L’entrevue

Consolider la place des femmes dans l’économie sociale et solidaire : un défi d’actualité au SénégalEntrevue avec Awa Sarr[Notice]

  • Lucie Fréchette et
  • Michèle Diotte

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  • Lucie Fréchette
    Groupe d’étude et de recherche en intervention sociale
    Université du Québec en Outaouais

  • Michèle Diotte
    Groupe d’étude et de recherche en intervention sociale
    Université du Québec en Outaouais

Awa Sarr est présidente de Yeewu-Yewwi, une organisation féministe sénégalaise créée en 1984. Elle préside aussi le Collectif des organismes non gouvernementaux (ONG) et des associations de femmes du Sénégal. Juriste formée au Sénégal et en France, elle occupe le poste de coordonnatrice des programmes d’OXFAM/GB à Dakar, capitale du pays. La question des femmes est centrale pour elle qui s’y intéresse comme travailleuse et militante. Elle a, entre autres réalisations, coordonné le Collectif des ONG pour la préparation de la Conférence des Nations de Beijing et elle a contribué à l’élaboration d’un guide, pour les femmes sénégalaises, publié par le Centre canadien d’étude et de coopération internationale (CECI). Awa Sarr a été l’une des déléguées du Sénégal à la 2e Rencontre internationale sur la globalisation de la solidarité qui se tenait à Québec en octobre 2001. Lucie Fréchette et Michèle Diotte l’ont rencontrée pour faire profiter de son expertise les lecteurs de Nouvelles pratiques sociales.

Depuis que je suis impliquée dans le mouvement féminin au Sénégal, et en Afrique de façon générale, je pense que la situation de la femme a connu vraiment une grande évolution. Je suis présidente d’une organisation de femmes qui a été créée en 1984 et qui est aujourd’hui moins active. Mais je peux vous dire qu’en 1984, lorsqu’elle a été créée, le contexte de vie des femmes était complètement différent de celui d’aujourd’hui. Les revendications que l’on posait à ce moment étaient très révolutionnaires, si je puis dire. Nous avons été décriées au plan social et au plan religieux. Aujourd’hui, toutes ces mêmes revendications sont encore formulées par les femmes, plus haut, plus fort. Je donne un exemple qui me paraît résumer cette évolution. Lorsque le code de la famille a été promulgué au Sénégal, il améliorait nettement la condition féminine. Il accordait à la femme des droits et une valeur personnelle plus qu’elle n’en avait eu jusque-là dans la coutume ou la religion. Nous avons eu à prendre position en faveur de ce code et à le défendre, car les tenants du statu quo s’y opposaient. Plusieurs fondamentalistes et des hommes s’y objectaient, invoquant des motifs religieux ou culturels. Les plus militants voulaient l’abolir et retourner à la charia. On disait d’ailleurs qu’il ne s’agissait pas du code de la famille, mais, ironiquement, du code de la femme. Le Sénégal étant officiellement un pays laïc et non pas musulman, nous, les femmes, étions justifiées de parler haut et fort pour réclamer un code démocratique et laïc. Un code qui prenait en compte les sensibilités à la fois de personnes musulmanes ou chrétiennes, de personnes plus ou moins traditionnelles. Le changement de mentalité est amorcé, et je peux dire que les comportements évoluent. Notre société s’ouvre de plus en plus. Même si ces changements ne sont pas toujours rapidement effectifs ni palpables, quand même, pour ce qui est des mentalités et des idées, la société sénégalaise, et je dirais même africaine, accepte de plus en plus ces revendications-là et les changements qui suivent. Par exemple, les revendications que nous émettions à l’époque contre la polygamie étaient inacceptables. Même si, jusqu’à présent, les femmes continuent de vivre ou subir la polygamie, elles peuvent la dénoncer. Elles peuvent ouvertement s’opposer aux violences faites aux femmes, à l’excision, sans que cela soulève un tollé général ou une levée de boucliers. Avant, on n’acceptait même pas ces revendications-là. On peut dire qu’au Sénégal, il y a eu plusieurs cas de violence envers les femmes. Depuis une vingtaine d’années, nous y avons réagi. Il y a eu des marches, et nous sommes allées jusqu’au chef de l’État pour déposer un manifeste contre les violences faites aux femmes. Et ça a été bien accueilli : il a promis de faire quelque chose. Il a même prononcé un discours national pour condamner cette forme de violence. Si je me souviens bien, il y a même eu, il y a trois ans, une loi contre cette violence envers les femmes. Ça, il y a dix ans, c’était vraiment impensable. Les gens n’acceptaient même pas que l’on en parle. Aujourd’hui, dans plusieurs milieux, un homme qui bat sa femme va être embêté que les autres le sachent. Tous s’indigneraient, alors qu’avant, les femmes enduraient ce genre de choses. Oui, les comportements changent. Après avoir écouté les points de vue des différentes délégations, je sens que la niche, où l’on pourrait situer les femmes africaines dans cette économie sociale et solidaire, se situe d’abord du côté de la valorisation du travail non rémunéré. Tout le monde sait que la …