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1. Introduction

Le Programme de formation de l’école québécoise invite le corps enseignant à utiliser des formules pédagogiques dans lesquelles la coopération et la résolution de problèmes sont de mises (MEQ, 2001). De telles valeurs sont promues, mais la réalité des contextes de classe fait en sorte qu’il peut être difficile de les mettre en oeuvre par les enseignantes et les enseignants (Bielaczyc, Kapur et Collins, 2013; Gillies et Boyle, 2010; Jobin, 2013; Messiva, 2001). En effet, nous connaissons peu comment ces prescriptions se concrétisent dans la pratique réelle de ces professionnelles et professionnels, dans un contexte où leur charge de travail est de plus en plus complexe (Cochran-Smith et Villegas, 2015). La présente étude jette un regard sur l’activité réelle de deux enseignantes du primaire qui souhaitent faire collaborer leurs élèves en travaillant en communauté au sein d’un même groupe-classe. Notre objectif est de décrire comment des enseignantes ou des enseignants déploient une communauté d’apprenantes et d’apprenants avec leurs élèves tout en considérant les éléments de leur environnement et de leurs conditions de travail, durant les trois premiers mois de l’année scolaire. Dans cet article, nous présentons d’abord ce qui peut les motiver à mettre en place une communauté d’apprenantes et d’apprenants. Nous situons ensuite en quoi leur activité réelle mérite d’être éclairée, notamment par l’utilisation du cadre théorique du cours d’action (Theureau, 2006). Nous présentons finalement nos résultats qui illustrent comment se déploient temporellement les préoccupations des enseignantes en écho aux jalons de la mise en place d’une communauté d’apprentissage (Laferrière, Hamel, Laberge et Allaire, 2005) et en quoi leurs préoccupations en début d’année scolaire sous-tendent leurs interventions pédagogiques.

2. Problématique

Les compétences de l’ordre de la communication, de la coopération et de la résolution de problème sont à développer chez les élèves pour qu’ils innovent face aux problématiques de nos sociétés actuelles (Ananiadou et Claro, 2009; OCDE, 2015; Scott, 2015). Dans cet ordre d’idées, le Programme de l’école québécoise invite les enseignantes et les enseignants à miser sur ces compétences dans leurs interventions pédagogiques et encourage le développement d’une communauté d’apprenantes et d’apprenants entre les élèves d’un groupe-classe et d’une école (MEQ, 2001). À l’origine, le concept de communauté d’apprenantes et d’apprenants a d’abord été mis en oeuvre dans un contexte de cercle de lecture visant à améliorer la compréhension des élèves par l’enseignement réciproque de stratégies (reciprocal teaching) tout en encourageant la négociation de sens entre pairs et le partage de connaissances et compétences (Brown, 1994; Brown et Campions, 1995). Depuis, le concept de communauté d’apprenantes et d’apprenants s’est élargi et peut être perçu comme une pratique porteuse en contexte de classe pour développer les compétences attendues au xxie siècle et laisser davantage de place à l’élève dans ses apprentissages (MEQ, 2001). En effet, elle est bénéfique pour l’apprentissage du partage des responsabilités et des pouvoirs entre les élèves (Rogoff, 1994; Rogoff, Tukanis et Bartlett, 2001; Sewell, St-George et Cullin, 2013), pour favoriser le respect mutuel entre ceux-ci et l’enseignante ou l’enseignant (Bielaczyz et Collins, 1999) de même que pour le développement de relations mutuelles positives et émotionnelles entre tous ces membres (Sewell, 2011). L’aspect collectif permettrait aussi l’éveil de la curiosité et favoriserait la persévérance lorsque les élèves travaillent conjointement sur des projets qui sont au coeur de leurs intérêts, les amenant à faire preuve d’autorégulation (Beishuizen, 2008) en plus de permettre le développement d’un fort sentiment d’appartenance tant envers le groupe qu’envers l’école (Osterman, 2000). Le réinvestissement et la mobilisation d’apprentissages dans des contextes extrascolaires semblent également favorisés lorsque les élèves sont confrontés à des problèmes authentiques qui les interpellent réellement (Bereiter et Scardamalia, 2010). En ce sens, des discussions et des négociations en classe permettraient de faire progresser les réflexions des élèves sur une même problématique et peuvent les amener à construire un répertoire commun de connaissances (Scardamalia et Bereiter, 2010; Wirkala et Kuhn, 2011), voire à coélaborer leurs connaissances en complexifiant leurs questionnements (Boutin, Hamel et Laferrière, 2015).

Positives pour les élèves, les valeurs prônées par les principes de la communauté d’apprenantes et d’apprenants peuvent s’avérer complexes à mettre en place du point de vue des enseignantes ou des enseignants. En effet, la gestion des interactions entre les élèves peut être source de tensions par crainte que les élèves ne socialisent davantage en classe qu’ils n’apprennent si le travail se fait de manière collaborative (Gillies et Boyle, 2010). Également, elles et ils peuvent s’inquiéter de s’appuyer sur les élèves en tant que ressource pour guider leur planification, puisque le fait de suivre le curriculum ou d’autres ressources peut s’avérer plus sécurisant, notamment en suivant la progression des notions qui y sont proposées (Bielaczyc, Kapur et Collins, 2013; Jobin, 2013; Messiva, 2001). Il semble aussi qu’accepter de partager le pouvoir dans le groupe et qu’adhérer à des prises de décision collectives puisse représenter un changement de paradigme difficile pour certaines ou certains (Sewell, 2011).

