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Historique

En septembre 1996, des intervenants communautaires des quatre CLSC de la Rive-Sud (Longueuil-Ouest, Longueuil-Est, Saint-Hubert et Samuel-de-Champlain), en concertation avec des groupes communautaires, se réunissent pour réfléchir à la possibilité de remplacer les programmes Extra en aide domestique par une solution qui créerait de véritables emplois. Depuis au moins sept ans, des participantes[1] au programme Extra recevaient 120 $ par mois, en plus de leur prestation de base d'aide sociale, pour 20 heures de travail d'entretien ménager par semaine chez des personnes âgées. Après six ou neuf mois, ces participantes se retrouvaient le bec à l'eau : il n'y avait pas d'emploi dans ce domaine et leur stage Extra était terminé. Une telle situation nous amène à poser la question suivante : à quoi servent les programmes d'employabilité s'il n'y a pas d'emplois ?

À l'automne 1996, la Coopérative des techniciens ambulanciers de la Montérégie (CETAM) appuie Mieux-Être, un projet piloté par Madame Suzanne Lasnier, qui travaillera en maintien à domicile. Plus tard, la CETAM apporte son appui à la Coop Aide Rive-Sud en déléguant un travailleur qui siégera au premier conseil d'administration de la Coop Aide Rive-Sud.

Au printemps 1997, le gouvernement annonce un Programme d'exonération, qui permettra aux usagers d'obtenir des services d'aide domestique à un tarif déterminé en fonction de leurs revenus. Ainsi, ces services coûtent aux usagers entre 4 et 10 $ de l'heure. Ce programme fait suite au Sommet socio-économique de l'automne 1996 et s'inscrit dans le cadre du Chantier de l'économie sociale. Une seule entreprise d'économie sociale en aide domestique (EESAD) par territoire sera reconnue par les comités bipartites régionaux.

En août 1997, la Coop Aide Rive-Sud obtient son incorporation : il s'agit de la première coopérative de solidarité en aide domestique à obtenir son incorporation au Québec ; les amendements en ce sens à la Loi des coopératives datent de juin 1997.

En septembre 1997, les deux CLSC de Longueuil appuient la demande de la Coop Aide Rive-Sud – un projet présenté par Madame Suzanne Lasnier – qui souhaite devenir l'EESAD accréditée pour leur territoire. Les deux CLSC posent comme condition que la Coop Aide Rive-Sud incorpore parmi son personnel toutes les personnes travaillant dans les programmes Extra ou étant à l'emploi de Services-Maison (anciennement appelé le Café chrétien) qui le désirent.

À l'automne 1997, le CLSC des Seigneuries demande à la Coop Aide Rive-Sud de desservir son territoire : Boucherville, Varennes, Verchères, Sainte-Julie, Saint-Amable, Calixa-Lavallée et Contrecoeur.

En décembre 1997, c'est l'assemblée de fondation de la Coop Aide Rive-Sud. Le conseil d'administration comprend 11 membres : quatre représentantes des travailleuses, quatre représentantes des usagères et trois représentants du milieu.

En février 1998, le conseil d'administration de la Corporation de développement communautaire (CDC) de Longueuil appuie la Coop Aide Rive-Sud qui soumet une demande d'accréditation auprès du comité bipartite. Des démarches de consultation sont alors effectuées auprès des syndicats, comme nous le verrons plus loin.

En mai 1998, la Coop Aide Rive-Sud accréditée, ouvre ses portes et commence à offrir des services. Un protocole de collaboration est signé entre la Coop Aide Rive-Sud et les trois CLSC (Longueuil-Ouest, Longueuil-Est, des Seigneuries). Ce protocole prévoit que la Coop Aide Rive-Sud ne desservira pas les clients des allocations directes. Ces derniers seront référés à Services-Maison. Le protocole précise que, dans le cadre du Programme d'exonération, la coopérative s'occupera essentiellement d'entretien ménager léger et lourd.

Toujours en mai 1998, Services-Maison continue à offrir une banque de personnes embauchées de gré à gré (allocations directes par le biais du chèque emploi-service), à la demande des CLSC et avec l'appui financier de la Direction de la santé publique (DSP).

