Corps de l’article

Introduction

On discute beaucoup au Québec dans le milieu de la justice, de la médiation pénale impliquant les mineurs, mais cette pratique est encore peu connue à l’extérieur de ce milieu. Précisons que l’appellation « pénale », accolée à la médiation[1], ne fait ici aucunement référence à l’imposition d’une peine ou d’une punition, mais désigne plutôt le cadre institutionnel dans lequel elle s’applique.

La notion de crime fait généralement référence à l’infraction d’une loi. Le contrevenant qui commet une infraction au Code criminel canadien (1985) se voit poursuivi par le représentant de la Reine, alors que la personne ayant subi les conséquences de cette infraction se voit reléguée au rôle secondaire de témoin. Pour les tenants de la médiation pénale, une infraction implique d’abord et avant tout des personnes qui étaient en relation ou non avant la commission de l’infraction, mais qui le seront inévitablement lors des procédures légales. Autant faire en sorte qu’elles s’impliquent réellement de manière à ce qu’elles se réapproprient l’événement et aient un réel pouvoir sur sa conclusion.

La médiation pénale, en reconnaissant le pouvoir de chacune des parties à trouver ensemble une solution qui leur convient, s’attaque à l’idée que toute décision soit prise unilatéralement par le tribunal. Elle permet à une victime et à un contrevenant de s’expliquer à propos de l’événement qui les relie pour ensuite coconstruire une forme de réparation des torts causés par cet événement.

Cette pratique largement répandue au sein des Organismes de justice alternative (OJA), organismes communautaires à but non lucratif (OBNL), depuis plus d’une quinzaine d’années, a permis à des centaines de victimes de jouer un rôle actif au sein du système de justice formel. Reconnues comme parties ayant subi des torts, elles peuvent ainsi obtenir réponse à leurs questions et réparations lorsque requises. De plus, la rencontre avec le contrevenant permet aux victimes d’avoir une relation constructive avec ce dernier plutôt que de vivre une confrontation devant les tribunaux. La participation du contrevenant à la médiation pénale lui permet de prendre la mesure des conséquences de son geste, de s’amender auprès de la victime et de donner un sens à la réparation du délit.

La médiation pénale impliquant un contrevenant adolescent et une victime gagne à être mieux connue et plus utilisée. Cet article examinera ses origines, ses principes et son fonctionnement ; puis il se penchera sur la place qu’elle occupe et sur celle qu’elle pourrait occuper au sein du système de justice.

Un peu d’histoire

Au début des années 1970, les premiers programmes de médiation qui ont vu le jour en Amérique étaient étroitement associés à la philosophie de la justice réparatrice. Contrairement à la justice criminelle qui définit le crime comme une offense à l’État, ce type de justice met de l’avant les intérêts de la victime et de la communauté. Elle vise donc la réparation des torts causés, qu’ils soient matériels ou psychologiques, à la victime comme moyen de maintenir la cohésion sociale. Comme le souligne Bonafé-Schmitt (1995), les tenants de cette justice font référence à des textes anciens comme l’Ancien Testament ou le Code d’Hammourabi (1750 av. J.-C.) qui analysait la violation d’une règle comme une atteinte à la personne et non au roi ; ou, plus tard, avec le développement des États modernes, à l’État.

Deux projets sont à l’origine de la médiation pénale. Au Canada, c’est à Kitchener (Ontario) en 1974 qu’un agent de probation a suggéré à un juge que deux jeunes reconnus coupables de vandalisme devraient rencontrer leurs victimes. Le juge acquiesça à la demande et ordonna aux deux jeunes, à la suite de la rencontre, de rembourser les dommages causés à leurs victimes. Par la suite, d’autres expériences comme celles-ci se multiplièrent et contribuèrent au développement de l’Association for Victim-Offender Mediation (VOM) dont l’objectif est la réconciliation des victimes et des contrevenants après leur condamnation. Quelques années plus tard, c’est en Indiana (États-Unis) où le projet d’Elkhart County en lien avec le Prisoner and Community Together (PACT) s’est d’abord intéressé aux différentes alternatives à l’emprisonnement, se situant même en opposition au système punitif (Zehr, 1990), pour ensuite se tourner vers le développement de programmes de médiation. Les pratiques de médiation pénale actuelles prennent donc racine au sein du système carcéral. D’ailleurs, contrairement aux OJA qui pratiquent la médiation pénale dans le cadre de sanctions extrajudiciaires, le Centre de services de justice réparatrice et le Service correctionnel du Canada réalisent des activités de rencontres de dialogue et de médiation victimes-contrevenants après le prononcé de la sentence en milieu carcéral.

