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Introduction

Ce numéro thématique s’intéresse au parcours d’apprentissage chez les personnes en situation de vulnérabilité sociale. La notion de parcours d’apprentissage, au croisement de l’approche des parcours de vie et du concept d’apprentissage, tente de rendre compte de plusieurs mouvements qui traversent les sociétés contemporaines en matière notamment de délinéarisation des parcours de vie, de pluralisation des logiques de socialisation, de justice sociale et d’apprentissage tout au long de la vie. Ce numéro thématique s’inscrit dans une volonté de structurer une approche autour de la notion de parcours d’apprentissage à travers la mise en dialogue de différents travaux empiriques.

Face au délitement relatif des principales instances socialisatrices – école, famille, travail – la socialisation emprunte désormais des logiques d’action souvent contrastées, caractéristiques de l’individu pluriel contemporain (Dubé, 2009; Lahire, 1998; Sennett, 2000). Les parcours des individus sont désormais multiples et leurs transitions complexes (Guillaume, 2009), sortant des cadres traditionnellement prévisibles (Beck, 2001). S’agissant plus spécifiquement des parcours des personnes socialement vulnérables davantage exposées aux situations d’exclusion, l’approche des parcours de vie (Delory-Monberger, 2013; Elder, 1998; Gaudet, 2013; Lalive d’Épinay et al., 2005) représente une avenue féconde au plan théorique pour appréhender les transformations de leurs parcours, en particulier les questions relatives à leur insertion ou réinsertion sociale et professionnelle. Sa perspective processuelle et contextuelle de l’existence humaine et de ses transitions permet en effet d’éviter «d’assimiler l’ensemble des situations de transition à des situations d’exclusion» (Galland, 1996, p. 191). En effet, concevoir synchroniquement l’insertion et ses transitions limite la portée de l’analyse en éludant les changements que le temps ne manquera pas de produire ainsi que la diversité les imprégnant (Charbonneau, 2003; Hamel, 2003; Pollak, 2009). En porte-à-faux d’un certain fatalisme social qui pèse souvent sur ces populations, il n’y a donc pas qu’une seule voie d’insertion a priori ni aucun point à partir duquel tout deviendrait irrémédiable (Furstenberg, 2005). La perspective processuelle des parcours de vie convient donc bien à l’étude des parcours des personnes en situation de vulnérabilité sociale, car ils peuvent se construire à coups de tâtonnements, d’essais-erreurs, d’allers-retours entre stabilité et précarité d’emplois, d’opportunités, de tentatives d’appropriation de soi et d’apprentissage d’une débrouillardise sociale (Bourdon et al., 2021; Grell, 2004; Supeno et Bourdon, 2017).

Ce regard processuel met aussi en lumière le fait qu’une certaine disqualification dans un contexte en particulier de la personne ne signifie pas pour autant qu’elle l’est également dans ses autres contextes de vie (Payet et Giuliani, 2010; Supeno et Bourdon, 2015). En ce sens, l’approche des parcours de vie, par sa prise en compte de l’interdépendance des contextes de vie (travail, formation, famille, bénévolat, etc.), permet un certain décloisonnement de l’analyse en évitant une lecture unidimensionnelle de l’insertion sociale (Goyette et al., 2007). Plusieurs travaux montrent ainsi que l’analyse des parcours gagne en intelligibilité lorsque sont considérés les contextes sociaux dans lesquels les individus évoluent (Bidart et Longo, 2007; Molgat et Vultur, 2009; Supeno et Bourdon, 2014). Certains travaux esquissent aussi des liens entre la diversité des parcours et les ressources mobilisées ou développées dans divers registres (économique, sociale, dispositionnelle) (Bellot, 2003; Bidart et al., 2002; Hamel, 2002; Grell, 2001; Molgat, 2007; Vultur et al., 2002). Parmi elles, les apprentissages revêtent une dimension particulière, car de nouvelles attentes en matière de formation et d’apprentissage se manifestent dans plusieurs domaines, contextes (formels, informels, non formels) et sphères de vie (notamment personnelle, familiale, scolaire ou professionnelle) (Bourdon, 2010).

