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1. Introduction

La littérature figure parmi les contenus les plus polémiques du cours de français, notamment à l’école secondaire, et ce, depuis qu’elle est enseignée (Rouxel, 2010). En effet, il n’existe pas de consensus – chez les enseignants, chez les didacticiens ou au sein de la population générale – au sujet du choix des oeuvres à faire lire aux élèves ni au sujet de ce que devraient être les finalités de l’enseignement prodigué autour de celles-ci. Plusieurs questions se posent également au sujet de la lecture littéraire (par opposition à une lecture «ordinaire») en contexte scolaire: quelle posture de lecture souhaitons-nous que les élèves adoptent lorsqu’ils lisent des textes littéraires à l’école, et quelle posture adoptent-ils d’emblée? Les chercheurs en didactique du français voient depuis quelques années une piste prometteuse d’exploration de ces questions dans les représentations des principaux acteurs de la relation didactique: les enseignants et les élèves. Plusieurs recherches (Beaudry, Vandermeerschen, Miquelon, Dubois et Marcotte, à paraitre; De Beaudrap, Duquesne et Houssais, 2004; Deshaies, 2013; Émery-Bruneau, 2010; 2011; 2014; Falardeau et al., 2009; Ulma et Winkler, 2010) ont apporté une meilleure connaissance des représentations des enseignants des contenus littéraires et de leur enseignement. La présente recherche vise à décrire les représentations des élèves de la littérature telle qu’envisagée dans la classe de français, ce qui peut orienter la sélection de corpus littéraires par les enseignants et permettre la mise sur pied de stratégies pédagogiques qui soient signifiantes pour les élèves et qui favorisent leurs apprentissages.

1.1 Pertinence de l’étude des représentations pour la didactique de la lecture littéraire

Le concept de représentation a été et est encore un objet de recherche dans plusieurs sciences humaines (Jodelet, 2003). Les représentations, des «ensemble[s] organisé[s] de cognitions relatives à un objet» (Flament, 1994, p. 47), produisent un «système d’anticipations et d’attentes[2]» (Abric, 1994, p. 22) qui module la perception qu’a le sujet de la finalité de la situation qui est l’objet des représentations. Les implications didactiques du concept sont patentes: les représentations qu’a un élève d’un contenu scolaire influencent directement la valeur qu’il lui attribue et la façon dont il l’abordera conséquemment (Abric, 1994; Jodelet, 2003). Cela est particulièrement vrai pour la didactique de la lecture littéraire, qui ne peut négliger les représentations des enseignants et des élèves en raison du «caractère socioculturel de l’activité du sujet lecteur» (Falardeau et al. 2009, p. 122).

En effet, les représentations des enseignants de la littérature, de la culture, de la lecture littéraire et des oeuvres littéraires influenceraient directement leur sélection des corpus scolaires et leurs pratiques d’enseignement (Beaudry Vandermeerschen, Miquelon, Dubois et Marcotte, à paraitre; De Beaudrap, Duquesne et Houssais, 2004; Deshaies, 2013; Émery-Bruneau, 2010; 2011; 2014; Falardeau et al., 2009; Ulma et Winkler, 2010). Les représentations des élèves de la littérature l’école, pour leur part, demeurent largement insondées, contrairement à leurs pratiques de lecture qui, elles, sont mieux documentées (Baudelot, Cartier et Detrez, 1999; Lebrun, 2004; Lebrun, Lacelle et Boutin, 2012; Sauvaire, 2013). Si Rouxel (1996; 1999) dresse un portrait des représentations de la littérature de collégiens et de lycéens, on remarque, depuis, un manque d’études au sujet des représentations qu’ont les élèves des corpus littéraires qui leur sont enseignés (Louichon et Rouxel, 2010).

2. Cadre théorique

L’enseignement de la littérature[3], qui s’insère parmi les autres contenus du cours de français secondaire québécois, concerne aussi bien le cadre historique et culturel des oeuvres choisies pour être données à lire et leur style, souvent exemplaire (Lacelle, 2008), que le «pourquoi lire?» et le «comment lire?», c’est-à-dire les finalités d’un tel enseignement et les postures de lecture que les enseignants peuvent amener leurs élèves à adopter afin de leur permettre de devenir à la fois amateurs et connaisseurs de littérature (Richard, 2006). Ces trois éléments (corpus, finalités et postures de lecture) ont ainsi été approfondis en vue d’être opérationnalisés pour les besoins de notre recherche.

2.1 Corpus, finalités et représentations de la littérature

D’après la célèbre boutade de Barthes (1969), «[l]a littérature, c’est ce qui s’enseigne, un point c’est tout!» (p. 64); les débats entourant la littérature à l’école concernent en effet souvent ce qui est lu dans le cadre du cours de français. Les questions entourant la littérature et la littérarité sont bien sûr au coeur de nombreux débats en didactique du français (Roy, 2008; Todorov, 2007), mais ces questions se traduisent souvent en termes de sélection et de prescription de corpus littéraires scolaires (Louichon et Rouxel, 2010), qui, elles, reposent sur la valeur supposée (littéraire ou didactique) de ces oeuvres.

