Le dossier : Des pratiques adaptées aux nouveaux temps de vie

Les rapports entre les âges : un enjeu de sociétéEntretien avec Solange Lefebvre, Faculté de théologie, Université de Montréal[Notice]

  • Jean Carette

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  • Jean Carette
    École de travail social
    Université du Québec à Montréal

Les champs de recherche et d’intérêt de Solange Lefebvre concernent les rapports entre culture, société et religion, que ce soit au chapitre de la foi chrétienne ou des nouvelles dynamiques socio-religieuses. Elle aborde donc des questions à la fois théoriques et pratiques. Elle développe depuis une dizaine d’années une expertise sur les enquêtes de terrain, utilisant diverses méthodes : recherche-action, entrevues, observations participantes. Ayant co-dirigé la recherche-action sur les générations, menée dans la région des Basses-Laurentides, avec Jacques Grand’Maison, elle a développé en outre une expertise sur les rapports de générations, ayant plusieurs incidences sur les études théologiques et religieuses : nouvelles dynamiques de construction des savoirs et des croyances, transmission, solidarité et équité intergénérationnelles.

Sur cet horizon d’expertise à la fois fondamentale et thématique, Solange Lefebvre a également produit certaines recherches et publications en lien avec l’actualité. Par exemple, elle investit depuis 1999 dans la question de la religion à l’école (séminaire, colloque et livre collectif). De plus, elle a été consultante dans le cadre de la préparation du Sommet du Québec et de la jeunesse qui s’est tenu en février 2000 ; elle y fut observatrice invitée. Les perspectives intergénérationnelles développées par l’équipe de la Faculté, qui fut dirigée entre 1988 et 1996 par Jacques Grand’Maison, ont largement inspiré ce sommet.

Elle a également mis sur pied et coordonné plusieurs équipes de recherche à travers lesquelles se forment des étudiants de façon très dynamique, dans une perspective interdisciplinaire. Par exemple, elle a coordonné l’équipe de recherche sur les rapports de génération, entre 1991 et 1996. Ensuite, elle a structuré une dynamique de recherche, d’intervention et de formation autour de la question des rapports de générations au travail : transmission, valeur, équité. Également, durant l’Année internationale des personnes âgées, le Bureau national de la santé de la population (Santé Canada) lui a confié l’organisation d’un Forum national sur les rapports de générations, réunissant une centaine d’experts et d’intervenants, de même que celle d’une Banque de données informatisées.

Solange Lefebvre est aussi membre du conseil d’administration de Centraide du Grand Montréal et elle participe à la réflexion de cet organisme sur le développement des enjeux sociaux. Finalement, elle est chroniqueuse au journal Le Devoir, dans la section « Éthique et Religions ».

J’ai l’impression que c’est un objet, un lien social que l’on a déconstruit. Afin d’illustrer mon propos, je tracerai un lien avec la Révolution française. En effet, cette révolution a été en partie une rupture dans une société productive. Ici même, cette rupture a également été présente mais dans des conditions totalement différentes. Je ne veux pas insinuer que notre société était en retard : chaque histoire possède sa dynamique et les reculs ne sont pas toujours ceux que l’on pense. Il faut regarder comment l’histoire se construit. Malgré tout, les années 1950 et 1960 ont marqué une rupture importante avec la société de reproduction de l’après-guerre. Ce que l’on a surtout brisé à ce moment de notre histoire est le lien social générationnel. Nous ne voulions plus être les héritiers mais bien les bâtisseurs, les créateurs et les inventeurs d’un nouveau monde. Le Refus global est une belle représentation de ce moment de notre histoire : ces artistes ont anticipé cette rupture sociétale. Par contre, comme nous avons pu le voir dans le documentaire de Manon Barbeau intitulé Les enfants du Refus global, ils en ont payé le prix. Une sorte de cadre s’est défait à la suite de cette rupture générationnelle et symbolique et, d’un point de vue anthropologique, toucher à ce lien social profond et fort, c’était toucher à quelque chose de quasiment sacré. Dans une société traditionnelle, où les rôles sexuels étaient biens définis, les femmes avaient des tâches précises à accomplir à l’intérieur de l’espace domestique pendant que les hommes étaient à l’extérieur de ce même espace. Par contre, les générations étaient plus unies pour toutes sortes de raisons : le nombre de personnes âgées était minime, l’espérance de vie était plus courte, la solidarité familiale était plus grande, les milieux étaient plus restreints, la mobilité était infime, etc. Donc, dans les sociétés traditionnelles, les hommes et les femmes ne cohabitaient pas dans les mêmes espaces alors que les générations se côtoyaient. Avec l’apparition de la société moderne, le contraire s’est produit. En effet, on a réuni les hommes et les femmes, mais on a eu tendance à séparer les générations, malgré les tentatives de dialogues et de coexistences ici et là. Je pense qu’il y a eu une rupture fondamentale qui a donné lieu à des aspects fascinants telle l’émergence d’une nouvelle catégorie sociale : la jeunesse. Je me suis déjà arrêtée à la construction des champs de réflexion et j’ai constaté qu’on avait formé des experts selon le principe des « tiroirs » : le tiroir de la jeunesse, le tiroir de la gérontologie, etc. Malheureusement, on continue à séparer ces tiroirs... À mon avis, la famille est le plus bel exemple de lien intergénérationnel tenace. À la fin des années 1970, début 1980, les artisans de la réflexion sur la mémoire nous ont restitué notre filiation, ce lien fondateur qui, dans les sociétés antiques, représentait le temps. Le temps, c’étaient les générations. Bref, à la suite de cette déconstruction de ce lien social dans les années 1950 et 1960, salutaire et catastrophique à la fois, on a commencé à reconstruire et à recomposer les rapports entre les diverses générations. Voilà le revers de la rupture. Je me réfère ici encore au documentaire de Manon Barbeau qui est pour moi un récit symbolique de notre destin collectif. Notre société est fascinée par la jeunesse. Même les sociétés antiques la valorisaient, par exemple les visages des dieux grecs avaient tous des airs juvéniles. Par contre, il y avait malgré tout une certaine valorisation de la vieillesse, synonyme de sagesse et de respect. Le …