Bien que des travaux s’intéressent à l’inscription des apprentissages dans les parcours de vie (Delory-Momberger, 2009; Biesta et al., 2011; Blossfed et al., 2014), aucun à notre connaissance ne s’attarde spécifiquement à celle-ci dans les parcours de vie des personnes en situation de vulnérabilité sociale. Pourtant, les nouvelles attentes en termes d’apprentissage prennent dans leur cas une résonance particulière au regard des inégalités susceptibles d’entraver leurs parcours (p. ex., discrimination, ségrégation scolaire, pauvreté) (Marcotte-Fournier et al., 2015). Leurs apprentissages se font ainsi souvent dans l’adversité (Bélanger, 2015) et leur rapport au savoir (Charlot, 2005) est notamment marqué par divers événements qui contribuent à changer leur regard et le regard des autres sur elles-mêmes (Bourdon, 2009): insertion ou réinsertion professionnelle, interruption et retour aux études, sortie de l’aide de dernier recours, décès d’un proche, etc. Ainsi, pour ces personnes, si certains apprentissages se construisent effectivement en contexte de formation structurée (scolaire, communautaire ou de travail), d’autres le sont tout autant dans des contextes sociaux souvent fragmentés qui, s’ils comportent leur lot de difficultés, sont cependant susceptibles de constituer également des espaces propices au développement de leurs ressources et capacités (Illeris, 2007; Livingstone, 2010; Livingstone et Sawchuk, 2004).

La diversité des contextes possibles des apprentissages, autant ceux curriculaires relevant de la formation structurée que ceux biographiques notamment (Alheit et Dausien, 2005), appelle par conséquent à considérer une lecture processuelle des apprentissages capable de tenir compte de l’ensemble des contextes sociaux, des sphères de vie et des enjeux d’adversité avec lesquels ces personnes doivent composer. Comme «les conditions d’existence d’un individu sont d’abord et avant tout des conditions de coexistence» (Lahire, 1995, p. 17), analyser les interactions entre les contextes, les relations sociales, les caractéristiques personnelles et les conditions de vie de ces personnes (Bourdon, 2009) pour en saisir de manière diachronique les incidences sur leurs apprentissages constitue un défi sur les plans théorique et méthodologique.

L’approche des parcours de vie, de par ses fondements conceptuels évoqués précédemment, pourrait ainsi constituer une voie prometteuse pour documenter ces apprentissages «en train de se faire quand et là où ils se font» chez ces personnes et ces groupes. En effet, mobiliser cette approche pour éclairer les exigences et enjeux d’apprentissage qui pèsent sur les personnes en situation de vulnérabilité sociale peut représenter une avenue heuristiquement féconde pour éclairer des enjeux de justice sociale. La notion de parcours d’apprentissage, qui met en dialogue l’approche des parcours de vie et l’apprentissage tout au long et au large de la vie, contribuerait ainsi à analyser, à l’aune des questions de justice sociale, la réinscription diachronique des apprentissages dans les parcours des personnes en situation de vulnérabilité sociale. Cela permettrait notamment de saisir plus finement comment certaines ressources, comme le droit à l’éducation ou l’existence d’un programme spécifique, sont susceptibles de se transformer ou non en réalisations effectives au fil du parcours des personnes (Sen, 2000). Ainsi, au-delà de l’hétérogénéité apparente des nombreuses adversités avec lesquelles les personnes en situation de vulnérabilité sociale doivent composer (logement, finance, discriminations, ruptures relationnelles, etc.) qui peut conduire à une lecture fixiste de leur situation et de leurs apprentissages, la notion de parcours d’apprentissage peut aider à saisir l’agencement dynamique des ingrédients contextuels, individuels ou encore situationnels, irréductible à toute lecture causale (Longo et al., 2010), mis en oeuvre dans les apprentissages développés au gré des événements et des transitions tout au long et au large de leurs vies.