D’autre part, selon Faget (1997), la combinaison de trois courants de pensée aurait favorisé l’avènement de la médiation pénale. Le premier, la contestation des institutions répressives, s’emploie à dénoncer les effets dévastateurs de l’intervention du système pénal sur la trajectoire des délinquants. D’abord influencée par les théories interactionnistes nord-américaines du Middle West et de Californie au début des années 1950, notamment par les travaux d’Edwin M. Lemert, ce courant de pensée a trouvé, par la suite, assises en Europe au cours des années 1960. L’évolution de la contestation des institutions répressives s’est ensuite concrétisée au sein d’un autre courant de pensée : l’abolitionnisme pénal qui prétend que « l’absence des grilles réductrices d’interprétation et des solutions stéréotypées que ce système impose en haut et de loin » permettrait de prendre « dans une convivialité plus saine et plus dynamique, les chemins d’une nouvelle justice » (Hulsman et Bernat de Celis 1982, cité par Faget, 1987 : 31).

Le deuxième, la découverte des victimes, que l’on voit apparaître au milieu des années 1940, à la suite de la Deuxième Guerre mondiale, se transforme en une discipline étudiée en criminologie et s’intéresse à l’étude des victimes de délits ou de crimes. Ce courant de pensée teinté de multiples orientations idéologiques contribue à l’avancement de la reconnaissance des droits des victimes et à leur donner un rôle actif au sein du système de justice.

Le troisième, l’exaltation de la communauté, s’est concrétisé pour la première fois dans le cadre des projets Chicago Area Projects (CAP) au cours des années 1930, où des membres de la collectivité associés à des sociologues ont développé des projets de prévention de la délinquance. La communauté s’est ensuite impliquée dans des processus de réaction sociale, notamment dans le cadre de la Restaurative Justice (justice réparatrice) et, plus particulièrement, dans le cadre de Families Group Conferences (conférences familiales de groupe). Cette forme de justice pratiquée par les Maoris de Nouvelle-Zélande implique les délinquants, les victimes, leurs familles et leurs proches ainsi que des membres de la communauté. Ce sont ces membres de la communauté qui ont la légitimité nécessaire pour résoudre la situation. Quelle que soit sa nature, l’implication de la communauté a contribué à l’essor de différents modèles de rendre justice.

Exprimés de la sorte, ces trois courants se présentent essentiellement comme une critique de l’état actuel du fonctionnement du système pénal et ne propose pas directement de solution à la criminalité juvénile. Mais les OJA, sans les reprendre dans toutes leurs implications, reconnaissent qu’ils ont contribué à jeter les assises de leur pratique actuelle de médiation pénale.

Influencée par ces expériences et ces courants de pensée, la médiation pénale a vu le jour au Québec au cours des années 1980 dans le domaine de la justice pour les mineurs[2]. Ce sont des organismes communautaires (OJA) qui ont graduellement développé cette pratique.

Actifs depuis le début des années 1980, les OJA (on en retrouve 36 sur le territoire québécois) travaillent auprès d’adolescents de 12 à 17 ans qui ont commis une infraction au Code criminel, et plus précisément à la Loi sur le système de justice pour adolescent (LSJPA – 2003), en proposant principalement des mesures de réparation envers la victime ou la collectivité. Les OJA sont également impliqués dans le champ de la médiation scolaire et de la médiation citoyenne.

