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1. Introduction et contexte de la recherche

Au Québec, la plupart des enfants traversent plusieurs périodes de transition que ce soit à l’école ou dans leur milieu de vie. Par exemple, le passage primaire-secondaire fait partie de ces étapes tournantes dans la vie de chaque écolier, mais aussi dans celle de leur famille (van Zanten, 2009). Pour de nombreux parents québécois, cette transition constitue un processus délicat et même une période critique tant sur le plan personnel que sur le plan scolaire (Duval, 2017; Bélanger, 2015). Lorsque l’enfant éprouve des difficultés reconnues par son école ou lorsqu’il nécessite un enseignement adapté à ses besoins particuliers (BP), plusieurs parents ressentent le besoin de porter une attention spéciale aux conditions d’apprentissage dans les établissements scolaires (Rousseau et al. 2009, 2010; Poirier et Vallée-Ouimet, 2015; Lanners et Lanners, 2008). En effet, même si chaque enfant en difficulté scolaire suit ultimement un parcours de vie qui lui est propre, il emprunte un chemin façonné par des trajectoires[1] singulières et complexes (Moulin, 2017; Jacques, 2015; Gherghel et Saint-Jacques, 2013). Certains de ces parcours peuvent être générateurs d’inégalités sociales (Moulin, 2017; Jacques, 2015; Gherghel et Saint-Jacques, 2013; Oris et al., 2009). Plusieurs de ces inégalités prennent forme et s’accumulent particulièrement lors des périodes de transition, que ce soit au sein même du système d’éducation ou lors du passage vers le monde du travail (Moulin, 2017; Oris et al., 2009).

1.1 Parcours de vie, choix scolaires et inégalités sociales

Le parcours de vie qu’un enfant à BP poursuit est souvent tributaire des décisions de ses parents. Le choix de son école secondaire, un choix dont le processus est élaboré dans la durée et à travers nombre d’interactions sociales (van Zanten, 2009), s’inscrit à son tour dans des parcours aux embranchements et constellations multiples auxquels peuvent participer plusieurs individus façonnés par leurs origines sociales ou familiales (Oris et al., 2009). Ce ou ces processus de choix sont de plus composés d’autres dimensions sociales (comme les normes parentales, les influences du voisinage ou des membres de la famille) dont certaines sont propres à l’enfant (p. ex., difficultés scolaires, intérêts, talents), de différentes contraintes objectives (p. ex., financières, territoriales ou structurelles) et de «jugements de qualité[2]» portés par les parents sur les établissements scolaires (Karpik, 2007; Felouzis et Perroton, 2007).

1.2 Objectifs de l’étude

Dans un premier temps, la présente contribution souhaite comprendre comment sont élaborés les processus de choix de l’école secondaire d’enfants à BP ou d’élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA)[3] par des parents montréalais. Dans un deuxième temps, elle cherche à savoir si ces processus sont différenciés et selon quels critères. Pour ce faire, cet article invite à penser les processus de choix d’une école secondaire selon une approche des parcours de vie et à examiner comment les familles, ou plus spécifiquement les parents, orientent le parcours scolaire de leurs enfants à BP. Enfin, cette étude tente une articulation entre une approche d’inspiration interactionniste sur les choix scolaires[4] (van Zanten, 2009) et l’approche des parcours de vie.

Nous proposons d’abord un aperçu des travaux portant sur les parcours éducatifs, les parcours scolaires, les parcours de vie de même que sur les choix scolaires stabilisant quelques notions conceptuelles. Ensuite, la portion consacrée à la méthodologie présentera les différentes méthodes d’enquête et d’analyse menant aux principaux résultats. Il sera question de tenter d’établir des dialogues en écho aux travaux étudiés afin de mieux comprendre comment les parents construisent (ou pas) leur choix d’école secondaire au coeur de la trajectoire scolaire des enfants à BP et, par conséquent, de leur parcours de vie.

2. Revue de littérature

Les parcours éducatifs (educational pathways) peuvent être définis de différentes manières et formalisent l’ensemble des apprentissages[5] des élèves (Jourdan, 2017). Premièrement, au singulier, le parcours éducatif peut référer à l’ensemble de la scolarité ou à «l’itinéraire éducatif» d’un individu (Jourdan, 2017). Au pluriel, il désigne alors la diversité des possibilités ou des options éducatives à la portée d’un individu, où il y a bien souvent une diversification de l’offre éducative. La présence d’une offre éducative diversifiée, conjuguée à la liberté de choix et à la concurrence entre les écoles, annonce également l’existence de ce que Felouzis et al. (2013) appellent les «marchés scolaires» (MS). Ces MS ont souvent été dépeints comme des vecteurs ou des leviers propices à l’augmentation de la ségrégation sociale et scolaire souvent à la base d’inégalités face à l’école (Lessard, 2019; Kamanzi et Maroy, 2017; Felouzis et al., 2013).