À la lumière des éléments précédents, et de manière plus large, il apparaît également pertinent de se demander si la notion de parcours d’apprentissage des personnes en situation de vulnérabilité sociale peut être éclairée par celle de la reconnaissance d’Honneth (2000), à l’aune de leurs revendications et de leurs aspirations en marge des canaux formels d’éducation (Garon et Bélisle, 2009). Comment peut-elle contribuer à la réflexion sur le développement, pour ces personnes, de réelles possibilités de participation aux débats et à la prise de décision dans la société considérant que les structures d’opportunités propres à leur position sociale influencent leur accès effectif à des ressources et des contextes d’apprentissage (Sen, 2000)? Cette question de l’accès pose une réflexion critique sur la participation sociale pleine et équitable de tous les groupes sociaux (Fraser, 2004; Vargas, 2017) à l’enjeu collectif de l’apprentissage tout au long et au large de vie. Un enjeu d’autant plus préoccupant qu’on sait par exemple que le niveau de scolarité, en tant qu’apprentissage formel, a une incidence forte sur l’engagement à la formation structurée, sur les conditions de vie et la participation citoyenne (Boeren, 2017; Gauthier, 2015; OCDE, 2019). En corollaire, c’est explorer en quoi la notion de parcours d’apprentissage peut contribuer aux travaux visant à enrichir les façons d’appréhender l’apprentissage et les enjeux de justice sociale qui y sont associés dans un monde social où les enjeux de reconnaissance en éducation se posent avec acuité (Bell, 2016; Dubet, 2009).

Dans un effort de structurer et de baliser ce domaine d’étude, quatre axes de questionnement essentiels selon notre perspective ont été dégagés pour canaliser les textes de ce numéro thématique:

  1. Les continuités et ruptures dans les parcours d’apprentissage de personnes en situation de vulnérabilité sociale à travers la mise en relation de leur situation précise avec leurs expériences antérieures, leurs projets de vie ou les événements concomitants ou précipitants dans leurs sphères de vie. Ainsi, comment les différentes sphères de vie où se déroule leur parcours d’apprentissage interagissent entre elles et se déploient dans la biographie des personnes en considérant les transitions parfois anticipées et d’autres fois imprévues (Bessin et al., 2010)? Comment concilier la dimension sociale, la complexité des situations individuelles et les questions de justice sociale sans tomber dans un déterminisme qui ne céderait qu’à un individualisme volontariste?

  2. Les pratiques de soutien aux parcours d’apprentissage au sens large en considérant notamment les collaborations avec des milieux de pratique ou d’autres ressources présentes dans la communauté. Ainsi, quelles seraient les conditions ou encore les moyens propices pour soutenir la visée émancipatrice de pratiques de soutien qui tiennent compte des contextes de vie des personnes et qui favorisent leur apprentissage (Bélisle et al., 2012; Le Bossé, 2012; Ninacs, 2003)? Ou encore, en quoi des pratiques de soutien promouvant l’agentivité (Crockett, 2002) ou l’empowerment individuel et collectif de ces personnes dans leurs parcours sont susceptibles de retenir l’attention de décideurs et d’acteurs au regard des résultats qu’elles produisent (p. ex.: Michaud et al., 2012)?

  3. La programmation sociale en appui aux parcours d’apprentissage tout au long et au large de la vie. C’est interpeller ici des politiques publiques relatives à l’apprentissage dans leur potentialité à être réellement capacitantes, c’est-à-dire «visant à étendre la capacité des individus, leur possibilité réelle d’accomplir certaines réalisations de valeur» (Verhoeven et al., 2009, p. 4). En ce sens, alors que l’idée de parcours individualisé s’impose depuis quelques années dans différentes politiques publiques au sein des pays francophones, l’étude des parcours d’apprentissage peut contribuer à mieux comprendre comment la programmation sociale en matière de parcours individualisé répond notamment aux intentions de justice sociale. Ainsi, quel est l’accès effectif et équitable des personnes en situation de vulnérabilité sociale aux services et ressources offerts par l’État et ses partenaires? Au-delà d’une description des services reçus ou des parcours dans une seule sphère de vie (p. ex., parcours scolaire), en travaillant les interactions et articulations entre différentes sphères de vie, qu’elles soient en matière de parcours individuels ou de continuité de services d’organismes soutenant la formation et l’apprentissage, en quoi le développement de certains projets ou programmes d’intervention réalisés avec et pour les personnes en situation de vulnérabilité est-il susceptible de contribuer à la compréhension de leur parcours d’apprentissage?