En décembre 1998, le CLSC Samuel-de-Champlain demande à la coopérative de desservir son territoire. La coopérative accepte et intègre les employées Extra qui le désirent : il s'agit du projet porté par la paroisse St. Mary's de Greenfield Park sous le nom de Soutien Rive-Sud. Un même protocole de collaboration est signé. Le territoire de Saint-Hubert, avec l'appui du CLSC de ce territoire, est desservi par l'Association des familles soutien des aînés de Saint-Hubert (AFSAS).

En janvier 1999, la Coop Aide Rive-Sud dessert 414 clients réguliers et 135 clients occasionnels (travaux lourds), pour un total de 549 clients. La Coop Aide Rive-Sud compte alors une trentaine d'employées. La clientèle potentielle des quatre territoires de CLSC est 333 000 personnes, ce qui fait de la Coop Aide Rive-Sud potentiellement la deuxième plus grosse EESAD du Québec, après celle de Laval.

Quelques difficultés éprouvées

La multiplicité des promoteurs

Puisque le gouvernement prévoyait ne reconnaître qu'une seule EESAD par territoire, il n'a pas été facile de composer avec trois demandes : celle de Services-Maison, celle de l'Association Sclérose en plaques Rive-Sud (ASPRS) et celle de Coop Aide Rive-Sud.

Services-Maison souhaitait bénéficier du Programme d'exonération plutôt que des programmes Extra. Cette offre n'a pas été appuyée par le milieu (les deux CLSC et le conseil d'administration de la CDC) mais l'organisme a continué à offrir, avec l'appui des CLSC, la banque de personnes intéressées à travailler de gré à gré dans le cadre des allocations directes. Il y aurait lieu d'approfondir le débat sur la faible qualité des emplois engendrés par les allocations directes : pas de sécurité d'emploi, pas de congés de maladie, isolement, etc. Nous reviendrons sur cette question plus loin.

Cette remarque rejoint la deuxième demande, celle de l'Association Sclérose en plaques Rive-Sud (ASPRS), dont les membres sont souvent bénéficiaires des allocations directes du Fonds régional des personnes handicapées (FRPH), un fonds administré par les CLSC. L'ASPRS ne demandait pas à devenir une EESAD reconnue par le comité bipartite. Elle souhaitait cependant créer une coopérative de solidarité pour offrir des services intégrés aux personnes handicapées et à toute personne en besoin, c'est-à-dire autant des services d'aide domestique que des services à la personne (bains, déplacements, etc.). Ces services ne seraient pas dispensés par des préposés de gré à gré mais plutôt par des employés de la coopérative mise sur pied par l'ASPRS. En effet, les personnes handicapées recherchent la continuité : elles souhaitent que l'ensemble des services dont elles ont besoin soient fournis par la même personne.

Il n'était pas facile de composer avec cette demande, car le tarif des allocations directes (7,71 $ de l'heure seulement, en Montérégie) est nettement insuffisant pour assurer le salaire horaire de 8,50 $ prévu par l'EESAD.

L'ASPRS n'a donc pas été partie prenante du consensus mitigé du milieu en faveur de la Coop Aide Rive-Sud. L'ASPRS a plutôt mis de l'avant l'idée de créer un Institut de formation des auxiliaires communautaires (IFAC). Elle a également appuyé la création d'une association des usagers des services à domicile (allocations directes). Pour l'ASPRS, la coopérative répond aux besoins des personnes âgées et non aux besoins des personnes handicapées. Elle a bien raison : les EESAD ont bel et bien été créées dans le but de répondre d'abord aux besoins des personnes âgées.

C'est donc finalement la proposition de la Coop Aide Rive-Sud et de la CETAM qui a reçu l'appui des CLSC et du conseil d'administration de la Corporation de développement communautaire (qui réunit 80 groupes communautaires).