Le fait de questionner ou guider les élèves, laisser place aux problématiques qui émergent, offrir des choix de ressources, etc., sont souvent les lignes directrices d’une telle pratique (Andries D’Souza, 2017; Hännikäinen et Rasku-Puttonen, 2010; Engle et Conant, 2002; Rogoff, 1994), mais l’explicitation de la manière dont ces interventions se conjuguent avec les conditions réelles du contexte de la classe demeure floue. Considérant qu’il s’agit d’une pratique prometteuse pour soutenir les apprentissages des élèves, nous cherchons à connaître le travail réel des enseignantes et des enseignants qui mettent en oeuvre les valeurs de la communauté tout en étant confronté·e·s aux attentes et exigences du quotidien du métier en général: assurer l’apprentissage d’élèves avec des besoins de plus en plus différenciés (Gomendio, 2017), composer avec un portrait de classe démographiquement hétérogène (Cochran-Smith et Villegas, 2015), gérer les attentes provenant des parents, des directions, du ministère, etc. (Brassard, Lusignan et Pelletier, 2013; Morissette et Legendre, 2011; Rayou, 2014; Tardif, 2012). Ainsi, notre objectif est de décrire comment des enseignantes ou des enseignants déploient une communauté d’apprenantes et d’apprenants avec leurs élèves tout en considérant les éléments de leur environnement et de leurs conditions de travail. Il nous importe de mieux connaître et comprendre leur activité réelle pour expliciter les aspects de leur pratique qui facilitent ou complexifient le déploiement d’une communauté. Cette étude vise à rendre accessible leur expérience, notamment dans une visée de connaître les défis de cette pratique afin de mieux soutenir les enseignantes et les enseignants qui souhaitent la mettre en place.

3. Cadre théorique

Afin de décrire l’activité réelle d’enseignantes et d’enseignants lors de la mise en place d’une pratique de la communauté d’apprenantes et d’apprenants, nous avons eu recours au cadre théorique du cours d’action (Theureau, 2006). Celui-ci permet d’obtenir une description fine de l’activité réelle des personnes à la fois d’un point de vue intrinsèque (c’est-à-dire comment la personne a vécu la situation) et d’un point de vue extrinsèque (c’est-à-dire du point de vue de l’observateur ou de l’observatrice) par l’identification d’éléments situationnels de l’activité en particulier (le contexte, l’environnement, les conditions d’apprentissage, etc.). D’abord, le cadre théorique du cours d’action conçoit que toute personne interagit de manière asymétrique avec son environnement et «qu’à un instant donné, elle interagit seulement avec ce qui, dans cet environnement, l’intéresse ou ce qui est source de perturbations» (Theureau, 2006, p. 39). En effet, ce cadre repose ainsi sur le paradigme de l’«enaction» (Maturana et Varela, 1994) et postule que toute activité, donc toute interaction, d’un acteur social avec son environnement, s’accompagne par définition d’une conscience préréflexive. On peut comprendre la conscience préreflexive comme «l’effet de surface de la dynamique du couplage structurel de l’acteur avec son environnement» (Theureau, 2006, p. 42), mais elle n’est pas nécessairement explicitée par la personne durant l’action. Elle peut, dans certaines conditions favorables, comme avec l’utilisation de traces réelles de l’activité de la personne (p. ex.: vidéoscopie, traces matérielles, etc.), être explicitée a posteriori à autrui (Vermersch, 2017). Ainsi, la verbalisation obtenue repose principalement sur ce qui est significatif pour la personne par ce qui est «montrable, racontable par elle à tout instant de son déroulement [dans son activité]» (Theureau, 2006, p. 46) et peut permettre de comprendre l’histoire de l’activité de l’acteur dans toute sa complexité par la reconstitution chronologique des éléments significatifs, soit l’enchaînement des signes hexadiques (voir figure 1). Theureau (2006), en écho aux travaux de Peirce (1978), propose une description de la conscience préréflexive chez l’acteur comme une concaténation de signes hexadiques pour décrire l’activité humaine. Dans l’évocation de sa conscience préréflexive, la personne est appelée à décrire la situation à laquelle elle a été confrontée et la manière dont elle l’a vécue afin que son activité puisse être découpée, selon ses propos, en unités d’activités significatives ou signes hexadiques (figure 1).