Lorsque des inégalités sociales s’expriment à l’école, elles prennent souvent racine dans la famille. Elles tendent par la suite à être (re)produites grâce à différents mécanismes propres au monde scolaire comme les arrangements institutionnels, le fonctionnement interne des écoles ou les MS (Lessard, 2019; Felouzis et al., 2013; Felouzis, 2009). Le choix de l’école, l’un des principes de fonctionnement des MS et associé aux usagers que sont les parents d’élèves, peut également faire partie de ces mécanismes en favorisant un tri social des élèves sur base de leur profil scolaire (van Zanten, 2009).

La littérature scientifique abordant les choix scolaires soit en matière de pratiques ou de processus, ou encore en tant que levier de fonctionnement des marchés scolaires spécialement lors du passage vers le secondaire, est particulièrement abondante en Europe et aux États-Unis (Felouzis et al., 2013; van Zanten, 2009; Belfield et Levin, 2002). Plusieurs de ces travaux se penchent sur le passage primaire-secondaire dans une perspective sociologique (van Zanten, 2009; Felouzis et Perroton, 2007) alors que d’autres s’intéressent aux choix scolaires dans une perspective économique (Chubb et Moe, 1990). En Amérique du Nord, des études se concentrent sur les effets de la mise en concurrence des écoles que permettent les choix scolaires dans un objectif d’amélioration de la réussite des élèves (Jabbar et al., 2019). Certains travaux pointent des effets négatifs ou quasi nuls de cette concurrence sur la réussite, alors que d’autres révèlent un effet faiblement positif sur la réussite de même que sur la diplomation (Foreman, 2017; Belfield et Levin, 2002). Au Canada, des chercheurs comme Davies et Aurini (2004), Bosetti et Pyryt (2007), Bélanger (2011), Bosetti et Gereluk (2016) et Bosetti et al. (2017) ont étudié le rôle de critères individuels, linguistiques, religieux ou sociaux des parents dans l’élaboration de choix scolaires. Cependant, les processus de choix sont rarement étudiés du point de vue de parents d’élèves à BP.

Plusieurs travaux explorent la construction d’inégalités sociales à travers les parcours de vie (inégalités sociales de santé chez les aînés: Oris et al., 2016; au sein de transitions familiales: Ghergel et Saint-Jacques, 2013; ou encore les inégalités de genre: Moulin, 2017; Oris et al., 2016). L’articulation entre parcours scolaires et inégalités sociales a, quant à elle, été explorée dans une étude menée par Felouzis (2009). Il ressort des analyses que le fait de regrouper ensemble des élèves faibles, socialement défavorisés ou en difficulté, produit des «conséquences négatives sur le niveau des apprentissages, et génère ainsi des inégalités entre individus et groupes sociaux» (p. 164). Il précise que ce sont des inégalités sociales grandement favorisées par les MS.

3. Problématique et question de recherche

La diversification des parcours éducatifs peut être vue par plusieurs parents comme une manière de faciliter l’arrimage entre les besoins et la personnalité de chaque enfant et les services scolaires. Cette «quête parentale», possible depuis le Rapport Parent (Gouvernement du Québec, 1963), profite alors de l’ouverture à la diversification de l’offre entre le réseau public et le privé. Les élèves pouvaient également espérer avoir les chances «égales» de réussite, à partir du regroupement des élèves selon leur âge, leur développement cognitif, et en leur offrant les mêmes ressources de soutien et des enseignants dotés de la même formation universitaire (LeVasseur, 2012). Avec les années, différentes législations et politiques publiques (p. ex., loi 180) (Maroy, 2021) ont promu une plus grande autonomie des écoles et une certaine sensibilité face aux volontés des parents d’élèves à BP. On attendait des écoles qu’elles commencent à varier les contenus éducatifs (Poirier et Vallée-Ouimet, 2015; Rousseau et al., 2009; LeVasseur, 2012). Dès lors, les établissements scolaires, surtout au secondaire, répondent à l’impératif de diversifier les parcours éducatifs, visant à favoriser ainsi un meilleur arrimage entre l’offre de service éducatif et les besoins de chaque enfant (Conseil supérieur de l’éducation, 2009, 2016, 2017).

Outre les contenus éducatifs plus diversifiés, le système scolaire québécois comme on le connaît permet la multiplication des filières et des projets pédagogiques particuliers dans le réseau d’enseignement secondaire public en concurrence avec le privé (Maroy, 2021). Dans son ensemble, cette offre de service scolaire est regroupée en trois principaux parcours très différents et fortement ségrégués et étanches (Kamanzi et Maroy, 2017). Ces trois parcours au secondaire (classes ordinaires des écoles publiques, projets pédagogiques particuliers des écoles publiques et écoles privées) accueillent des élèves en fonction de leur profil scolaire et conduisent les enfants vers des trajectoires scolaires différenciées et souvent corrélées aux caractéristiques sociales des parents (Kamanzi et Maroy, 2017). Ces trajectoires singulières aboutissent d’autant plus à des finalités très différentes les unes par rapport aux autres (Bélanger, 2015). Ainsi, l’avenir de chaque enfant tend à être grandement déterminé, même «verrouillé» de par sa trajectoire scolaire au secondaire (Kamanzi et Maroy, 2017). Lorsque les enfants se trouvent séparés (puis hiérarchisés) en fonction de leur profil scolaire, cela nourrit non seulement la ségrégation sociale et scolaire, mais aussi, la reproduction sociale. En effet, en sélectionnant les élèves sur la base de leur mérite, certains élèves se trouvent dirigés dans les programmes ou filières spécialisées, laissant derrière eux des élèves en difficulté ou «moins talentueux» (Lessard, 2019; Kamanzi et Maroy, 2017).

