Corps de l’article

1. Introduction

Comprendre les interactions sociales vécues en classe d’éducation préscolaire 5 ans et s’y adapter continuellement constituent des composantes essentielles pour l’adaptation sociale de l’enfant (Eisenberg, Spinrad et Knafo‑Noam, 2015; Landry, 2014). En effet, bon nombre de conflits y surviennent puisque les relations sociales sont habituellement complexes et diversifiées (Bouchard, Coutu et Landry, 2012). Ainsi, la compréhension du monde social, associée aux compétences de la pensée sociale, teinte la qualité des échanges vécus avec les autres (Crick et Dodge, 1994; Eivers, Brendgen, Vitaro et Borge, 2012; Pagé, Gravel et Trudel, 1998). Inversement, le fait de ne pas avoir intégré une compréhension nuancée du monde social peut mener à des difficultés relationnelles précoces, qui se répercutent elles‑mêmes sur le développement immédiat et ultérieur de l’enfant (Eivers et al., 2012; McComas, Johnson et Symons, 2005).

La pensée sociale réfère à la compréhension de l’environnement social et des événements qui s’y produisent. Pagé, Strayer et Reid (2001) la définissent comme «certaines façons de percevoir, de penser et d’agir, stockées en manière d’être, en habitudes, en automatismes, pour générer des réponses efficaces aux problèmes interpersonnels de tous les jours» (p. 185). Il s’agit d’une vision intégratrice de la pensée sociale qui insiste à la fois sur des compétences liées à des processus intra‑individuels, de même que sur les contraintes et possibilités relationnelles véhiculées dans l’environnement social de l’enfant, ceux‑ci étant reliés à des processus interindividuels (Landry, 2014; Pagé et al., 2001).

Or, à notre connaissance, peu d’études se sont penchées sur la pensée sociale en incluant plusieurs compétences. Par exemple, Milligan, Astington et Dack (2007) ont démontré que la prise de perspective d’autrui (compétence conceptuelle) permet à l’enfant de se construire une théorie de la pensée pour mieux comprendre et prédire ses gestes et ceux des autres. Toutefois, il semble que les compétences éthiques interviennent également dans les actions sociales posées. D’ailleurs, Bouchard, Cloutier et Gravel (2006a) rapportent que la prosocialité (découlant des compétences éthiques) est liée à un certain savoir‑vivre qui influence également les gestes de l’enfant. Enfin, au‑delà des compétences conceptuelles et éthiques, les compétences procédurales permettent le traitement des informations sociales de l’enfant dans l’action à l’aide d’un répertoire de stratégies, lui‑même influencé par sa compréhension (c.‑à‑d. compétence conceptuelle) et ses valeurs (c.‑à‑d. compétence éthique) (Crick et Dodge, 1994; Pagé et al., 2001). Quoiqu’il en soit, ces trois compétences liées à la pensée sociale n’ont pas été considérées en interrelation pour tracer un portrait nuancé du développement de la pensée sociale chez l’enfant de 5‑6 ans. Quel portrait peut être brossé de la pensée sociale des enfants fréquentant une classe d’éducation préscolaire cinq ans? Qu’en est‑il de leur adaptation sociale? La pensée sociale est‑elle liée à son adaptation sociale en classe? Le cas échéant, comment l’est‑elle? Cet article aborde ces questions.

2. Les processus intra‑individuels de la pensée sociale

Servant d’assise théorique, le modèle sociogénétique de la pensée sociale explique le développement de la compréhension du monde social comme la co‑action entre des processus intra‑individuels et ceux interindividuels (voir Landry, 2014). L’étude de la pensée sociale porte autant sur les différences individuelles dans le développement des processus et structures cognitives associés à la cognition sociale (p. ex., le constructivisme et le traitement de l’information sociale), que sur l’environnement social et la culture (la perspective historicoculturelle) (Arsenio et Lemerise, 2004; Crick et Dodge, 1994).

Les processus intra‑individuels de la pensée sociale regroupent des compétences conceptuelles, éthiques et procédurales s’influençant mutuellement (Landry, 2014; Pagé et al., 2001). D’abord, les compétences conceptuelles reposent en grande partie sur le développement cognitif et concernent notamment la capacité de prendre la perspective d’autrui. Cette capacité permet de découvrir le point de vue d’autrui (p. ex., savoirs ou croyances), de manière à poser des hypothèses sur ses actions ou ses sentiments. Elle s’associe à la théorie de l’esprit, une capacité méta‑représentationnelle à imputer des états mentaux à soi‑même et à autrui qui implique la compréhension que les individus ont des pensées ou des savoirs qui peuvent différer des autres ou de la réalité (Wimmer et Perner, 1983). Elle suppose aussi l’utilisation de cette compréhension pour inférer les actions ou réactions des autres (Milligan et al., 2007). Vers 4 ans, l’enfant commence à attribuer des croyances à autrui différentes des siennes (Koops, Brugman, Ferguson et Sanders, 2010). C’est entre 5‑6 ans qu’il démontre une capacité à prédire des actions sur la base de croyances (Nader‑Grosbois et Thirion‑Marissiaux, 2011).