La définition du territoire

Le projet a débuté par une concertation entre quatre CLSC : Longueuil-Ouest, Longueuil-Est, Saint-Hubert et Samuel-de-Champlain. Le CLSC Saint-Hubert s'est retiré parce que l'Association des familles soutien aux aînés de Saint-Hubert (AFSAS), un organisme enraciné dans cette municipalité, a choisi de présenter une demande pour devenir une EESAD et qu'elle a reçu, dans ce but, l'appui de son CLSC. C'est ce qui pouvait arriver de mieux pour ce territoire.

Les deux CLSC de Longueuil ont formé par la suite le noyau de départ. Le territoire du CLSC des Seigneuries s'est ajouté parce qu'aucune demande n'a été soumise au comité bipartite par un promoteur venant de ce territoire. Enfin, le CLSC Samuel-de-Champlain, qui n'avait pas pris position jusque-là, a demandé à joindre son territoire à celui de la coopérative, le groupe qui bénéficiait de programmes Extra dans ce territoire ne voulant pas devenir une EESAD.

La majorité de la clientèle de la Coop Aide Rive-Sud provient de Longueuil. Une bonne partie de cette ville, surtout la partie ouest, abrite une population relativement pauvre. Au recensement de 1996, 30,3 % des ménages longueuillois vivaient sous le seuil de la pauvreté, comparativement à 21,2 % des ménages de tout le Québec. De même, toujours en 1996, 50,5 % des Longueuillois vivant seuls étaient sous le seuil de la pauvreté, comparativement à 45 % des Québécois.

Les consultations avec les syndicats

Dans un premier temps, l'assemblée générale du Syndicat des travailleuses et des travailleurs (STT) du CLSC Longueuil-Ouest (FSSS-CSN) a eu une réaction de neutralité face au projet, étant entendu que le protocole entre les CLSC et la coopérative devait garantir qu'il n'y aurait pas de substitution d'emplois. Une lettre a donc été envoyée en ce sens par le syndicat au comité bipartite.

Dans un second temps, lors d'une deuxième assemblée générale, il a été décidé de retirer la lettre déjà envoyée parce que de nouvelles craintes se sont manifestées. En effet, certains représentants de la FSSS-Montérégie n'avaient pas encore pris conscience du fait que les auxiliaires familiales et sociales des CLSC ont majoritairement fait leur deuil de l'entretien ménager : il y a, en général, plusieurs années que cela ne fait plus partie de leurs tâches, sauf de façon très accessoire ou dans des situations particulières (menace d'éviction d'un logement insalubre, par exemple). Il y avait aussi la crainte qu'à moyen terme il y ait un glissement de la mission de la coopérative vers d'autres tâches que l'entretien ménager.

De son côté, le STT du CLSC Longueuil-Est a envoyé au comité bipartite une lettre expliquant sa neutralité dans ce dossier, c'est-à-dire que le syndicat n'entendait pas s'opposer à la création de la coopérative, d'autant plus que la création de cette EESAD atteignait un objectif syndical : créer des emplois pour remplacer les programmes d'employabilité Extra menant à l'impasse.

Quelques enjeux

La rentabilité de l'entreprise

L'entreprise s'est donné comme objectif de départ de créer des emplois stables, rémunérés au minimum 8,30 $ de l'heure, en conformité avec les demandes mises de l'avant par la Marche des femmes de 1995.

Une étude du Chantier de l'économie sociale a démontré que les EESAD devaient générer des revenus de 17 $ de l'heure pour couvrir leurs coûts : salaires, bénéfices marginaux, frais de déplacement, encadrement, locaux, etc.

Le montage financier actuel prévoit des revenus de 14 $ de l'heure, fournis en partie par le gouvernement (le Programme d'exonération, qui procure de 4 à 10 $) et en partie par l'usager (dont la contribution se situe également entre 4 et 10 $, en fonction de son revenu).

Les 3 $ manquants proviennent d'un amalgame de programmes : subventions salariales individualisées (bons d'emploi du CLE [Centre local d'emploi]), Fonds de lutte contre la pauvreté et fonds d'économie sociale du Centre local de développement (CLD).

Par comparaison, le coût horaire d'une auxiliaire familiale et sociale de CLSC est d'environ 25 $ (incluant le salaire, les bénéfices marginaux, les frais de déplacement, l'encadrement, les locaux, etc.). Pour le gouvernement, il est toujours très clair qu'il est moins coûteux de confier l'entretien ménager offert aux personnes âgées en perte d'autonomie aux EESAD plutôt qu'au secteur public.

