cinquième primaire, 9 filles, 13 garçons). En effet, comme le signale Lahire (2008), il s’agit d’une population dont le rapport à l’écrit ne coïncide à priori pas avec les exigences scolaires et est donc susceptible d’évoluer. Conformément à la composition scolaire de ce type d’établissements, plusieurs nationalités cohabitent dans cette classe: belge, polonaise, marocaine, française, grecque, italienne, américaine. Leur moyenne au bulletin dans la compétence Savoir-écrire avant l’expérimentation est de 69 %.

Dans ce groupe, nous avons procédé à quatre études de cas; les quatre élèves ont été sélectionnés pour leurs profils bien distincts (tableau 1).

Tableau 1

Profil des quatre élèves sélectionnés pour l’étude de cas[5][6]

Profil des quatre élèves sélectionnés pour l’étude de cas56

Tableau 1 (suite)

Profil des quatre élèves sélectionnés pour l’étude de cas56

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3.3 Techniques de recueil et de traitement de données

Nous avons proposé des médiations métacognitives sous forme de questions aux quatre élèves avant, pendant et après les cinq activités de production de textes (première écriture et réécritures).

Avant et après la tâche d’écriture, les élèves étaient invités à s’isoler dans le couloir (pour éviter tout biais de désirabilité sociale) et à répondre dans un dictaphone aux questions suivantes[7]:

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Nous avons ainsi récolté et retranscrit pour chaque élève dix enregistrements de longueur variable: cinq avant les temps d’écriture et cinq après les temps d’écriture.

Pendant les cinq temps d’écriture, les questions suivantes ont été posées aux quatre élèves par le chercheur ou l’enseignant, installé à côté d’eux. Les échanges, d’une durée d’un peu plus de cinq minutes chacun, ont été également enregistrés et retranscrits.

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Les temps d’écriture ont également été interrompus par des temps d’alloconfrontation où les élèves ont échangé deux par deux sur la base des quatre questions ci-après:

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Là encore, les échanges, d’une durée d’un peu plus de cinq minutes chacun, ont été enregistrés et retranscrits.

Signalons que cette dernière activité a été proposée à tous les élèves de la classe, de même que des temps collectifs de métacognition à l’issue de chaque activité de l’Itinéraire (les temps de production, les étayages, les moments d’échange entre pairs). Les questions posées, reprises ci-dessous, ont été notées au tableau par l’enseignant qui a laissé quelques instants aux élèves pour y réfléchir individuellement et qui a invité ensuite plusieurs volontaires à y répondre.

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L’ensemble des données recueillies a fait l’objet d’une analyse de contenu qui a permis de mettre au jour l’évolution de la dimension métascripturale des élèves, en termes d’étendue et de qualité des réponses. Nous avons opté pour une analyse purement qualitative, en nous intéressant essentiellement au contenu des réponses dans le but non seulement de mettre en évidence l’émergence ou l’évolution de la dimension métascripturale, mais également sa relation avec les autres dimensions du rapport à l’écrit: la dimension affective (dans la mesure où les propos des élèves relatent leurs sentiments, leurs émotions, leur investissement dans l’écriture); la dimension conceptuelle (dans la mesure où la verbalisation va porter sur la conception de l’écriture et de son apprentissage); la dimension axiologique (dans la mesure où la verbalisation va porter sur les opinions, les attitudes, les valeurs associées à l’écriture); la dimension praxéologique (dans la mesure où les dires des élèves vont porter sur les activités d’écriture qu’ils font).

4. Présentation des principaux résultats

4.1 La médiation métacognitive renforce la dimension métascripturale, composante du rapport à l’écrit

De façon générale, il ressort de cette étude le fait que les scripteurs (quel que soit leur profil) parlent difficilement de leurs pratiques au début du processus, tant dans les moments d’alloconfrontations entre pairs que dans les médiations amenées par l’enseignant. En effet, ils ne savent pas nécessairement quoi répondre aux interpellations qu’on leur fait et ils ont probablement peu à dire à ce moment de l’expérimentation, en raison également du fait que le thème d’écriture est imposé. Mais, au fil de l’expérimentation, on assiste à une amélioration des verbalisations des pratiques d’écriture chez les élèves: leurs mots, leurs manières de parler d’eux, de leurs stratégies, de la justification de leurs choix sont de plus en plus précis, en lien avec les enseignements qu’ils ont reçus entretemps.

L’extrait 1 donne à voir un exemple d’évolution, dans la durée, des propos des quatre élèves suivis. Il s’agit d’une comparaison entre les réponses apportées à la question «qu’es-tu en train de faire?» posée pendant l’écriture du premier jet et pendant la rédaction de la cinquième version du texte (juste avant la version finale).

Nous remarquons que, lors de la première écriture du texte, les élèves donnent des réponses brèves, peu étayées. Ils semblent manifester peu d’engagement, étant entendu que la tâche de départ est plutôt scolaire, ce qui peut expliquer qu’ils aient peu à dire. Quelque temps après, ils parlent spontanément plus longuement et arrivent à exprimer ce qu’ils pensent au moment de l’interpellation.