Ensuite, les compétences éthiques (p. ex., partager ou aider) influent sur les comportements affiliatifs de l’enfant et son acceptation sociale (Pagé et al., 2001). Au coeur de ces compétences se trouve la prosocialité, décrite comme «l’ensemble des comportements sociaux observables orientés vers le bénéfice d’autrui (prosocialité asymétrique) ou ceux impliquant le partage de coûts et bénéfices avec autrui (prosocialité symétrique)» (Bouchard et al., 2006a; Bouchard et al., 2008; Bouchard, Gravel et Trudel, 2006b, rapporté dans Bouchard et al., 2012, p. 391). À 5 ans, l’enfant sait recourir à des stratégies prosociales lors de ses échanges avec autrui, bien qu’il peaufine encore celles‑ci (Bouchard, Coutu, Bigras, Lemay, Cantin, Bouchard et Duval, 2015; Bouchard et al., 2012; Bouchard, Sylvestre, Leblond et Trudel, 2020). Aussi, les enfants aptent à prendre la perspective d’autrui (compétences conceptuelles) sont davantage enclins à être prosociaux (compétences éthiques) (Bouchard et al., 2012; Eisenberg, Fabes et Spinrad, 2006). Toutefois, un enfant peut répondre de façon prosociale à un comportement de détresse (c.‑à‑d. consoler un ami blessé), sans comprendre l’état mental sous‑tendant le comportement observé (c.‑à‑d. raison de la tristesse), ou sans considérer ses états mentaux (c.‑à‑d. ses besoins). Il s’agit ici de réponses automatisées découlant de valeurs et de règles apprises. Ainsi, bien que la réponse prosociale constitue un apprentissage complexe découlant de valeurs transmises socialement, la compréhension des besoins d’autrui semble la favoriser. Grâce à ses compétences conceptuelles et éthiques, l’enfant mettra ainsi en oeuvre sa capacité de traiter des informations sociales en action.

Ancrées dans le modèle du traitement de l’information sociale (Crick et Dodge, 1994), les compétences procédurales sont liées aux expériences sociales intériorisées, influençant à leur tour les réponses émises en situation sociale (Dodge et Rabiner, 2004). Découlant de ces mêmes compétences procédurales, la capacité de traiter des informations sociales conduit l’enfant à construire des scripts heuristiques (c.‑à‑d. scénarios sociaux intériorisés) lui permettant de sélectionner les stratégies de résolution de problèmes sociaux dans son répertoire. Lorsqu’il rencontre un problème interpersonnel (p. ex., vouloir jouer avec un jouet déjà utilisé), sa réponse sociale peut être adaptée (p. ex., demander, offrir de l’échanger, etc.) ou non (p. ex., arracher). La variété de son répertoire de stratégies (p. ex., nombre de stratégies différentes connues) influe également sur sa capacité à résoudre les problèmes rencontrés.

Ensemble, ces trois compétences constituent les fondements des processus intra‑individuels de la pensée sociale. En situation de conflits sociaux, les compétences conceptuelles faciliteront la prise en compte du point de vue d’autrui, les compétences éthiques soutiendront la sélection d’une stratégie de résolution de problème prosociale, tandis que les compétences procédurales permettront de traiter les étapes pour parvenir à le résoudre.

3. Les processus interindividuels de la pensée sociale

Les processus interindividuels de la pensée sociale regroupent les possibilités relationnelles offertes en classe. Ces occasions d’échanges qui invitent à mieux comprendre le monde social sollicitent les processus intra‑individuels de la pensée sociale. Ces processus, mis en oeuvre lors des échanges sociaux de l’enfant avec son enseignante[1] et ses pairs s’avèrent primordiaux pour l’émergence des compétences de sa pensée sociale, elles‑mêmes associées à son engagement dans des relations sociales harmonieuses.

Au‑delà de ces interactions sociales, les processus interindividuels concernent également les opportunités (p. ex., contextes éducatifs variés favorisant le dialogue) et les contraintes (p. ex., contextes éducatifs minimisant le temps d’échange). En outre, les actions quotidiennes de l’enseignante sont empreintes de valeurs véhiculant des représentations sociales. La perception sociale de l’adulte constitue donc en elle‑même une contrainte ou une occasion pour l’enfant qui tente de comprendre le monde social (Gauvin et Perez, 2015).

Parmi les facteurs pouvant influencer la perception des enseignantes, l’incidence du genre sur les comportements interpersonnels de l’enfant a été étudiée à maintes reprises (Bouchard et al., 2006a; Bouchard et al., 2008; Bouchard et al., 2012; Bouchard et al., 2015; Eisenberg et al., 2006). Ainsi, les garçons sont souvent perçus comme moins prosociaux que les filles. Quant aux filles, les enseignantes leur attribuent davantage de caractéristiques psychosociales positives que les garçons. Dès leur entrée en classe d’éducation préscolaire, elles sont considérées comme ayant plus d’habiletés sociocognitives que les garçons (Bouchard et al., 2006a, Bouchard et al., 2006b). Cette perception du genre peut influencer leurs comportements envers ces derniers et, ultérieurement ceux des enfants eux‑mêmes (Bouchard, Coutu, Lemay et Bigras, 2016; Gauvin et Perez, 2015; Jussim et Harber, 2005), on peut voir là l’importance de s’y attarder dans l’étude de la pensée sociale et de son rôle dans l’adaptation sociale.