Figure 1

Composantes du signe hexadique (adapté de Theureau, 2006)

Composantes du signe hexadique (adapté de Theureau, 2006)

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Dans le signe hexadique, les composantes sont dynamiques entre elles dans les différents états. D’abord, l’état de préparation de la personne est constitué de trois composantes et permet de décrire l’état dans lequel elle se trouve avant de s’engager dans une situation pour laquelle un indice perceptif a fait sens. La notion d’engagement (voir 1.1 dans la figure 1) traduit ses préoccupations relatives à son histoire passée qui peuvent faire sens à tout moment dans l’instant, c’est-à-dire en fonction des interactions passées, mais également de ses anticipations des interactions à venir (p. ex: éviter que les élèves fassent trop de bruit lorsqu’ils discutent entre eux en classe). En considérant ses expériences vécues, la personne a également des attentes (voir 1.2 dans la figure 1). Ainsi, la structure d’anticipations comprend des attentes actives qui sont relatives à ses propres actions ou communications ou des attentes passives qui sont relatives au déroulement des situations (p. ex: l’enseignante s’attend à ce que les élèves coopèrent durant la tâche). Les éléments de référentiel (voir 1.3 dans la figure 1) regroupent les connaissances acquises dans les expériences et les situations passées (p. ex: des connaissances sur les intérêts des élèves, sur la complexité d’une notion à enseigner, sur ses propres préférences, etc.) Dans l’environnement, des éléments perturberont plus ou moins intensément la personne dans son activité en fonction de ce qui est présent dans son état de préparation: ses préoccupations, ses attentes et ses éléments de référentiel quant à la situation. Ainsi, dans la réalisation de l’action, la personne perçoit, ressent ou nomme ces éléments perturbateurs dans son environnement et s’engage d’une manière quelconque dans celle-ci. Ainsi, l’indice perceptif (voir 2.1 dans la figure 1) est l’élément de la situation qui représente un intérêt, une perturbation (perturbation illustrée par une étoile dans le schéma) pour la personne et qui fait sens dans une situation donnée. Cet indice peut être un élément sensoriel (la personne a vu, entendu, senti ou ressenti quelque chose) ou un élément mnémonique (la personne se rappelle quelque chose). La personne perçoit cet élément et agit dans la situation, notamment en déployant une unité d’expérience (voir 2.2 dans la figure 1) qui peut être une action, une communication, une prise de décision, une émotion ou un discours à soi-même. Finalement, c’est dans l’état d’appropriation que la personne crée du sens sur son expérience dans la situation. En regard de l’unité d’expérience déployée dans la situation en écho à l’indice perceptif qui a émergé sur le fond d’engagements, d’anticipations et d’éléments de référentiel de la personne, l’interprétant (voir 3.1 dans la figure 1) rend compte de l’appropriation d’une expérience chez la personne (p. ex: elle peut valider un élément de référentiel, créer une nouvelle connaissance à l’issue de la manière dont elle a agi dans la situation et de la réactivité des élèves, etc.). Cette dernière composante permet de décrire comment l’activité se transforme et comment, dans certaines situations, de nouvelles connaissances sont créées et peuvent ensuite faire partie des éléments de référentiel de la personne pour être mobilisées à nouveau dans une situation ultérieure (boucle de rétroaction illustrée par la ligne pointillée).

Le cours d’action comporte également un objet théorique qui permet de décrire et d’analyser l’activité déterminée d’une personne dans une période circonscrite, mais en considérant également des épisodes liés à une même pratique s’étant déroulés avant ou après une période définie. Ainsi, le «cours de vie relatif à une pratique» permet de décrire l’enchaînement de signes hexadiques liés à une même pratique par l’analyse de différents épisodes discontinus dans le temps. Il permet d’éclairer la discontinuité de l’expérience des personnes afin de rendre compte d’une cohérence entre divers «épisodes discontinus relatifs à une pratique à travers le temps» (Theureau, 2006, p. 51‑52). Certaines pratiques, comme celle que nous documentons, peuvent être difficilement décrites par l’analyse d’un seul épisode ou moment, notamment à cause des nombreux principes à considérer pour constituer une communauté d’apprenantes et d’apprenants (p. ex.: activités nombreuses, planification, interventions, gestion de la classe, etc.) et l’espacement de la mise en place de ces éléments dans le temps (plusieurs mois).

Considérant que notre objectif est de décrire comment, en contexte de classe, des enseignantes ou des enseignants déploient une communauté d’apprenantes et d’apprenants avec leurs élèves, nous utiliserons le cadre théorique du cours de vie relatif à une pratique pour répondre aux questions de recherche suivantes:

  • Par quoi sont préoccupé·e·s les enseignantes ou les enseignants dans les premiers mois de l’année scolaire, soit quels sont leurs engagements en début d’année scolaire en lien avec la mise en place d’une communauté d’apprenantes et d’apprenants?

  • Que font les enseignantes pour faire émerger une communauté d’apprenantes et d’apprenants au sein de leur classe, c’est-à-dire quelles sont les unités d’expérience mobilisées dans leur cours de vie relatif à la pratique de la communauté d’apprenantes et d’apprenants?

4. Méthodologie

4.1 Approche de recherche et échantillonnage

Pour décrire le cours de vie d’enseignantes et d’enseignants relatif à la pratique de la communauté d’apprenantes et d’apprenants, nous avons réalisé une étude de cas (Stake, 2005; Yin, 2014). Nous avons recruté deux enseignantes de niveau primaire qui reconnaissaient d’emblée adhérer aux valeurs de cette approche pédagogique (p. ex.: collaboration, respect, interdépendance entre élèves, légitimité des connaissances, etc.). Notre stratégie d’échantillonnage se voulait orientée par un choix de cas typiques (Patton, 2015), nous permettant ainsi d’obtenir des descriptions de cas qui soient représentatifs, typiques d’une pratique correspondante aux valeurs de la communauté. Plus spécifiquement, les participantes se connaissaient l’une et l’autre depuis une quinzaine d’années et avaient fusionné leur groupe d’élèves respectif en début d’année scolaire pour coenseigner à temps plein au sein du même environnement de classe. Ainsi, les deux enseignantes, Mélanie et Julie, amorçaient une expérience de coenseignement au quotidien avec leurs 52 élèves de cinquième année du primaire.

