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Introduction

Au Québec, le rapport entre les familles et le droit qui prétend les encadrer suscite actuellement beaucoup de controverses. Une partie de ces controverses est liée au constat selon lequel les familles sont de plus en plus nombreuses au Québec à occuper une place en marge du droit. On ne se marie plus autant qu’avant[2] – parfois par choix[3], mais parfois aussi, semble-t-il, par une sorte d’inertie, ou par méconnaissance des effets juridiques de l’union de fait[4]. Plusieurs croient à tort qu’après quelques années de vie commune ou l’arrivée d’un enfant, le droit québécois assimile les couples en union libre aux conjoints mariés (Belleau, 2011). Aux yeux de nombreux acteurs des milieux juridiques, politiques et sociaux, la situation actuelle est problématique, sans que se dégage pour autant une forme de consensus quant aux solutions à adopter en la matière[5]. Des considérations de justice et de protection des membres vulnérables de la famille se mêlent et s’opposent à des notions de liberté et de préservation de la vie privée des individus, avec, au coeur du débat, une question fondamentale : quelle est la place du droit dans la vie des couples et des familles aujourd’hui?

Cette question, nous avons voulu l’envisager du point de vue des familles elles-mêmes. Quelles conceptions les hommes et les femmes qui vivent en couple laissent-ils voir du droit? Comment envisagent-ils l’existence de règles générales applicables à tous, par rapport aux ententes personnalisées ou à une approche qui laisserait aux professionnels du droit une marge de manoeuvre pour prévenir ou régler les différends au cas par cas? Le droit leur semble-t-il susceptible d’attiser ou d’apaiser les conflits lors d’une rupture conjugale? Outre l’expérience et les connaissances des individus sur les devoirs et obligations liés à la vie conjugale, nous avons en effet observé que les rapports qu’ils entretiennent à la norme juridique, ou leur conscience du droit, influencent grandement leurs pratiques concrètes dans ce domaine.

Au cours des dernières années, une littérature importante s’est développée autour de cette notion de conscience du droit[6]. La conscience du droit peut être définie comme la compréhension quotidienne qu’ont les acteurs de certaines catégories juridiques, compréhension que l’on observe non seulement dans leur discours, mais aussi dans leurs actions de la vie de tous les jours. Si les chercheurs se sont souvent intéressés à la conscience du droit de certains groupes marginalisés (par exemple les travailleurs pauvres [Merry, 1990], les femmes de la rue [Levine et Mellema, 2001], les gais et lesbiennes [Harding, 2006]), très rares demeurent toutefois les travaux qui se sont attardés à explorer le rapport des individus au droit relativement à la vie familiale et conjugale. Dans ce qui suit, nous travaillerons d’abord à partir d’une étude empirique[7] afin de dégager les rapports au droit qu’entretiennent les personnes rencontrées en ce qui concerne la vie familiale.

Divers rapports au droit se dégagent des échanges avec les répondants de nos enquêtes sur l’encadrement légal de la vie conjugale. Alors qu’une majorité de nos répondants envisagent le droit dans ses dimensions plutôt symboliques ou morales, au sens d’un ensemble de règles de conduite et de valeurs qui définissent une norme sociale, certains abordent plutôt le droit dans un rapport instrumental, où chacun est responsable d’utiliser les règles en vigueur pour faire valoir ses intérêts. D’autres, enfin, manifestent au contraire une hostilité a priori envers ce qu’ils perçoivent comme une forme de contrôle ou d’envahissement par l’État de leur vie privée. Dans les études sur la conscience du droit, ces différentes postures sont souvent exprimées, selon la typologie qu’en ont faite Ewick et Silbey, par des acteurs se positionnant devant, avec ou contre le droit (Ewick et Silbey, 1998 : 47-49). Sans nous en tenir strictement à cette typologie qui correspond, sous plusieurs aspects, à nos propres observations, celle-ci permettra de structurer notre analyse.

Si, dans sa forme officielle, le droit est partout, il importe cependant de rappeler qu’il n’occupe souvent qu’une place très secondaire dans les représentations (Levine et Mellema, 2001; Hertogh, 2009). En effet, comme nous le verrons, plusieurs répondants semblent ignorer partiellement ou totalement les droits et obligations légales pertinents à la vie de couple et s’en remettre bien davantage à des normes sociales propres à la vie conjugale et familiale – ce qui ne les empêche pas d’entretenir certains rapports au droit susceptibles d’influencer leurs pratiques[8]. Loin d’être statiques, ces positions par rapport au droit peuvent se transformer au fil des événements singuliers vécus par chacun, des dynamiques conjugales et, aussi, en fonction des connaissances acquises par les individus. Si la conscience du droit, telle que nous l’étudions ici, ne se réduit pas à la connaissance des règles en vigueur, elle entretient néanmoins avec cette dernière un rapport dynamique, qui sera dans ce qui suit davantage esquissé qu’approfondi. De plus, la conscience du droit se situe sur un plan plus général que l’appréciation des règles juridiques singulières; dans le discours des personnes rencontrées, elle se manifeste avec une certaine constance au gré des sujets abordés, si bien que nous avons choisi de ne pas traiter séparément les propos liés à la pension alimentaire, au patrimoine familial ou aux autres règles de droit – règles qui demeurent pour le reste souvent indistinctes chez les personnes interrogées elles-mêmes.

L’analyse que nous proposons vise principalement à éclairer les attentes sociales à l’égard du droit en matière conjugale. L’approche inductive adoptée ici est balisée par certains écrits pertinents pour ce domaine, sans toutefois y référer de manière systématique et exhaustive. Au gré de l’analyse, nous mettrons en relief les ponts qui existent entre le rapport intuitif au droit de la famille chez les personnes rencontrées et l’évolution de celui-ci dans l’histoire récente au Québec. Loin de se laisser réduire à une visée univoque, le droit est en effet traversé d’une pluralité d’approches et d’objectifs, comme le sont aussi les attentes à son égard. Ainsi est-ce fort artificiellement, à notre avis, que le discours actuel du législateur concernant l’encadrement juridique de l’union de fait se borne au seul respect du libre choix des conjoints n’ayant pas officialisé leur union[9].

Le droit, un système cohérent au service de l’ordre et de la cohésion sociale

La plus grande partie de nos répondants semblent concevoir le droit comme une réalité extérieure, se situant au-delà de leur vie quotidienne. Leur attitude correspond assez bien à cette conscience devant le droit que définissent Ewick et Silbey (1998), où le droit est perçu comme un système à la fois ordonné, objectif et relativement impartial devant les cas singuliers. Ainsi, le droit officialise et légitime des états de fait, et garantit la justice grâce à sa procédure formelle. Chose d’experts dont on ignore souvent les rouages concrets, on sait néanmoins qu’en cas de problème, le droit saura vraisemblablement imposer la juste solution.

Le droit relatif à la vie conjugale, vu sous cet angle, conduit certains de nos répondants, notamment parmi les croyants, à penser qu’il doit s’adosser à des valeurs morales et maintenir une distinction entre le mariage et l’union de fait, afin de préserver une hiérarchie entre ces formes d’union. D’autres, au contraire, s’appuient sur l’idée d’un besoin de protection universel chez les familles, indépendamment du type d’union, et croient que le droit, afin d’être cohérent et impartial, doit refléter l’évolution des moeurs des familles.