4. La pensée sociale et son rôle dans l’adaptation sociale

La pensée sociale constitue le point d’ancrage des choix comportementaux effectués lors des interactions sociales et influence donc l’adaptation sociale de l’enfant à son milieu (Landry, 2014; Pagé et al., 2001). Par exemple, la capacité de prendre la perspective d’autrui, liée à la compétence conceptuelle, est associée à l’absence de problèmes extériorisés de type physiques (p. ex., pousser, battre) (Renouf, Brendgen, Séguin, Vitaro, Dionne, Tremblay et Pérusse, 2010). Par ailleurs, ces problèmes de comportement peuvent revêtir plusieurs formes. Bien que les problèmes extériorisés de type physique soient associés à des lacunes sociocognitives, il en est tout autre pour ceux de type indirect (p. ex., médisance, exclusion sociale). En effet, les enfants maîtrisant la perspective d’autrui semblent plus susceptibles de faire preuve de comportements associés aux problèmes extériorisés de type indirect, qui nécessite des habiletés de manipulation de l’autre en cachant sa réelle intention (Renouf et al., 2010).

Le lien entre la prise de perspective d’autrui (compétence conceptuelle) et les problèmes extériorisés indirects est présent chez les enfants ayant moins de comportements prosociaux (compétence éthique) que la moyenne de leurs pairs (Renouf et al., 2010). Ainsi, l’adaptation sociale repose sur la prise de perspective d’autrui pour comprendre les besoins d’autrui, mais également sur un répertoire de comportements prosociaux et une volonté à en faire usage. En classe, la diversité et la qualité des stratégies de résolution de problèmes du répertoire (compétence procédurale) sont associées à une meilleure adaptation sociale (Rubin, Bukowski et Laursen, 2009). En conséquence, les enfants moins compétents socialement semblent disposer d’un répertoire de solutions réduit (Denham et Burton, 2003), proposent des réponses aux conflits parfois inadaptées et qui sont souvent associées aux problèmes extériorisés de type physique (Pettit, Dodge et Brown, 1988).

La perspective adoptée dans cet article insiste sur l’importance de mieux comprendre les compétences de la pensée sociale et leur rôle dans la qualité des transactions quotidiennes expérimentées par l’enfant, ainsi que leur relation avec l’adaptation sociale. En prenant appui sur le modèle sociogénétique des pensées et des émotions sociales, l’hypothèse avancée est que les habiletés liées aux trois compétences de la pensée sociale constitueront des prédicteurs de l’adaptation sociale des enfants mesurée sur le plan de la sociabilité, de l’adaptation sociocognitive et des problèmes extériorisés et intériorisés (Bouchard et al., 2006b, Bouchard et al., 2008; Denham et Burton, 2003; Dodge et Rabiner, 2004; Pagé et al., 1998; Rubin et al., 2009).

Peu d’études documentent simultanément diverses facettes de la pensée sociale chez l’enfant tout en tentant de mieux comprendre ses relations avec l’une ou l’autre des dimensions de l’adaptation sociale. En effet, elles mesurent généralement une seule des compétences, comme la capacité de prendre la perspective d’autrui (p. ex., Koops et al., 2010; Milligan et al., 2007; Wellman, Cross et Watson, 2001). Or, cette capacité repose également sur le développement cognitif de l’enfant, et de ce fait, semble moins dépendante que d’autres compétences d’un contexte éducatif valorisant les échanges sociaux (p. ex., l’attitude prosociale, la résolution de problèmes sociaux). D’où l’importance de jumeler plus de mesures de la pensée sociale pour préciser son caractère multidimensionnel. En plus de la diversité des mesures, inclure des données issues des enfants et d’autres relevant de l’adulte semble intéressant d’un point de vue méthodologique; le regard de l’adulte peut influencer sa perception des comportements des filles et des garçons (Bouchard et al., 2006a; Bouchard et al., 2008; Eisenberg et al., 2006). De telle sorte qu’une diversité de mesures permettra de brosser un portrait plus juste et nuancé des compétences de la pensée sociale et de ses liens avec l’adaptation sociale.

5. Objectifs

Cette étude s’intéresse aux objectifs suivants: 1) étudier la pensée sociale chez des enfants qui fréquentent une classe d’éducation préscolaire 5 ans; 2) étudier l’adaptation sociale chez ces mêmes enfants; et 3) explorer les liens prédictifs entre la pensée sociale et l’adaptation sociale.

6. Méthode

6.1 Participants

L’échantillon quasi‑expérimentale comprend 72 enfants (43 garçons et 29 filles) âgés entre 5 et 6 ans (M = 68 mois; ET = 3,55 mois) qui proviennent de quatre classes d’éducation préscolaire 5 ans (n = 4) situées dans deux écoles de la région de Québec (Québec, Canada). Les écoles affichent un rang décile[2] de 1 ou 2 pour l’indice de défavorisation socioéconomique (IMSE) du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (2010). Elles reçoivent des élèves provenant de milieux socioéconomiques aisés, assurant ici une certaine homogénéité de l’échantillon.