Comme le relève Dufays (2010), si la sélection d’un corpus littéraire scolaire pose de nombreux problèmes relatifs aux choix à faire pour le constituer, la prescription de ce corpus à l’échelle nationale pose d’autres problèmes. Au Québec, les enseignants sont responsables de la sélection des oeuvres à faire lire à leurs élèves (MELS, 2009), ce qui entraine des expériences littéraires très variées chez les élèves selon les choix de leurs enseignants (Dezutter, Morissette, Bergeron et Larivière, 2005). Or, la question de la sélection d’un corpus littéraire scolaire est polémique. Une première conception est celle selon laquelle la transmission d’une culture commune est centrale dans l’enseignement de la littérature. En effet, pour certains, une idéologie de conservatisme patrimonial serait essentielle à l’éducation, les éducateurs étant responsables de la transmission du passé (Arendt, 1972; Williams, 1966). Une deuxième conception postule plutôt que la différenciation des corpus littéraires scolaires selon les capacités des élèves ou leurs origines socioculturelles serait préférable, puisqu’elle représenterait une façon de prévenir l’«homogénéisation culturelle» (Bantock, 1980, p. 52).

La question des finalités poursuivies par l’enseignement de la littérature à l’école secondaire est, elle aussi, loin de faire consensus (Canvat, 1997; Reuter, 2004; Richard, 2004). Richard (2004) identifie quatre grandes catégories de finalités à poursuivre par l’enseignement de la littérature et la lecture de textes littéraires au secondaire. Les finalités d’ordre psychoaffectif concernent «le plaisir et le gout de lire ainsi que la fonction cathartique de la lecture de textes littéraires» (p. 110). Ceux qui les préconisent misent sur l’expérience du lecteur et le plaisir qui en découlera pour développer la motivation à lire d’autres textes, ce que Canvat (1997) appelle l’habitus du lecteur. Les finalités d’ordre esthético-culturel «font de la classe de français un lieu spécifique d’acquisition de connaissances sur la littérature et la lecture de textes littéraires» (p. 119), ce que Canvat (1997) appelle les référents culturels communs. Les finalités d’ordre cognitivo-langagier concernent principalement l’acquisition de connaissances et de compétences linguistiques et langagières (Richard, 2004) et sont analogues à ce que Canvat (1997) désigne comme le développement d’habiletés techniques. Quant aux finalités d’ordres social et philosophique, elles «concernent tout ce qui touche la formation du citoyen pensant et responsable» (p. 80): la lecture de textes littéraires permettrait de présenter différentes visions du monde à l’élève pour l’aider à forger ses opinions, ses valeurs et sa personnalité. Dans le cadre de cette recherche, nous avons retenu la nomenclature de Richard (2004) pour nous référer aux différentes finalités de l’enseignement de la littérature susceptibles d’être endossées par les élèves. En ce qui concerne le groupe de finalités d’ordre social et philosophique, nous en faisons deux groupes de finalités distinctes, celles visant la compréhension du monde et celles visant la compréhension de soi, à la suite de Rouxel (1996), pour apporter cette précision à l’analyse de nos données.

2.2 Postures de lecture et lecture littéraire

En plus de celles portant sur les corpus et sur les finalités, la question de la lecture littéraire est également centrale dans les réflexions sur l’enseignement de la littérature en didactique du français. Elle concerne les postures de lecture que les lecteurs adoptent à la lecture de textes (Barthes, 1973; Eco, 1992; Picard, 1986; Riffaterre, 1983), la «lecture littéraire», que nous définissons ci-après, ne convoquant pas la ou les même(s) posture(s) que la lecture «ordinaire», qui s’y oppose. Dans le contexte de l’enseignement de la littérature, il s’agit donc de réfléchir aux postures de lecture adoptées par les élèves lorsqu’ils lisent des textes littéraires dans le cadre du cours de français, ou encore aux postures que leurs enseignants souhaitent leur apprendre à adopter.

Les deux modèles de lecture littéraire qui sont aujourd’hui largement utilisés en didactique du français définissent respectivement l’activité de lecture littéraire par un va-et-vient dialectique entre une posture de participation et une posture de distanciation (Dufays, Gemenne et Ledur, 2005) et par la réalisation de l’activité fictionnalisante du sujet lecteur, engendrée par la mise en oeuvre de divers mécanismes de son investissement subjectif (Langlade, 2001; 2004; 2008).

La posture de participation comporte notamment l’identification du lecteur aux personnages, son désir de voir progresser l’intrigue et d’en connaitre la fin. Il s’agit d’une lecture tributaire de l’émotion et de l’imagination, qui est généralement associée au plaisir de lire (Dufays, Gemenne et Ledur, 2005). La posture de distanciation, basée sur une lecture rationnelle du texte, vise moins l’abandon à l’illusion référentielle qu’une lecture symbolique. Cette posture permet de toucher au caractère poétique des textes et fournit un éclairage critique qui donne accès aux contenus culturels des oeuvres. Pour Dufays, Gemenne et Ledur, la véritable lecture littéraire ne peut se passer de l’une ou l’autre de ces postures. Selon Langlade (2008), la lecture littéraire survient lorsque le lecteur intègre l’univers de l’oeuvre et insère également dans celle-ci son propre imaginaire. La lecture de l’élève, ainsi devenue lecture subjective, nourrie de ses références culturelles (Sauvaire, 2011), lui permettrait de se représenter l’univers de l’oeuvre de manière cohérente et d’établir les inférences nécessaires à sa compréhension et à son interprétation du texte grâce à ses connaissances du monde (Jouve, 2004; Langlade, 2008; Sauvaire, 2011). Cette lecture subjective se réaliserait grâce à des mécanismes de l’activité fictionnalisante: l’activité imageante et auditive, qui procède par des visualisations et associations d’images mentales et de sons façonnés par le lecteur lors de la lecture du texte; l’investissement axiologique, qui survient lorsque le lecteur confronte le contenu du texte avec son propre système de valeurs; et la production fantasmatique, qui consiste en l’intégration de fantasmes ou de scénarios à travers lesquels le lecteur exprime des peurs, rêves et désirs tirés de son inconscient (Émery-Bruneau, 2010) dans l’univers fictionnel[4].