4.2 Recueil des données

Dans un premier temps, une entrevue individuelle menée sous forme d’entretien d’explicitation (Vermersch, 2017) a été réalisée avec chacune des participantes dans leur environnement de travail avec comme objectif de documenter leur état de préparation (leurs attentes envers les premiers mois de l’année scolaire, leurs engagements, etc.) et leur contexte scolaire (éléments extrinsèques). Dans un second temps, nous avons réalisé deux observations d’une durée de deux heures et trente minutes (l’une à la mi-octobre et l’autre à la mi-novembre) des deux enseignantes en coenseignement pour obtenir des traces de leur activité de mise en place de la communauté d’apprenantes et d’apprenants (enregistrements vidéo, traces matérielles comme des photos d’organigrammes de regroupements d’équipes, des documents pour la collaboration, etc.). Durant chaque observation, les données ont été recueillies à l’aide de deux caméras, et nous demeurions en marge de leur activité (Burton, Brundrett et Jones, 2014). Le premier angle de caméra donnait une prise de vue de la classe entière, ce qui nous permettait d’avoir accès à tous les déplacements des élèves et des enseignantes ainsi qu’à leurs interactions. Le deuxième angle, quant à lui, permettait de suivre les déplacements des enseignantes et leurs interventions grâce à un robot numérique Swivl sur lequel une caméra était fixée avec un capteur de mouvement qui suivait les enseignantes, lesquelles portaient un micro.

Par la suite, des entretiens individuels d’autoconfrontation (Theureau, 2006; Vermersch, 2017) subséquents aux observations ont été menés afin d’obtenir les verbalisations des enseignantes quant à leur activité réelle en classe. Les questions durant ces entretiens portaient sur l’activité observée afin de permettre une réévocation de l’expérience du point de vue des participantes en insistant pour qu’elles demeurent centrées sur l’aspect procédural et intentionnel de leur activité (Vermersch, 2017). Ainsi, le questionnement reposait sur la description faite du point de vue de la personne uniquement pour permettre de couvrir les composantes du signe hexadique (p. ex.: Que ressentez-vous durant ce moment? Que vous disiez-vous à tel moment? Que cherchiez-vous à faire? À quoi vous attendez-vous de vos élèves? Qu’est-ce qui vous a incité à dire un tel commentaire? etc.) tout en utilisant la trace vidéo (activité observée en classe). Finalement, une collecte des données liées à la dimension extrinsèque de l’activité des participantes a été réalisée de façon itérative et consistait en des observations sur les contraintes et les conditions favorables pouvant être dégagées des situations, des caractéristiques des participantes elles-mêmes, du milieu, des élèves, du temps, etc.

4.3 Analyse des données

Afin d’analyser ces données, nous avons, avant les entretiens d’autoconfrontation, consigné toutes les verbalisations des enseignantes et des élèves et nous avons inscrit des éléments observés dans un tableau que nous avons appelé «chronique de l’activité observée». Ces chroniques nous permettaient de suivre la chronologie de l’activité filmée et observée en classe pour les utiliser lors de l’autoconfrontation avec chaque enseignante. Ces entretiens d’autoconfrontation ont été retranscrits afin de permettre la reconstitution de leur chronique individuelle de cours de vie relatif à la pratique de la communauté d’apprenantes et d’apprenants. La reconstitution de leur activité a été effectuée de manière fine et détaillée en tâchant de suivre la chronologie de l’empan temporel de l’activité documentée (les mois de septembre, octobre et novembre) et non autour de la chronologie des propos tenus lors des différents entretiens (discours décousu ou non linéaire qui pouvait par exemple évoquer des formations suivies au cours d’années antérieures). Dans ces chroniques de cours de vie (voir l’exemple du tableau 1), nous avons inséré toutes les données nécessaires (repères temporels de l’activité observée en classe, communications faites par les enseignantes et les élèves durant l’activité en classe, communications des enseignantes lors de l’autoconfrontation vis-à-vis de leur activité en classe filmée) pour situer la temporalité de l’activité.