Le droit en soutien à l’institution du mariage

L’affaiblissement de la dimension religieuse et symbolique du mariage est une tendance largement constatée au Québec, que déplorent quelques-uns de nos répondants. À leurs yeux, le droit et la religion se présentent comme des institutions garantissant le respect de certaines valeurs morales. Avec le recul du religieux, le droit devient alors la seule institution susceptible de préserver la dimension symbolique du mariage. Pour cette raison, quelques personnes rencontrées, mariées religieusement pour la plupart, s’opposent à un traitement légal équivalent des conjoints de fait et des conjoints mariés. Pour Françoise et Gilles, par exemple, égaliser le mariage et l’union de fait, comme le font les lois sociales et fiscales aujourd’hui, revient à banaliser le mariage : 

Tu sais avec les impôts, avant, si tu étais conjoint de fait, c’était différent; aujourd’hui, ça a changé. Je trouve qu’ils traitent le mariage… souvent, c’est rendu banal. […] Au niveau juridique, ils sont en train d’amener toute la même chose pour les conjoints de fait que pour le mariage. Je trouve que quelque part, c’est dénigrer le mariage.

Françoise, mariée religieusement

Contrairement à Françoise qui laisse voir une bonne connaissance du droit, Vincent connaît peu les distinctions entre les droits et obligations des conjoints mariés et en union libre. Il souligne s’être marié sans penser aux questions légales, mais il souhaite néanmoins qu’une différence entre les deux types d’union soit maintenue :

Bien moi, quand je me suis marié, je n’ai pas pensé à ça pantoute [l’aspect légal]. Mais quand tu y penses, moi je dirais peut-être que non [les unions libres ne devraient pas être assimilées aux couples mariés], pour garder peut-être une différence entre être mariés puis être conjoints de fait, tu sais, à part d’être symbolique, qu’il y ait une différence.

Vincent, marié religieusement

Le droit devrait ainsi venir donner effet à une certaine supériorité symbolique du mariage. Comme Françoise, Sylvie déplore les pertes de valeur qu’elle associe à la multiplication des unions libres, qu’elle juge moins solides et moins engagées que les unions des couples mariés, et croit que ce défaut d’engagement devrait empêcher que le droit attaché au mariage s’applique également aux conjoints de fait.

Cette conception du mariage conférant une légitimité supérieure au couple et à la famille fut historiquement celle que partageaient l’Église et le droit. En droit, l’existence juridique de la famille a longtemps reposé exclusivement sur le mariage, la famille hors mariage étant condamnée à l’illégitimité et au non-droit. Par le mariage, le droit définissait la structure de la famille : ainsi, jusque dans les années 1960, par la double notion de puissance maritale et de puissance paternelle, le droit identifiait – de façon impérative – le mari et père comme le chef de la famille. L’action du droit sur la cellule familiale se limitait en principe à soutenir l’autorité de ce chef, sans intervenir à l’intérieur du ménage. Cette structure familiale hiérarchique, fondée sur le mariage, était conçue comme une condition essentielle de l’ordre public et était appuyée comme telle par le droit[10]; pour le reste, la famille a quant à elle longtemps été conçue comme une sphère hors du droit, sous juridiction du mari (Pineau et Pratte, 2007 : 1).

Ainsi, la position traditionnelle du droit de la famille, qui est aussi celle d’une minorité de nos répondants aujourd’hui, était de concevoir le droit essentiellement comme un soutien à l’institution fondamentale du mariage. Le droit se présente comme une référence symbolique à partir de laquelle les individus interprètent leur action – ainsi, grâce au droit, se marier peut signifier une forme supérieure d’engagement, qui a des répercussions concrètes en ce qui touche aux devoirs entre époux.

Le droit, vecteur d’égalité et de protection, en soutien aux familles

Pour la majorité des personnes rencontrées, soit près des deux tiers de notre échantillon, le droit se présente aussi comme une sorte d’ordre supérieur qui surplombe la vie quotidienne, mais qui se porte cette fois garant du bien-être de la famille, plutôt que du mariage et de sa symbolique. Ces répondants se situent aussi devant le droit, en ce que le droit véhicule pour eux l’image d’un système de lois unifiées par une certaine cohérence d’ensemble, ce qui accroît son autorité (Harding, 2006 : 513). Cette cohérence présumée du droit tend cependant à leur faire croire qu’il ne devrait plus y avoir de distinction juridique significative entre les couples mariés et ceux en union de fait, dès lors que ces couples forment des familles.

Ainsi, s’appuyant sur l’idée que le droit doit refléter la situation réelle des citoyens, voire légitimer les situations de fait lorsqu’elles sont majoritaires, certains prônent l’abolition des distinctions entre les divers types d’union, notamment lorsqu’il y a des enfants, afin que soient reconnues pleinement toutes les familles. Pour Anne-Sophie, par exemple, avoir une famille n’est pas moins officiel que le mariage :

Je trouve qu’avoir une famille, c’est déjà un contrat. Je veux dire, ce n’est pas parce que tu n’es pas marié comme tel que c’est moins officiel. Je ne vois pas le problème d’être sous cette loi-là [le patrimoine familial]. Même qu’au contraire, n’importe qui qui a des enfants pourrait, selon moi, être effectivement sous cette loi-là.

Anne-Sophie, conjointe de fait

Cette idée selon laquelle l’arrivée d’un enfant officialise la relation autant, sinon davantage, que le mariage se retrouve dans les propos de plusieurs répondants. Ainsi, Pierre estime que l’enfant, parce qu’il engage les parents pour la vie, constitue en lui-même le « contrat de mariage ». Jean, pour sa part, s’il ne voit pas l’utilité de protéger un conjoint de fait sans enfant, explique cependant que

le fait d’avoir des enfants devrait automatiquement protéger les enfants, et dès que tu as un enfant en union de fait, ça devrait être implicite, il y a un contrat qui vient de se faire : il est là, il a deux pattes.

Jean, marié religieusement

Plusieurs des personnes interrogées justifient ainsi les règles juridiques existantes en matière matrimoniale par un besoin de protection de certains membres de la famille, soit des enfants, qui ne devraient pas subir les conséquences économiques de la rupture de leurs parents, soit encore du conjoint (souvent la femme) qui serait resté à la maison ou qui aurait renoncé à certaines perspectives professionnelles pour favoriser la vie familiale. Dans cette logique, le statut matrimonial du couple et la formalisation de l’union ne semblent pas pertinents à l’application de la protection juridique. Chez plusieurs répondants, y compris certaines personnes mariées, le mariage apparaît davantage comme une question de valeur personnelle, voire comme un luxe que tous n’ont pas les moyens de se payer. L’encadrement légal est alors perçu comme un privilège des gens mariés, dont les couples vivant en union libre semblent privés de façon arbitraire :

Je trouve que le couple, c’est comme quelque chose qui est pour tout le monde, mais le mariage, ce n’est pas une valeur que tout le monde partage. Donc, je me dis, pourquoi nous, on aurait des droits, dans le fond, plus spéciaux parce qu’on a décidé de se marier? […] Notre relation ne vaut pas plus qu’une union de fait, dans le fond.