6.2 Instruments de mesure

6.2.1 Mesures de la pensée sociale

Le portrait de la pensée sociale du point de vue de l’enfant découle de trois instruments de mesure sous forme de mises en situation hypothétiques, accompagnées d’illustrations standardisées adaptées à l’âge et au genre.

Les compétences conceptuelles sont évaluées à l’aide d’une tâche de prise de perspective d’autrui appelée «Max et la barre de chocolat» (Wimmer et Perner, 1983), traduite pour des enfants québécois âgés entre 4 et 7 ans (Mélançon, 2005). Cette épreuve propose une mise en situation dans laquelle un enfant souhaite récupérer une barre de chocolat qu’il a placé dans son coffre, qui a été déplacée dans son bureau en son absence.

Les données codifiées permettre de dégager trois mesures: 1) Capacité d’attribuer un état d’ignorance (Max ne sait pas où est le chocolat); 2) Capacité d’attribuer une fausse croyance (Max pense que le chocolat est dans le coffre); et 3) Compréhension que les croyances guident les actions (Max ira chercher le chocolat dans le coffre, même si on l’a déplacé dans le bureau en son absence). Selon le cas, pour chaque mesure, il obtiendra 1 point s’il répond bien ou aucun point s’il ne formule pas la réponse attendue. Les études ayant recours à cette épreuve retiennent souvent une mesure choisie selon l’âge de l’enfant, ou un score de composite (voir Wellman et al., 2001). Dans cette étude, seule la troisième mesure (Compréhension que les croyances guident les actions) est retenue, et ce, sur la base des travaux de Nader‑Grosbois et Thirion‑Marissiaux (2011).

Les compétences éthiques sont évaluées avec l’instrument «Attitude prosociale» (Eisenberg‑Berg et Hand, 1979), traduit, adapté et validé par Pagé et Gravel (1998) sur la base de travaux antérieurs (Gravel, 1997; Pagé, 1995; Strayer, Noël, Tessier et Puentes‑Neuman, 1989). L’instrument mesure la tendance à intervenir de façon prosociale face à la détresse d’un pair, grâce à trois histoires dans lesquelles un enfant est face à un pair qui requiert son aide (p. ex., un enfant pleure parce qu’il a perdu son lunch et ne peut plus participer à un pique‑nique). Après chacune des histoires, l’enfant énonce une solution à la situation qui peut être prosociale ou non et il justifie sa réponse. Ensuite, en le confrontant à la conséquence de son choix (p. ex., si l’enfant partage son lunch, il en aura moins pour lui), il a la possibilité de maintenir ou de changer son choix. Il devra justifier ce dernier choix.

Trois mesures découlent des réponses des enfants: 1) Attitude pro-sociale (aider ou non); 2) Solution prosociale (privilégier une solution prosociale ou non); 3) Perception des besoins d’autrui (cohérence entre la solution choisie et les besoins). Le score résulte d’une combinaison de points (pt) pouvant se situer entre 0 et 9. Par exemple, si l’enfant propose une réponse prosociale et la conserve à la suite de la confrontation (3 pt maximum/histoire; 3 histoires), alors il obtient le plus haut score (9 pt). S’il sélectionne une réponse prosociale et qu’il ne la retient pas après la confrontation, il a 6 points; s’il choisit une réponse non prosociale et qu’il modifie son choix pour une réponse prosociale, il cumule 3 points. Enfin, s’il énonce un choix non prosocial et qu’il maintient son choix, il n’a aucun point.

Les mesures «Solution prosociale» et «Perception des besoins d’autrui» concernent les justifications émises par l’enfant avant et après la confrontation de son choix. D’une part, la mesure «Solution prosociale» offre la possibilité de récolter 6 points (1 pt maximum/question; 2 questions/histoire; 3 histoires) si le comportement est orienté vers le bénéfice d’autrui; 0,5 point s’il est orienté vers le partage des coûts et bénéfices avec autrui; 0 point s’il est non prosocial. D’autre part, la mesure «Perception des besoins d’autrui» propose aussi un score maximal de 6 points: 3 points (1 pt maximum/question; 2 questions/histoire; 3 histoires) si la réponse est jugée cohérente avec les besoins d’autrui; 0,5 point si les justifications ne semblent pas en lien avec les besoins d’autrui; 0 point si l’énoncé ne tient pas compte des besoins d’autrui.

Pour ces trois variables des compétences éthiques une forte corrélation interne est observée grâce au coefficient alpha de Cronbach (0,80). Puisqu’elle semble évaluer un même construit théorique, un score composite fut dégagé à l’aide du score moyen à ces trois mesures initiales.

Enfin, les compétences procédurales sont évaluées à l’aide de la mesure «Résolution de problèmes avec les pairs» («Preschool Interpersonal Problem Solving» [PIPS] de Spivack et Shure, 1974), adaptée par Pagé et Gravel (1998) sur la base de travaux antérieurs (Gravel, 1997; Pagé, 1995; Strayer et al., 1989). Elle évalue l’habileté à trouver une variété de stratégies de résolution de problèmes interpersonnels grâce à cinq mises en situation à la suite desquelles l’enfant doit énoncer une stratégie pour obtenir un jouet en possession d’un pair. Les réponses exposent la diversité du répertoire (1 stratégie/histoire; 5 histoires) avec un score entre 0 et 5 points.