Dans la présente étude, nous définissons la lecture littéraire par l’adoption des postures de participation et de distanciation face aux textes (Dufays, Gemenne et Ledur, 2005) ainsi que par la mise en oeuvre de l’activité fictionnalisante, rendue possible par l’investissement subjectif du lecteur dans les textes en question (Langlade 2001; 2004; 2008). Ces éléments viennent ainsi s’ajouter aux différentes finalités de l’enseignement de la littérature et aux éléments de réflexion sur la constitution et la prescription de corpus littéraires scolaires comme objets au sujet desquels nous souhaitons connaitre les représentations des élèves.

2.3 Facteurs influençant le rapport à la lecture des enfants et des adolescents

Les représentations des enfants et des adolescents de la lecture et de la littérature s’inscrivent dans leur rapport à la lecture, qui englobe également, entre autres, leurs pratiques de lecture et leurs attitudes face à la lecture, à la littérature et aux livres. Ce rapport à la lecture (comme, plus largement, le rapport au savoir [Charlot, 1997]) se construit, souvent très tôt dans la vie, sous l’influence de nombreux facteurs sociaux. Le genre est souvent considéré comme le facteur principal d’influence sur le rapport à la lecture (Baudelot, Cartier et Detrez, 1999; Dubois, Dubois et Kahn, 1992; Lebrun, 2004). Dubois, Dubois et Kahn (1992) affirment que «c’est vrai, même si ça dérange, les filles constituent un meilleur public de lecteurs que les garçons» (p. 29), et l’étude de Lebrun (2004) rapporte 78,0 % de participantes ayant déclaré aimer «beaucoup» ou «moyennement» la lecture, contre 55,9 % des garçons interrogés (p. 84).

Le milieu socioculturel d’appartenance apparait comme le deuxième grand facteur d’influence. Selon Robine (2005), une majorité des élèves français issus des «classes culturellement défavorisées» (p. 22) ou «classes populaires» (p. 26) résisteraient à la lecture. Beaudelot, Cartier et Detrez (1999) remarquent également que «[l]es plus diplômés [lisent] davantage que les moins diplômés» (p. 16) et Lebrun (2004) observe que les élèves qui lisent plus de six heures par semaine dans le cadre de leurs loisirs font généralement partie d’une famille qui «jouit d’une certaine aisance économique» (p. 35) et où les deux parents sont lecteurs, ce qui constitue un troisième facteur d’influence (Dubois et al., 1992; Lebrun, 2004; Nadeau, 2004; Robine, 2005).

L’«exposition vivante au livre» (Dubois, Dubois et Kahn, 1992) constituerait le quatrième des principaux facteurs d’influence. Elle consiste en la présence de livres à la maison, surtout dans la chambre de l’enfant (Maga et Méron, 1990), que celui-ci peut manipuler et qui sont l’objet d’interactions entre l’enfant et les autres membres de la famille (Myre-Bisaillon, 2010; Dubois, Dubois et Kahn, 1992; Nadeau, 2004; Roberts, Jurgens et Bruchinal, 2005). L’exposition vivante au livre inclut ainsi également le fait de s’être fait lire des histoires régulièrement dans l’enfance, ce qui aurait un impact positif important sur le rapport à la lecture des enfants et des adolescents (Dubois, Dubois et Kahn, 1992; Nadeau, 2004). Ces quatre facteurs ont été pris en considération dans le cadre de notre recherche.

3. Méthodologie

3.1 Instrument de mesure

À l’instar d’autres études sur les pratiques et sur les représentations de la lecture et de la littérature (Baribeau, 2004; Beaudry, Vandermeerschen, Miquelon, Dubois et Marcotte, à paraitre; De Beaudrap, Duquesne et Houssais, 2004; Ulma et Winkler, 2010), nous avons choisi de regrouper les résultats au sujet des représentations des élèves par profils de représentations. Pour ce faire, nous avons créé un questionnaire à énoncés en deux étapes: la consultation d’experts de différents domaines (Presser et Blair, 1994), en l’occurrence une spécialiste de la didactique de la lecture littéraire et un spécialiste de l’analyse de classes latentes, sociologue de formation, et une passation de validation par le biais d’entretiens métacognitifs (Saris et Gallhofer, 2007) auprès de six élèves de 13 à 17 ans qui ne fréquentent aucune des écoles de notre échantillon.