Au cours de sa première année de fonctionnement, la Coop Aide Rive-Sud a bénéficié d'un revenu d'environ 577 400 $ réparti comme suit :

-> Voir la liste des tableaux

On notera la grande différence entre les calculs du Chantier de l'économie sociale (le taux d'autofinancement des EESAD devrait être de 82 %, soit 14 $ sur 17 $) et le taux d'autofinancement de la Coop Aide Rive-Sud qui est actuellement de 34 % (incluant le Programme d'exonération et la contribution des usagers). Cela s'explique par le fait qu'il s'agit d'une année de démarrage. Toutefois, on est en droit de se demander quel taux d'autofinancement on peut attendre, de manière réaliste, des EESAD.

Les calculs de rentabilité des EESAD dépendent de divers facteurs : Quel est le taux d'affectation (le nombre d'heures réellement travaillées et facturées, car il faut tenir compte des heures de transport, de formation, etc.) ? Quelle est l'incidence des coûts de transport (il y a un facteur de « ruralité » qui est accordé dans le financement actuel des EESAD) ? Quel est le taux d'encadrement idéal du personnel ?

Le fait que les EESAD dépendent actuellement des programmes de Subventions salariales individualisées et du Fonds de lutte contre la pauvreté pour leur financement entraîne un prix à payer : ces programmes déterminent le type de personnes à embaucher et les EESAD doivent travailler à l'insertion de ces personnes.

Pour sa deuxième année, la Coop Aide Rive-Sud prévoit des revenus de 800 000 $. Concernant la clientèle, on observe que :

  • 73 % des clients de la coopérative ont plus de 65 ans (et sont donc automatiquement admissibles au Programme d'exonération) ;

  • 21 % des clients ont moins de 65 ans et ont été jugés admissibles au Programme d'exonération ;

  • 6 % des clients paient le tarif maximum, soit 10 $ (couples bi-actifs, etc.).

Même en augmentant de beaucoup le nombre de clients qui paient le tarif maximal (soit 14 $), les EESAD ne seront jamais rentables sans l'aide de programmes gouvernementaux additionnels, pour couvrir l'écart entre 14 $ et 17 $ décrit plus haut.

Il faut aussi que les travailleuses puissent voir progresser leurs conditions de travail. La Coop Aide Rive-Sud vient d'augmenter de 0,25 $ le salaire horaire des travailleuses à son emploi depuis un an, salaire qui était initialement de 8,30 $.

Le balisage de la mission

Le consensus du Chantier de l'économie sociale consistait à ne pas substituer des emplois du secteur public. C'est pourquoi la mission des EESAD accréditées est restreinte, avec raison, à l'entretien ménager léger et lourd, à l'entretien des vêtements, à la préparation de repas sans diète et à l'entretien extérieur (pelouse, déneigement, etc.).

Deux associations nationales regroupent présentement les quelques 90 EESAD reconnues aux fins du Programme d'exonération. Il y a le Regroupement des entreprises d'économie sociale en aide domestique du Québec (REESADQ), créé le 6 novembre 1998, qui réunit 73 entreprises, tant des OBNL (organismes à but non lucratif) que des coopératives. Il y a également la Fédération des coopératives de services à domicile du Québec (FCSADQ), qui s'appelait anciennement la Fédération des coopératives de services et de soins de santé du Québec, et qui réunit 30 EESAD accréditées par le gouvernement. Onze entreprises sont membres à la fois du REESADQ et de la FCSADQ.

Le REESADQ encourage ses membres à baliser leur mission dans le sens du consensus du Chantier de l'économie sociale. La FCSADQ invite au contraire ses membres à diversifier leur mission, entre autres, à offrir des services de gardiennage et des services à la personne (bains, etc.), comme l'illustre bien le mémoire qu'elle a présenté récemment au comité Arpin (Fournier, 1999a).