Louise, mariée civilement

Tu sais, on ne s’aime pas plus parce qu’on est mariés à l’église que deux personnes qui sont en union de fait. Je pense qu’il faut respecter les valeurs, les croyances de chacun, puis si pour moi c’est important, ça ne veut pas dire que c’est important pour quelqu’un d’autre. Pourquoi on aurait un privilège parce que moi, je crois [en Dieu], puis que lui, il ne croit pas?

Mireille, mariée religieusement

Pour les personnes qui entretiennent ce type de rapport au droit, l’impartialité perçue des institutions juridiques requiert en effet de ne laisser personne à l’écart. Au moment d’une rupture, le droit devrait par conséquent se faire protecteur des injustices causées par les inégalités vécues au cours de la vie conjugale et familiale en général : c’est la logique qui semble sous-tendre les propos de plus de la moitié des répondants de l’enquête qui estiment qu’une mesure comme le patrimoine familial devrait s’appliquer aux conjoints de fait de la même façon qu’aux couples mariés. Martin croit, par exemple, que quel que soit le statut de l’union, les conjoints vivent la même relation; en cas de séparation, le droit aux biens amassés par le couple devrait donc être le même :

Bien, marié ou pas marié, tu vis une relation pareille. S’il arrive une séparation, tu as le droit autant que l’autre aux biens. Comme tu dis, la femme qui reste à la maison pour élever ses enfants, c’est une job à temps plein, élever un enfant. Je veux dire, elle a le droit à autant que si elle était mariée. Ça dépend aussi quand la rupture se fait.

Martin, conjoint de fait

Pour la majorité des personnes rencontrées qui entretiennent ce type de rapport au droit, où le droit est conçu comme une sorte d’ordre protecteur des intérêts de la famille, il serait envisageable que l’État impose de manière automatique un cadre juridique à tous les couples, après un certain nombre d’années de vie commune ou à la naissance d’un enfant. Certains limiteraient cet encadrement aux couples avec enfant, d’autres ménageraient une possibilité de retrait de ce régime automatique, mais l’idée d’une application spontanée des règles régissant le mariage à tous les couples est en général accueillie favorablement.

À l’appui de cet encadrement juridique automatique, il y a souvent une remise en question du choix de laisser aux gens le soin de négocier certains aspects des dynamiques économiques conjugales. Une règle impérative telle que le patrimoine familial, par exemple, qui énonce clairement qu’il est juste que les deux conjoints jouissent de droits égaux sur certains biens acquis par la famille, semble ainsi susceptible d’aider les couples en cas de rupture. Par exemple, Michel estime que la loi sur le patrimoine familial est positive parce qu’elle limite les négociations entre partenaires parfois de forces inégales : 

Bien parce que justement, [le patrimoine familial,] ça évite les rapports de force puis ça permet un partage équitable en cas de problème, puis chacun finalement a les mêmes droits que l’autre. Donc ça évite tout débalancement. Toute injustice finalement.

Michel, marié civilement

Questionnés à propos de l’opportunité de permettre aux conjoints de fait de souscrire à l’encadrement juridique du mariage par une simple formalité administrative, en remplissant un formulaire auprès d’un fonctionnaire par exemple, certains répondants soulignent les limites d’une telle approche. Ainsi, Jean-Luc voit tout de suite la possibilité, pour le conjoint qui est en meilleure position dans le couple, de refuser abusivement de signer ce formulaire :

C'est sûr qu’un moment donné, il y a de l’abus; mettons que lui, il ne veut pas signer un formulaire, puis ça fait quinze ans qu’ils sont ensemble. Ce n'est pas correct, là. Je pense que ça réduirait les abus quand même, je veux dire, quand on considère la situation [actuelle]. Je pense que juste de choisir le moment, je pense que ça aiderait bien des couples.

Jean-Luc, conjoint de fait

D’autres mentionnent plutôt le risque que les conjoints de fait ne prennent pas la peine de remplir ce formulaire, ou ne soient pas suffisamment informés pour en connaître l’existence :

S’ils ont le choix du formulaire, je me dis que ça ne sert à rien. Ils ne prendront peut-être même pas le temps de le remplir.

Julien, marié religieusement

Tu sais, quand tu sors de chez tes parents, tes parents ne te disent pas : « N’oublie pas de remplir le formulaire R-65! » Ça fait qu’il y a des affaires pour lesquelles on manque peut-être un peu d’information. Puis on apprend à nos dépens. Mais, tu sais, ça pourrait être plus facile effectivement. On a déjà assez de paperasse à remplir tout le temps.

Mireille, mariée religieusement

Claude évoque les disputes que ce choix laissé aux conjoints engendrera inévitablement :

Le papier que tu vas porter au fonctionnaire, il y a tout le temps un des deux dans le couple qui ne voudra pas [le signer]; ça va faire de la chicane. J’aime autant que ça soit fait directement comme ça, automatiquement. Ce serait bien mieux. Ça éviterait beaucoup de chicanes puis de tensions.

Claude, conjoint de fait

Dans cette perspective, le droit, tel un arbitre impartial, permet aussi de déconflictualiser les ruptures. Priver les conjoints de fait d’un cadre juridique clair équivaut ainsi pour plusieurs à les condamner à des ruptures beaucoup plus difficiles. Ainsi, selon Claude, qui parle de la possibilité d’accorder une pension alimentaire au conjoint de fait :

Ça éviterait beaucoup de chicanes. Surtout si tu te laisses en mauvais termes puis que le conjoint ne veut pas payer, puis qu’il ne veut pas aider sa conjointe avec la garde partagée, puis tout ça, […] ça serait bien. Ça serait un souci de moins, un problème de moins. Si c’était réglé de même par l’État, ce serait bien mieux […].

Claude, conjoint de fait

Alors qu’une loi claire est perçue comme apaisante en cas de conflit, le recours à des professionnels du droit pour débattre des droits de chacun dans une situation ambiguë semble au contraire aggraver la situation. Dans ce rapport au droit, les règles imposées sont alors perçues comme une façon de ne pas laisser en marge les gens qui ont peu de ressources (financières ou éducatives) pour faire valoir leurs droits. Une prise en charge du règlement de la rupture par le gouvernement semble plus neutre.

Q :  Pourrait-on envisager que le gouvernement soumette les conjoints de fait au patrimoine familial et à la pension alimentaire de manière automatique […]?
R : Bien, ça serait plus facile, en tout cas. Pour les personnes qui n’ont peut-être pas les ressources, puis qui ne peuvent pas en entendre parler, puis qui ne sont pas au courant, ça serait plus simple pour ces personnes-là.

Mireille, mariée religieusement

On constate, par ailleurs, que plusieurs personnes qui ont ce rapport au droit comme un ordre de protection connaissent peu les distinctions entre les règles qui s’appliquent aux conjoints mariés ou non. Peu remis en question, le droit est appréhendé comme un système nécessairement cohérent, comme un pilier du paysage social qui permet de préserver certaines valeurs jugées importantes pour la société. On pourrait faire l’hypothèse que cette représentation du droit conduit les individus à croire au mythe du mariage automatique (Belleau, 2011), puisque les lois sociales et fiscales assimilent les conjoints de fait aux conjoints mariés après un ou trois ans de vie commune ou l’arrivée d’un enfant :

Après tant d’années de vie commune, je dirais que ça devrait être la même chose que quand tu es marié. […] Tu es déclaré conjoint de fait quand même par l’État; ça fait qu’il n’y a pas grand différence avec [le fait d’]être marié, dans le fond. Ça fait que les lois devraient s’appliquer aussi, j’imagine, aux conjoints de fait. Il me semble que ça serait la logique.