  4. Les appareillages méthodologiques pour documenter les parcours d’apprentissage en les situant dans leurs contextes et dans la durée. En articulant les parcours de vie, l’apprentissage tout au long et au large de vie et la justice sociale, la notion de parcours d’apprentissage invite à faire dialoguer un vaste répertoire d’instruments méthodologiques que ce soit en ce qui concerne l’échantillonnage, l’entrée sur le terrain, la collecte ou l’analyse de données notamment. En cela, quelles sont les avenues méthodologiques potentiellement fructueuses à défricher dans l’analyse des parcours d’apprentissage, que cela porte sur une instrumentation méthodologique classiquement mobilisée ou pas dans l’étude des parcours de vie: suivis longitudinaux, récits de vie (Desmarais et Grell, 1986; Ntebutse et Croyère, 2016), récits de pratique, entretiens, calendriers de cycles de vie, approches cliniques, démarches évaluatives et analyses documentaires, incluant l’analyse de données administratives?

Les textes retenus à la suite d’un appel de contribution pour ce numéro thématique s’inscrivent dans trois de ces quatre axes. Ce constat semble appuyer l’idée que l’articulation des parcours de vie et les processus d’apprentissage s’inscrivant dans ceux-ci constitue une avenue de recherche encore récente, justifiant pleinement la poursuite des efforts pour la structurer davantage. Ce numéro thématique rassemble ainsi six textes organisés principalement autour de l’axe 2 (4 textes) et des axes 1 et 4 (un texte chacun).

Axe 1

Le texte de Rachel Bélisle, Hélène Turmel et Sylvain Bourdon explore, à travers six études de cas, les apprentissages développés par de jeunes adultes en situation de précarité dans plusieurs sphères de vie dans une séquence de leurs parcours de vie. Cette étude prend comme angle d’analyse leur rapport au savoir et les résultats sont structurés autour de deux axes. Le premier, sur le pôle réactivité, caractérise les apprentissages réalisés au travers des expériences de vie. En raison de la situation de précarité des jeunes adultes, ces apprentissages constituent ici le plus souvent une réponse d’adaptation à des contextes d’adversité. Le second, sur le pôle proactivité, identifie les apprentissages en tant qu’expression d’une prise en charge de soi pour développer de nouvelles connaissances ou se projeter dans l’avenir par exemple. L’école de la vie, pour reprendre les termes des auteurs, semble ainsi au coeur des parcours d’apprentissage de ces jeunes adultes. À ce titre, le concept de rapport au savoir, développé dans un contexte de la fréquentation scolaire obligatoire, trouve ici une mise en application fort pertinente. En effet, il permet de travailler la complexité comme la diversité des apprentissages acquis à l’extérieur d’espaces scolaires dans la perspective longitudinale du parcours de vie.

Axe 2

Le texte de Marjorie Vidal, Sophie Grossman et Sylvain Bourdon explore les milieux alternatifs de scolarisation (MAS) en tant qu’espaces sociaux pour soutenir des stratégies adaptées aux parcours d’apprentissage d’élèves en formation générale des adultes et en situation de vulnérabilité. Les parcours de ces derniers se caractérisant souvent par des ruptures, des discontinuités, des expériences multiples et des ressources variées, les MAS adaptent ainsi leurs pratiques de soutien et d’accompagnement en fonction de ces réalités. Ces pratiques dites souples témoignent d’une lecture processuelle et multidimensionnelle des parcours d’apprentissage de ces élèves où la flexibilité des structures (passant notamment par des logiques de temporalité moins normatives) est une des principales caractéristiques. Dans les pratiques de soutien aux parcours d’apprentissage des personnes en situation de vulnérabilités, les pratiques proximales d’accompagnement semblent être une condition favorable à la réussite éducative des publics fréquentant les MAS étudiés. Elles s’appuient particulièrement sur la reconnaissance de l’adversité des expériences dans plusieurs sphères de vie, de la complexité de celle-ci, et des ressources mobilisées par les personnes pour s’engager dans leur parcours d’apprentissage.