D’une manière générale, la sollicitation des écrivants tout au long du processus d’écriture, avant, pendant et après l’écriture des différentes versions, suscite des verbalisations (métascripturales) sur l’évolution perçue des textes et la valeur attribuée aux activités proposées. On passe ainsi d’un point de départ où peu d’éléments émergent, à des temps d’auto-analyse précis et détaillés qui font appel aux activités vécues et aux stratégies mises en place pour faire évoluer la production en cours.

En fin de parcours, les élèves arrivent non seulement à justifier les actions qu’ils accomplissent lorsqu’ils écrivent, mais aussi à porter un regard réflexif et critique sur leurs différentes réécritures (extrait 2).

Les propos de RO repris dans l’extrait 3 montrent également qu’il est en mesure de déterminer, en fin de dispositif, une série d’actions et de stratégies qu’il mobiliserait s’il devait réécrire un texte du même genre. Ces réponses ne sont pas propres à un seul élève, mais caractérisent l’ensemble des propos recueillis pour la totalité des élèves faisant partie de l’étude. Il est intéressant de signaler que, de cette manière, le transfert vers un nouveau texte est ainsi préparé puisque l’élève programme les stratégies utiles pour une réédition de la tâche, qui pourront être convoquées à ce moment-là.

Lorsqu’on analyse les données recueillies dans les temps d’alloconfrontations, nous remarquons que le phénomène est identique: au départ, les élèves s’expriment peu, mais ils deviennent de plus en plus assurés et précis au fil du processus, comme le montre l’extrait 4.

Tout au long de la mise en oeuvre du dispositif, il apparait donc que la verbalisation des pratiques est toujours plus riche. Cependant, la question suivante se pose: est-ce parce qu’on propose des médiations métacognitives que le métascriptural émerge ou bien émerge-t-il grâce au dispositif dans son ensemble, les médiations métacognitives n’étant que les révélateurs de ce qui a été produit par l’ensemble du dispositif?

Comme argument en faveur de la deuxième éventualité, nous relevons que les élèves s’expriment en utilisant les savoirs «frais» issus des étayages (extraits 5 et 6) et aussi en mobilisant les commentaires des pairs pour exprimer les modifications qu’ils effectuent (extrait 6). Ils les identifient donc explicitement comme étant les éléments qui leur ont permis de prendre conscience de leur pratique d’écriture et donc, on peut le supposer, de les verbaliser.

Cependant, les réponses des élèves, et en particulier celle de NI (extrait 6), qui est par ailleurs l’élève présentant les difficultés les plus importantes du point de vue de l’accès à l’écrit (tableau 1), semblent se construire au fur et à mesure à la suite de la question. Les élèves n’arrivent pas tout de suite à une formulation complète: les énumérations, les hésitations, les silences semblent indiquer que la verbalisation des pratiques se développe parce que des questions sont posées à ce sujet et que sans ces questions elle n’aurait pas eu lieu.

Bien entendu, si les médiations métacognitives facilitent, nous semble-t-il, l’émergence de la conscience des pratiques nécessaire à leur verbalisation, elles permettent également l’apparition de traces des effets du dispositif dans son ensemble, comme on peut le déceler dans ces deux derniers extraits, qui mentionnent le fait que les étayages amenés par l’enseignant et les interactions entre pairs ont fourni les contenus nécessaires aux différentes réécritures.

4.2 La dimension métascripturale joue sur les autres dimensions du rapport à l’écrit

Il nous semble que le fait d’avoir soumis les élèves à des médiations métacognitives tout au long du processus d’écriture a non seulement facilité le développement de la dimension métascripturale du rapport à l’écrit, et par là le rapport à l’écrit même car elle en est une des composantes, mais a également contribué à améliorer les autres dimensions dudit rapport.

En effet, la prise de conscience (et la verbalisation des pratiques) s’est faite non seulement sur les effets des activités proposées par le dispositif, mais également sur les autres composantes du rapport à l’écrit, qui prennent ainsi consistance et réalité: les dimensions conceptuelle (ce qu’est l’écriture) et axiologique (valeurs, opinions et attitudes vis-à-vis de l’écrit) ont évolué, jouant à leur tour un rôle sur la dimension affective. La manière d’aborder et de parler des textes change avec l’apparition de la perception d’utilité, de valeur du texte, de l’écrire pour être lu et compris, mais aussi l’apparition du plaisir et de l’enthousiasme à produire de l’écrit, amenée notamment par les retours positifs, la satisfaction personnelle et la fierté de voir son texte évoluer jusqu’au chef-d’oeuvre.