Claude, conjoint de fait

Perçu comme un ensemble de règles justes, cohérentes et bien pensées, le droit jouit en général d’une grande déférence de la part de ces répondants (Ewick et Silbey, 1998). Cette déférence au droit se présente quelquefois comme une tendance à croire que la règle que l’on ignorait a probablement ses raisons d’être, et aussi sous les traits d’une déférence à l’endroit des spécialistes du droit. Louis, par exemple, estime qu’il faut laisser aux spécialistes le soin de déterminer les règles générales de droit, même si celles-ci ne pourront jamais satisfaire tout le monde :

Mais honnêtement, je pense qu’il y a des gens qui sont capables de penser à ça, de voir les options légales, tant des juristes que des travailleurs sociaux, je ne sais pas, des psychologues, ou je ne sais pas trop quoi, là; mais il y a sûrement des gens qui pourraient y penser.
Q :  Au cas par cas?
R :  Non, pas au cas par cas, non, mais je pense qu’il faudrait établir des grandes règles de base. Je pense que toute société doit se donner des règles de base. C’est sûr que ça ne fera pas pour tout le monde, mais dans ce cas-là, les gens ont juste à passer devant un notaire puis faire ce qu’ils veulent.

Louis, conjoint de fait

Même s’il perçoit lui-même le mariage comme un carcan, à cause de toute la symbolique traditionnelle qui lui est associée, Louis estime que les conjoints de fait devraient être soumis, en droit, aux mêmes règles que les couples mariés, afin de ne pas priver les enfants de protection. L’existence de règles générales apparaît comme une référence ou un point de repère pour régler la rupture de façon équitable, lorsque les esprits s’échauffent et que les conjoints ne parviennent pas à s’entendre. Dans cette représentation de la norme légale, le recours au droit pour régler un conflit entraîne une perte de contrôle de l’individu, qui remet le pouvoir de déterminer la solution la plus appropriée au droit (Harding, 2006). L’usage de l’expression « c’est la loi » renvoie d’ailleurs à l’idée d’un savoir supérieur et cohérent incarné dans le système juridique (Smart, 1989). Ainsi, la perte de pouvoir ressentie par l’individu retrouve une certaine cohérence dans l’idée que le droit « sait » ce que devrait être la bonne solution. Ces règles générales, établies par des spécialistes, seront justes pour le plus grand nombre.

Il est intéressant de remarquer que les valeurs d’égalité et de protection auxquelles se réfèrent souvent les répondants qui ont ce type de rapport au droit sont en fait à l’origine d’une grande partie des réformes qu’a connues le droit de la famille au Québec depuis les années 1960. D’un régime où le droit se contentait de consacrer le mari chef de la famille, on est progressivement passé à un régime égalitaire dans la forme, puis à des mesures visant à forcer concrètement une plus grande égalité économique entre les conjoints. Ainsi, dans une progression du droit de la famille vers une égalité formelle, on redonna d’abord à la femme mariée sa capacité juridique[11], puis la pleine administration de ses biens[12]. On remplaça ensuite la notion de puissance paternelle par celle d’autorité parentale[13], avant de proclamer, avec la réforme du Code civil de 1980, l’égalité juridique des époux[14]. La multiplication des divorces, devenus plus largement accessibles à partir de 1968[15], rendit aussi plus pressante la question de l’égalité économique des conjoints, au-delà de la simple égalité formelle. Contrairement au décès, en effet, qui laissait normalement un héritage au conjoint survivant, le divorce avait souvent des conséquences économiques désastreuses pour l’épouse mariée sous le régime de séparation de biens. La prestation compensatoire fut pour cette raison introduite au Code civil afin de dédommager financièrement l’épouse qui avait collaboré sans rémunération à l’entreprise de son mari. Entrée en vigueur en 1982, la mesure fut vite jugée insuffisante, vu la réticence des juges à reconnaître les travaux domestiques « ordinaires » de l’épouse au foyer comme un apport ouvrant droit à une prestation compensatoire (Conseil du statut de la femme, 1986; Révillard, 2011). En 1989, le législateur institua donc le patrimoine familial, c’est-à-dire une règle de partage égalitaire à la dissolution de l’union de certains biens qui servaient à la famille, dont la résidence de la famille, et ce, peu importe le régime matrimonial pour lequel avaient opté les époux lors de leur mariage[16]. Plusieurs ont vu dans ce patrimoine familial un nouveau « régime primaire » impératif, venant limiter de façon importante la liberté que le droit civil avait traditionnellement reconnue aux époux dans l’organisation de leurs rapports économiques (Castelli et Goubau, 2005 : 101; Pineau et Pratte, 2007 : 205). De façon plus générale, ces réformes successives ont fait perdre à la famille son statut de zone protégée de toute intervention juridique, en même temps qu’elles lui ont enlevé son « chef » : en instaurant l’égalité juridique des époux, le droit a aussi acquis le rôle d’arbitre entre les intérêts parfois divergents des membres de la famille, les tribunaux pouvant être appelés à trancher les litiges du ménage. Cette évolution du droit, qui a conduit peu à peu à lui reconnaître une légitimité à intervenir à l’intérieur des dynamiques conjugales au nom de certaines valeurs, s’est cependant jusqu’ici limitée au mariage, sans inclure l’union de fait.

L’idée de prise en charge automatique par l’État afin de rendre le règlement de la rupture moins conflictuel, à laquelle se réfèrent plusieurs répondants, n’est pas absente du droit lui-même. Outre certaines règles impératives associées au mariage (dont le patrimoine familial), l’approche du droit en ce qui concerne les pensions alimentaires pour enfants laisse aussi voir ce souci de réduire le champ des enjeux ouverts à la négociation entre conjoints. On opéra en effet, en 1996, une importante standardisation des montants octroyés en guise de pension pour enfant[17]. Alors que les pensions alimentaires étaient auparavant accordées suivant une évaluation, au cas par cas, des besoins des enfants et des ressources des parents, on constatait que l’absence de règles strictes pour guider les juges se traduisait par une grande variation dans les montants accordés, des situations similaires pouvant donner lieu à des pensions très différentes, ainsi que par une tendance à sous-évaluer les besoins réels des enfants (Castelli et Goubau, 2005 : 382). Les lignes directrices ont considérablement réduit la discrétion judiciaire en matière de pensions alimentaires pour enfants en établissant un calcul détaillé permettant de fixer précisément le montant de la pension. L’objectif de cette réforme était non seulement d’uniformiser les sommes accordées, mais, ce faisant, d’augmenter leur prévisibilité et ainsi de favoriser les ententes entre les parents – la pension pour enfants n’est ainsi plus un enjeu de négociation[18]. La même année, le Québec s’est aussi doté d’un mécanisme de perception automatique des pensions alimentaires, par lequel le ministère du Revenu peut retenir à la source les montants prévus afin de les transférer directement au prestataire. En plus de pallier le traditionnel problème de défaut de paiement des pensions alimentaires, ce mécanisme est censé rendre la pension alimentaire moins conflictuelle en assurant sa gestion par un tiers neutre, l’État.