Quelques principes

Définition de la médiation pénale

Cette définition de la médiation pénale représente assez bien la pratique actuelle : « La médiation est un processus le plus souvent formel par lequel un tiers impartial tente, à travers l’organisation d’échanges entre les parties, de permettre à celles-ci de confronter leurs points de vue et de rechercher avec son aide une solution au conflit qui les oppose » (Bonafé-Schmitt, 1998). Bien que cette définition offre un cadre général, elle ne permet pas de saisir tous les gains démocratiques, ni toutes les subtilités de cette pratique, telle qu’elle est présentement observée au Québec.

Perspective de la médiation pénale

Selon Walgrave, la médiation peut se diviser en deux grandes perspectives : minimaliste et maximaliste. La médiation, dans une perspective minimaliste, ne cherche pas à modifier le système pénal classique, elle s’intéresse plutôt à des arrangements volontaires et informels. Elle fonctionne en marge du système de justice. Walgrave poursuit : « Ces pratiques excluent le système judiciaire […] et laissent ainsi la pierre angulaire de la réaction sociale à la criminalité aux systèmes traditionnels punitifs ou éducatifs. Elle [la médiation] restera sans impact réel sur les options punitives fondamentales du système en vigueur » (Walgrave, 2003 : 168). Ce faisant, cette perspective ne s’adresse qu’à une mince frange de la criminalité, dite douce. Elle ne permet pas à une majorité de contrevenants et de victimes de s’approprier les actes posés et n’a ainsi aucun impact sur la démocratisation de l’application de la justice.

Dans une perspective maximaliste, la médiation peut intervenir lors de toutes situations qui sont référées au système de justice, ce qui permet à un plus grand nombre de victimes d’y avoir accès quelle que soit la gravité du délit. En remettant la parole et la décision finale aux acteurs concernés par un délit et non aux instances traditionnelles, elle participe à la transformation des pratiques institutionnelles. La présence de la médiation pénale au sein du système de justice contribue à déplacer l’attention de la façon traditionnelle de rendre la justice vers une autre façon de faire qui permet aux parties impliquées (adolescents et personnes victimes) de participer activement au déroulement de la rencontre qui est au centre du processus. De ce fait, en s’éloignant des modèles traditionnels punitifs, elle participe à démocratiser et humaniser la justice. Un espace est dégagé pour laisser place à des objectifs de réconciliation, de résolution et de réparation qui côtoient ceux, plus traditionnels, de punition et d’éducation, et ce, afin d’éventuellement les remplacer.

Justice réparatrice et médiation pénale

Nous avons précédemment vu que la médiation pénale est associée à la justice réparatrice – ou restaurative –, celle qui vise la réparation des torts causés lors d’un délit. La justice réparatrice regroupe aujourd’hui une multitude de tendances qui divergent et parfois même s’opposent aux plans des fondements théoriques, des objectifs et des pratiques mises de l’avant. Le Regroupement des organismes de justice alternative du Québec (ROJAQ), qui encadre la pratique de médiation pénale au Québec et qui est responsable de l’accréditation des médiateurs pénaux, a cependant fait le choix de se distancier de la justice réparatrice et de mettre l’accent sur la médiation. Selon le ROJAQ, « la justice réparatrice englobe actuellement un ensemble de principes et de pratiques si diversifiées qu’il convient de la considérer comme un modèle éclaté » (Béliveau, Charbonneau et Jaccoud, 2004). L’imprécision du modèle de justice réparatrice et le large spectre de ses objectifs et de ses principes, incluant même un mouvement répressif, sont source de confusion et d’inconfort, servant mal la compréhension et le développement de la médiation pénale.

Place des victimes

En permettant aux personnes victimes de délits de s’impliquer dans le processus, la médiation pénale modifie leur rapport au système de justice. De témoins passifs et utilitaires servant à valider la preuve de la poursuite, elles ont l’occasion de jouer un rôle actif, de défendre leurs intérêts, de faire valoir leurs points de vue, d’obtenir réponse à leurs questions, de comprendre, tout cela pour faciliter leur « guérison » et leur permettre de faire la paix. Toujours selon Walgrave

[…] les victimes sont très souvent perdantes dans leur coopération avec le système pénal. Elles y sont entendues comme témoins, mais laissées seules après avoir livré leur désarroi et leur souffrance. L’expérience montre que la majorité des victimes expriment une plus grande satisfaction après avoir participé à une interaction constructive avec le délinquant qu’après une confrontation devant la justice.

