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Présentation
Cet ouvrage collectif s’adresse à la communauté étudiante et enseignante en design et conception, ainsi qu’aux décideurs du système éducatif de ces disciplines. Il résulte d’une journée d’étude sur «L’enseignement du design et de la conception» organisée en 2020 à Aix-en-Provence. Il prolonge les réflexions amorcées par des enseignants de design, des étudiants et des doctorants, des chercheurs d’horizons disciplinaires multiples, issus de diverses universités, de France et de Suisse. L’ouvrage se concentre sur les multiples enjeux de la transmission et de l’apprentissage des savoirs en design, une discipline où le geste créatif devient à la fois un acte formateur et un objet d’étude. Les auteurs et autrices explorent les interactions entre enseignement et pratique du design, en mettant en lumière les dynamiques entre les enseignants et enseignantes, les apprenants et apprenantes, ainsi qu’entre les concepteurs et conceptrices, mais également les usagers.
Le concept d’interdisciplinarité est au coeur de l’ouvrage, reflétant la diversité des approches méthodologiques employées pour analyser les processus pédagogiques en design. Les chapitres sont signés par des auteurs et des autrices issus de divers champs disciplinaires, ce qui apporte une richesse et une complémentarité de points de vue sur les processus d’apprentissage et de transmission des savoirs en design.
Afin de mieux cerner cette richesse méthodologique, l’ouvrage est organisé en huit chapitres et présente des démarches et des contributions de recherche différentes. Il offre une réflexion théorique approfondie sur la didactique ou les didactiques du design et présente des études de cas pratiques qui mettent en lumière les dynamiques visibles et invisibles de la transmission des savoirs en design. À travers ces analyses, l’ouvrage vise non seulement à étayer et à enrichir les pratiques pédagogiques en design, mais aussi à contribuer à une juste reconnaissance et structuration de cette discipline dans les systèmes éducatifs.
Démarche et contribution de recherche
Cet ouvrage collectif, structuré en huit chapitres, propose plusieurs méthodologies pour analyser les processus d’apprentissage dans l’enseignement du design.
Chapitre 1 – Pour une didactique du design. Le modèle de la musicologie didactique
Le premier chapitre rédigé par Pascal Terrien propose une étude comparative du modèle de la musicologie didactique appliqué à une didactique de l’enseignement du design. Il identifie les mécanismes de transposition didactique qui adaptent les savoirs professionnels au cadre pédagogique. Un parallèle est fait entre les enseignants et les enseignantes de musique, qui sont musiciennes et musiciens, et ceux en design, également praticiens et praticiennes, ce qui enrichit la transmission pédagogique. L’auteur souligne la complexité de cette transposition dans le design, en raison de la diversité des approches créatives et technologiques. Alors que les musiciennes et les musiciens utilisent le corps et la voix comme outils, les professionnels du design, eux, dépendent d’outils intermédiaires, créant une distance avec l’engagement corporel. Pour pallier cette difficulté, il propose une systématisation de la transposition qui intègre les pratiques artistiques et conceptuelles, en insistant sur le geste créatif.
Chapitre 2 – Les didactiques au service de la compréhension des enseignements du design
Dans le deuxième chapitre, Christophe Moineau explore la formation des designers en France. Il adopte une méthodologie sous forme d’analyse curriculaire et systémique à partir de rapport et des études de terrain pour explorer les dynamiques pédagogiques et institutionnelles. L’un des principaux résultats de sa recherche est la complexité des relations entre les différentes personnes engagées dans la noosphère de l’enseignement. La didactique du design est marquée par des tensions entre les objectifs professionnels et académiques. L’auteur met en évidence le rôle central de la transposition didactique et des pratiques sociales de référence dans la formation des designers, tout en soulignant la nécessité de développer des recherches spécifiques sur la didactique de cette discipline.