Si la grande majorité des personnes que nous avons rencontrées parlent du droit et agissent par rapport à lui en tant que référence symbolique – en insistant sur le caractère officiel et légitime que donne le droit aux états de fait – ou morale – en en faisant un vecteur d’égalité ou de protection des plus vulnérables –, tous ne partagent pas cette attitude déférente envers le droit, comme nous le verrons ici.

Le droit, une ressource à adapter à ses besoins

Pour trois répondants rencontrés, le droit se présente sous des airs beaucoup plus accessibles, comme une ressource que chacun peut mobiliser selon sa situation et ses besoins. Selon Ewick et Silbey (1998), la métaphore du jeu permettrait de saisir adéquatement le rapport à la normativité juridique de ces personnes qui se conçoivent et agissent avec le droit. Ainsi, pour certains, le droit est appréhendé comme une arène au sein de laquelle des règles précises peuvent être utilisées pour parvenir à ses fins, et où il est également possible d’en établir de nouvelles. Le droit, plutôt qu’un ordre supérieur impartial, est perçu comme une joute intéressée, tactique, parfois biaisée à laquelle chacun participe.

Chez nos rares répondants qui laissent voir ce rapport au droit, les rapports conjugaux sont envisagés comme des relations libres entre personnes égales où l’on pose a priori que chacun est en mesure de défendre ses intérêts personnels. Contrairement aux répondants précédents, ils font peu intervenir la présence des enfants lorsqu’il est question des arrangements entre conjoints. Le mariage est alors abordé comme un contrat entre deux individus, et son imposition aux couples qui n’ont pas choisi de conclure ce contrat est contre-intuitive – cela semble ne pas respecter les règles du jeu. Ainsi Suzanne dit-elle, à propos d’une éventuelle application du patrimoine familial aux conjoints de fait :

Tu sais, on a le choix entre se marier et avoir cet avantage-là, ou cet inconvénient-là – peu importe de quel côté tu le prends. Si en union de fait on a aussi ça, bien, on va choisir quoi? Ça va nous être imposé. Ce n'est plus un libre choix, là. […] Si l’inconvénient majeur ou l’avantage majeur est appliqué aux deux situations, tu ne peux plus rien choisir. Il y en a toujours un qui va être perdant, puis il y en a toujours un qui va être gagnant.

Marie, conjointe de fait

Le mariage étant conçu comme un contrat entre les conjoints, l’union de fait se trouve du même coup assimilée à une décision prise par les individus de ne pas souscrire aux règles juridiques du mariage. Ainsi, tout comme Carl, Suzanne parle de sa propre décision de ne pas se marier comme d’un calcul d’intérêt :

Bien, ça ne serait vraiment pas avantageux pour moi, de me marier, parce que j’ai eu un héritage, pas un gros héritage, mais qui m’a permis de faire une avance de fonds sur ma maison […] Ça fait que si je me marie puis qu’on se sépare, il faut que je lui donne la moitié de la maison parce que c'est la maison familiale; c'est moi qui ai l’auto la plus récente, qui est l’auto familiale, ça fait qu’il faut que je lui donne la moitié de l’auto, et la moitié du patrimoine familial, mais ce qui est le patrimoine familial m’appartient tout à moi. Ça fait que c'est moi qui serais perdante là-dedans. Jamais je n’ai envisagé de me marier parce que ça ne serait vraiment pas payant pour moi...

Marie, conjointe de fait

Les propos de cette répondante montrent les limites des connaissances qu’ont les répondants des lois et notamment des règles régissant le patrimoine familial[19] – qui est parfois associé, au mieux, à un partage égal des principaux biens du couple lorsque survient une rupture et, au pire, à une question d’héritage entre parents et enfants (Belleau, 2011).

Selon ce rapport plus instrumental au droit, ce n’est pas à l’État d’imposer un contrat à tous les couples, mais bien aux individus de choisir, de négocier entre eux les termes d’un contrat de mariage s’ils le souhaitent. C’est un tel rapport à la norme juridique qui sous-tend en bonne partie le discours sur le libre choix, lequel présente l’union de fait comme l’espace privilégié de la négociation et de l’entente sur mesure, un espace de liberté qu’il importe de préserver :

Pour moi, si tu choisis d’être conjoint de fait, c’est que tu ne veux pas avoir d’affaires préétablies, tu veux avoir de la place pour négocier. […] Quand tu te maries, c’est que c’est déjà tout prédéterminé, tu sais dans quoi tu t’engages. L’union, pour moi, c’est que tu veux la faire à ton image.

Ariane, conjointe de fait

Dans cette posture à l’égard du droit, une des préoccupations premières est de rendre le droit fonctionnel et efficace pour répondre aux besoins et aux attentes des individus. Alors que pour les répondants de la catégorie précédente, les discussions sur les questions juridiques sont parfois perçues comme des sources probables de tension au sein du couple, Carl les juge au contraire importantes en vue d’une bonne entente entre les conjoints :

C’est quand ça va bien que tu peux discuter des choses qui peuvent aller mal. Ça fait que quand tu prends le temps d’en parler quand ça va bien, au moment où ça peut arriver, bien, on s’est entendus que ça serait comme ça avec la maison, avec notre fille…

Carl, conjoint de fait

En cas de désaccord important sur ces enjeux légaux, il revient à chacun des conjoints de réévaluer sa situation, quitte à tirer les conclusions qui s’imposent. Aussi Ariane, qui s’oppose à tout encadrement juridique automatique des conjoints de fait, affirme-t-elle, à propos de la femme qui se buterait au refus de son conjoint de fait de signer un formulaire qui les soumettrait aux dispositions du patrimoine familial :

Mais moi j’me dis : si le gars, il ne veut pas, moi, à la place d’la fille, j’me questionnerais moi-même sur ma relation avec le gars.

Ariane, conjointe de fait

Chacun est donc responsable, au sein du couple, de veiller à ses propres intérêts et à les mettre de l’avant, ce qui peut sembler incongru aux yeux de certains en regard de l’idéal amoureux contemporain (Belleau et Martial, 2011). Ce rapport au droit suppose des contacts relativement fréquents avec les professionnels du droit, ou à tout le moins une assez bonne conscience des rouages de l’institution judiciaire. Chacun devrait ainsi posséder ou acquérir les ressources matérielles et culturelles pour comprendre et utiliser le langage spécialisé du droit et ses manières de faire – insister pour obtenir des preuves écrites, signer des contrats, etc. – parce qu’il en comprend l’importance en cas de litige (Levine et Mellema, 2001 : 177). On observe que chez les répondants qui présentent ce rapport au droit, ce n’est plus tant l’État ou la loi qui dominent dans les représentations du droit que leurs représentants et les procédures à suivre. Carl, dans ce court extrait, exprime ainsi deux motifs typiques d’une conscience avec le droit, soit l’importance de l’écrit et le rôle du notaire :

Bien, dans le cas où il y a des enfants impliqués, puis qu’il y a une décision qui est prise au niveau du couple, « moi je vais m’occuper des enfants pendant un certain nombre d’années », je pense qu’il faut quasiment que ça soit notarié, il faut quasiment que ça soit écrit, une entente écrite.