Pour trouver une école secondaire, plusieurs parents émettent des «jugements» sur la qualité perçue des établissements scolaires (Castonguay-Payant et Maroy, 2020). Cette qualité est alors définie selon deux principales catégories: 1) les qualités de l’instruction ou la capacité de l’école à conduire l’enfant vers la fin de sa scolarité; 2) les qualités de la socialisation qui s’y développe pour les élèves (Felouzis et Perroton, 2007). Élaborés à partir de ces jugements, les processus de choix de l’école semblent se construire de manière variable entre les familles en fonction de différents facteurs, contraintes et barrières (van Zanten, 2009). En s’accumulant, ces contraintes peuvent circonscrire l’accès des élèves à certains parcours scolaires, au «savoir», à la connaissance et ultimement aux professions. De plus, les trajectoires différenciées des enfants ouvrent la voie à la personnalisation et l’individualisation des parcours scolaires qui peuvent s’accompagner de préoccupations de reproduction sociale ou de distinction (Fahmi et Poirier, 2020; Lessard, 2019; Bélanger, 2015; Bourdieu, 1979, 1980). Par ailleurs, des sociologues reconnaissent que différents mécanismes de sélection sociale sont particulièrement fréquents dans les MS (Felouzis et al., 2013; Felouzis, 2009). Par exemple, les jugements de qualité sur les écoles émis par les parents en contexte de MS participent à la hiérarchisation des écoles et en leur sein, à celle de certains élèves aux profils scolaires spécifiques (Lessard, 2019; Felouzis et Perroton, 2007). On peut alors se poser la question suivante: comment les familles, spécialement les parents d’enfants à BP, «bâtissent» leur jugement envers les écoles secondaires et comment ce jugement influence-t-il ensuite leur processus de choix? À ce jour, un vide subsiste dans l’étude de ces processus du point de vue de parents d’élèves à BP, encore plus dans une perspective de parcours de vie. Cette étude tente d’éclaircir la question et examine les perceptions sociales, préférences[6] et stratégies parentales en matière de choix scolaires en amont du passage vers le secondaire, et susceptibles de conditionner la scolarité des enfants à BP.

4. Cadre théorique et conceptuel

La présente étude se base sur une recherche qualitative plus vaste (Castonguay-Payant, 2020) portée dans une large mesure par une perspective interactionniste sur les choix scolaires (van Zanten, 2009). Cette recherche visait à l’origine à étudier la construction du choix de l’école secondaire dont l’accent était mis sur le «processus» en amont de ces choix. Cette perspective interactionniste s’associe également à plusieurs notions théoriques et conceptuelles tirées des travaux de Karpik sur l’économie des singularités[7] (2007), de Felouzis et al. (2013) sur les marchés scolaires, de même que sur la sociologie de la famille (de Singly, 2010).

Pour sa part, cet article souhaite conjuguer certains éléments de la perspective interactionniste sur les choix scolaires, soit les dimensions de visées éducatives[8] (ambitions et aspirations familiales[9] en matière d’éducation (van Zanten, 2009; de Singly, 2010) avec l’approche des parcours de vie à la lumière de Oris et al. (2009). Certains points communs ressortent de cette association; ces approches permettent d’étudier le rôle de dimensions individuelles, scolaires, familiales, résidentielles, sociales et institutionnelles dans la construction des choix scolaires et recoupent des notions comme celles de trajectoires, de transition (p. ex., le passage primaire-secondaire) ou encore celle de «vies liées» qui articule les trajectoires individuelles et vie sociale (Charruault, 2020). Cette étude puisera également certains ancrages théoriques sur les parcours de vie des travaux de Gherghel et Saint-Jacques (2013) et de Moulin (2017).

Pour marier ces approches, l’accent est alors mis sur la trajectoire «portée» par différents facteurs et par différentes contraintes, circonstances, normes, préoccupations, barrières, obligations et interactions sociales. Ainsi, ces interactions peuvent prendre forme en fonction des origines sociales et familiales des individus, chacun ayant emprunté des trajectoires individuelles qui leur sont propres (Bourdieu, 1979). Enfin, dans cette étude, les parcours scolaires sont compris au regard des options scolaires à la portée (ou pas) d’un enfant ayant des BP.

Cet article se concentre également sur un principe propre aux parcours de vie, soit celui de la «capacité d’agir» des individus ou ce qui est également appelé «l’intentionnalité» (human agency) (trad. Gherghel et Saint-Jacques, 2013). Ce principe repose sur le postulat que les individus sont en mesure d’orienter leur vie et même celle de leur progéniture. Toutefois, nous verrons de quelle manière ce principe est modulé par des contraintes affectant plus ou moins la scolarité de leur enfant à BP.