Le questionnaire comporte a) 11 énoncés évaluant les quatre facteurs d’influence du rapport à la lecture (genre, milieu socioculturel, habitude de lecture des parents, exposition vivante au livre); b) huit énoncés mesurant les «représentations de la littérature»; c) sept énoncés mesurant les «représentations de la lecture littéraire». Les énoncés évaluant les représentations ont été élaborés à partir de notre cadre théorique et les participants devaient indiquer s’ils adhéraient aux représentations énoncées en encerclant «oui» ou «non»[5].

Tableau 1

Énoncés des sections 2 et 3 du questionnaire de recherche[6]

Énoncés des sections 2 et 3 du questionnaire de recherche6

Tableau 1 (suite)

Énoncés des sections 2 et 3 du questionnaire de recherche6

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3.2 Analyse de classes latentes

La population visée était les élèves montréalais du deuxième cycle du secondaire scolarisés en français, langue d’enseignement. Nous avons sollicité les élèves de trente classes de cinq écoles de la région de Montréal aux caractéristiques diversifiées: deux écoles publiques dont les élèves suivent en majorité le programme ordinaire, une école publique dont tous les élèves suivent le programme international (PEI) et sont soumis à un test d’admission, un collège privé et une école publique pour élèves de 16 à 21 ans, donc doubleurs ou raccrocheurs. Le taux de participation a été de 59,5 %, pour un total de 484 élèves participants, dont 60,3 % de filles (n=292; 39,7 % de garçons, n=192) et 66,3 % (n=321) d’élèves ayant identifié le français comme leur langue maternelle.

Les données issues des réponses fournies au questionnaire par les participants ont été compilées et le taux d’adhésion à chaque énoncé a été calculé. Les données ont ensuite été soumises à une analyse de classes latentes, conduite au moyen du logiciel Latent GOLD 5.0, qui s’appuie sur la méthode du maximum de vraisemblance (Vermunt et Magidson, 2005). L’analyse de classes latentes est une méthode d’analyse statistique qui permet de discerner des classes de participants qui présentent des profils de réponses similaires au sein d’un échantillon hétérogène (Laska, Pasch, Lust, Story et Ehlinger, 2009). L’analyse de classes latentes présuppose l’existence de différentes classes, ou profils, d’individus au sein d’un groupe (Althoff, Rettew, Boomsma et Hudziak, 2009). Le regroupement des participants en classes est fondé sur la similarité des patrons de réponses aux énoncés du questionnaire (Oser, Hooghe et Marien, 2012).

L’analyse de classes latentes est de plus en plus préférée aux autres types d’analyse de classification en raison des nombreux avantages qu’elle présente, notamment un plus petit taux de classements erronés et la disponibilité d’indices d’ajustement permettant de déterminer le nombre optimal de classes pour décrire l’échantillon (Magidson et Vermunt, 2002; Oser, Hooghe et Marien 2012). Ces indices d’ajustement comprennent le log de vraisemblance (LL), le rapport de vraisemblance (L2), le nombre de paramètres (Npar), les degrés de liberté (dl), la valeur p ainsi que les critères d’information d’Akaike (CIA) et de Bayes (CIB) (Vermunt et Magidson, 2005). Une solution optimale présente un CIA et un CIB plus faibles que les autres solutions étudiées (Laska, Pasch, Lust, Story et Ehlinger 2009; Üstünlüoğlu et Güngör-Culha, 2012).

Nous avons testé les modèles comportant de une à sept classes, avons comparé les indices d’ajustement et avons comparé les solutions à partir de tests de rapport de vraisemblance obtenus par rééchantillonnage (bootstrap likelihood ratio test) pour vérifier pour chaque solution si l’ajout d’une classe contribuait à augmenter sa qualité d’ajustement (Nylund, Muthén et Muthén, 2007). Le Tableau 2 présente les sept modèles testés et détaille, pour chacun, les indices qui permettent de comparer les modèles entre eux afin de déterminer celui qui décrit le mieux notre échantillon. La valeur de l’entropie est aussi rapportée pour chacun des modèles. Une solution avec une entropie élevée indique une séparation plus nette entre les classes et, par conséquent, une moindre erreur de classification. Les sept modèles testés possèdent un degré de séparation pouvant être qualifié de moyen (Bakk, Tekle et Vermunt, 2013).

Tableau 2

Indices d’ajustement pour chacun des modèles testés

Indices d’ajustement pour chacun des modèles testés

Note : *Une valeur p significative indique que la solution (k) est significativement mieux ajustée aux données que celle contenant une classe en moins (k-1). CIB = Critère d’information de Bayes. CIA = Critère d’information d’Akaike.

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La solution à quatre classes a été retenue, puisqu’elle présente les valeurs CIB et CIA les plus faibles. La valeur du CIA continue à diminuer pour les solutions à cinq et six classes, mais le CIA tend à surestimer le nombre de classes optimal (Laska, Pasch, Lust, Story et Ehlinger, 2009). Les tests de rapport de vraisemblance indiquent également qu’entre les modèles comportant une à quatre classes, l’ajout d’une classe supplémentaire améliore de façon statistiquement significative l’ajustement du modèle. Bien que les solutions à plus de quatre classes offrent également une amélioration significative du modèle, elles n’ont pas été retenues par souci de parcimonie (elles présentent un plus grand nombre de paramètres (Npar) ainsi qu’un nombre moindre de degrés de liberté [dl]) et d’interprétabilité.