Carl, conjoint de fait

L’approche juridique qui prévaut actuellement en ce qui concerne l’union de fait sied parfaitement à cette catégorie de répondants – fort minoritaires dans notre échantillon – qui perçoivent le droit comme un outil à leur disposition et pouvant être adapté à leurs besoins. De nos jours, le refus d’imposer des obligations légales entre les conjoints de fait ne relève en effet plus, comme autrefois, d’une mise au ban de l’union de fait (le concubinage, disait-on péjorativement à l’époque), mais bien d’un respect du choix des conjoints de ne pas souscrire aux règles imposées par le mariage (Roy, 2011). Depuis la réforme du droit de la famille en 1980, les conjoints de fait ont désormais la possibilité d’avoir recours au droit pour encadrer leur union sans passer par le mariage, en négociant des contrats de vie commune sur mesure. Or, quoiqu’il s’avère difficile d’avoir des données précises à ce sujet, les contrats de vie commune ne faisant l’objet d’aucune inscription à un registre officiel, il semble qu’il s’agisse d’un véhicule juridique qui demeure sous-utilisé (Roy et Lemay, 2009).

Ce type de rapport au droit, où les individus sont responsables d’utiliser les règles juridiques pour veiller à leurs intérêts et qui met l’accent sur le libre choix et l’entente sur mesure, se conjugue en fait souvent, chez nos répondants, à une attitude contre le droit assez marquée. C’est ce que nous examinerons dans la section suivante.

Le droit comme source d’injustice, de discorde et d’ingérence

Certains répondants – moins du quart de notre échantillon – se distinguent des autres par la perception très négative du droit que véhiculent leurs propos. Ils critiquent souvent l’excès de contrôle du gouvernement sur des aspects de la vie personnelle qui ne le concernent pas, ou se montrent sceptiques quant à la justice qu’est censée produire la règle juridique. Ils laissent voir, comme l’observent Ewick et Silbey (1998) chez les individus présentant une conscience contre le droit, un sentiment d’être pris dans le droit. Ces individus peuvent alors manifester plusieurs types de résistance au droit, à ses institutions et à ses représentants. Pour préserver leur autonomie, les individus qui perçoivent ainsi le droit détournent parfois consciemment certaines règles (en refusant, par exemple, de s’identifier conjoints de fait dans leur déclaration de revenus) ou évitent simplement autant qu’ils le peuvent les cadres juridiques formels.

D’une façon qui n’est guère surprenante, on constate que la plupart des répondants qui présentent ce type de rapport au droit vivent en union libre. Par ailleurs, il importe de souligner que, malgré le regard critique qu’ils manifestent à l’égard du droit, la moitié d’entre eux ont une perception très partielle, voire erronée des règles et obligations qui s’appliquent réellement à leur situation conjugale. La plupart des répondants de ce groupe souhaitent le maintien de la distinction légale actuelle entre le mariage et l’union libre, en affirmant qu’elle permet de préserver un espace d’informalité dans un monde qui connaît déjà beaucoup de contraintes. L’union libre se caractérise alors par sa capacité à maintenir l’État à distance d’une relation privée, qui ne doit pas se faire imposer de règles de l’extérieur. Ainsi, Camille explique :

Quand tu décides de ne pas te marier, c'est parce que tu ne veux pas. Tu ne veux pas, tu ne veux pas tout séparer, puis tu ne veux pas t'impliquer à fond de même dans les papiers, puis les contrats, puis tout. Nous on veut être un couple et pouvoir gérer nos affaires nous-mêmes, là, sans être obligés d'avoir des comptes à rendre au gouvernement ou à la société. On a choisi d'être un couple, on est capables de s'organiser tout seuls et on ne veut rien devoir à personne. Des fois je trouve que ça t'implique trop, là.

Camille, conjointe de fait

On note ici un refus de l’ingérence du gouvernement qui emporte avec lui tout ce qui rappelle le formalisme du droit – les papiers, les contrats –, si bien que le droit, ici, n’est plus considéré comme une ressource à utiliser. Comme chez les répondants qui se situent avec le droit, cependant, l’argument du libre choix tient une place importante dans les propos de ces répondants plus hostiles envers la normativité juridique. Moins qu’un libre choix de définir un régime contractuel sur mesure entre les conjoints, toutefois, il semble s’agir ici du libre choix de n’avoir de comptes à rendre à qui que ce soit :

Mais… le libre choix des gens, je pense que c’est important à respecter, là. On est déjà tellement contrôlé que si on était au moins libre de choisir ce qu’on fait avec notre conjoint… donc, non.

Pierre, marié civilement

On peut se demander, dans cette tournure que prend l’argument du libre choix, s’il est plausible que quiconque s’affirme comme étant contre la « liberté de choix » – peut-on, en effet, être contre la vertu? Mais, derrière ce propos de Pierre, il y a cette idée forte selon laquelle le couple est une question privée dans laquelle l’État n’a pas à s’ingérer. Le couple s’organise à partir d’autres normes, des normes conjugales et familiales qui sont redéfinies dans chaque foyer, et que le droit n’a pas à tenter d’uniformiser. Ainsi, bien qu’il conçoive que la présence d’enfants puisse requérir une certaine intervention de l’État, Philippe insiste plutôt sur le droit de vivre une vie de couple hors normes :

Pis sinon, je veux dire, il y a des gens qui vivent des vies de couple complètement hors normes, et je ne pense pas que c’est à l’État de leur dire qu’ils doivent rentrer dans un certain moule. […] J’ai de la misère avec l’imposition totale, tout le temps de… de normes relayées par l’État…

Philippe, conjoint de fait

Le motif d’une protection des membres vulnérables de la famille, et en particulier du conjoint économiquement défavorisé, se trouve chez ces répondants pratiquement occulté par cette question de la vie privée, comme en témoignent, par exemple, les propos de Pierre : à son avis, le fait d’obliger les couples en union libre à donner une pension alimentaire à l’ex-conjoint constituerait une ingérence de l’État dans la vie privée. Si une certaine forme de solidarité conjugale est envisageable sur le plan économique, on estime que cette solidarité se manifestera spontanément, sans qu’il faille la forcer par une loi. Ainsi, Camille dit qu’elle accepterait, dans des circonstances exceptionnelles, de verser une pension à son conjoint, mais souligne qu’elle n’a pas besoin d’une loi pour ça :

Je pense que je n'aurais pas besoin d'une loi pour me dire quoi faire. Tu sais, si je le sentais dans le besoin, c'est sûr que c'est moi qui me proposerais de l'aider, ça ne me tenterait pas que ce soit sa famille ou qui que ce soit...

Camille, conjointe de fait

À l’inverse, d’autres répondants gardent une distance par rapport aux prérogatives que leur conférerait le droit, et estiment qu’il peut être abusif pour un conjoint d’exercer un droit que lui reconnaît la loi. C’est en particulier le cas de la pension alimentaire pour ex-conjoint, qui suscite de vives réactions chez plusieurs répondants. Certains, comme Sophie et Patricia, refuseraient de recevoir une pension alimentaire même si le droit la leur accordait :

Ce n’est pas parce que le gouvernement dit qu’il faut qu’il me donne une pension que je vais dire oui… Si moi je dis que je ne la veux pas, ils ne me la donneront pas. Je n’abuserais pas parce qu’il y a une loi. Parce que je trouve que c’est de l’abus.