Tableau 1

Extrait de la chronique de cours de vie relatif à la pratique de Julie

Extrait de la chronique de cours de vie relatif à la pratique de Julie

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Une fois les trois premières colonnes des chroniques complétées (voir l’exemple du tableau 1), nous avons reconstitué les signes hexadiques à partir des composantes de Theureau (2006) (voir colonne de droite dans le tableau 1). Tous les signes étaient catégorisés en fonction du repère temporel dans lequel ils se sont manifestés dans l’activité réelle des participantes, permettant ainsi de conserver la notion de temporalité essentielle à la reconstruction du cours de vie relatif à la pratique de la communauté d’apprenantes et d’apprenants des participantes. Ces chroniques ont été importées dans le logiciel d’analyse qualitative MaxQDA afin de nous permettre de réaliser certaines cooccurrences entre les éléments temporels de nos données et les composantes analysées dans notre étude (engagements et unités d’expérience). Nous avons attribué un code à chacune des composantes du signe hexadique pour tous les signes reconstruits (unités d’expériences, engagements, attentes, indices perceptifs, éléments de référentiel) (Theureau, 2006) afin de permettre des cooccurrences dans nos analyses. Pour répondre plus précisément à notre première question de recherche, nous avons subséquemment catégorisé, de manière inductive, les données dans la composante des engagements et nous avons procédé à un regroupement de ceux-ci en utilisant les jalons de la communauté d’apprenantes et d’apprenants (Laferrière, Hamel, Laberge et Allaire, 2005): l’établissement d’un fonctionnement de classe démocratique, l’explicitation des buts d’apprentissage communs, la présence d’une cohésion au sein du groupe, la résolution collective de problèmes authentiques, la progression de dialogues entre les membres du groupe, la légitimité des connaissances et compétences individuelles des membres et la participation à un processus de développement professionnel dans la communauté pour les enseignantes ou enseignants. Dans tous les cas, lors de notre catégorisation, nous tâchions de préserver le primat de l’intrinsèque du cadre théorique du cours d’action en utilisant les verbalisations des participantes pour nommer les catégories émergentes de la composante des engagements et nous avons ensuite procédé à une agrégation de celles‑ci, selon la méthode de comparaison constante (Glaser, 1965).

5. Résultats

Nos résultats sont organisés de manière à ce que les données obtenues pour notre première question de recherche guident vers la description plus fine de l’activité réelle des enseignantes qui déploient une communauté d’apprenantes et d’apprenants. Ainsi, en regard des signes hexadiques dans les trois premiers mois de l’année scolaire, nous avons réalisé des cooccurrences entre chacun des mois et les engagements des enseignantes afin de déterminer par quoi les enseignantes étaient préoccupées. Nous présentons d’abord la répartition des engagements dans les mois scolaires. Ensuite, en considérant les engagements liés aux différents jalons de la communauté d’apprenantes et d’apprenants, nous avons dégagé, par des cooccurrences entre ces engagements et les unités d’expérience, les actions ou les communications qu’elles ont faites au fil des trois mois afin de faire émerger la communauté au sein de leur classe. Conséquemment, nous proposons, pour chacun des trois mois, une description plus fine du contexte de travail des enseignantes et un tableau exhaustif de ces unités d’expérience.

D’abord, les diverses préoccupations des enseignantes abondent sur de multiples aspects de leur pratique en général durant les trois premiers mois de l’année scolaire. La figure 2 illustre les trajectoires temporelles des différentes catégories d’engagements nommées par les deux enseignantes. Ces catégories sont décrites plus en détail et appuyées par les unités d’expérience déployées par les enseignantes dans les différents empans temporels dans les sections suivantes.

Figure 2

Répartition des engagements des enseignantes en septembre, octobre et novembre

Répartition des engagements des enseignantes en septembre, octobre et novembre

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5.1 Septembre: Chercher à «vraiment leur faire vivre les valeurs  [de la classe]»

Durant ce premier mois de l’année scolaire, les enseignantes sont très préoccupées par des éléments liés à la gestion de la classe. À ce propos, Mélanie affirme «que septembre, c’est la gestion de classe, les tests diagnostiques et le travail d’équipe» qui prennent beaucoup de place dans l’horaire. Les enseignantes sont concernées par le fait d’expliciter leurs attentes en début d’année. Pour ce faire, elles «travaillent les valeurs sur différentes formes», elles proposent «différentes activités aux élèves: on a fait les fables, elles préparent [avec les élèves] la rencontre de parents» (Julie). Toujours liée à la gestion de classe, la préoccupation des enseignantes concernait les transitions et les routines en classe en septembre. Elles souhaitent trouver des façons de mieux organiser le tout, comme l’explicite Mélanie: «[…] il faut vraiment qu’on fasse un travail sur nous autres parce que oui, il va y avoir du bruit, les élèves vont se déplacer, ça va être flexible […] il faut trouver des trucs d’organisation». Le fait d’avoir désormais 52 élèves en classe les tourmente, entre autres le fait que «ça ne se promène pas de même d’habitude dans [nos] classes, dans [nos] anciennes classes» (Mélanie). Ainsi, les enseignantes «passent énormément de temps à gérer des petits détails» et se questionnent entre elles sur «c’est quoi l’ordre le plus efficace pour faire des déplacements intelligents avec les [52] enfants?». Les différentes activités faites en septembre permettent aussi aux enseignantes de répondre à leur préoccupation qui est «d’apprendre à connaître les enfants […], de regarder un peu le genre d’élèves [qu’elles] ont», comme le dit Julie. Elles veulent recueillir des informations sur eux en discutant «de solidarité, de collaboration, d’autonomie» chaque fois qu’elles doivent «faire une intervention sur la gestion», parce qu’elles obtiennent ainsi «plein d’informations sur comment l’enfant réagit au stress, à un échec».

Plus précisément liés à la communauté, les engagements des deux enseignantes concernent surtout le fait d’assurer un fonctionnement de classe démocratique en septembre. Le tableau 2 ci-dessous décrit les différentes actions et communications associées à leurs engagements quant aux jalons de la communauté.