Le REESADQ demande un débat public et une implication de tous les partenaires dans l'hypothèse où le ministère de la Santé et des Services sociaux voudrait que les EESAD élargissent leur mission.

La Coop Aide Rive-Sud est d'abord devenue membre de la Fédération des coopératives, dont l'existence est antérieure au REESADQ. La Fédération des coopératives offre à ses membres 15 000 $ de publicité gratuite, à raison de 5 000 $ par an pendant trois ans, un cadeau de l'Assurance-vie Desjardins-Laurentienne. Voilà qui rend le membership alléchant. La FCSADQ, elle-même appuyée financièrement par le Mouvement Desjardins, a produit un Guide de gestion, un Guide des employés et elle offre, parmi d'autres services, un programme de formation sur la gestion ainsi que des services informatiques.

La Coop Aide Rive-Sud est également devenue membre du REESADQ dont l'orientation correspond bien à sa mission présente. Le REESADQ est reconnu et financé, par un budget de démarrage de 50 000 $, par le bureau du premier ministre québécois pour représenter à l'échelle nationale les entreprises d'économie sociale en aide domestique. Le REESADQ travaille particulièrement à consolider les assises financières des EESAD.

À l'instar des 11 EESAD qui sont membres des deux regroupements, la Coop Aide Rive-Sud contribue à jeter des ponts entre les deux associations nationales. Sur le plan national, des démarches sont en cours pour rapprocher les deux regroupements. Il pourrait y avoir une certaine spécialisation et chaque regroupement pourrait faire bénéficier ses membres de services différents.

On constate des divergences au sein du conseil d'administration de la Coop Aide Rive-Sud concernant la pertinence de diversifier la mission. Certains membres voient dans l'élargissement de la mission (dans le domaine du gardiennage en particulier) une occasion de diversifier les tâches des travailleuses, car il est épuisant de se consacrer uniquement à l'entretien ménager. Ils voient également là une occasion de rentabiliser l'entreprise et une volonté de répondre de façon intégrée à l'ensemble des besoins des clients.

Les opposants à l'élargissement de la mission craignent un glissement progressif des tâches vers celles actuellement assumées par les auxiliaires familiales et sociales des CLSC. Car le gardiennage peut aussi signifier des soins à la personne (changements de vêtements souillés, etc.). Ils veulent également éviter que la coopérative ne s'engage dans des secteurs qui nuiraient à sa rentabilité, car les allocations directes ne couvrent pas les coûts de main-d'oeuvre de la coopérative. Bref, diversification n'est pas synonyme de rentabilité. Enfin, ils notent que le gardiennage est actuellement assumé par une banque de personnes gérée par Services-Maison (allocations directes) et qu'il faut respecter la complémentarité entre les organismes.

Le débat, serein au départ, sur un possible élargissement de la mission des EESAD est devenu plus rude depuis l'annonce par le ministre des Finances, Bernard Landry, de l'instauration d'un crédit d'impôt de 23 % pour les services à domicile, entrant en vigueur le 1er janvier 2000 (Association des CLSC et des CHSLD du Québec, 1999 ; Fournier, 1999b). Ce crédit d'impôt fera en sorte que les personnes âgées de plus de 70 ans paieront elles-mêmes 77 % du coût des services. On passerait ainsi d'un système gratuit (les services des auxiliaires familiales et sociales du CLSC, d'une part, les allocations directes, d'autre part) ou respectant la capacité de payer de l'usager (le Programme d'exonération) à un système de services non accessibles à tout le monde. Il y a là un débat de société à mener.

Le Chantier de l'économie sociale a mis en garde le gouvernement : il est essentiel de rechercher un nouveau consensus national avec tous les partenaires si le ministère de la Santé et des Services sociaux modifiait ses orientations et demandait éventuellement que les EESAD élargissent leur mission (Chantier de l'économie sociale, 1999). Il faudrait alors l'accord des partenaires (syndicaux, sociaux, communautaires, groupes de femmes, entreprises, etc.) avant que le nouveau partage des responsabilités ne soit mis en oeuvre, ce qui n'est pas du tout évident.