5. Méthodologie

Embrassant une posture compréhensive et interprétative, la présente étude s’appuie sur des entretiens semi-directifs menés en suivant une grille d’entretiens (Kaufman, 2011). Ces entretiens ont été conduits auprès de parents montréalais dont l’enfant évoluait en fin de primaire. Ils ont été recrutés à partir de choix raisonnés soit par effets «boule de neige» et «de cascade» (Pires, 1997). La grille d’entretien visait à obtenir des informations sur la trajectoire globale du parent rencontré dont l’histoire familiale (composition de la famille, origine, valeurs), les préférences en matière de scolarité, ou encore, la vie résidentielle. Pour des raisons éthiques, nous dévoilerons uniquement des informations générales sur leur vie familiale (noms fictifs, profil scolaire de l’enfant). La présente étude expose donc les perceptions de parents, toutes des mères (N = 15), dont l’enfant est, selon son parent, reconnu en «difficulté» ou à besoins particuliers par l’institution scolaire. Il peut être EHDAA, en attente d’une évaluation susceptible de mener à la catégorie «EHDAA» ou en processus d’évaluation. Parmi les troubles ou conditions révélés par les répondantes, nous comptons le trouble de déficit d’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H), suivi des difficultés de langage écrit (dyslexie ou dysorthographie), des difficultés sur les plans de la motricité volontaire/coordination des gestes appris (trouble du développement de la coordination, dyspraxie) ou en mathématiques (dyscalculie), du syndrome de Gilles de la Tourette, du trouble d’opposition et parfois d’une combinaison de troubles ou conditions comme une douance[10] additionnée d’un TDA/H.

L’analyse inductive de ces 15 récits met en mots les processus de choix scolaires de chaque parent positionné dans une grille de classification qualitative multicritère renseignant sur ses conditions de vie (revenus, diplôme, lieu de résidence, etc.) (Castonguay-Payant, 2020). À quelques occasions au cours des analyses et à des fins de comparaisons, certains rapprochements sont effectués entre ces parents et ceux d’élèves dits «doués» ou «sans besoin particulier», étudiés dans le cadre de la recherche d’origine (Castonguay-Payant, 2020).

6. Résultats: l’élaboration des parcours de scolarisation

Cette partie consacrée aux résultats fait état de la variabilité des processus de choix au coeur duquel le respect des besoins de l’enfant est une composante centrale. En effet, la place que prennent les BP des enfants dans les jugements parentaux s’associe à d’autres dimensions pour structurer les différents parcours scolaires des enfants.

Les analyses révèlent que les processus à la base de la construction des choix scolaires des enfants à BP sont centrés sur quatre principales dimensions que nous prendrons le soin de développer plus loin: 1) les peurs, craintes et préoccupations diverses; 2) les préférences parentales comme les attentes, les visées éducatives ou les aspirations qui variaient très largement en fonction des BP des enfants; 3) l’attention accordée au public d’élèves dans les écoles secondaires ciblées; 4) la nécessité d’avoir un suivi plus étroit sur la scolarité des enfants en difficulté. Ces dimensions structurent ensuite l’élaboration des stratégies de choix à la base de la définition des parcours scolaires.

6.1 Quelques préoccupations et inquiétudes parentales

Les analyses révèlent la présence de diverses craintes, inquiétudes et préoccupations parentales que l’on peut relier à trois objets: 1) à la trajectoire de vie globale (incluant la scolarisation) de l’enfant; 2) au passage de l’enfant vers le secondaire spécifiquement et 3) au classement social ou au positionnement de la famille dans l’échelle sociale. Les parents d’enfants à BP s’inscrivent le plus souvent dans la première catégorie avec quelques nuances. Par exemple, Judith est préoccupée par l’avenir de son enfant en difficulté, une inquiétude que l’on peut situer dans le premier groupe:

[C]’est sûr qu’on a une inquiétude face à l’avenir hein euh [...] on veut protéger nos enfants contre, contre l’avenir, parce que nous on sait que ça peut être difficile.

Judith, mère d’une fille dyslexique

Certains parents, comme Cynthia (ci-dessous), sont particulièrement contrariés par la trajectoire scolaire globale de l’enfant. La fille de Cynthia, atteinte TDA/H type inattention, persévère malgré son diagnostic. Cependant, la mère craint que sa fille perde un jour sa motivation à l’école. Elle aimerait pouvoir atténuer ces craintes par le choix de l’école bien que ce ne soit pas possible:

[E]lle a de la difficulté à l’école. C’est difficile, elle n’a pas beaucoup d’estime d’elle-même avec le TDA, les difficultés, les échecs, ça ne l’aide pas. [...] j’ai peur qu’elle perde ce vouloir-là, cette volonté-là, tu sais, à force de tout le temps avoir des échecs [...], mais en réalité, t’as pas le choix si t’as de la difficulté [à l’école].

Cynthia, mère d’une enfant TDA

De son côté, Nathalie semble avoir des préoccupations en lien le passage de l’enfant vers le secondaire spécifiquement:

Dès qu’il a rentré à l’école, les inquiétudes ont commencé. [...] J’appréhende le secondaire depuis longtemps.