La solution à quatre classes offre ainsi l’équilibre souhaitable entre les différents indices d’ajustement du modèle. De plus, elle permet de retenir le plus d’indicateurs (14/15) comme statistiquement significatifs pour décrire les patrons de réponse. Du point de vue didactique, chacune des autres solutions nous aurait privée de l’éclairage de certains indicateurs pour interpréter nos données. L’indicateur qui a dû être retiré de la solution est l’indicateur «La lecture de livres dans le cours de français vise principalement l’amélioration de la compétence en lecture des élèves», qui est endossé à hauteur de 84,7 % dans l’échantillon. Dans toutes les solutions, il a été endossé par une majorité de répondants et ne variait pas significativement entre les classes. Il a donc été retiré de l’analyse statistique des patrons de réponses. Les données sociodémographiques qui étaient significativement associées à la probabilité d’appartenir à une ou plusieurs classes ont été intégrées au modèle comme des prédicteurs de la solution.

3.3 Considérations éthiques

Les participants ont signé un formulaire de consentement avant de participer à cette recherche, de même que leurs parents ou tuteurs, les informant de sa nature, de son but et de ses modalités ainsi que de leurs droits et de ceux de leurs enfants en tant que participants. La recherche s’est vu octroyer un certificat de déontologie par le sous-comité à l’admission et à l’évaluation de l’unité des programmes d’études de cycles supérieurs du Département de didactique des langues de l’Université du Québec à Montréal.

3.4 Limites de la recherche

Certaines limites doivent être soulignées. Cette recherche s’appuie sur un échantillon non probabiliste et ses résultats ne sont pas généralisables à l’ensemble des élèves du deuxième cycle du secondaire scolarisés en français langue d’enseignement. Des biais de sélection existent aussi en raison des réalités du milieu scolaire. Dans les écoles fréquentées par un plus grand nombre d’élèves en difficulté, moins d’enseignants ont été disposés à nous accueillir dans leurs classes. Il est impossible d’évaluer l’ampleur de ce biais de sélection ou d’en connaitre les causes exactes, mais il influence certainement la surreprésentation d’élèves favorisés dans cet échantillon et, de ce fait, la composition des profils ainsi que leur poids relatif les uns par rapport aux autres. En outre, certains élèves (légèrement plus de garçons que de filles) ont omis de rapporter le formulaire de consentement parental à temps pour la collecte de données. Pour cette raison, ils n’ont pu participer à l’étude, introduisant ainsi un biais d’autosélection et de motivation. L’inclusion de ces élèves aurait pu révéler une solution distincte ou augmenter le poids de certains profils identifiés.

Dans la mesure où les élèves ont été interrogés sur leurs représentations d’un contenu scolaire à l’école, il est possible qu’un biais de désirabilité sociale existe (Gaudreau, 2011).

Certaines limites de notre instrument de mesure des représentations, qui n’a pas été conçu pour mesurer toutes les représentations possibles des élèves de la littérature en classe de français ni l’ensemble des facteurs d’influence de ces représentations, doivent être soulignées. Entre autres, les pratiques de lecture privées des élèves et les représentations et pratiques effectives de leurs enseignants n’ont pas fait l’objet de cette recherche. Enfin, notre approche statistique, bien que comportant moins de limites que d’autres méthodes d’analyse de classification, présente certaines limites inhérentes aux méthodes quantitatives. Ici, les représentations étant prédéterminées par les énoncés auxquels les participants doivent dire s’ils adhèrent ou non, l’univers de contenu couvert par le questionnaire est non-exhaustif et les élèves sondés ne sont ainsi pas en mesure d’exprimer d’autres représentations que celles que nous avons incluses au questionnaire. De plus, pour optimiser le regroupement par profils, nous avons forcé les participants à dire si, «oui» ou «non», ils adhéraient aux représentations figurant dans le questionnaire, ce qui a pu les empêcher d’exprimer des nuances sur l’une ou l’autre des représentations, par exemple un endossement partiel ou à certaines conditions.

4. Quatre profils de représentations distincts

Le Tableau 3 présente la probabilité d’appartenir à chacune des classes, à savoir la représentation en pourcentage de chacune des classes dans notre échantillon. Ainsi, la classe 1 regroupe 42,2 % des participants; la classe 2, 23,2 %, la classe 3, 21,5 % et la classe 4, 13,1 %. Le Tableau 3 détaille également le pourcentage d’adhésion à chacun des indicateurs de représentations pour les participants de chaque classe.

Il est à noter que, bien que la méthode s’appelle «analyse de classes latentes» et que les regroupements d’individus formés par cette méthode soient généralement spontanément appelés «classes», nous utiliserons désormais le terme «profil» pour présenter les regroupements de participants issus de l’analyse de classes latentes dans notre recherche. En effet, dans le champ disciplinaire de la didactique, le terme «classe» renvoie à une réalité bien précise, celle du groupe-classe, et nous souhaitons éviter toute ambigüité.