On pourrait terminer cette section concernant le balisage de la mission en nous reportant à l'analyse exprimée par Yves Vaillancourt[2] dans une mise en garde contre une des interprétations possibles de la phrase « Mettre le client au centre du système ». Cette phrase, bien qu'elle puisse faire l'unanimité, peut aussi vouloir dire « laisser au client le choix d'aller où il veut pour aller acheter ses services, selon l'impitoyable loi du marché ». Pour Yves Vaillancourt, on doit plutôt mieux structurer l'offre de services de façon à orienter l'usager vers la ressource appropriée, vers celle qui ne fait pas double emploi, vers celle qui respecte le partenariat et l'ensemble des principes que l'on veut promouvoir, dont l'empowerment des usagers (Vaillancourt et Jetté, 1999).

Les besoins non comblés

Le colloque sur l'aide à domicile a mis de l'avant des besoins non comblés, en particulier concernant le gardiennage :

  • Les CLSC devraient disposer d'un budget suffisant dans le cadre des allocations directes (SIMAD services intensifs de maintien à domicile et Soutien à la famille) pour combler les besoins de gardiennage. Il faudrait hausser le taux horaire mais aussi le nombre d'heures disponibles.

  • Cela pose également le problème du manque de formation des préposés de gré à gré qui sont actuellement embauchés dans le cadre des allocations directes pour du gardiennage ou des services à la personne (bains, déplacements sécuritaires, etc.). Les coordonnateurs du maintien à domicile des CLSC de la Montérégie ont demandé à la Régie régionale de mettre sur pied un programme régional de formation pour les préposés de gré à gré.

  • Des démarches sont également en cours pour favoriser un rapprochement entre Services-Maison et l'Association Sclérose en plaques Rive-Sud afin que les personnes disponibles pour travailler de gré à gré (allocations directes, couvertes par le chèque emploi-service) soient mieux formées.

Les allocations directes constituent un mode d'allocation des services mis sur pied à la demande des personnes handicapées, qui y trouvent souplesse d'horaire et intégration des services. Le gouvernement y trouve également son compte, car c'est un système moins coûteux que les services publics ou les services des entreprises d'économie sociale. Toutefois, les grands perdants sont les préposés de gré à gré dont les conditions de travail sont peu enviables.

Pistes d'action

Concernant les EESAD

  • Que le Programme d'exonération (PEFSAD) soit pérennisé et non limité à trois ans, pour assurer la rentabilité et la viabilité financière des EESAD.

  • Que le Programme d'exonération permette d'offrir des services plus accessibles aux personnes démunies : donc que soit amélioré le PEFSAD de façon à ce que les personnes âgées les plus pauvres, soit les personnes qui touchent le maximum du Supplément de revenu garanti (SRG) paient 4,00 $ de l'heure, et non 4,80 $ comme elles le font présentement.

  • Que les EESAD continuent d'être admissibles à des programmes tels que les Subventions salariales individualisées et le Fonds de lutte contre la pauvreté, sans quoi elles ne combleront pas l'écart entre les 14 $ de financement actuel et les 17 $ que représentent leurs coûts réels. Cependant, il faut noter le paradoxe de cette piste d'action : Est-il légitime de demander aux EESAD d'être en quelque sorte des entreprises d'insertion à perpétuité ? Ne voulait-on pas justement sortir de ce cercle vicieux ?

  • Que la subvention de démarrage de 40 000 $ soit versée à toutes les EESAD. Actuellement, en Montérégie, seules quatre des 11 EESAD ont reçu de la Régie régionale leur subvention de démarrage. Pourtant, l'argent est disponible, car le Conseil du Trésor n'arrive pas à dépenser tous les fonds du Programme d'exonération. Il n'est pas normal que certaines EESAD de la Montérégie aient dû recourir aux fonds d'économie sociale des Centres locaux de développement (CLD) pour leur fonds de démarrage. Les fonds des CLD devraient être accessibles à toutes les EESAD, mais non en lieu et place d'un fonds de démarrage par ailleurs disponible pour certaines entreprises seulement : il y a là un problème d'équité.

  • Que soit maintenu le consensus du Sommet socio-économique et du Chantier de l'économie sociale visant le balisage de la mission des EESAD (entretien ménager au sens large).