5.2 Octobre: Mettre en oeuvre des interventions pour que les élèves «réussissent à participer»

Durant le mois d’octobre, les enseignantes demeurent toujours préoccupées par divers aspects de leur gestion de classe. À cet effet, elles se questionnement, parce qu’elles souhaitent «favoriser le mouvement et les échanges [entre les élèves]» entre les activités, mais elles se sentent aussi désorganisées, comme le dit Mélanie: «Coudonc, on va-tu courir comme ça toute l’année? Ça n’a pas de bon sens, il faut se trouver des moyens», entre autres, pour éviter de «toujours perdre 15 minutes à donner des cahiers [aux 52 élèves]». Elles cherchent aussi à rendre les élèves plus actifs dans les enseignements, parce que Julie dit que «plusieurs élèves sont passifs» durant notamment des activités de consolidation en plénière. Durant les pilotages de Julie, Mélanie est aussi très préoccupée par le fait d’être bien prête à prendre la relève de sa collègue comme elle le dit «parce que là, après, quand ça va être mon tour, il ne faut pas que je commence à chercher des feuilles et si j’ai des interventions à faire, mes affaires vont être là, j’aurais juste à aller les chercher». Les enseignantes sont aussi plus habitées en octobre par l’enseignement de divers contenus disciplinaires comme les stratégies de lecture en français et par le fait de devoir évaluer leurs élèves, entre autres parce qu’elles veulent «être capables de parler d’écriture aux parents, il faut qu’elles soient capables de dire quelque chose aux parents» pour la rencontre à venir à la fin du mois d’octobre. C’est aussi en octobre qu’elles commencent à enseigner des contenus plus rigoureusement qu’en septembre comme l’explique Julie au tout début du mois: «On vient à peine de commencer les matières scolaires nous autres, ça fait environ une semaine que l’on a commencé à travailler vraiment les matières scolaires.» Elles se soucient aussi beaucoup de travailler en collaboration au sein de la classe, notamment parce qu’elles veillent à se respecter l’une et l’autre devant les élèves en utilisant différentes techniques pour signifier qu’elles désirent prendre la parole par exemple.

Tableau 2

Unités d’expérience des enseignantes en septembre liées à des préoccupations de la communauté

Unités d’expérience des enseignantes en septembre liées à des préoccupations de la communauté

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Tableau 3

Unités d’expérience des enseignantes en octobre liées à des préoccupations de la communauté

Unités d’expérience des enseignantes en octobre liées à des préoccupations de la communauté

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En octobre, quant à l’émergence de la communauté, les enseignantes sont surtout préoccupées par le fait de favoriser les dialogues en classe, de faire en sorte que les élèves partagent les buts communs du groupe, qu’ils communiquent entre eux. Le tableau 3 illustre les différentes actions et communications qu’elles font au sein du groupe pour consolider les divers jalons de la communauté.

Tableau 4

Unités d’expérience des enseignantes en novembre liées à des préoccupations de la communauté

Unités d’expérience des enseignantes en novembre liées à des préoccupations de la communauté

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5.3 Novembre: Se lancer dans un projet, «être ouvertes» et s’assurer que «ça doit venir des enfants [l’intérêt pour le sujet]» 

En novembre, la gestion de classe fait toujours partie intégrante des préoccupations des enseignantes, notamment lorsqu’elles pilotent davantage d’activités d’apprentissage. Elles veulent s’assurer que les consignes sont claires, qu’elles parviennent bien à capter l’attention des élèves, qu’ils comprennent bien ce qui est attendu dans les activités, que les routines et les transitions sont efficaces, etc. Il demeure que les enseignantes disent qu’elles perçoivent qu’elles ont moins à se préoccuper de tout expliciter, comme le dit Mélanie, «toutes ces interventions-là [consignes des transitions],je ne sais pas combien de centaines de fois on en a fait, mais là, on est capables de leur dire simplement de se placer en équipe et de s’installer à une table». Les enseignantes sont aussi habitées par la consolidation de certains contenus, notamment parce qu’elles souhaitent que les élèves mobilisent certaines stratégies enseignées depuis quelque temps dans les nouvelles situations d’apprentissage qu’elles proposent. En novembre, les rencontres et les communications avec les parents les préoccupent aussi, puisqu’elles doivent leur brosser un portrait de la progression et des comportements de leur enfant en classe. Elles sont aussi habitées par le fait de collaborer avec d’autres professionnelles ou professionnels au sein de l’école comme pour coordonner une sortie du groupe avec une autre enseignante de l’école, planifier la visite d’un mentor en robotique ou discuter entre elles sur l’évolution de fonctionnement de classe.

En ce qui concerne l’émergence de la communauté d’apprenantes et d’apprenants, nos résultats mettent en lumière que les enseignantes demeurent préoccupées par divers éléments qui y sont rattachés, notamment à cause du plus large déploiement d’un projet de robotique qui se met en branle au mois de novembre. Le tableau 4 illustre les unités d’expérience des enseignantes. Bien que diversifiées quant aux préoccupations sur l’émergence de la communauté qu’elles ont, leurs actions et communications sont davantage teintées par la proposition du problème authentique en classe.