Tableau 3

Les patrons de réponse de chacun des quatre profils

Les patrons de réponse de chacun des quatre profils

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4.1 Profil 1 – Une lecture scolaire assujettie (42,2 %)

Malgré un intérêt relativement faible pour les textes littéraires qui leur sont proposés à l’école, les élèves classés dans ce profil considèrent que l’enseignant est mieux placé qu’eux-mêmes pour choisir les livres à lire dans le cadre du cours de français. De plus, les élèves de ce profil rejettent clairement la finalité selon laquelle les lectures scolaires viseraient à mieux se comprendre soi-même. En ce qui concerne les représentations des postures de lecture à privilégier dans le cadre scolaire, ce profil se distingue par la préférence accordée à la posture de distanciation et le rejet marqué de l’activité fantasmatique et de l’identification aux personnages.

Ainsi, les élèves classés dans ce profil de représentations semblent, à la fin de leur scolarité obligatoire, globalement assujettis au discours de l’institution scolaire, comme en témoignent leur adhésion à des finalités de l’enseignement de la littérature qui sont scolaires et peu axées sur l’expérientiel et leur rejet de postures de lecture personnelles et subjectives au profit de postures généralement valorisées par l’école.

Il n’y a pas de différence statistiquement significative entre la proportion de chaque sexe dans ce profil. Ce qui distingue particulièrement ces élèves du reste de l’échantillon, c’est qu’ils fréquentent en majorité une école dont l’IMSE (Indice de milieu socioéconomique, MELS, 2011) est inférieur à cinq, donc une école socioéconomiquement privilégiée. Ensuite, l’élève type de ce profil de représentations a un père lecteur, ce qui le distingue de l’élève type de certains autres profils: 41,9 % des élèves classés dans ce profil affirment voir leur père lire «souvent» à la maison depuis l’enfance, et seulement 11,8 % d’entre eux déclarent avoir un père qui ne lit «jamais» à la maison. Ces élèves ont également des mères lectrices: 81,3 % d’entre eux affirment voir leur mère lire «parfois» ou «souvent» à la maison depuis l’enfance et à peine 4,4 % d’entre eux déclarent ne «jamais» la voir lire à la maison.

4.2 Profil 2 – Une lecture d’épanouissement culturel et personnel (23,2 %)

Ce profil se distingue des autres par des représentations favorables aux corpus scolaires: les élèves classés dans ce profil estiment en majorité que les lectures faites dans la classe de français correspondent à leurs intérêts et une majorité encore plus forte estime que les corpus scolaires devraient être principalement composés de classiques de la littérature. Considérant qu’aucun des trois autres profils n’endosse à plus de 50 % l’une ou l’autre de ces représentations, toutes deux globalement impopulaires, il s’agit d’une caractéristique déterminante de ce profil. Les représentations des finalités de l’enseignement de la littérature les plus endossées dans ce profil sont celles concernant le développement d’une bonne culture générale et d’une meilleure compréhension du monde. Cela dit, ces élèves attribuent à l’enseignement de la littérature l’ensemble des finalités qui leur étaient présentées dans le questionnaire, même la moins populaire d’entre elles, celle selon laquelle «la lecture de livres dans le cours de français permet de se comprendre soi-même». L’adhésion à l’ensemble des finalités de l’enseignement de la littérature laisse croire que les élèves classés dans ce profil attribuent une haute valeur à l’enseignement et à l’apprentissage de ce contenu, ce qui conditionne certainement positivement leur engagement dans leurs apprentissages (Abric, 1994) et les rend probablement moins soumis à ce que Canvat (1997) qualifie d’instrumentalisation de l’enseignement de la littérature, en comparaison avec les élèves classés dans les profils qui ne reconnaissent que les finalités utilitaires de ce contenu.

Les élèves classés dans ce profil de représentations semblent enthousiastes envers la lecture scolaire dans ce qu’elle a de plus traditionnel: des enseignants qui choisissent pour leurs élèves des classiques de la littérature dans une perspective de développement de la culture générale et de découverte du monde. Leurs représentations très positives de la posture de distanciation sont cohérentes avec leurs représentations de l’enseignement de la littérature. Des représentations tout aussi positives de l’investissement subjectif dans les lectures scolaires, cependant, trouvent écho dans une adhésion plus marquée que celle de leurs condisciples à l’intérêt de la découverte de soi par les lectures scolaires, et mettent en lumière le caractère diversifié et engagé des représentations des élèves qui adhèrent à ce profil.

L’élève type de ce profil de représentations est une fille (75,9 %) qui fréquente une école socioéconomiquement privilégiée (IMSE < 5). À l’instar de l’élève type du profil 1, l’élève type du profil 2 a des parents lecteurs: plus de la moitié des élèves classés dans ce profil affirment voir leurs deux parents lire «souvent» à la maison depuis l’enfance. Les participants classés dans le profil 2 présentent des données sociodémographiques caractéristiques d’un niveau élevé de favorisation économique et culturelle. En effet, l’élève type de ce profil a une bibliothèque dans sa chambre (79,5 %) et a souvent bénéficié dans son enfance d’histoires qui lui étaient lues par son entourage (60,4 %).

4.3 Profil 3 – Une lecture de plaisir personnelle et subjective (21,5 %)

Il s’agit du deuxième profil de représentations pour lequel les participants accordent le plus d’intérêt aux lectures scolaires. Les participants classés dans ce profil se distinguent cependant nettement des autres par un rejet marqué des classiques de la littérature et, plus que tout autre profil, par une grande importance accordée à l’autonomie des élèves dans le choix des livres: seulement 32,4 % des élèves qui endossent ce profil croient que l’enseignant est mieux placé qu’eux-mêmes pour choisir les livres à lire dans le cadre du cours de français, une représentation qui remporte pourtant l’adhésion d’une majorité de participants dans l’ensemble de l’échantillon.