Walgrave, 2003 : 179-180

Au Québec, les OJA contactent les victimes afin de les informer des démarches en cours et de s’enquérir de leur volonté de s’impliquer dans un processus de médiation. Le tiers des victimes se disent ouvertes à collaborer à une forme de médiation (Jaccoud, 2008) :

[Elles] apprécient surtout les opportunités de communication, beaucoup plus que les compensations matérielles […] Si l’on compare les victimes impliquées dans une procédure judiciaire traditionnelle aux victimes ayant participé à une médiation, ces dernières éprouvent une satisfaction significativement plus élevée en termes d’équité, de respect et de soutien émotionnel.

Walgrave, 2003 : 176

Les raisons pour lesquelles les victimes participent à un processus de médiation sont multiples et très variées. Umbreit, Coates et Vos (2002) en ont fait une liste : recevoir réparation, s’assurer de la responsabilité de l’adolescent, en apprendre sur les causes de l’événement, partager leur douleur avec l’adolescent, éviter le processus judiciaire (tribunal), aider l’adolescent à changer de comportement ou voir l’adolescent équitablement puni.

Après avoir examiné quelques principes de la médiation pénale, voyons maintenant certaines caractéristiques qui aideront à préciser ce modèle tel qu’il est appliqué au Québec. Elles touchent le cadre des rencontres, le statut et le rôle du médiateur ainsi que son mode de fonctionnement.

Style de médiation

Dans le cadre d’une médiation, quel que soit le lieu où elle se pratique, Béliveau, Charbonneau et Jaccoud (2004) identifient quatre styles : 1) le légaliste – utilisé par des juristes ou des notaires en commercial par exemple –, qui fonde le conflit sur une divergence de droits et a pour objectif d’arriver à un accord basé sur les droits des parties ; 2) la négociation raisonnée – en médiation familiale par exemple –, qui voit le conflit comme une divergence d’intérêts, de besoins et de valeurs, et a pour objectif de négocier un accord qui tient compte de cette divergence ; 3) le transformateur – par des psychoéducateurs ou tout autre intervenant qui vise la réhabilitation –, qui s’attarde aux problèmes de comportement et vise à adopter une solution transformant le comportement problématique de l’individu ; 4) le relationnel – utilisé par les médiateurs pénaux au sein des OJA –, qui définit le conflit comme une expérience de vie engendrant des conséquences physiques, matérielles et psychologiques, et dont l’objectif est de favoriser la communication et le dialogue entre les parties.

Le ROJAQ privilégie le style relationnel pour quatre raisons principales :

1. il est le moins préstructurant des styles, offrant le plus de marge de manoeuvre aux parties qui ne sont pas confinées à un modèle et à des rôles précis ; 2. il n’est pas centré sur les causes, mais sur les effets de la situation, il permet de faire émerger toutes les dimensions de celle-ci ; 3. il permet d’organiser des échanges dans les situations ayant eu des conséquences importantes ; 4. il est plus adéquat pour favoriser la symétrie entre les parties.

Béliveau, Charbonneau et Jaccoud, 2008 : 46

Le style relationnel n’est pas toujours possible, car il arrive que les parties ne montrent aucun intérêt à dialoguer entre elles, souhaitant plutôt en arriver rapidement à un accord sans s’impliquer plus avant. L’accord entre les parties prendra souvent, sinon toujours, une place importante en justice pénale, mais il faut tout de même s’assurer que cet objectif ne prenne pas toute la place. Il ne s’agit pas, avec le style relationnel, d’imposer la communication, mais de la permettre.