6. Discussion

L’objectif de notre étude était de décrire comment des enseignantes ou des enseignants déploient une communauté d’apprenantes et d’apprenants avec leurs élèves tout en considérant les éléments de leur environnement et de leurs conditions de travail durant les trois premiers mois de l’année scolaire. À la lumière de nos résultats, nous constatons que l’émergence de la communauté d’apprenantes et apprenants préoccupe les enseignantes par la mise en oeuvre de ses principes au fil des trois premiers mois de l’année scolaire. Nos résultats permettent d’envisager une trajectoire de la mise en place d’une telle pratique puisque la communauté émerge sur les différents fonds d’engagements des enseignantes au moment où elles réagissent aux divers éléments qui font signe pour elles dans les situations qu’elles vivent en début d’année scolaire. Ces résultats vont dans le même sens que ce qui est connu des valeurs et des interventions à favoriser au sein d’une communauté (Andries D’Souza, 2017; Hännikäinen et Rasku-Puttonen, 2010; Engle et Conant, 2002; Rogoff, 1994), mais offrent un éclairage sur la manière dont ils s’enchâssent et se déploient au fil des mois dans la pratique d’enseignantes du primaire. En effet, en septembre, les enseignantes sont davantage concernées par le fait d’établir un fonctionnement de classe qui soit démocratique et elles agissent en ce sens en prenant par exemple le temps d’énoncer clairement leurs attentes ou de faire diverses activités avec les élèves afin de les amener à bien saisir les valeurs de la classe. Elles misent aussi sur la compréhension des buts à atteindre dans le groupe pour que ceux‑ci soient collectivement partagés. En octobre, leurs préoccupations diminuent quant à l’établissement d’un fonctionnement de classe démocratique et sont davantage réparties sur le fait d’avoir des dialogues entre les élèves, d’assurer une cohésion dans le groupe, etc. Le développement d’une communauté d’apprenantes et d’apprenants exige qu’il y ait une connexion réciproque à la fois sur le plan intellectuel, social et émotionnel entre les enseignants et les élèves (Sewell et al., 2013), ce qui peut expliquer que le principe lié à la cohésion et l’ouverture au sein du groupe émerge durant ces deux premiers mois de l’année. Ensuite, c’est davantage en novembre que les enseignantes ont des préoccupations émergentes liées au fait de proposer des problématiques authentiques aux élèves de leur groupe. Alors que les deux premiers mois permettent de mettre les bases d’un fonctionnement de classe, il semble qu’une fois que les élèves s’y sont habitués, qu’ils se connaissent et qu’ils coopèrent mieux ensemble, les enseignantes peuvent davantage se préoccuper de proposer des problématiques authentiques aux élèves afin d’enseigner divers contenus. Cet aspect collaboratif, soulevé comme une tension par Gillies et Boyle (2010), prend du temps à consolider avec les élèves. En effet, en novembre, elles font diverses interventions pour veiller à la participation des élèves dans le projet collectif lié à la robotique dont le sujet a été déterminé par le groupe. À ce propos, Grégoire et Laferrière (1998) énoncent bien qu’il faut laisser du temps aux membres de la communauté afin d’apprendre à bien se connaître pour en venir à parler d’une voix commune et à définir collectivement des visées d’apprentissage.

Il demeure que les enseignantes ne sont pas seulement préoccupées par l’émergence de la communauté. Nos résultats illustrent bien que celle-ci continue d’évoluer dans le temps alors que les enseignantes parviennent à conjuguer d’autres aspects de leur pratique en général. Compte tenu de la complexité de leur tâche (Mukamurera et Balleux, 2013; Tardif, 2012), les enseignantes ne peuvent être préoccupées que par un seul aspect de leur pratique à la fois. En effet, les préoccupations des enseignantes s’orientent vers divers aspects, dont des éléments liés à la gestion de classe qui les habitent grandement durant les trois premiers mois de l’année scolaire. Alors qu’en septembre, elles se soucient beaucoup d’apprendre à connaître leurs élèves, en octobre et novembre, elles sont plus préoccupées par le fait de recueillir des traces sur le développement des élèves (apprentissages et comportements) et de rendre des comptes autant aux parents qu’à la direction dans les bulletins et rencontres de la première étape. À ce propos, le changement apporté dans leur pratique en début d’année en choisissant le coenseignement a pu faire renaître chez elles plusieurs préoccupations sur la gestion de la classe (la gestion des comportements, les transitions, la gestion des ressources matérielles, etc.) qui sont davantage typiques aux enseignantes et aux enseignants débutants (Martineau et Gauthier, 1999; Mukamurera et Balleux, 2013).