Chapitre 3 – Enseignement du design et démocratie technique
Le troisième chapitre rédigé par John Didier met en avant l’importance de la démocratie technique dans l’enseignement du design. Il utilise une méthodologie participative, incluant des entretiens de groupe et des débats associant experts et non-initié. Ses résultats montrent que l’implication des étudiantes et des étudiants dans des processus de débat et de conception démocratique permet de renforcer leur pensée critique et leur capacité à intégrer les enjeux sociaux dans leurs projets de conception. Ce chapitre révèle également que la coopération et la controverse technique sont des outils efficaces pour stimuler l’apprentissage en design. Dans cette perspective, l’enseignement du design permet de former des citoyennes et des citoyens éclairés aptes à agir face aux situations incertaines et inédites.
Chapitre 4 – Technologie et/ou Design. Le milieu indiscipliné du technologue
Le quatrième chapitre rédigé par Victor Petit recourt à l’histoire de la discipline, à son épistémologie, aux observations in situ pour analyser «l’indiscipline» du design et explorer la tension entre technique et création. Son étude révèle que le design occupe une position intermédiaire entre plusieurs disciplines, et que cette indiscipline peut être vue comme une force dans le cadre de l’apprentissage. Il montre que l’intégration des aspects techniques et créatifs permet aux étudiants de développer des compétences transversales, mais que cela rend aussi difficile la formalisation des savoirs à transmettre. Sa méthodologie met en lumière la pluralité disciplinaire en tant que ressource dans la formation des designers et conduit à ne pas considérer le design comme une discipline de recherche.
Chapitre 5 – Didactique des enseignements technologiques : le rôle des intermédiaires graphiques dans les instruments de la conception
Dans le cinquième chapitre, Patrice Laisney se concentre sur le rôle des intermédiaires graphiques dans les processus de conception. Son étude montre que les outils graphiques (comme les logiciels de CAO) jouent un rôle essentiel dans la transmission des savoirs en design, notamment en facilitant la visualisation et la modélisation des idées. Il utilise des captations vidéo et l’analyse microdidactique pour étudier les interactions pédagogiques impliquant des outils graphiques. Les résultats indiquent que l’utilisation de ces outils modifie les interactions pédagogiques et encourage une approche plus collaborative entre les enseignants et enseignantes et les étudiants et étudiantes. Les intermédiaires graphiques permettent également de réduire la distance entre la conception abstraite et la réalisation concrète.
Chapitre 6 – Quelle place pour un·e designer dans une recherche sur la pédagogie?
Ce sixième chapitre, rédigé par Karen Polesello et Christophe Moineau, met en avant le rôle des designers dans la pédagogie. La participation active des designers dans des projets pédagogiques permet de créer des dispositifs d’enseignement innovants. Ils combinent des observations participatives et des entretiens pour étudier le rôle des designers dans les dispositifs pédagogiques. Ils examinent la contribution des designers dans la pédagogie active et collaborative à l’école primaire. Les résultats suggèrent que les méthodologies participatives et collaboratives peuvent être efficaces pour stimuler l’apprentissage en design, en créant un dialogue constant entre la théorie et la pratique. Les auteurs soulignent également que ce type de recherche existe, par ailleurs, sans les designers.
Chapitre 7 – Enseigner le design avant les enseignements professionnels du design
Dans le septième chapitre, Sophie Farsy analyse la manière dont les enseignants du secondaire transmettent les concepts de design avant que les élèves ne poursuivent leurs études dans des formations professionnelles. Elle utilise des observations en classe et des entretiens d’autoconfrontation pour examiner comment les enseignants de design en lycée technologique transposent les savoirs professionnels. Son étude montre que les enseignants imposent une succession de tâches fictives de conception pour familiariser les élèves avec les processus créatifs. Les résultats indiquent que ces activités permettent aux élèves de s’engager dans des démarches de conception qui restent cependant éloignées des compétences professionnelles attendues dans le domaine du design.