Statut et rôle du médiateur

Le médiateur est un acteur pénal investi d’un mandat judiciaire, car sa pratique découle d’une décision prise par le système sociojudiciaire (nous en verrons le détail un peu plus loin). Pour s’acquitter de ce mandat, les OJA ont adopté le modèle du médiateur « professionnel ». Cela signifie qu’il est formé, accrédité et rémunéré pour agir à titre de médiateur pénal. La formation de base est offerte par le ROJAQ, qui s’assure que la personne formée répond aux critères requis pour être dûment accréditée. De plus, le ROJAQ exige que le médiateur accrédité participe au processus de formation continue qui lui permettra de maintenir son accréditation. Le médiateur est rémunéré par l’organisme qui l’emploie (OJA). Les parties impliquées dans le processus de médiation pénale n’ont donc aucuns frais à débourser.

Les questions de la neutralité et de l’impartialité sont souvent posées lorsqu’on décrit le rôle du médiateur. Balisée par la LSJPA, possédant ses propres objectifs et valeurs (favoriser la communication et le dialogue entre les parties), la médiation est elle-même teintée par le cadre au sein duquel elle s’inscrit (le système de justice pénal). Porteur de tout ce bagage et garant du bon déroulement des rencontres, le médiateur pénal peut difficilement être qualifié de « neutre ». Par contre, on peut lui attribuer l’épithète d’impartial. Il n’a pas le rôle d’arbitrer ou de trancher en faveur d’une des parties en présence. Il n’a pas de parti pris ni d’a priori. Il accompagne équitablement les parties, facilite la communication et mise sur le dialogue entre elles de manière à ce qu’elles puissent exprimer le plus librement possible ce qu’elles souhaitent, pour en arriver à un accord (respectant les balises légales), si elles jugent cette étape nécessaire et pertinente.

De plus, le style relationnel lui impose d’être en relation avec chacune des parties. Il lui incombe de développer un lien de confiance avec chacune, de manière à faciliter leur participation et la réussite du processus de médiation.

Fonctionnement de la médiation pénale

La médiation s’appliquant dans le cadre du système de justice pénal et, plus précisément, de la LSJPA, il est nécessaire qu’une infraction soit d’abord commise et officiellement rapportée aux services de police. Une fois que la plainte est déposée, le policier la reçoit, fait enquête[3], procède à l’arrestation et rédige un rapport qu’il remet au procureur aux poursuites criminelles et pénales (PPCP), autrefois appelé substitut du procureur général. Le PPCP s’assure de la suffisance de preuve et autorise (ou non) la plainte.

Lorsque la plainte est autorisée, il envoie le dossier[4] au directeur provincial (DP) du Centre jeunesse afin que celui-ci procède à l’« évaluation-orientation » de l’adolescent. Lorsqu’il reçoit le dossier, l’intervenant du Centre jeunesse doit transmettre à l’OJA les informations relatives à la victime et aux circonstances du délit. Par la suite, l’intervenant de l’OJA contacte la victime, qu’elle soit une personne, une corporation ou une institution, afin de l’informer des procédures en cours et de s’enquérir de sa volonté à participer au programme de sanction extrajudiciaire (PSE)[5]. Les commentaires émis par la personne victime sont ensuite acheminés à l’intervenant du Centre jeunesse qui procédera à l’évaluation de l’adolescent.

Lorsque la victime souhaite participer à un processus de médiation avec l’adolescent, l’intervenant du Centre jeunesse évaluera la pertinence et la faisabilité de la démarche. Si l’intervenant du Centre jeunesse estime que la médiation est pertinente, il signe une entente (de sanction extrajudiciaire) en ce sens avec l’adolescent et envoie la sanction à l’intervenant de l’OJA qui verra à l’appliquer.

Le processus de médiation est maintenant en marche. L’intervenant de l’OJA communique avec chacune des parties afin de réaliser les rencontres préparatoires individuelles. Ces rencontres visent à s’assurer que les parties acceptent de participer à la médiation, à les informer des caractéristiques du processus, de ses exigences et de son fonctionnement, à créer un lien avec chacune d’elles et à leur permettre de se préparer à la mise en contact de l’autre partie lors de la rencontre de médiation (le face à face). Il est parfois nécessaire de réaliser plus d’une rencontre préparatoire avant de passer à la rencontre de médiation, afin de s’assurer que les parties sont réellement prêtes à passer à cette étape.