Ainsi, si on reprend les propos des élèves présentés dans l’extrait 1, plusieurs constats sont possibles. Par exemple, si NI répond dans les premiers échanges par «je ne sais pas», elle réussit par la suite à étoffer ses réactions. Elle parle de sens, met en avant la dimension sociale en valorisant les commentaires des autres et exprime par ses paroles sa posture d’auteur et l’intérêt d’être lue (dimension axiologique). RO, quant à lui, indique exécuter la tâche parce que c’est ce qui a été demandé par l’enseignant, mais aussi pour apprendre. Cette idée de réaliser une tâche d’écriture «par obligation» (dimension affective) disparait à la fin du dispositif au profit d’une autre conception, celle de la réécriture enrichie grâce à une série d’apports. Nous constatons une valorisation des apprentissages nouveaux, une perception d’évolution de ce qu’est l’écriture (dimension conceptuelle). AU parle de sens et qualifie une action comme bénéfique pour rendre meilleur son texte, elle exprime être contente de sa production (dimension affective). Enfin, SA dit au départ réaliser de manière très scolaire la consigne donnée. À la fin, en rappelant la consigne précise, elle indique que les étayages ont été utiles et qu’elle les exploite. Elle fait donc des liens entre les activités vécues et l’acte d’écriture qu’elle réalise, et semble parler de l’écriture comme un objet d’apprentissage (dimension conceptuelle).

De plus, les scripteurs verbalisent également ce qu’ils pensent de l’ensemble du processus d’écriture. On perçoit ainsi la prise de conscience de l’utilité des réécritures, qu’écrire ne se fait pas en une fois, que d’une réécriture à l’autre, des aménagements sont possibles et visibles (extraits 7 et 8). Ces aspects renvoient à la dimension conceptuelle: le fait d’avoir pris conscience des différents apprentissages générés par les réécritures et les activités qui y sont liées non seulement brise la représentation qu’écrire est un don ne relevant d’aucun apprentissage, mais aussi contribue à déconstruire la conception de l’écriture comme simple codage.

Ces différentes réponses font écho au dispositif Itinéraires. Par ailleurs, le fait que les élèves puissent verbaliser les apprentissages, l’aide possible et nécessaire, l’importance des réécritures, la nécessité d’avoir un texte correct à diffuser, etc., laisse apparaitre la prise de conscience des mécanismes nécessaires à l’écriture et rend visible la perception qu’écrire ne se fait pas tout seul, que les versions et les modifications sont nécessaires à partir du moment où la tâche est signifiante.

En conséquence, nous pensons, à la lumière de notre analyse, que la dimension métascripturale a une importance majeure sur le développement du rapport à l’écrit dans son ensemble.

5. Conclusion

À la suite de l’analyse réalisée, il émerge que les étayages proposés et les interactions entre pairs, suivis par les réécritures du texte initial, autrement dit les activités prévues par le dispositif, semblent être à même de modifier la perception de la tâche et du processus d’écriture (rapport à l’écrit). Il ressort également, nous semble-t-il, que les médiations métacognitives représentent un outil facilitant la prise de conscience (métascripturale) de cette perception et de son évolution dans la mesure où elles amènent les élèves à rendre explicites et consistants les bénéfices issus des activités.

D’abord, susciter la métacognition, c’est-à-dire faire exprimer les élèves avant, pendant et après la production, de manière systématique au fil des réécritures et grâce à des questions ciblées, amène les scripteurs à développer des habiletés métascripturales par la prise de conscience et la verbalisation de leurs pratiques. Ensuite, lorsque les élèves expriment la valeur des étayages, et notamment par le fait qu’ils sont lus par les autres qui réagissent au texte, la dimension conceptuelle du rapport à l’écrit se régule positivement. Lorsqu’ils verbalisent les ressentis par rapport aux consignes, les gains perçus d’une activité à l’autre, les améliorations constatées entre les versions, etc., cela joue sur la dimension axiologique. Le fait d’avoir réalisé des activités différentes des séances classiques d’écriture, dans la durée, et de l’avoir verbalisé, joue un rôle sur le développement d’un rapport renouvelé à l’écriture et contribue à modifier les pratiques des élèves, autrement dit la dimension praxéologique. Ce faisant, les réactions quant à la tâche d’écriture et aux réécritures sont de plus en plus positives, en relation avec les progrès verbalisés et l’accompagnement offert, ce qui contribue à développer la dimension affective du rapport à l’écrit.

Dès lors, les activités proposées et la réflexion portée sur celles-ci par les élèves influencent le développement d’un rapport à l’écrit plus riche. Cependant, il nous est difficile d’affirmer de façon ferme que la réalisation des tâches prévues par le dispositif, avec un accompagnement permettant les réécritures mais sans les médiations métacognitives, n’aurait pas eu le même impact sur le rapport à l’écrit. Une (in)validation expérimentale de cette hypothèse est à l’étude. En tout état de cause, les médiations métacognitives, par les questions posées, amènent à structurer, à mettre «en mots» les apprentissages et préparent ainsi au transfert des acquis vers de nouvelles productions écrites. Il nous semble dès lors intéressant, sur le plan didactique, de proposer ces questions structurantes à tous les élèves.