Le texte d’Audrey Dupuis et Frédéric Saussez explore de son côté le soutien que représente un processus de counseling de carrière groupal auprès d’élèves du secondaire en formation générale des jeunes aux prises avec une anxiété face à leur choix de carrière. Si la fin des études secondaires constitue une transition scolaire socialement prévue, elle n’en demeure pas moins une source importante d’anxiété pour nombre d’élèves qui doivent effectuer un choix de carrière – que ce soit dans une poursuite d’études ou d’insertion professionnelle. S’appuyant sur plusieurs temps de collecte de données conférant une certaine perspective longitudinale à l’étude, ces auteurs documentent la façon dont les processus d’apprentissage d’élèves se déploient au sein d’un groupe de counseling de carrière. Mobilisant la psychologie historique du développement culturel, les personnes autrices explorent comment le dispositif proposé offre un soutien au parcours d’apprentissage des élèves impliquées. Les résultats montrent qu’à intérieur du groupe les apprentissages sont favorisés par l’introduction de nouveaux instruments de systématisation de l’expérience qui sont mis en jeu collectivement, pour être progressivement mobilisés par l’élève. Ce dispositif de soutien permet ainsi le développement de nouvelles capacités d’agir sur leur anxiété et sur leur choix de carrière et de se doter de nouvelles sources de soutien qui se maintiennent dans le temps. Les personnes autrices proposent également dans leur discussion une mise en dialogue des apports et limites de la psychologie historique du développement culturel et de l’approche des parcours de vie pour étudier les parcours d’apprentissage.

Le texte de Patricia Dionne, Jo Anni Joncas et Josée Charrette s’attarde aux parcours d’apprentissage de personnes réfugiées au cours et à la suite de leur participation dans un groupe d’insertion sociale et professionnelle (ISP). Mobilisant l’approche par les capabilités, ce texte explore comment certains facteurs (socioculturels, environnementaux et personnels) peuvent être mobilisés par des personnes réfugiées pour s’ouvrir un champ d’opportunités réelles en matière d’insertion sociale et professionnelle dans leur pays d’accueil. Trois types de parcours y sont documentés en mettant en relief les facteurs de conversion qui favorise ou pouvant entraver la mobilisation des ressources rendues disponibles dans le groupe d’ISP. La lunette conceptuelle des capabilités, jumelée à l’approche des parcours de vie, permet ici de mettre en lumière l’interaction entre contrainte et ressources sociales au travers des transitions marquantes qui ponctuent les parcours et influencent les possibilités d’apprentissages et ceux qui sont réalisés dans plusieurs sphères de vie. Il permet aussi d’apporter un éclairage conceptuel sur le rôle de l’intervention dans les groupes d’aide à l’ISP comme pratique de soutien au parcours d’apprentissages de personnes réfugiées concernant l’insertion à la fois sociale et professionnelle (intégrant les différentes sphères de vie des personnes).

Le texte de Justine Castonguay-Payant, bien que s’inscrivant également dans le deuxième axe, se distingue des trois autres textes. En effet, au lieu de prendre appui sur des personnes professionnelles (p. ex., personnes enseignantes et conseillères d’orientation) mobilisant des pratiques de soutien auprès de personnes en situation de vulnérabilité sociale, ce texte se concentre sur le rôle des parents, en tant que ressource informelle, dans le processus de choix d’écoles secondaires dans les parcours éducatifs de leurs enfants à besoins particuliers. Ainsi, le recours aux parcours de vie (et en particulier la situation résidentielle des parents) conjugués aux contraintes sociales et à l’offre scolaire permet de reconstruire des parcours éducatifs où le statut «EHDAA» (élèves handicapés et en difficulté d’adaptation et d’apprentissage) constitue un élément cardinal et structurant du champ des possibles en matière de choix scolaire. En intégrant une approche interactionniste des choix scolaires et la dimension des parcours de vie, l’autrice met en lumière comment ces choix sont influencés par l’évaluation de la «qualité éducative» de certaines écoles. Cette évaluation peut créer une séparation des élèves selon leurs caractéristiques sociale et scolaire, pouvant ainsi alimenter le phénomène de ségrégation scolaire et générer des inégalités sociales.