Chapitre 8 – Gestes professionnels de l’enseignant·e d’arts appliqués de lycée professionnel: un pilotage opérant et un tissage restreint
Dans le huitième et dernier chapitre, Émeline Roy explore les gestes professionnels des enseignants d’arts appliqués en lycée professionnel. Elle adopte une approche microdidactique, combinant vidéoscopies et analyse des gestes verbaux et non-verbaux des enseignants et enseignantes, révélant leur impact sur le processus d’apprentissage des élèves. Elle met en évidence leur rôle dans l’ajustement pédagogique. Les résultats mettent en lumière que les gestes verbaux et non verbaux des enseignants et enseignantes, surtout les gestes d’étayage, sont cruciaux pour accompagner les élèves dans leur apprentissage. Ils montrent que les enseignantes et les enseignants expérimentés adaptent plus facilement leurs gestes en fonction des besoins des élèves, contrairement aux enseignants débutants.
Point de vue
L’ouvrage L’enseignement du design. Un geste créatif et une activité formative (2023) représente une avancée précieuse pour la didactique du design, en contribuant à formaliser cette discipline en développement. Il offre une analyse approfondie de la transmission des savoirs en design en tant qu’activité créative et pédagogique. La recherche parvient, grâce à des méthodologies spécifiques, à donner des pistes pour structurer l’enseignement du design. Elle montre qu’enseigner le design ne consiste pas seulement à transmettre des techniques, mais à accompagner les élèves à développer leur autonomie, leur esprit critique et leur rôle de citoyen. Les auteurs démontrent ainsi l’importance de maintenir cet enseignement tout au long du parcours scolaire, en utilisant des méthodes adaptées, qui ne sont pas celle du designer.
Les apports de l’ouvrage résident dans sa rigueur méthodologique et la diversité des perspectives adoptées. Basé sur des recherches empiriques variées – notamment des entretiens semi-directifs, analyses vidéo et observations de terrain –, l’ouvrage capture la complexité des processus pédagogiques en design. Il introduit des concepts novateurs, tels que l’indiscipline du design, qui souligne la nature hybride de cette discipline, et valorise l’interdisciplinarité. En mettant en avant l’utilisation des outils numériques et graphiques dans l’apprentissage et en intégrant la collaboration entre les enseignants et enseignantes et les étudiants et étudiantes, ainsi que les professionnels du design, l’ouvrage enrichit le cadre pédagogique en le connectant aux réalités pratiques du design.
Toutefois, l’ouvrage présente certaines limites. D’abord, le langage technique et les concepts de didactique spécifiques peuvent être déconcertants pour les lecteurs non familiers avec ces terminologies, réduisant ainsi l’accessibilité de l’ouvrage. Une vulgarisation des concepts complexes aurait amélioré sa lisibilité pour un public plus large. Ensuite, bien que les méthodologies et pratiques pédagogiques soient bien explorées, l’absence d’évaluation des impacts de ces pratiques sur les apprenants laisse des questions ouvertes. Des études longitudinales auraient pu mieux mesurer l’efficacité à long terme des méthodes pédagogiques proposées.
L’ouvrage, centré sur les contextes français et suisse, manque également de perspectives internationales. Une ouverture à d’autres systèmes éducatifs aurait permis de confronter les pratiques décrites à diverses réalités culturelles et éducatives. Enfin, une discussion approfondie sur les défis rencontrés par les enseignants dans la mise en oeuvre de ces méthodologies, notamment dans des environnements moins bien dotés en ressources, aurait été utile pour les praticiens cherchant des solutions concrètes aux défis de la transposition didactique.
Conclusion
L’enseignement du design. Un geste créatif et une activité formative pose les bases d’une réflexion structurante pour la recherche sur l’enseignement du design, et ouvre des perspectives prometteuses pour structurer les pratiques pédagogiques en design. Il contribue de manière significative à formaliser un champ de recherche en plein développement. En ce sens, il s’agit d’un ouvrage fondateur pour comprendre les enjeux et les défis de l’enseignement du design dans le contexte contemporain.