La rencontre de médiation se déroule dans un lieu neutre pour les parties, qui peut être les locaux de l’OJA ou d’un autre organisme à proximité de leur lieu de résidence si possible. Durant la rencontre, le rôle principal du médiateur consiste à faciliter la communication de manière à créer une relation fructueuse entre les parties en présence. Il mise sur les effets et non sur les causes de l’événement qui les relie, ce qui pourra permettre d’en atténuer les conséquences, tant matérielles que psychologiques, pour chacune des parties. Lorsque celles-ci conviennent qu’il est nécessaire de rédiger un accord, cette tâche incombe au médiateur qui doit s’assurer de sa faisabilité et de son respect du cadre légal de la LSJPA (l’adolescent ne peut verser plus de 1 000 $, ni réaliser plus de 120 heures de travaux communautaires). Quelques semaines après la tenue de cette rencontre, le médiateur reprend contact avec chacune des parties afin de s’enquérir des effets de la démarche. Il s’intéresse à leur degré de satisfaction, à savoir si elles éprouvent un sentiment d’équité et de justice, puis il s’assure, quoique cela se présente très rarement, qu’elle n’a pas provoqué davantage d’effets négatifs que positifs. En fait, il les assure de sa disponibilité et fait le suivi requis. Puis, il vérifie le respect de l’accord le cas échéant. L’accord fait partie intégrante du processus de médiation au sein duquel l’adolescent a formellement accepté de participer. Le non-respect de l’accord peut entraîner le retour de l’adolescent au sein de l’appareil sociojudiciaire.

Impact sur les parties impliquées

La grande majorité des études révèlent un haut taux de satisfaction des deux parties impliquées dans le processus de médiation pénale, et ce, indépendamment du lieu, du contexte et de la nature de l’événement. La rencontre « face à face » permet l’expression directe des sentiments, des besoins, des attentes réciproques et de l’impact du délit dans leur vie respective.

Une recherche recensant 63 études empiriques dans cinq pays (Umbreit, Coates et Vos, 2002) fait état de l’impact d’une telle démarche auprès des participants. Tout d’abord, le fait de pouvoir partager et d’échanger avec l’autre est un élément de satisfaction prioritaire et commun aux deux parties. Les victimes ajoutent que le partage de leur histoire et de leur douleur avec l’adolescent compte beaucoup dans leur degré de satisfaction. Pour leur part, les adolescents sont surpris par l’expérience, qu’ils qualifient de positive. Elle leur donne l’occasion de s’expliquer puis de saisir l’impact du délit sur la victime. Les deux parties se disent satisfaites à plus de 80 % de l’équité qui caractérise le processus et 90 % d’entre eux le recommanderaient à quelqu’un d’autre. Bien que secondaire eu égard à la possibilité de discuter de l’événement, le « remboursement » prend parfois une place importante et peut se traduire sous différentes formes : un dédommagement direct ou du travail pour la personne victime, des travaux communautaires ou toute autre entente convenue entre les parties. Les engagements de remboursement pris, dans un contexte de médiation, par les adolescents sont respectés à 81 %, comparativement à 57 % hors contexte de médiation, soit dans le cadre du système judiciaire traditionnel.

Le fait d’être à l’aise face au médiateur est un élément fréquemment associé au taux de satisfaction. Ce facteur milite en faveur de l’approche relationnelle qui accorde une grande importance à la qualité de la relation.

Par la suite, les contrevenants qui participent à un processus de médiation pénale risquerons moins de commettre d’autres actes répréhensibles que ceux qui n’y participent pas. Même s’il n’est pas directement visé par le processus, cet effet, bien que non négligeable, fait partie des bénéfices secondaires de la médiation.

Limites

La médiation pénale est encore peu connue au Québec, car elle est relativement nouvelle, mais aussi parce qu’elle est peu pratiquée. Selon des données compilées par le ROJAQ, le tiers des personnes contactées par les OJA en 2006 se sont dites ouvertes à s’impliquer dans un processus de médiation. Moins de 20 % de l’ensemble des mesures extrajudiciaires signées entre le Centre jeunesse et l’adolescent ont été orientées vers ces mêmes personnes victimes. Cet écart peut s’expliquer par différentes raisons : le jeune est jugé « inadéquat » pour la médiation, il nie sa participation à l’événement, auquel cas il devra faire face au tribunal, ou le délégué à la jeunesse estime pertinent de fermer son dossier sans suite.

