Introduction

L’analyse des parcours d’apprentissage des personnes en situation de vulnérabilité sociale, un analyseur d’enjeux de justice sociale[Notice]

  • Eddy Supeno,
  • Patricia Dionne et
  • Jean Gabin Ntebutse

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  • Eddy Supeno
    Université de Sherbrooke

  • Patricia Dionne
    Université de Sherbrooke

  • Jean Gabin Ntebutse
    Université de Sherbrooke

Ce numéro thématique s’intéresse au parcours d’apprentissage chez les personnes en situation de vulnérabilité sociale. La notion de parcours d’apprentissage, au croisement de l’approche des parcours de vie et du concept d’apprentissage, tente de rendre compte de plusieurs mouvements qui traversent les sociétés contemporaines en matière notamment de délinéarisation des parcours de vie, de pluralisation des logiques de socialisation, de justice sociale et d’apprentissage tout au long de la vie. Ce numéro thématique s’inscrit dans une volonté de structurer une approche autour de la notion de parcours d’apprentissage à travers la mise en dialogue de différents travaux empiriques. Face au délitement relatif des principales instances socialisatrices – école, famille, travail – la socialisation emprunte désormais des logiques d’action souvent contrastées, caractéristiques de l’individu pluriel contemporain (Dubé, 2009; Lahire, 1998; Sennett, 2000). Les parcours des individus sont désormais multiples et leurs transitions complexes (Guillaume, 2009), sortant des cadres traditionnellement prévisibles (Beck, 2001). S’agissant plus spécifiquement des parcours des personnes socialement vulnérables davantage exposées aux situations d’exclusion, l’approche des parcours de vie (Delory-Monberger, 2013; Elder, 1998; Gaudet, 2013; Lalive d’Épinay et al., 2005) représente une avenue féconde au plan théorique pour appréhender les transformations de leurs parcours, en particulier les questions relatives à leur insertion ou réinsertion sociale et professionnelle. Sa perspective processuelle et contextuelle de l’existence humaine et de ses transitions permet en effet d’éviter «d’assimiler l’ensemble des situations de transition à des situations d’exclusion» (Galland, 1996, p. 191). En effet, concevoir synchroniquement l’insertion et ses transitions limite la portée de l’analyse en éludant les changements que le temps ne manquera pas de produire ainsi que la diversité les imprégnant (Charbonneau, 2003; Hamel, 2003; Pollak, 2009). En porte-à-faux d’un certain fatalisme social qui pèse souvent sur ces populations, il n’y a donc pas qu’une seule voie d’insertion a priori ni aucun point à partir duquel tout deviendrait irrémédiable (Furstenberg, 2005). La perspective processuelle des parcours de vie convient donc bien à l’étude des parcours des personnes en situation de vulnérabilité sociale, car ils peuvent se construire à coups de tâtonnements, d’essais-erreurs, d’allers-retours entre stabilité et précarité d’emplois, d’opportunités, de tentatives d’appropriation de soi et d’apprentissage d’une débrouillardise sociale (Bourdon et al., 2021; Grell, 2004; Supeno et Bourdon, 2017). Ce regard processuel met aussi en lumière le fait qu’une certaine disqualification dans un contexte en particulier de la personne ne signifie pas pour autant qu’elle l’est également dans ses autres contextes de vie (Payet et Giuliani, 2010; Supeno et Bourdon, 2015). En ce sens, l’approche des parcours de vie, par sa prise en compte de l’interdépendance des contextes de vie (travail, formation, famille, bénévolat, etc.), permet un certain décloisonnement de l’analyse en évitant une lecture unidimensionnelle de l’insertion sociale (Goyette et al., 2007). Plusieurs travaux montrent ainsi que l’analyse des parcours gagne en intelligibilité lorsque sont considérés les contextes sociaux dans lesquels les individus évoluent (Bidart et Longo, 2007; Molgat et Vultur, 2009; Supeno et Bourdon, 2014). Certains travaux esquissent aussi des liens entre la diversité des parcours et les ressources mobilisées ou développées dans divers registres (économique, sociale, dispositionnelle) (Bellot, 2003; Bidart et al., 2002; Hamel, 2002; Grell, 2001; Molgat, 2007; Vultur et al., 2002). Parmi elles, les apprentissages revêtent une dimension particulière, car de nouvelles attentes en matière de formation et d’apprentissage se manifestent dans plusieurs domaines, contextes (formels, informels, non formels) et sphères de vie (notamment personnelle, familiale, scolaire ou professionnelle) (Bourdon, 2010). Bien que des travaux s’intéressent à l’inscription des apprentissages dans les parcours de vie (Delory-Momberger, 2009; Biesta et al., 2011; Blossfed et al., 2014), aucun à notre connaissance ne s’attarde spécifiquement à celle-ci dans les parcours …

Parties annexes