Échos et débats

In memoriam d’un grand écrivain : Mongo Beti[Notice]

  • Henri Dorvil

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  • Henri Dorvil
    École de travail social
    Université du Québec à Montréal

Habituellement en Occident, lorsqu’un poète meurt, le monde entier pleure, salue sa mémoire avec des fleurs en chantant le refrain bien connu quand il est mort le poète... S’agit-il d’un écrivain, en dehors des éloges dithyrambiques des politiciens, comme ce fut le cas pour Léopold Sedar Senghor, poète mais aussi ancien président du Sénégal, décédé en janvier 2002, il y a plusieurs entrefilets dans divers journaux. C’est comme une liturgie d’habitudes occidentales. Mais Mongo Beti, cet écrivain camerounais qui s’est éteint à 69 ans avec la fin de l’an 2001, n’a pas eu droit à pareil honneur. Pourquoi ? Dans ce monde à refaire, Mongo Beti ne s’est pas contenté de décrire la réalité, il l’a mise directement en cause comme Ahmadou Kourouma, son collègue ivoirien. Mongo Beti n’est pas un écrivain collaborateur. Il a combattu l’obéissance, la soumission, la couardise de la « Françafrique », assez pour heurter la CIA modèle français, les médias à la solde des pouvoirs établis, les africanistes des deux rives de la Seine (Éla, 2001). Mais Mongo Beti est un homme d’espoir, il est patient et a confiance en l’entêtement des peuples crucifiés. Il écrivait : C’est la parole d’un sage. Signe prémonitoire, j’ai utilisé un passage d’une oeuvre de ce grand écrivain pour commencer le chapitre Réinsertion sociale et regards disciplinaires de Problèmes sociaux, Tome II, Études de cas et interventions sociales (2001). Je le reproduis ici in extenso pour honorer la mémoire de cet important écrivain … En Occident, ils sont légion, poètes, romanciers, essayistes, chansonniers, artistes, à avoir porté avec brio la parole de la marge, de la périphérie, en termes de remise en question de l’ordre établi vers le centre même du système social. Que l’on se souvienne de la Nef des fous, de Bosch, de l’Éloge de la folie, d’Érasme, des écrits de Villon, Rabelais, Lafontaine, Molière, Rimbaud, Verlaine, Appollinaire, Balzac, Stendhal, Flaubert, Victor Hugo (Notre-Dame de Paris, Les Misérables), Frantz Fanon (Les damnés de la terre), Pierre Vallières, (Nègres blancs d’Amérique), Anthonin Artaud, Georges Brassens et bien entendu Jacques Prévert. Sans oublier ces humanistes qui ont connu eux-mêmes les affres de l’abîme asilaire, le suicide, subi la furie de l’Inquisition catholique romaine, l’assassinat politique, la prison ou les bastonnades, la censure et l’exil à cause de leur non-conformisme et de leur dissidence : Vincent Van Gogh, Paul Gauguin, Émile Nelligan, Hubert Aquin, Copernic, Galilée, Martin Luther King, Louis-Joseph Papineau, Nelson Mandela, Voltaire, Emmeline Pankhurst, Susan B. Anthony, Flora McDonald Denison, Germaine Greer, Judy Rebick, Susan Cole, Varda Burnstein, Betty Friedan, Léa Roback, Idola St-Jean, Thérèse Casgrain, Simonne Monet-Chartrand, Simone de Beauvoir (Le deuxième [ ?] sexe) et Aimé Césaire (La négritude). Ces auteurs, ces activistes ont toujours mis de l’avant une autre forme d’humanité, un ailleurs et autrement, une vision moins normalisante de la société, plus respectueuse de l’identité marginale, bref un sens à la vie tout court au lieu de se confiner aux traits comportementaux individuels toujours jugés déficitaires par l’ordre dominant. Face à l’assujettissement des personnes, la singularité, la possibilité d’une parole de sujet, l’unique instance créatrice de toute liberté humaine, la résistance stoïque, la vigilance critique, l’espoir de reconnaissance sociale des êtres humains, des groupes, des peuples crucifiés, comme dirait Mongo Beti. D’ailleurs, depuis un quart de siècle environ, n’assistons-nous pas à une certaine avalanche de récits de vie, de toutes sortes de témoignages reproduits tels quels dans des recherches en sciences humaines et sociales. Nous avons tendance à ne plus faire de recherches sur les toxicomanes, les personnes âgées, …

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