  • Que la Fédération des coopératives de services à domicile du Québec (FCSADQ) accepte, elle aussi, de travailler à baliser la mission des EESAD, de façon à ce qu'un front commun puisse être formé avec le REESADQ afin de travailler à une amélioration de la stabilité financière des EESAD. Des représentations communes pourraient alors être faites au gouvernement.

Concernant les allocations directes

  • Que l'allocation directe soit portée à 9,75 $ dans tout le Québec : présentement, l'allocation directe est de 7,71 $ dans la moitié des régions, dont la Montérégie. Cela permettrait de donner aux préposés de gré à gré un salaire horaire de 8,30 $, comme les travailleuses des EESAD, et non pas un salaire de 6,90 $, pour un travail plus complexe (les bains) que le travail d'entretien ménager des EESAD.

  • Que soit améliorée la formation des préposés de gré à gré. À cette fin, que les démarches soient poursuivies à Longueuil pour que, si possible, des solutions soient trouvées en concertation entre l'Association Sclérose en plaques Rive-Sud, Services-Maison et les CLSC. Que la Régie régionale de la Montérégie mette sur pied des sessions de formation pour les préposés de gré à gré.

  • Que les budgets d'allocations directes des CLSC (SIMAD services intensifs de maintien à domicile et Soutien à la famille) soient suffisants pour répondre à toutes les demandes de gardiennage, cela, afin d'éviter l'épuisement des aidantes naturelles.

Concernant les services des CLSC

  • Que le nombre des auxiliaires familiales et sociales soit haussé de façon à répondre à la demande réelle de soins d'hygiène et des autres services qu'elles rendent. Il est en effet important de tenir compte de l'alourdissement des clientèles. Présentement, les bains sont parfois limités à un seul par semaine, ce qui n'est pas suffisant pour répondre convenablement aux besoins des personnes âgées.

Concernant les priorités gouvernementales

  • Que le gouvernement mette fin à l'hospitalocentrisme, ce qui lui permettrait de dégager un financement suffisant à la fois :

    • pour les EESAD ;

    • pour les allocations directes ;

    • pour les services des CLSC.

Conclusion

La formule de coopérative de solidarité est intéressante pour une EESAD, même s'il n'est pas facile de recruter des usagères au conseil d'administration. Actuellement, seuls deux des quatre sièges réservés aux usagères sont comblés au conseil de la Coop Aide Rive-Sud. Il est également intéressant de relever le défi de la conciliation des intérêts des travailleuses et de ceux des usagères au sein d'un même conseil d'administration.

Les usagères sont satisfaites des services reçus, les liens tissés avec les travailleuses sont conviviaux et se vivent dans un esprit de service de proximité, comme l'ont démontré les témoignages recueillis lors de l'assemblée annuelle de la Coop Aide Rive-Sud du 1er mars 1999.

De plus, il est possible de baliser correctement la mission d'une EESAD, même si le nouveau crédit d'impôt du ministre Landry menace de déstabiliser le délicat équilibre actuel, en obligeant les personnes âgées à payer elles-mêmes 77 % des coûts des services à domicile dont elles bénéficient. Il est aussi possible de rédiger des protocoles de collaboration entre les EESAD et les CLSC de façon à ce qu'il n'y ait pas de substitution d'emplois pour les auxiliaires familiales et sociales des CLSC, que les services soient complémentaires et que cela soit acceptable syndicalement.

Il faut donc faire le pari de l'économie sociale, ce qui ne veut pas dire que l'État n'a pas un rôle à jouer, autant en ce qui concerne le financement et la régulation que la dispensation des services à domicile (Vaillancourt et Jetté, 1999). Les EESAD constituent un progrès pour les femmes, comparativement aux programmes Extra dans lesquels elles étaient confinées. Les EESAD contribuent à lutter contre le travail au noir et à donner de meilleures conditions de travail aux travailleuses dans ce domaine. Il faut continuer à faire pression sur le gouvernement et sur les Régies régionales dans le sens des pistes d'action mentionnées plus haut.

Toutefois, ce n'est pas un dossier facile !