Nathalie, mère d’un enfant atteint du syndrome de Gilles de la Tourette combiné à un TDAH et un trouble d’opposition

Pour Marie-Louise, ses craintes semblent être liées à la fois au passage primaire-secondaire soit à la préparation de son enfant (TDAH combiné à la douance) aux examens d’admission, de même qu’à un possible déclassement social. En effet, elle craint l’échec de son enfant aux examens et de devoir se rabattre sur le programme régulier d’une école publique, ce qu’elle considère particulièrement contrariant:

[...] j’avais raté la vie de mon enfant, je l’envoyais dans une polyvalente, tu sais alors que son père est allé aux Jésuites à Québec, tu sais là à… St-Charles-Garnier, les bonnes écoles, il a fait du latin. Moi je suis allée à Pierre-Laporte, j’ai fait du ballet [...] puis lui [mon fils] avait comme une polyvalente à Saint-Michel, dans un programme régulier, là j’étais comme [soupir]…

Marie-Louise, mère d’un enfant ayant un TDA/H combiné à la douance

À la lumière de l’extrait précédent, il semble que les ambitions de Marie-Louise ou ses «espoirs» de parent n’aient pas été atteints. Elle a l’impression qu’en envoyant son fils dans un programme régulier d’une école publique, elle «rate sa vie» en plus de mettre fin à l’ascension de ce dernier sur l’échelle sociale. On constate également que Marie-Louise considère ce (non-)choix d’école comme un «échec» ou une déception scolaire et sociale par rapport, à la fois, aux aspirations qu’elle entretient pour son fils et à sa propre trajectoire prestigieuse de danseuse classique.

D’autres dimensions d’importance ont été soulevées par les parents comme les performances scolaires générales de l’enfant, des performances situées sur un axe échec-réussite ce sur quoi porte la partie suivante.

6.2 Différentes conceptions de la réussite scolaire

La recherche d’origine révélait cinq conceptions de réussite auxquelles peuvent être liées des ressources familiales plurielles (catégories socioprofessionnelles des parents, scolarité, etc.). Ces conceptions de la réussite consistent en 1) la réussite «pour passer», 2) la réussite qui consiste à «faire de son mieux», 3) la réussite basée sur la performance ou sur l’atteinte de notes élevées, 4) la réussite axée sur la réalisation des souhaits et rêves abandonnés du parent et 5) une réussite dissociée de l’école, soit «réussir sa vie» et devenir de bons citoyens. Cependant, chez les parents d’enfant à BP, seules les formes de réussite centrée sur le fait «de passer» et «faire de son mieux» ont été constatées.

C’est sûr que j’attendrai jamais d’elle des 90-95, mais elle est capable de passer, là, tu sais.

Julie, mère d’une fille avec statut EHDAA

De plus, aux yeux des parents ayant un enfant aux prises avec des difficultés, la notion de «réussite» est modulée par le statut de l’enfant, pour lequel un choix de trajectoire scolaire doit être fait en conséquence. Ces parents recherchent alors une réussite «possible» compte tenu des BP de l’enfant.

6.3 Attentes et visées éducatives

D’après notre compréhension des attentes ou des visées éducatives familiales selon le point de vue interactionniste de van Zanten (2009), c’est-à-dire la pondération des visées instrumentales et expressives en éducation, une grande importance est accordée à l’épanouissement de l’enfant au sein du monde scolaire. Par ailleurs, bien souvent, nos parents insistent sur le bonheur de l’enfant comme critère dominant dans le choix de l’école secondaire.

Oui je pense que [l’école] l’internationale aurait été un choix, définitivement, si j’avais senti que Marc serait bien là [...], mais j’avais des grands doutes que Marc ne serait pas heureux [...].

Yasmine, mère d’un garçon TDAH

La principale différence entre les attentes des parents d’enfants, avec ou sans statut BP, réside dans la place variable qu’occupent les visées expressives et instrumentales dans les priorités familiales. Cet élément sera précisé dans la partie consacrée à la discussion.

6.4 Quels parcours scolaires possibles pour un enfant à besoins particuliers?

L’envie ou le désir de choisir une école secondaire est partagé de manière assez généralisée chez les répondantes, sans égard à la «réalité» de l’enfant à BP, et à la possibilité ou aux «capacités» de choisir des parents (Castonguay-Payant, 2020). Toutefois nos répondantes disposent d’un éventail de choix variables en fonction de contraintes diverses (territoriales, familiales, financières ou une combinaison de ces contraintes). Les parents ont en commun le fait que les difficultés scolaires constituent souvent la contrainte «pivot» qu’ils placent au coeur du processus. Par exemple, Nathalie mentionne avoir «peu de choix» pour son fils. Atteint de multiples troubles, son fils a besoin d’obtenir une recommandation de la direction actuelle en vue de pouvoir considérer une école spécialisée privée d’intérêt public où les parents ne paient pas de frais de scolarité (école Vanguard). Ainsi, un bon nombre de ces parents perçoivent les choix scolaires comme une absolue nécessité afin d’atténuer l’impact des difficultés (scolaire, sociale, personnelle, etc.) sur la trajectoire de vie globale des enfants, mais que cette nécessité est souvent limitée par des contraintes structurelles (obtenir la recommandation de la direction).