6.2.2 Questionnaire pour mesurer l’adaptation sociale en classe d’éducation préscolaire

Au‑delà des mesures de la pensée sociale, un questionnaire sur l’adaptation sociale perçue par l’enseignante a été rempli pour l’ensemble des élèves. Le «Questionnaire sur l’adaptation sociale de l’enfant[3]» (Gravel et al., 2002; Pagé et Gravel, 1998) regroupe deux instruments distincts: 1) «California Child Q‑Sort» (CCQS) de Block et Block (1980) et 2) «Questionnaire de réputation sociale» de Lapointe, Noël et Strayer (1993). Il mesure les caractéristiques comportementales associées à l’adaptation sociale à partir d’une échelle de type Likert en 7 points, allant de 1 (atypique ‑ «ne lui ressemble pas du tout») à 7 (typique ‑ «ressemble tout à fait»).

Le questionnaire comporte quatre échelles globales incluant des items spécifiques: 1) sociabilité (bonne humeur, extroversion, estime de soi), 2) adaptation sociocognitive (prosocialité, maturité, maturité sociocognitive), 3) problème extériorisé (agressivité, manque d’autocontrôle, problème extériorisé) et 4) problème intériorisé (anxiété). Des calculs de cohérence interne ont été effectués pour les quatre échelles globales découlant d’études antérieures et les items qui les composent (Gravel et al., 2002). Pour cette étude, l’alpha de Cronbach varie entre 0,63 et 0,90 pour les quatre échelles globales: sociabilité (0,84), adaptation sociocognitive (0,90), problèmes extériorisés (0,88) et problèmes intériorisés (0,63). Ces scores sont comparables à ceux d’autres études réalisées avec un échantillon comparable (voir Gravel et al., 2002; Turcotte, 2003).

6.3 Procédure

La collecte des données s’est tenue en milieu d’année scolaire. Les trois instruments mesurant la pensée sociale furent administrés lors d’un entretien de 20 minutes mené par la chercheuse principale et chacun des enfants, dans un local de l’école durant les heures de classe. Un enregistrement audio de ces rencontres a permis la transcription en verbatim. Une journée de suppléance a été offerte aux enseignantes pour remplir les questionnaires sur l’adaptation sociale (durée estimée: 20 min/enfant).

7. Résultats

7.1 Analyses descriptives

Cette section fait état des analyses descriptives sur les variables de l’étude. Pour faciliter la comparaison entre celles‑ci, le score attribué est modifié en pourcentage (score individuel/score maximum possible * 100) (voir tableau 1).

7.1.1 Analyses descriptives pour les compétences de la pensée sociale

Les résultats des enfants à l’épreuve mesurant les compétences conceptuelles (prise de perspective d’autrui) démontrent des performances moyennes de 73,2 (ET = 44,3). Les filles obtiennent un résultat moyen légèrement plus faible que les garçons (68,04 vs 76,74). L’ANOVA ne démontre pas de différence significative selon le genre (F(1,70) = ,666, p = ,417). Quant aux compétences éthiques (attitude prosociale), les résultats moyens sont de 40,3 (ET = 8,5). Le score minimum est de 23,15 pour les garçons et de 24,81 pour les filles. Comme pour le score minimum, le score maximum diffère peu entre les garçons (54,53) et les filles (52,78). L’ANOVA confirme l’absence de différences significatives selon le genre (F(1,70) = ,171, p = ,681). Enfin, les résultats à l’épreuve mesurant les compétences procédurales (résolution de problèmes) attestent d’un score moyen de 41,10 (ET = 20,10). Les filles obtiennent une performance moyenne de 45,52 (ET = 22,61) et les garçons récoltent 38,14 (ET = 17,90). Dans les deux cas, le minimum et le maximum atteignent respectivement 20 et 80. L’ANOVA ne fait pas ressortir de différence significative selon le genre (F(1,70) = 2,376, p = ,128).

7.1.2 Analyses descriptives pour les variables de l’adaptation sociale

La sociabilité des enfants est évaluée en moyenne à 69,3 (ET = 15,40) par leurs enseignantes. Les filles obtiennent un score moyen légèrement plus élevé (M = 72,87; ET = 14,39) que les garçons (M = 66,95; ET = 15,79). Toutefois, l’ANOVA révèle que cet écart n’est pas significatif (F(1,70) = 2,631, p = ,109).

Quant à l’adaptation sociocognitive, la moyenne est estimée à 64,1 (ET = 18,1). Le score moyen des filles se situe à 72,44 (ET = 14,66), tandis que celui des garçons équivaut à 58,55 (ET = 90,48). D’ailleurs, le score moyen des filles est significativement supérieur à celui des garçons (F(1,70) = 11,745, p = ,001).

Les problèmes extériorisés perçus par les enseignantes atteignent une moyenne de 33,08 (ET = 19,84). Les filles obtiennent un score moyen de 25,02 (ET = 13,01) et les garçons de 38,51 (ET = 89,05). Le score des filles (69,60) est significativement inférieur à celui des garçons (85,05) (F(1,70) = 9,259, p = ,001).