Patricia, conjointe de fait

Ces propos laissent poindre une certaine remise en question de l’opportunité d’imposer, par le droit, une forme de solidarité économique ou de redistribution des richesses au sein du couple, que ce soit pendant ou au terme de l’union. Certains répondants suggèrent expressément que le soutien dont ont parfois besoin les individus à la suite d’une rupture ne devrait pas relever de l’ex-conjoint, mais bien plutôt du gouvernement, qui offre déjà plusieurs programmes sociaux pour les situations difficiles. Ainsi Sophie affirme-t-elle – en assumant, bien qu’elle vive en union de fait – qu’un partage égalitaire des biens acquis avec son conjoint rendrait une pension alimentaire superflue :

Je me dis, dans le fond, si tu sépares déjà tes biens moitié-moitié... Après ça, en fait, tu as toujours des recours gouvernementaux. Bien moi, je ne me mettrais pas sur le bien-être social, mais il y a déjà, je trouve, quelques recours [programmes sociaux], le temps de te trouver un travail.

Sophie, conjointe de fait

Dans cette réticence de plusieurs à ce que le droit intervienne dans la dynamique conjugale, il y a chez quelques-uns le soupçon que le droit, en outillant la partie la plus faible et en modifiant indûment les rapports de force au sein du couple, risque d’engendrer des abus. Ainsi Pierre, qui est marié, se dit clairement contre les pensions alimentaires à l’ex-conjoint, car il craint, vu sa situation personnelle, d’être contraint à payer une pension telle qu’elle le forcerait à vivre en « maison de chambres », sous le seuil de la pauvreté. C’est cette crainte qui le conduit à souligner l’importance du libre choix car, à ses yeux, l’État et l’appareil juridique sont déjà hautement coercitifs. Ici encore, on trouve l’idée qu’il peut être abusif de revendiquer un droit même dans les situations où une personne se le verrait officiellement accorder par l’État.

Pour les personnes qui entretiennent ce type de rapport au droit, la loi ne jouit plus d’une présomption de justice pour le plus grand nombre, au contraire : la règle applicable à tous sans exception est plutôt envisagée du point de vue du cas particulier, qui voit son caractère unique bafoué par cette solution prédéterminée. Ainsi, quelques répondants, comme Isabelle, expriment leur malaise par rapport à l’idée d’une règle unique et croient plutôt que la solution juste relève du cas par cas :

Encore une fois, il y aurait des bémols parce que chaque couple a une histoire et, là, il y a bien du monde qui pourrait jouer là-dedans.

Isabelle, conjointe de fait

Bien, de toute façon, n’importe quelle loi, il y a tout le temps des gens qui en prennent avantage.

Paule, mariée civilement

De façon générale, le droit est perçu par les répondants de cette catégorie comme quelque chose qui conflictualise les rapports entre conjoints. Ainsi, Catherine, qui vit en union libre, s’oppose fermement à toute tentative d’uniformiser les droits et obligations des conjoints de fait et des conjoints mariés, en disant que non seulement cela en conduirait plusieurs à faire de fausses déclarations quant à leur statut conjugal dans leur déclaration de revenus, mais que cela embourberait à coup sûr les cours déjà débordées. De façon similaire, Camille croit qu’un encadrement légal des couples en union libre engendrerait beaucoup d’abus et de contestations judiciaires :

Je pense qu'il y a beaucoup, beaucoup gens qui profiteraient de ça. Il y aurait beaucoup, beaucoup de guerres. Puis de disputes devant les tribunaux, puis ça ne finirait plus, là, non, vraiment pas. Je ne suis pas d'accord.

Camille, conjointe de fait

Tandis que les répondants qui se situent davantage devant le droit considèrent souvent que l’existence de règles claires peut faciliter l’entente des conjoints lors d’une rupture, les répondants qui manifestent une attitude contre le droit voient plutôt les règles obligatoires comme quelque chose qui les force à aller devant les tribunaux – ce qui représente en quelque sorte le summum de la discorde. La rupture leur semble plus facile en union libre.

La tendance assez marquée que l’on observe depuis une dizaine d’années en faveur de la médiation familiale laisse voir que le législateur est conscient du potentiel conflictuel de la procédure judiciaire. Ainsi, dans un désir de pacifier les réorganisations familiales à la suite d’une rupture et de faire participer plus activement les conjoints au règlement de leurs conflits, la médiation familiale est offerte gratuitement au Québec à tous les couples avec enfants (qu’ils soient mariés ou non) lors de la négociation d’une séparation[20]. Le rôle du médiateur, qui n’est pas toujours un professionnel du droit, est d’abord d’établir entre les ex-conjoints une atmosphère propice à la discussion et à l’atteinte d’une entente à l’amiable, mais sans nécessairement veiller à ce que leurs « droits » soient respectés – c’est pourquoi ils recommandent généralement à chacun des conjoints de consulter un avocat en marge de la médiation. Avec la médiation familiale, le droit troque ainsi un peu de ses rigueurs procédurales (censées garantir la justice) afin de permettre une résolution plus rapide, moins coûteuse et souvent plus durable de la séparation.

La conscience du droit en regard d’autres caractéristiques

Avant de conclure, signalons brièvement certaines distinctions qui semblent se dégager des comparaisons entre catégories en fonction de certaines caractéristiques des répondants. Si la présence d’enfants dans les ménages des personnes rencontrées ne semble pas déterminer la posture de ces derniers par rapport au droit, on constate en revanche des distinctions en fonction du niveau de scolarité, du type d’union, du sexe des répondants et de leur niveau de connaissance des lois qui encadrent la vie conjugale.

D’abord, tandis que les personnes les plus scolarisées se répartissent parmi les trois postures dégagées – devant, avec et contre le droit –, les moins scolarisées, comme l’avait déjà observé Noreau (1997), se concentrent quant à elles dans la première catégorie, percevant le droit essentiellement comme un principe organisateur, unifié et cohérent, voire parfois comme une référence morale. Les répondants moins scolarisés semblent ainsi se percevoir moins spontanément comme des acteurs juridiques pouvant utiliser le droit à leurs fins. Cela tendrait à appuyer l’idée selon laquelle tous ne disposent pas de ressources culturelles (sinon financières) égales pour mobiliser le droit – un accès inégal au droit dont il faudrait tenir compte lorsque l’on constate l’ineffectivité de certaines mesures juridiques (Lascoumes, 1998 : 158).

Ensuite, on ne saurait s’étonner du fait que les trois quarts des répondants mariés se retrouvent dans la catégorie devant le droit, comparativement aux conjoints en union libre qui se répartissent davantage entre les trois postures quant au droit. La moitié des conjoints de fait se situent en effet devant le droit, le quart se positionnent davantage contre le droit, et trois autres sont plutôt avec le droit. Rappelons que la catégorie contre le droit renvoie à une conception négative du droit, perçu comme un excès de contrôle, voire une source d’injustice, alors que la posture devant le droit présente au contraire une vision positive de l’institution juridique, reconnue comme une ressource à adapter à ses besoins. En regard de ce phénomène, il semble donc que la décision de se marier est l’indice d’une attitude particulière relativement au droit, mais non l’inverse – le fait de n’être pas marié serait peu révélateur à cet égard.