Toutefois, le délégué à la jeunesse peut opter pour une autre mesure que la médiation, par choix idéologique ou parce qu’il ne croit pas ou peu dans la pertinence d’une telle démarche. D’ailleurs, le modèle d’application de la médiation pénale de type bicéphale, au sens où les deux organisations impliquées, l’OJA et le Centre jeunesse, possédant chacune leurs valeurs, leurs approches et leurs biais organisationnels ont un contact initial privilégié avec leur partie respective (l’OJA est en contact avec la victime et le Centre jeunesse avec l’adolescent). Ce mécanisme de fonctionnement pose une difficulté qui limite le processus d’intervention directe et peut influencer le choix de la médiation.

Le courant dominant au sein des Centres jeunesse est l’approche différentielle, principalement centrée sur la réhabilitation de l’adolescent par la psychoéducation, alors que le courant dominant au sein des OJA est davantage d’ordre réparateur et relationnel, s’intéressant aux deux parties impliquées, aux torts causés, aux effets produits et aux formes de réparation possibles.

Nous avons jusqu’à maintenant traité de la médiation dans sa forme directe « face à face » où l’adolescent et la victime sont accompagnés par un médiateur. Toutefois, il arrive à l’occasion que la personne victime accepte de participer au processus de médiation mais qu’elle ne souhaite pas rencontrer l’adolescent ; c’est ce que nous appelons une médiation indirecte. L’approche relationnelle devient dans ce cas quasiment impossible à développer, bien que chacune des parties, par l’intermédiaire du médiateur, puisse tout de même développer une forme de sensibilité et d’ouverture à l’autre. Dans ce cas, le médiateur a davantage un rôle de liaison ou de transmetteur des informations que chaque partie souhaite transmettre à l’autre. Il est clair que ce type de pratique limite grandement les effets positifs possibles de la médiation, les parties n’ayant pas été en présence. Elles peuvent en ressortir un peu moins satisfaites, n’ayant pu échanger directement avec l’autre par exemple.

En outre, la réaction fréquente des individus à se référer aux services institutionnels existants (hôpital, CLSC, tribunal, policier, etc.) dans une « logique de services » où l’expert prend en charge votre demande, votre problème ou votre difficulté en vous ôtant votre pouvoir décisionnel, peut expliquer le faible taux de médiation pénale. Tant les victimes que les adolescents ne sont pas spontanément portés à percevoir l’intérêt immédiat à s’engager dans un processus de médiation, car il est rare qu’une telle possibilité leur soit offerte. Plutôt que d’être partie prenante de la décision, ils ont le réflexe de s’en remettre au système de justice afin qu’il tranche à leur place. Un peu à contre-courant au sein du système sociojudiciaire, la médiation pénale s’inscrit dans le mouvement de la prise en charge des situations par les acteurs qui sont directement concernés. Elle participe donc à la démocratisation du fonctionnement du système de justice.

Cette conception (la pénétration du social au sein du pénal) gagne graduellement ses galons, mais elle nécessite encore une bonne dose de conviction et de persuasion de la part de ses défenseurs qui se heurtent à de fortes résistances de la part des membres du système judiciaire ; elle ne vise pas les mêmes objectifs ni ne privilégie les mêmes processus que le système au sein duquel elle opère. Nous parlons ici des policiers qui portent des valeurs de répression plus que de réconciliation ; des délégués à la jeunesse dont l’intervention est centrée sur le jeune contrevenant, et pour qui le rapport à la victime est utilitaire en vue de réhabiliter le jeune ; et les principaux acteurs judiciaires (juges et procureurs) qui sont dans une logique d’imposition d’une juste peine basée sur le code criminel et la jurisprudence. Toutefois, les mentalités changent lentement et les efforts investis pour diminuer ces résistances commencent à porter fruit.