Tableau 1

Présentation des données descriptivesa (moyenne, minimum, maximum, écart-type) selon le genre aux variables de la pensée sociale et de l’adaptation sociale

Présentation des données descriptivesa (moyenne, minimum, maximum, écart-type) selon le genre aux variables de la pensée sociale et de l’adaptation sociale

Notes: Min.= minimum. Max.= maximum. ET= écart-type. BF= Statistique Brown-Forsythe.

*p < ,01, **p< ,05, ***p< ,001, ****p< ,0001, tp = ,1.

a Les données sont présentées sous forme de pourcentages moyens.

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Tableau 2

Corrélations bivariées de Pearson entre l’âge des sujets, le genre, les variables de la pensée sociale et de l’adaptation sociale

Corrélations bivariées de Pearson entre l’âge des sujets, le genre, les variables de la pensée sociale et de l’adaptation sociale

*p < ,05; **p < ,01; *** p < ,001, ****p < ,0001, tp = ,1.

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Enfin, les problèmes intériorisés présentent un score moyen de 29,09 (ET = 13,48) selon les enseignantes. Les scores moyens des filles (M =27,88; ET = 13,63) et des garçons (M = 29,90; ET = 14,29) ne présentent pas de différence significative (F(1,70) = ,385, p = ,537).

7.2 Analyses statistiques principales

7.2.1 Corrélations entre la pensée sociale et l’adaptation sociale

Les analyses de corrélations entre la pensée sociale et l’adaptation sociale (voir tableau 2) démontrent une association positive entre l’attitude prosociale et l’adaptation sociocognitive» de l’enfant (r = ,278; p = ,018), ainsi qu’entre le genre et deux échelles de l’adaptation sociale, soit l’adaptation sociocognitive (r = ,378; p = ,001) et les problèmes extériorisés (r = ‑,498; p = ,000). L’âge des sujets n’étant associé à aucune des variables, il ne sera pas contrôlé dans les analyses subséquentes.

7.1.2 Analyses de régression multiples

Des analyses de régression multiples ont été menées afin d’expliquer l’adaptation sociale (c.‑à‑d. sociabilité, adaptation sociocognitive, problèmes extériorisés et problèmes intériorisés) par le genre (bloc 1), étant donné son effet sur l’adaptation sociale de l’enfant, et par les trois compétences de la pensée sociale (bloc 2).

Tableau 3

Analyses de régression de l’adaptation sociale

Analyses de régression de l’adaptation sociale

Notes: Β signifie coefficient bêta. ΔR² veut dire changement dans la variance expliquée. R ² cumul indique la proportion de variance expliquée. ͭ = tendance.

*p < ,01, **p< ,05, ***p< ,001, ****p< ,0001, ͭ p = ,1.

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Le tableau 3 indique que le genre n’apporte pas une contribution significative à l’explication de la première dimension de l’adaptation sociale, la sociabilité (F(1,70) = 2,631, p = ,109). Les compétences de la pensée sociale, lorsqu’ajoutées au genre, ne contribuent pas à expliquer la sociabilité de l’enfant (F(3,67) = 1,348, p = ,266).

Les résultats de l’analyse de régression entre les compétences de la pensée sociale et l’adaptation sociocognitive (2e dimension de l’adaptation sociale) révèlent que le genre explique 14,4 % de la variance, F(1,70) = 11,745, p = ,001. Le coefficient β (β = ,379) montre que les filles présentent une adaptation sociocognitive significativement plus élevée que les garçons, selon l’évaluation de leur enseignante. L’analyse de régression sur l’adaptation sociocognitive révèle que la pensée sociale explique 8,7 % de sa variance, F(3,67) = 2,523, p = ,065. Les coefficients β des compétences de la pensée sociale démontrent que la variable attitude prosociale (β = ,227, p = ,044) a une contribution individuelle significative dans l’explication de l’adaptation sociocognitive, et ce, contrairement aux autres variables. Ensemble, les deux blocs expliquent 23 % de la variance totale associée à l’adaptation sociocognitive.

L’analyse de régression entre les compétences de la pensée sociale et les problèmes extériorisés (3e dimension de l’adaptation sociale) démontre que le genre explique 24,8 % de la variance, F(1,79) = 23,079, p = ,000. Le coefficient β montre que le genre apporte une contribution significative à l’explication des problèmes extériorisés (β = ‑,498). Ainsi, selon leur enseignante, les garçons sont perçus comme ayant davantage de problèmes extériorisés que les filles. Le bloc 2 des compétences de la pensée sociale, lorsqu’ajoutées au genre de l’enfant (bloc 1), n’apportent pas une contribution significative à l’explication des problèmes extériorisés (F(3,67) = ,013, p = ,769).

Les résultats de l’analyse de régression entre les compétences de la pensée sociale et les problèmes intériorisés (4e dimension de l’adaptation sociale) montre que le genre ne contribue pas significativement à leur explication (F(1,70) = ,479, p = ,494). Enfin, il y a absence d’un lien entre les problèmes intériorisés et les compétences de la pensée sociale de l’enfant (F(3,67) = ,821, p = ,487).