Bien qu’il ne soit pas possible ici d’approfondir cette analyse, on peut faire l’hypothèse que ces différents rapports au droit sont à mettre en lien avec le niveau de connaissances juridiques des personnes rencontrées. La relation entre connaissance et conscience du droit est très complexe et sans doute bidirectionnelle. En effet, parmi les personnes ayant une bonne maîtrise des règles de droit dans ce domaine, on retrouve les trois seules laissant voir une position avec le droit, c’est-à-dire celles qui ont une représentation utilitaire du droit; deux seulement se situent contre le droit, alors que la majorité d’entre elles se situent devant le droit. Cette dernière catégorie rejoint la majorité des conjoints mariés religieusement, qui possèdent de loin une plus juste compréhension des lois entourant la vie conjugale : avant de se marier, ils ont en effet dû suivre obligatoirement un cours de préparation au mariage, qui comprend une séance portant sur ce sujet. Si une bonne connaissance des règles de droit peut conduire aux trois postures, en revanche, une mauvaise connaissance amène essentiellement à deux postures : devant le droit et contre le droit. Il en résulte que les personnes ayant une moins bonne connaissance du droit se retrouvent nettement majoritaires au sein du groupe contre le droit. Ce phénomène est sans doute à mettre en relation avec le fait que la conscience du droit peut à l’inverse jouer sur le degré de connaissances qu’ont les individus des règles de droit. En effet, une perception très négative du droit et un scepticisme quant à la justice que devrait produire la règle juridique peuvent amener les individus contre le droit à se désintéresser de ces questions et ainsi à entretenir une vision erronée ou très partielle des règles et obligations qui s’appliquent à leur situation conjugale. De la même manière, présumer que le droit est un système de lois unifiées et cohérentes qui doit refléter et légitimer la situation réelle de la majorité des citoyens, comme le font ceux qui se positionnent devant le droit, conduit parfois à un sentiment de certitude et de confiance tel que les individus croient savoir et ne cherchent pas à vérifier si ce qu’ils pensent est juste en regard des lois qui s’appliquent à leur situation. En somme, les positions devant le droit et contre le droit peuvent conforter, voire renforcer une mauvaise connaissance du droit, alors que la position avec le droit, qui fait de l’union conjugale un espace de négociation où chacun est responsable de veiller à ses intérêts, commande au contraire une bonne maîtrise des rouages de l’institution judiciaire et des règles à la disposition des individus.

Finalement, soulignons la différence de consciences du droit que révèle la comparaison entre les hommes et les femmes. Les premiers se concentrent dans la première catégorie, devant le droit, alors que les femmes se répartissent bien davantage dans les trois groupes, et sont par conséquent prédominantes dans la catégorie contre le droit. Comment expliquer ce dernier phénomène? Les femmes ont-elles une vision plus négative du droit que les hommes? Les idéaux d’autonomie et d’égalité les conduisent-ils à voir le droit comme une forme de contrôle dont elles ne veulent pas dans leur vie? Ces différences observées demanderaient une analyse approfondie qu’il ne nous est malheureusement pas possible de faire ici.

Conclusion

À travers cette description des diverses consciences du droit que manifestent les personnes que nous avons interrogées à propos des règles applicables à la vie conjugale et familiale, nous observons des attentes variées à l’égard du droit de la famille au Québec. Bien que certains s’attendent à ce que le droit leur fournisse des outils pour définir leurs propres règles ou qu’il n’intervienne tout simplement pas dans leurs relations, la plus grande partie des personnes rencontrées s’attendent à ce que le droit définisse des règles générales qui constitueront pour tous une référence de justice et un vecteur d’égalité et de protection.

Le constat de cette pluralité de rapports au droit au sein de la population trouve écho dans la variété des approches et des objectifs poursuivis par le droit de la famille. Parfois respectueux de la volonté des individus (favorisant une approche contractuelle), parfois protecteur des membres vulnérables de la famille (préférant certaines règles impératives, au nom de l’enfant ou du conjoint économiquement défavorisé), parfois simplement pragmatique pour s’assurer que les rapports familiaux se règlent sans trop de conflits, le droit de la famille saurait difficilement se réduire à une valeur unique ou à une visée ultime. Seule la question de l’encadrement juridique de l’union de fait semble n’être envisagée qu’à travers la lorgnette étroite du « respect de la liberté de choix ». Si cet objectif défendu par le législateur apparaît difficilement critiquable au premier abord, ne serait-ce que par les termes mis de l’avant (respect, liberté, choix), l’analyse qui précède montre quelques-unes de ses limites importantes. Les connaissances erronées des droits et obligations des conjoints, observées chez plus de la moitié de notre échantillon[21], ébranlent grandement l’idée que la décision de se marier ou non résulte d’un choix libre et éclairé d’un point de vue juridique (Belleau et Cornut St-Pierre, 2011). Ce constat devrait d’ailleurs susciter une réflexion du côté des professionnels et des institutions qui soutiennent la démocratie, les amener à s’interroger, par exemple, sur l’efficacité réelle des moyens de diffusion de l’information auprès de la population dans le domaine du droit de la famille. Par ailleurs, plus de la moitié des personnes rencontrées (et plus de la moitié des conjoints de fait) favorisent un encadrement légal automatique des unions libres après une certaine durée de vie commune, selon des modalités variables : certains estiment que seuls les couples avec enfants devraient être concernés, d’autres souhaitent qu’il y ait une possibilité de s’en défaire lorsque les deux membres du couple en conviennent. À l’opposé, miser uniquement, comme le fait actuellement le législateur, sur la possibilité pour les couples de recourir aux services de professionnels du droit pour rédiger des ententes conjugales sur mesure ne semble répondre qu’aux besoins d’une très faible minorité (trois entretiens sur 42).

Le rapport instrumental au droit qui sous-tend cette dernière approche semble peu conforme aux réalités conjugales contemporaines, car il présume du désir des conjoints de négocier entre eux et de défendre leurs intérêts personnels en prévision d’une éventuelle rupture. Or, les travaux récents sur la négociation dans les relations intimes et sur les dynamiques amoureuses montrent les limites d’une telle approche, qui tend à réduire le quotidien au résultat d’une entente préétablie (Nyman et Evertsson, 2005), et à évacuer les inégalités structurelles et les logiques affectives propres au rapport amoureux et à la solidarité conjugale (Belleau et Martial, 2011; Henchoz, 2011). La position soutenue par le législateur appelle selon nous à réfléchir plus largement sur le rôle du droit dans la société québécoise et sur les enjeux démocratiques qui s’y rattachent. Si, pour certains, la loi évoque la règle contraignante, qui impose ou interdit certaines conduites, pour les deux tiers des répondants de notre enquête, la règle générale en matière familiale représente au contraire l’accès à la justice, en créant un cadre qui facilitera l’activité des individus, apaisera les conflits en cas de rupture et garantira l’égalité de tous.