Bien que les participantes de notre étude travaillent dans un environnement de classe non conventionnel, c’est-à-dire qu’elles coenseignaient ensemble à temps plein à 52 élèves et qu’elles bénéficiaient de ressources matérielles pour le déploiement de leur pratique (grande classe, nouveau matériel pour l’aménagement de la classe, etc.), nos résultats concordent avec ceux de Sewell (2011) et de Rogoff, Turkanis et Barlett (2001) qui énoncent qu’une communauté d’apprenantes et d’apprenants peut émerger en contexte de classe. À l’instar de Gillies et Boyle (2010), elles perçoivent des effets positifs du changement opéré dans leur pratique d’enseignement, réitérant des effets positifs sur l’apprentissage des élèves. Nos résultats permettent également d’éclairer que leur collaboration au quotidien semble vitale au bon fonctionnement de la classe, mais qu’en plus elles veillent à élargir la communauté de professionnels et de professionnelles qui gravitent autour du groupe-classe en invitant différentes personnes à contribuer au projet collectif choisi par le groupe. Il est à considérer que les deux enseignantes avaient plusieurs années d’expérience à leur actif, qu’elles partageaient des expériences communes et que la compatibilité des enseignantes constitue une condition essentielle pour coenseigner (Scruggs, Mastropieri et McDuffie, 2007). Aussi, au fil des années, elles ont su gagner l’appui et la confiance de l’équipe de la direction (prêt de locaux dans l’école pour leur projet, budget pour l’organisation de la classe, formations pour le coenseignement, etc.) vis-à-vis de la pratique en laquelle elles croient, une condition favorable au déploiement d’une nouvelle pratique (Whitworth et Chiu, 2015), surtout pour partager la prise de décision en considérant divers points de vue dans une communauté d’apprenantes et d’apprenants (Rogoff, Turkanis et Bartlett, 2001).

L’utilisation du cadre théorique du cours d’action a permis d’illustrer l’éventail d’actions et de communications faites par les enseignantes qui adhèrent aux principes de la communauté d’apprenantes et d’apprenants au sein de leur pratique tout en éclairant spécifiquement comment leurs interventions évoluent dans le temps en écho à leurs préoccupations. Nos données permettent de mieux comprendre la complexité du déploiement d’une telle pratique en contexte réel de classe, mais aussi d’illustrer comment leurs interventions en novembre s’orientent vers la résolution d’une problématique sociale choisie par les élèves. Cela permet d’éclairer comment la cohésion du groupe, la compréhension des buts communs, la connaissance des élèves entre eux et la place du dialogue sont mis en place dans les deux premiers mois. Considérant le postulat de base de notre cadre théorique, soit le fait d’analyser l’expérience du point de vue de l’acteur d’abord et avant tout pour décrire son activité réelle (Theureau, 2006), nous sommes conscientes que notre étude rend seulement compte des éléments signifiants pour les enseignantes dans l’empan temporel étudié plutôt que de rendre compte de toutes les interventions menées (et qui auraient pu être observées par la chercheuse d’un point de vue externe) pour la mise en place d’une communauté. L’analyse de l’activité a été possible en tenant compte de ce qu’elles font réellement alors qu’elles sont au travail, des environnements dans lesquelles elles oeuvrent, de la façon dont elles réagissent aux différents éléments de leur pratique qui font sens pour elles, des tensions entre leurs préoccupations et les éléments de la situation qui les contraignent (Barbier et Durand, 2003). Nos données permettent en ce sens de brosser un portrait de la pratique réelle d’enseignantes en considérant diverses préoccupations qui les habitaient et contribuent à rendre compte de la pertinence d’utiliser le cours de vie relatif à une pratique comme cadre théorique en vue de comprendre l’activité des acteurs lors de la mise en place d’une pratique bien précise. Il demeure que certaines limites ont été dégagées par rapport à notre méthodologie. En effet, puisque nous avons collecté des données dans des temps espacés entre eux (une fois en septembre, en octobre et en novembre), nous avons parfois obtenu des signes hexadiques à plus gros grains lorsque les enseignantes relataient leur expérience en parlant de moments plus généraux (p. ex.: lorsqu’elles décrivaient les premières semaines de septembre) et des signes à grains plus fins pour l’explicitation de moments captés en classe ou de moments jugés signifiants pour elles (p. ex.: intervenir auprès d’une équipe d’élèves en particulier durant un enseignement). Également, la formation professionnelle et les référents culturels communs et partagés entre la chercheuse (elle-même enseignante) et les enseignantes ont pu parfois limiter l’explicitation des verbalisations des participantes. Bien que nos résultats offrent des repères d’actions et de communications faites par des enseignantes qui illustrent concrètement le déploiement d’une communauté d’apprenantes et d’apprenants en début d’année scolaire, il serait pertinent de documenter la progression de la communauté une fois que les enseignantes interviennent davantage pour engager les élèves dans la résolution de problèmes authentiques proposés. Nous considérons que de couvrir un empan temporel plus long permettrait de documenter le déploiement d’une communauté durant une année scolaire. Également, il serait intéressant d’utiliser une méthodologie permettant de considérer les cours d’action croisés des élèves et des enseignantes pour documenter les potentiels bienfaits d’une telle pratique sur l’activité d’apprentissage des élèves.

7. Conclusion

Notre étude s’est précisément concentrée sur le fait de documenter la mise en place d’une communauté d’apprenantes et d’apprenants en considérant l’analyse de l’activité réelle d’enseignantes. En ce sens, nous pouvons désormais mieux comprendre comment une telle pratique émerge en début d’année scolaire, notamment parce que certaines actions sont à mener pour assurer un esprit de cohésion au sein du groupe et assurer un fonctionnement de classe qui soit compris par les élèves avant de pouvoir miser sur l’élaboration de situations d’enseignement-apprentissage qui misent sur la coopération, le partage et qui s’ancrent dans quelque chose d’authentique. Ainsi, l’explicitation de cette pratique porteuse pour les apprentissages des élèves pourrait donc être profitable pour les enseignantes ou les enseignants qui souhaitent l’implanter au sein de leur groupe-classe.