8. Discussion

8.1 Portrait de la pensée sociale en classe d’éducation préscolaire 5 ans

Les résultats signalent que les trois compétences de la pensée sociale doivent être considérées de manière à en tracer un portrait juste. En effet, les calculs de corrélations entre celles‑ci traduisent l’absence de lien les unissant, confirmant leur caractère unique et complémentaire préalablement postulé dans cet article.

Les compétences conceptuelles ont été mesurées à l’aide d’une tâche de prise de perspective d’autrui. Cette épreuve est généralement réussie entre 3 et 5 ans (Wellman et al., 2001). Suivant ces constats, les résultats démontrent que les enfants de cet échantillon obtiennent un score moyen élevé. Précisons que l’écart‑type élevé s’explique par le caractère dichotomique de la mesure où le score obtenu en pourcentage est de 0 ou de 100. Des trois mesures de la pensée sociale, celle‑ci semble acquise plus tôt comparativement aux autres. Ce constat est cohérent avec l’étude de Strayer et al. (1989) qui incluait également des mesures liées aux compétences éthiques et procédurales. Spécifions aussi que cette mesure n’implique pas une relation avec un pair contrairement à celles utilisées pour les compétences éthiques et procédurales.

En ce qui concerne les compétences éthiques, les résultats des sujets sont plus faibles avec un écart‑type moins élevé que pour la mesure précédente. À première vue, ils peuvent traduire une moindre compétence à agir de façon prosociale, à privilégier des solutions prosociales ou encore à percevoir adéquatement les besoins d’autrui. Comme la capacité de se mettre à la place d’autrui constitue un prérequis pour l’expression de comportements prosociaux (Eisenberg et Mussen, 1989), l’enfant qui obtient un score élevé à une mesure de prise de perspective d’autrui devient plus susceptible d’agir de façon prosociale (Lalonde et Chandler, 1995; Slaughter, Dennis et Pritchard, 2002; Strayer, 1980). Or, le lien entre la prise de perspective d’autrui et les comportements prosociaux augmentent avec l’âge (Slaughter, Dennis et Pritchard, 2002). Ainsi, Caputi et ses collègues (2012) rapportent que la prise de perspective d’autrui à 5 ans et à 6 ans prédirait les comportements prosociaux un an plus tard. Dans cette étude, des mesures prises un an plus tard aurait pu démontrer un lien plus grand et significatif entre les scores actuels de la prise de perspective d’autrui et l’attitude prosociale.

Comme pour les compétences éthiques, les compétences procédurales exposent des scores plus faibles. L’étude de Turcotte (2003), utilisant la même mesure sur un échantillon d’enfants âgés entre 5 et 6,2 ans (n = 138), a fait ressortir des scores moyens légèrement supérieurs. Néanmoins, l’étude de Turcotte (2003) fut réalisée en fin d’année scolaire. Bien que la trajectoire développementale menant à la capacité de résoudre des conflits sociaux soit encore complexe à décrire, les chercheurs reconnaissent l’importance des expériences relationnelles vécues au quotidien (Blatchford, Pellegrini et Baines, 2016). Ainsi, un enfant ayant plus d’occasions d’échanger avec ses pairs est plus susceptible d’intérioriser un répertoire de stratégies de résolution de problèmes de qualité. Enfin, les études utilisant le PIPS sont souvent longitudinales et se centrent sur les changements quant au nombre de stratégies énoncées ou encore à la nature de celles‑ci (prosociales ou agonistiques) (p. ex., Shure et Spivack, 1980; Strayer et al., 1989; Youngstrom, Wolpaw, Kogos, Schoff, Ackerman et Izard, 2000). Cette étude fournit donc un éclairage différent qui trace un portrait du répertoire de l’enfant de 5 ans, en milieu d’année.

En somme, les compétences conceptuelles possèdent une base cognitive, tandis que les compétences éthiques et procédurales apparaissent davantage rattachées à l’apprentissage et l’intériorisation de connaissances sociales acquises lors d’échanges sociaux. Rappelons que les épreuves mesurant les compétences éthiques (c.‑à‑d. attitude prosociale) et procédurales (c.‑à‑d. capacité de résoudre des problèmes sociaux) reposent sur des mises en situation impliquant des enfants en détresse qui permettent de recueillir des données sur les choix sociaux de l’enfant (aider ou non), sa capacité de comprendre une situation sociale (percevoir les besoins d’autrui et y adapter ses actions), choisir une stratégie dans son répertoire, comprendre le coût personnel qui y est attaché et ainsi de suite. Elles le placent dans un contexte relationnel où il doit généraliser des connaissances sociales (p. ex., valeurs, stratégies) acquises préalablement dans leur environnement. Il est possible que ces compétences demandent, au‑delà d’une capacité à envisager le point de vue d’autrui, une diversité d’expériences sociales permettant de connaître et d’expérimenter une variété de comportements sociaux. Or, ces expériences peuvent varier d’une enfant à l’autre, notamment en fonction de son histoire personnelle et familiale.

Ces résultats laissent ainsi sous‑entendre le rôle notable revenant aux interactions sociales dans le développement sociocognitif de l’enfant. Malgré le fait que l’enfant de cinq ans sait recourir à des comportements prosociaux, son répertoire se raffine encore grâce à ses expériences sociales. D’où l’importance de valoriser les contextes d’apprentissage et de développement ouvrant la voie à une multitude d’opportunités relationnelles dès l’éducation préscolaire et ainsi permettre à l’enfant d’enrichir son niveau de pensée sociale, et ultimement, son adaptation sociale.