Ce profil est défini par des représentations de l’enseignement de la littérature centrées autour du gout et du plaisir de lire ainsi que par des représentations de la lecture à l’école comme une lecture se rapprochant des lectures privées telles que décrites par Lebrun (2004), c’est-à-dire marquées par l’investissement subjectif et la participation. Ces caractéristiques expliquent possiblement l’intérêt plus marqué pour les lectures scolaires chez ce profil que chez certains autres et pourraient également influencer positivement l’engagement des élèves de ce profil envers l’apprentissage de la littérature.

L’élève type qui endosse ce profil est un garçon: 52,4 % des participants qui l’endossent sont des garçons, mais même si cette majorité semble mince, cette tendance est statistiquement significative, puisque les garçons sont surreprésentés[7] dans ce profil alors qu’ils sont sous-représentés dans l’échantillon total. Il fréquente une école socioéconomiquement défavorisée (IMSE > 5). Comme les élèves types des profils précédents, l’élève type de ce profil a une mère qui lit «souvent» ou «parfois». L’élève type de ce profil se distingue cependant des élèves types des profils 1 et 2 par la fréquence à laquelle il a vu son père lire à la maison, qui est moindre: seulement 23,3 % des participants classés dans ce profil affirment avoir «souvent» vu leur père lire à la maison, ce qui est significativement inférieur à la fréquence observée dans les autres profils.

4.4 Profil 4 – Un mal nécessaire (13,1 %)

Ce profil de représentations se démarque des autres par une absence quasi totale d’intérêt pour les lectures littéraires scolaires en général (0,6 %) ainsi que pour la lecture de classiques dans le cadre du cours de français (0,5 %). Il peut sembler paradoxal, dans ce contexte, de constater une adhésion de 40,6 % à l’indicateur de représentation selon lequel les enseignants sont mieux placés que les élèves pour choisir les livres à lire dans le cadre du cours de français. Ce patron de réponses pourrait traduire une passivité ou une résignation face aux corpus littéraires scolaires: la volonté que l’enseignant choisisse les livres malgré un grand manque d’intérêt face aux choix qui ont été faits par le passé et un rejet des corpus classiques, ou encore un désintérêt quasi complet pour la lecture scolaire et, de ce fait, pour le choix des livres à lire dans le cadre du cours de français.

Ce profil de représentations se caractérise également par l’attribution d’une seule finalité, utilitaire, à l’enseignement de la littérature et le rejet de presque toutes les postures de lecture, particulièrement la distanciation. Peut-être que ces élèves sont moins en mesure d’éprouver des plaisirs issus de cette posture, qui demande une plus grande expertise en lecture (Dufays, 1994; Riffaterre, 1983). Ces élèves rejettent aussi fortement (0,3%) l’activité fictionnalisante, un des mécanismes de l’investissement subjectif, ce qui pourrait être expliqué par la disqualification traditionnelle de cette posture de lecture dans le cadre des lectures scolaires (Daunay, 2004; Langlade, 2004). En effet, un regard aux finalités attribuées à l’enseignement de la littérature par les élèves classés dans ce profil permet de comprendre qu’ils ne semblent pas considérer positivement la possibilité de s’approprier des textes littéraires proposés par l’école pour en faire autre chose que ce qui est explicitement demandé par l’enseignant.

L’élève type classé dans ce profil de représentations est aussi bien fille que garçon: il n’y a pas de différence statistiquement significative entre la proportion de chaque sexe représentée dans ce profil et la distribution échantillonnale. Du reste, les élèves classés dans ce profil ont des caractéristiques sociodémographiques distinctives d’une certaine précarité socioéconomique et culturelle: l’élève type de ce profil fréquente une école socioéconomiquement défavorisée (IMSE > 5) et se démarque également des autres par le fait d’avoir peu vu ses deux parents lire à la maison depuis l’enfance, au contraire des élèves types des trois autres profils. L’élève type de ce profil n’a pas ou n’a jamais eu de bibliothèque dans sa chambre et ne s’est que parfois fait lire des histoires durant l’enfance. Ce portrait nous apparait très éloquent pour illustrer la prégnance de certains facteurs familiaux en ce qui concerne la lecture à la maison sur les représentations qu’ont les adolescents de la lecture à l’école.

5. Discussion et conclusion

Tous profils confondus, une majorité des participants sondés considèrent que les textes littéraires lus dans le cadre de la classe de français ne correspondent pas à leurs intérêts et que l’enseignant est le mieux placé pour choisir les livres, en dépit du faible intérêt de la majorité des élèves pour les sélections enseignantes. Cela, ainsi que la hiérarchisation des finalités de l’enseignement de la littérature aux yeux des participants (des finalités les plus utilitaires aux finalités les plus personnelles, qui sont l’objet de beaucoup moins d’adhésion), traduit une représentation générale de la littérature dans la classe de français comme un objet soumis à des contraintes et étranger aux intérêts des élèves, au gout de lire et au regard sur soi.