La répartition des choix scolaires envisagés pour un enfant avec BP est présentée dans le tableau 1 ci-dessous. On peut observer que la très forte majorité de parents des enfants à BP cible une école secondaire publique, alors que seulement trois parents pensent envoyer leur enfant dans une école secondaire privée.

Tableau 1

Répartition des choix envisagés en fonction des BP de l’enfant[11][12]

Répartition des choix envisagés en fonction des BP de l’enfant1112

-> Voir la liste des tableaux

Enfin, mentionnons au passage qu’à la lumière de notre échantillon, aucun parent d’enfant à BP et issu de la classe populaire n’envisage une école privée. De plus, les parents optant pour les programmes particuliers appartiennent minimalement à la classe moyenne. Cette autre particularité des processus de choix met en lumière le fait que, selon les données obtenues, les établissements privés priorisent l’admission d’élèves n’ayant pas de BP et provenant de famille en mesure de payer les frais d’entrée. En ce sens, la différenciation des choix d’écoles des parents d’élèves à BP est donc à la fois socialement et scolairement marquée.

6.4.1 La recherche d’une école «de qualité» du point de vue de l’instruction

La capacité de l’école à soutenir l’enfant et à le tenir loin des difficultés scolaires était un critère principal d’appréciation de l’école fréquemment observé autant chez les parents d’enfants ordinaires qu’à BP. En écho au travail de Felouzis et Perroton (2007) sur l’économie de la qualité appliqué aux choix scolaires, ce critère appartient à la catégorie efficacité-encadrement de l’instruction. À titre d’exemple, Annie (ci-dessous) souhaite assurer un bon suivi de l’enfant durant son secondaire et ainsi, mettre toutes les chances de son côté en matière de réussite, une réussite sans ambition particulière:

[D]ans le cas de mon fils qui a un peu plus de difficultés, ben [j’aimerais] qu’il y ait des ressources pour ces jeunes-là, mon fils en particulier, pour donner un coup de main, une chance aux jeunes pour une meilleure chance de réussite.

Annie, mère d’un garçon en processus d’évaluation

L’examen des données révèle également que la recherche de qualités associées à l’instruction vise principalement la quête de «bonnes conditions d’apprentissage» et, aux yeux des parents, ces conditions semblent incarnées par la recherche d’un «bon enseignant». Ces parents espèrent que cet enseignant saura accompagner l’enfant jusqu’à la fin de son secondaire dans le respect de ses besoins, de ses intérêts et de son individualité. Yasmine, dont le fils a un TDAH, recherche cet encadrement adapté à la réalité de celui-ci.

[A]vec son TDAH euh, c’était important pour moi d’avoir une école… où je savais qu’il allait être bien encadré.

Yasmine, mère d’un garçon TDAH

Il semble que la composante socioaffective de la relation enseignant-élève est examinée de manière attentive, davantage encore que pour les élèves «ordinaires» plus souvent décrits comme étant autonomes. La prise en compte de l’individualité de l’enfant à BP est donc davantage recherchée, faisant ainsi passer en seconde position les compétences pédagogiques relatives à la transmission de la matière (Fahmi et Poirier, 2020).

6.4.2 La qualité de la socialisation passablement déterminante

Pour certains parents, l’environnement d’apprentissage souhaité et recherché doit aussi être composé d’élèves dont les valeurs et modes de vie sont proches de celles de la famille. Ainsi, une corrélation peut être établie entre le «choix de l’environnement d’apprentissage» et des aspects touchant la socialisation de l’enfant (Felouzis et Perroton, 2007). Ces aspects peuvent être divisés en deux principales catégories: 1) le fait d’offrir une «vie d’enfant» avec relations amicales épanouissantes et expériences socioaffectives à l’extérieur de l’établissement; 2) éviter les publics d’élèves peu «fréquentables», voire nuisibles à la scolarité de l’élève à BP, que ce soit à l’école ou dans le milieu de vie quotidien.

6.5 Stratégies et bifurcations résidentielles

Certains parents élaborent des stratégies afin de trouver une école qui convienne à la fois aux BP et aux souhaits de leur enfant, espérant faciliter sa transition vers le secondaire.

6.5.1 Déménager pour trouver l’école qui convient à l’enfant

Le déménagement fait partie des stratégies les plus fréquemment soulevées dans les récits parentaux. Cette stratégie décloisonne le champ des possibilités lorsque l’école idéale ne se situe pas près du lieu de résidence actuel. L’attractivité qu’éprouvent les familles pour la grande ville de Montréal varie souvent en fonction des parcours de vie personnelle des parents, dont les trajectoires scolaires et professionnelles. Certains parents de l’échantillon estiment qu’il s’agit pour eux d’une «chance» voire d’un privilège que de vivre en ville et de pouvoir trouver l’école secondaire idéale pour leur enfant en difficulté. Cette mère en témoigne:

[...] en venant à Montréal, je me disais qu’ils [mes enfants] étaient chanceux, parce qu’ils ont une offre incroyable pour aller chercher LE programme [...]. Fait que c’est un privilège qu’on a.