8.2 Portrait de l’adaptation sociale en classe d’éducation préscolaire 5 ans

Contrairement aux épreuves mesurant la pensée sociale, les évaluations des enseignantes concernant l’adaptation sociale reflètent une supériorité des filles comparativement aux garçons pour l’adaptation sociocognitive, tandis que les garçons sont jugés comme ayant davantage de problèmes extériorisés. Ce constat, cohérent avec d’autres études, appuie le fait que le regard que l’adulte porte sur les enfants semble parfois biaisé en fonction des attentes qu’il entretient en lien avec le sexe des enfants, ce qui peut en retour influencer les comportements manifestés par les enfants (Bouchard et al., 2006a; Bouchard et al., 2006b; Gauvin et Perez, 2015; Jussim et Harber, 2005; Turcotte, 2003). Au plan méthodologique, cela renforce l’importance de varier les sources d’évaluation des comportements des enfants pour aller au‑delà de ce qui semble être des stéréotypes (Bouchard et al., 2012; Bouchard et al., 2016). Aussi, il faut envisager que ces construits soient tout simplement différents de ceux utilisés pour mesurer la pensée sociale des enfants.

8.3 Relations entre la pensée sociale et l’adaptation sociale

Les analyses de régression hiérarchiques révèlent que le genre est significativement associé à deux des quatre variables de l’adaptation sociale, soit celles de l’adaptation sociocognitive et des problèmes extériorisés, comme d’autres études (Bouchard et al., 2006a; Bouchard et al., 2006b; Eisenberg et al., 2006). Bouchard et ses collaborateurs (2006b), en abordant les différences de genre dans l’évaluation de la prosocialité chez les jeunes enfants, proposent que les comportements réels (observés) se trouvent entre ceux énoncés par l’enfant et ceux révélés par l’enseignante. Suivant cette réflexion, une variété de mesures relevant à la fois des enfants et des enseignantes, de même que des mesures d’observation en milieu naturel, gagneraient à être utilisées (Bouchard et al., 2012; Bouchard et al., 2016).

Au‑delà du genre, c’est la variable de l’attitude prosociale associée à la compétence éthique qui semble le plus expliquer l’adaptation sociale de l’enfant. Le fait qu’une seule des trois variables de la pensée sociale soit associée à l’adaptation sociale peut surprendre, puisqu’une connaissance de l’environnement social, de même qu’une capacité à réfléchir aux actions et réactions qui s’y déroulent, sont habituellement associées à son développement (McComas et al., 2005). La nature des échanges sociaux valorisée en contexte éducatif, misant moins sur les échanges entre pairs, peut‑elle en être une piste d’explication? En d’autres mots, les enfants bénéficient‑ils de suffisamment d’occasions pour échanger avec leurs pairs en contexte éducatif? La question se pose.

Enfin, les analyses corrélationnelles démontrent le caractère multidimensionnel de la pensée sociale. Aussi, certaines des mesures utilisées pour décrire la pensée sociale sont reliées à la sociabilité et à l’adaptation sociocognitive (Rubin et al., 2009).

9. Conclusion

L’article dresse un portrait complet et nuancé de la pensée sociale de l’enfant de 5 ans à l’éducation préscolaire, en plus de préciser les liens entre chacune de ces compétences et de l’adaptation sociale. L’étude innove puisque la pensée sociale s’avère rarement étudiée dans son entièreté, incluant plusieurs compétences sous‑jacentes à son développement. Les résultats confirment d’ailleurs qu’elle est une construction complexe impliquant le développement de plusieurs compétences sociocognitives, à l’instar de Pagé et al. (2001).  

Malgré la rigueur méthodologique suivie, des limites doivent être rapportées avant de terminer cet article. À ce sujet, des renseignements à l’égard des participants tels que la catégorie professionnelle des parents ou le milieu socioéconomique apporterait peut‑être des nuances aux données. Aussi, un échantillon de taille supérieure permettrait l’usage d’un nombre supérieur de mesures pour les compétences sous‑jacentes à la pensée sociale, en permettant d’augmenter la puissance statistique des analyses statistiques. Puisque la progression de la pensée sociale de l’enfant influe sur son adaptation sociale, une prise de mesure plus tardive dans l’année scolaire aurait possiblement permis des associations différentes. Aussi, un suivi longitudinal permettrait d’observer le développement de chacune des compétences au fil du temps, par exemple entre l’entrée en classe d’éducation préscolaire et la fin du premier cycle du primaire.

Quoi qu’il en soit, les constats de cette étude mènent à se questionner sur les possibilités relationnelles à offrir aux enfants en classe d’éducation préscolaire pour le développement et la mise en oeuvre des compétences de leur pensée sociale. Considérant le rôle clé des interactions sociales fréquentes et variées pour l’intériorisation et l’expérimentation des habiletés sous‑jacentes à la pensée sociale, il est souhaité que la présente étude enrichisse les connaissances en matière de pensée sociale chez le jeune enfant.