Axe 4

Enfin, le texte de Sophie Madiba explore sous l’angle méthodologique la question des parcours d’apprentissage chez des jeunes en situation d’interruption et de raccrochage scolaire. Cette analyse s’effectue à partir d’un corpus constitué de six textes empiriques en contexte français combinant des méthodologies mixtes. Sa revue synthétique et critique met en lumière l’importance des espaces informels et professionnels où les jeunes se sentent le plus valorisés, en porte-à-faux des espaces scolaires. L’analyse des parcours d’apprentissage, et ce particulièrement avec des devis longitudinaux, permet d’analyser et de mieux comprendre le rôle de différents événements – s’inscrivant au cours, et, au-delà de la période d’interruption d’études des individus – dans les parcours de ceux-ci. Des questionnements pertinents sont soulevés également en indiquant notamment qu’un devis méthodologique quantitatif pourrait masquer le cas échéant la singularité des parcours individuels. L'autrice pose ainsi l’hypothèse qu’une mixité méthodologique offre une assise féconde pour tenter de saisir la complexité des parcours d’apprentissage dans leurs dimensions subjective et objective.

Conclusion

Ces six textes constituent de premières et précieuses contributions au travail de structuration du domaine d’étude des parcours d’apprentissage. Ils ont en effet permis de travailler de manière empirique la proposition présentée dans le texte d’introduction de ce numéro thématique. En premier lieu, l’ensemble des textes mettent en lumière la fécondité d’une perspective longitudinale des apprentissages. Cette lecture processuelle permet en effet de donner accès à la complexité de la construction des apprentissages documentés chez les publics étudiés. Sont mis ainsi en évidence notamment les capacités d’agentivité des individus, ces derniers arbitrant constamment entre dimension contextuelle et ressources et contraintes personnelles et environnementales. Ces travaux mettent aussi en relief l’importance de considérer – comme avancé en introduction de ce texte – les sphères de vie des individus pour développer une meilleure compréhension de leurs apprentissages. Ce construit de sphère de vie se révèle ainsi un outil analytique fort utile pour saisir non seulement les apprentissages mais aussi le rôle prépondérant des contextes de vie dans leur construction – ce qui participe à une lecture multidimensionnelle et moins économico-centrée des personnes en situation de vulnérabilité sociale. L’adversité qui caractérise souvent les parcours de ces personnes trouve alors ici une analyse plus nuancée car moins centrée sur les contextes de formation et de travail, généralement les seuls pris en compte dans le cadre de leur insertion sociale et professionnelle.

Ce numéro thématique, articulé autour de ces six textes, offre ainsi une première problématisation de la notion de parcours d’apprentissage à l’aide de différentes populations en situation de vulnérabilité sociale saisies dans différents contextes d’étude et à l’aide d’une variété de devis méthodologiques. Cette contribution s’avère stimulante sur le plan scientifique et ces textes ouvrent sur de nouvelles questions qui contribueront, elles aussi, à raffiner conceptuellement la notion de parcours d’apprentissage. En effet, si ces textes confirment le potentiel de cette notion au croisement des parcours de vie et du concept d’apprentissage, ils appellent en même temps à mieux articuler conceptuellement ledit croisement. En ce sens, si cette notion trouve ici ses premiers appuis en matière de pertinence sociale mais aussi scientifique, comme tout travail scientifique pionnier, ces efforts de structuration appellent évidemment à être poursuivis. À cet effet, l’absence de travaux sur le troisième axe (la programmation sociale) témoigne de ce constat et ouvre sur un besoin de connaissances scientifiques à ce chapitre sur la notion de parcours d’apprentissage.