Marie-Louise, mère d’un garçon TDAH combiné à la douance

Il faut toutefois souligner que la notion de «privilège» fait ici référence aux caractéristiques spatiales de la ville (p. ex., découpage du territoire, emplacement des écoles) et aux «moyens financiers» nécessaires afin de pouvoir bénéficier des possibilités de choix qu’offre la ville.

Dans certains cas, ces stratégies résidentielles visent à satisfaire la vision parentale de l’école idéale qui rime bien souvent avec le fait «d’éviter» l’école publique de quartier; cette dernière n’étant généralement pas à la hauteur des jugements de qualité émis par les répondantes. Ces parents vont alors se tourner, parfois, vers une autre école publique. C’est le cas de Julie, qui, dans l’extrait ci-dessous, mentionne qu’elle a l’intention de déménager afin de se rapprocher de la future école publique de sa fille, située dans un autre quartier. Ce déménagement est de plus «obligé» suivant le manque de ressources de l’école publique de quartier:

Puis, on va déménager l’année prochaine pour se rapprocher, justement, de l’école secondaire que Anaïs va aller [...] je me suis fait… dire par la directrice à la réunion [...] que si ma fille a beaucoup de difficultés scolaires, il n’y aurait pas d’aide pour elle ici [...] parce qu’ils n’ont pas assez de… de revenus pour, heu… Tu sais, ceux qui ont des petites difficultés, ils sont capables de… de parer à… mais ceux qui ont des plus grosses difficultés, ils ne sont pas capables [...].

Julie, mère d’une fille avec statut EHDAA

À la lumière de cet extrait, ce changement de résidence semble nécessaire afin d’obtenir le suivi scolaire que requiert la situation et les BP de l’enfant.

6.5.2 Les stratégies de défection visant l’école publique de quartier

Chantal (ci-dessous) élabore également une stratégie vis-à-vis de l’école publique attitrée. Il s’agit d’une stratégie éducative élaborée à la suite d’une expérience vécue durant sa trajectoire de vie personnelle touchant directement son frère. Cet épisode douloureux l’encourage à se tourner, pour sa fille à BP, vers le choix d’une école secondaire privée située dans le quartier:

L’école de quartier publique c’est Saint-Luc. Mon frère est allé à Saint-Luc, il s’est fait tabasser, il a lâché l’école, il a dû reprendre son secondaire à l’école d’adultes le soir, il se faisait taper dessus, il a pris du poids [...] je ne peux juste pas [inscrire mon enfant dans cette école]. Je ne peux pas, voilà!

Chantal, mère d’une fille avec statut EHDAA

Le vécu du frère de Chantal pèse lourd dans sa vision de la qualité de l’école. Celle-ci combine à la fois les dimensions liées à l’instruction et à la socialisation (Felouzis et Perroton, 2007). On constate également à quel point elle entretient la peur de voir sa fille vivre une expérience pouvant conduire à de sérieux échecs à la fois personnels, mais aussi scolaires. Précisons aussi que Chantal dispose de ressources financières facilitant l’expression de ses stratégies. À noter que Julie, tout comme Chantale, a délaissé son école de quartier attitrée, mais pour des objets différents; l’une pour satisfaire les BP de sa fille; l’autre pour apaiser ses craintes héritées de l’histoire familiale. Ainsi, les trajectoires scolaires des enfants sont largement tributaires des décisions en lien avec la situation résidentielle prises au sein des familles.

7. Discussion

À la lumière des résultats présentés, il est possible d’émettre cinq principales remarques. Premièrement, la notion de «vies liées» est perceptible dans la recherche d’une relation socioaffective entre l’élève à BP et l’enseignante ou l’enseignant (Charruault, 2020). Elle agit comme principal ancrage de la quête d’une «bonne école secondaire» et conduit par la suite les parents à rechercher un «environnement d’apprentissage». Celui-ci est synonyme soit de réseau d’enseignement public, soit de réseau privé. Cela constitue le point de départ de la diversification des parcours scolaires pour nombre d’enfants dont la caractéristique clé est leurs BP additionnés d’autres contraintes que nous verrons plus loin. Il s’agit là d’un premier constat qui n’avait pas fait l’objet d’attention à ce jour.

Deuxièmement, les attentes éducatives des parents d’enfants varient selon la place qu’occupent les visées expressives et instrumentales (van Zanten, 2009) dans les aspirations familiales, soit les souhaits ou rêves entretenus à l’égard de l’enfant. En effet, dans la recherche d’origine, les parents d’enfants dits «doués» ou dotés de compétences scolaires «ordinaires» entretiennent souvent des aspirations plus instrumentales, par exemple, centrées sur des trajectoires scolaires longues. Cependant, la prise en compte des difficultés des enfants à BP se traduit généralement par la planification d’une scolarité plus modeste ou moins centrée sur des ambitions élevées. Cela se manifeste notamment par la conception d’une réussite modérée et par une appréciation des écoles en termes de capacité à mener l’enfant au bout de sa trajectoire scolaire secondaire tout en atténuant les risques d’échecs. Cette caractéristique des processus de choix n’était pas ressortie d’autres études jusqu’à maintenant.