Faget (1997) illustre bien les deux logiques difficilement compatibles entre la médiation et le judiciaire. Il précise que la médiation judiciaire est sociologiquement paradoxale. Un défi de taille pour les OJA, dans une perspective maximaliste, consiste à fondre ces deux parties du tableau en une seule.

Source : Faget, 1997 : 56

-> Voir la liste des tableaux

Perspectives

Sans être une panacée, la médiation pénale apporte un souffle prometteur au sein du système pénal et auprès des personnes qui s’y impliquent. Par l’appropriation des situations qui les concernent, les victimes et les contrevenants sont en mesure de donner un sens à leur expérience commune – le délit – et d’en diminuer les effets néfastes. Cette pratique contribue ainsi à l’augmentation de la confiance des citoyens en leur propre capacité d’agir sur leur vie. De plus, elle a un effet indirectement positif sur la confiance des citoyens envers le système de justice qui leur fait graduellement une place signifiante. En acceptant des pratiques démocratiques en son sein, le système de sociojudiciaire réduit la grande distance sociale qui le sépare des parties impliquées.

Le développement de cette pratique participative et l’augmentation de son utilisation pourront contribuer à atténuer le cynisme et l’insatisfaction populaire face au fonctionnement du système de justice, présentement en crise de légitimité, notamment par la réduction de l’écart existant entre les deux significations de la notion de « justice ». La première signification renvoyant à la morale, à ce qui est juste, équitable et honnête. La deuxième signification faisant référence à l’application des lois par un système étatique. Ces deux significations étant pour plusieurs incompatibles.

La création d’espaces permettant l’expression ainsi que l’influence sur le dénouement d’un délit participe à l’expansion de la brèche sociale au sein de l’appareil pénal et apporte aux personnes qui en bénéficient, une occasion d’émancipation. Inversement, la réduction de ces espaces d’expression aura pour effet de perpétuer la perception que le système de justice est conçu par et pour les juristes, où le simple citoyen est exclu n’ayant pas les capacités ni les compétences pour s’y impliquer.

Selon la perspective maximaliste définie par Walgrave (1999), la médiation pénale doit être conçue comme une alternative systémique qui pourrait, à long terme, remplacer les systèmes actuels et non se limiter à une forme de complémentarité tel un outil ajouté aux décisions punitives ou éducatives actuelles. S’appliquant à l’intérieur du système sociojudiciaire et non dans ses marges, cette perspective permettra de donner accès à la médiation à un plus grand nombre de personnes victimes et d’adolescents impliqués dans des événements, quelle que soit leur gravité. Cela exige une forme de fusion entre l’intervention étatique et un processus d’ordre communautaire, soit, selon le tableau de Faget, entre la justice et la médiation. La punition et réhabilitation doivent faire une place à la communication, aux arrangements volontaires ou aux ententes de gré à gré entre les parties concernées.

Les OJA portent la volonté de faire progresser la médiation pénale au sein des institutions avec lesquelles elles collaborent, mais un des principaux défis demeure la participation du citoyen à la Justice. Doit-il y participer passivement lorsqu’on requiert sa présence ou y prendre une part active ? Les OJA ont fait leur choix. D’ailleurs, le récent développement d’un projet pilote visant le développement de la médiation au sein de l’appareil judiciaire pour mineurs en peines particulières (décisions ordonnées par un juge) milite en ce sens. La médiation se déroulerait avant le prononcé de la peine par le juge. Ce dernier pourrait ensuite sanctionner l’entente prise par les parties lors de la médiation.

Toutefois, des stratégies visant, d’une part, la promotion de la médiation au sein de la population en général et, d’autre part, la mobilisation des acteurs concernés, notamment les partenaires du système sociojudiciaire, les contrevenants et les victimes, sont à peaufiner. Une plus large connaissance des pratiques de médiation pénale permettra son développement, car plus de gens s’y intéresseront et, en définitive, elles seront davantage utilisées permettant ainsi de progresser vers sa finalité, soit de rendre le système de justice plus démocratique et humain.