Pour deux des quatre profils (1 et 4), cette représentation de la littérature est associée à une représentation de la lecture de textes littéraire à l’école comme étant une lecture qui doit censurer l’investissement subjectif du lecteur. Cette représentation contribue à faire de la lecture à l’école, pour ces élèves, une pratique de lecture littéraire incomplète, dont une dimension est évacuée. Cependant, les élèves classés dans les profils 2 et 3 valorisent leur investissement subjectif dans le cadre de la lecture littéraire à l’école. Cela ne saurait être expliqué uniquement par des facteurs d’influence personnels, familiaux et sociaux, ces deux profils (2 et 3) ayant des caractéristiques sociodémographiques très différentes, notamment en regard au genre des élèves et au niveau socioéconomique des écoles qu’ils fréquentent. En plus de la valeur qu’ils accordent à l’investissement subjectif, les élèves qui adhèrent à ces deux profils (2 et 3) présentent également des représentations de la littérature à l’école qui nous semblent être tributaires d’une pratique de lecture scolaire plus signifiante et complète. Ces résultats confirment l’importance, comme plusieurs chercheurs l’ont souligné en préconisant diverses méthodes (Daunay, 2004; Jouve, 2004; Langlade, 2004; Sauvaire, 2013), de valoriser l’investissement subjectif des élèves, dont les manifestations sont un tremplin pour la réflexivité et la mise à distance des textes par les élèves (Langlade, 2004; Sauvaire, 2013).

Cette recherche a permis d’identifier des profils distincts de représentations des élèves au sujet de la littérature dans le cadre du cours de français secondaire québécois, ce qui était son objectif principal. L’analyse de classes latentes aurait cependant pu nous conduire au constat qu’il n’existait qu’un profil au sein de l’échantillon, qui aurait alors été considéré homogène, ou encore que l’échantillon se constituait d’un profil majoritaire et de quelques profils marginaux. Or, les quatre profils comportent chacun une proportion substantielle de participants. Avant même de détailler ces profils, les résultats montrent ainsi la diversité des représentations des élèves au sein de l’échantillon et, plus encore, au sein de chaque école. En effet, les écoles fréquentées par les participants, bien que très différentes les unes des autres, comptent toutes des élèves dans chaque profil. Cette diversité des représentations des élèves de la littérature et de la lecture littéraire à l’école témoigne bien de l’impossibilité d’envisager l’enseignement de la littérature et de la lecture littéraire à l’école comme un enseignement homogène. À la suite de Sauvaire (2013), nous pensons que la diversité, tant au sein du groupe-classe que chez un individu unique selon les contextes de lecture ou les moments de sa vie, permet de questionner et de penser l’enseignement de la lecture littéraire «dans le sens d’une plus grande adaptation à la diversité subjective» (p. 59).

Les implications didactiques qui découlent de ce constat touchent notamment les choix de corpus littéraires scolaires: les corpus littéraires scolaires devraient être sélectionnés de manière à proposer aux élèves des lectures de textes littéraires diversifiées, augmentant ainsi les possibilités pour chaque élève de vivre des expériences de lecture littéraire signifiantes. Outre la fondamentale diversité des genres et des courants littéraires, la sélection d’un corpus littéraire pour la classe de français devrait également inclure des littératures aux formes (Lebrun, Lacelle et Boutin, 2012) et aux origines (Mazauric, 2010) multiples. Nous ne préconisons cependant pas une différenciation des corpus littéraires scolaires selon les capacités jugées plus ou moins grandes des élèves ou leur milieu socioculturel d’appartenance. Nous croyons, à l’instar de Dufays, Gemenne et Ledur (2005), que l’édification d’une culture commune à l’échelle nationale est un moyen privilégié qu’a l’école d’éviter la perpétuation des distinctions entre les «héritiers» (Bourdieu, 1964), qui ont accès aux formes de savoir les plus valorisées, et les autres, pour qui on déciderait que les «meilleures» manifestations de la culture ne sont pas accessibles ou importantes.

Finalement, relevons que les deux profils de représentations présentant un désintérêt et un désengagement envers la littérature à l’école (profil 1 «Une lecture scolaire assujettie» et profil 4 «Un mal nécessaire») ne présentent pas de différence de genre chez les élèves qui y adhèrent, ce qui contredit les constats de plusieurs recherches, menées tant au Québec qu’en France, selon lesquels les garçons sont plus nombreux que les filles à se désintéresser de la lecture à l’école (Baudelot, Cartier et Detrez, 1999; Dubois, Dubois et Kahn, 1992; Lebrun, 2004). En revanche, les deux autres profils (profil 2 «Une lecture d’épanouissement culturel et personnel» et profil 3 «Une lecture de plaisir personnelle et subjective») se caractérisent par l’enthousiasme des élèves envers les lectures scolaires, bien que celui-ci se manifeste différemment. Ces deux profils présentent une différence significative entre les genres des participants qui les endossent, le premier étant plus endossé par des filles et le second par des garçons. Nous constatons ainsi que c’est le type d’enthousiasme envers la lecture scolaire, et non le désintérêt, qui est genré. Ces résultats nous portent à penser que le discours selon lequel les jeunes garçons n’aimeraient pas la lecture littéraire, au contraire des jeunes filles qui en seraient friandes, gagnerait à être nuancé.