Troisièmement, bien que les parents priorisent les qualités de l’instruction d’une bonne école, plusieurs sont préoccupés par la présence d’élèves jugés peu «fréquentables», que ce soit à l’école ou dans le milieu de vie quotidien. Ces parents exercent subtilement une forme de contrôle sur le public d’élèves gravitant autour de l’enfant, que ce soit, en classe ou dans l’environnement social proche de celui-ci (Felouzis et Perroton, 2007). Ce contrôle social parental semble conditionner la trajectoire scolaire globale de l’enfant. Il vise à assurer la sécurité de l’enfant plus qu’à le positionner favorablement dans l’échelle sociale, comme on peut plus souvent le constater chez les parents d’élèves sans BP (Castonguay-Payant, 2020). En ce sens, la famille façonne effectivement les trajectoires scolaires des enfants à BP (Ghergel et Saint-Jacques, 2013; Oris et al., 2009).

Quatrièmement, cette étude décèle des liens entre parcours scolaires et profil socioscolaire des enfants à BP. En séparant ces élèves les uns des autres puis en les hiérarchisant en fonction de leurs caractéristiques scolaires, cela peut alimenter la ségrégation scolaire au Québec, elle-même à la base d’inégalités face à l’école (Lessard, 2019; Kamanzi et Maroy, 2017; Felouzis et al., 2013).

Enfin, la présente étude étant limitée à la population de Montréal, il est difficile de dégager des tendances. Il pourrait toutefois être intéressant d’obtenir un portrait plus large de ces parents d’élèves à BP en interrogeant des répondantes et répondants résidant dans d’autres secteurs (urbains et ruraux) de la province et d’étudier les parcours scolaires des élèves à BP dans une perspective longitudinale.

8. Conclusion: quels parcours scolaires et quelles inégalités?

Cet article se voulait une occasion d’étudier la construction des parcours scolaires de jeunes à BP à travers le regard de leurs parents. Il apporte une contribution significative à ce numéro en se penchant sur les processus de choix scolaires singuliers et multiples (Karpik, 2007), des processus lus et compris à partir d’un mariage entre une perspective interactionniste sur les choix scolaires et l’approche des parcours de vie (van Zanten, 2009; Gherghel et Saint-Jacques, 2013). Cette étude permet de plus une articulation entre interactions sociales, trajectoires et offres de services éducatifs en contexte de MS auxquelles ont accès certaines familles.

Les analyses ont montré que, pour plusieurs des familles rencontrées, les «statuts EHDAA» ou les BP des enfants affectent considérablement les processus de choix scolaires, leurs préoccupations et leurs préférences en matière d’éducation. Ce statut particulier agit souvent comme «socle» voire comme une contrainte limitant le champ des possibles, auquel peuvent s’additionner d’autres facteurs. Ainsi, l’ensemble de ces considérations participent à l’élaboration de parcours scolaires différenciés dont les BP de l’enfant sont l’une des composantes centrales.

Ce serait à partir de leur définition de la qualité éducative (Felouzis et Perroton, 2007) que les parents optent avant tout pour un environnement scolaire dans lequel des conditions d’apprentissage recherchées et adaptées aux besoins de l’enfant pourraient se retrouver. Cela conduit les parents à se tourner vers un milieu scolaire en association avec ces perceptions qui, par la suite, les oriente vers une école, ou dans certains cas un réseau d’enseignement (Castonguay-Payant, 2020). Il faut cependant insister sur le fait que pour une bonne majorité de parents d’élèves à BP, ce réseau est, le plus souvent, le réseau d’enseignement public. On peut poser l’hypothèse que les programmes pédagogiques particuliers et l’école privée semblent davantage être associés aux enfants dits «doués» ou «ordinaires» et provenant de familles en mesure de payer les frais d’inscription exigés par ces établissements scolaires.

Différents mécanismes inhérents au processus de choix de l’école secondaire (p. ex., contraintes liées au profil des élèves, au territoire, etc.) susceptibles de produire des inégalités ressortent des analyses. Par exemple, les processus sélectifs ou encore les coûts d’entrée s’ils ne tiennent pas compte des difficultés des enfants et de leur famille peuvent exclure bon nombre d’enfants de programmes scolaires et réduire leur potentiel à leurs difficultés.

Pour conclure, cette étude montre que les parents d’élèves à BP ont le «désir» ou, parfois, ressentent la nécessité de choisir une école secondaire. L’intentionnalité ou la capacité d’agir des parents, bien que contrainte ou circonscrite par plusieurs dimensions, participe au fonctionnement du MS de Montréal. À la lumière des données, on semble par ailleurs déceler une subtile forme de «régulation» de la population d’élèves, voire un tri social de celle-ci, par d’autres variables que la famille ou les aptitudes scolaires, soit par les difficultés identifiées ou en cours d’identification. Il serait pertinent dans de prochains travaux de se pencher sur l’étude des choix scolaires d’enfants à BP dont les processus sont construits dans des contextes éducatifs structurés par différentes politiques publiques comme la gestion axée sur les résultats (Maroy, 2021; Lessard, 2019), et voir si ce tri social peut être observé dans ces autres contextes et comment il s’exprime.