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Introduction

Ce compte rendu est produit à l’intention de tous ceux et celles qui sont en quête d’ouvrages qui peuvent, de façon tout aussi détaillée qu’accessible, illustrer une pratique de mobilisation québécoise, d’une part, mais aussi présenter le processus et les résultats d’une recherche-action, d’autre part. J’espère vous inciter à en prendre connaissance… Votre lectrice[2] avait elle-même certaines attentes : avide de lire l’analyse d’une « audacieuse » pratique de mobilisation réalisée dans les quartiers centraux de Québec, chapeautée par un collectif de huit groupes communautaires coordonné par Mme Lorraine Gaudreau de la coopérative Anim’Action[3] ; impatiente de survoler les nombreuses activités d’une recherche-action dont les moments forts ont permis de rejoindre 363 personnes-répondantes au questionnaire d’enquête, environ 300 personnes lors de trois Soupers populaires et 250 personnes à l’occasion du Grand Rendez-vous des personnes sans emploi de mai 1999 ; bref, fébrile à l’idée de feuilleter cet album souvenir d’une aventure amorcée en avril 1996 et qui a pris fin en mars 2001. Eh bien, le voilà enfin !

Survol de l’ouvrage

Déjà, la structure de ce livre reflète fidèlement l’approche inductive sur laquelle repose l’ensemble de la démarche de cette enquête conscientisante. La lecture du premier chapitre nous fait vivre, en quelque sorte, l’ensemble des grands moments de l’enquête de la phase de gestation (recherche de financement et formulation de l’objet de recherche), en passant par la phase d’exploration (efforts d’enracinement, clarification de la problématique et élaboration du questionnaire) et d’implantation (formation des enquêteurs populaires, collecte des données), suivies de la phase d’exploitation (analyse des données, élargissement de l’équipe de travail, préparation de l’interprétation collective des résultats lors du Grand Rendez-vous, mise en oeuvre des pistes d’action) puis de consolidation (poursuite de la mise en oeuvre des pistes d’action et réalisation du Forum sur les suivis de l’enquête). Ainsi introduits à la démarche d’ensemble, nous prenons connaissance, lors du deuxième chapitre, des nombreuses exigences concrètes que suppose l’enquête « en termes : de connaissances acquises ; d’exercice de la citoyenneté et de démocratie participative ; d’acquis pour les personnes visées par l’enquête ; de principes d’action ; et, de questions pour la pratique ». Ce n’est donc qu’au troisième chapitre que nous sommes invités à visiter le modèle de conscientisation « comme modèle d’intervention sociale » et « théorie associée à l’enquête conscientisante ». Loin d’être un survol superficiel, les auteures prennent soin de nous référer aux textes d’origine « à savoir ceux qui ont été rédigés par les membres de l’Institut oecuménique au service du développement des peuples (INODEP) » pour ainsi mieux camper les éléments définisseurs de ce que sont les enquêtes dites conscientisantes. Choix surprenant mais non moins pertinent, le chapitre quatre est consacré à deux enquêtes conscientisantes réalisées en France (1979-1980) et sur l’Île-du-Prince-Edouard (années 1980), et ce, avec le souci réel d’alimenter la mémoire collective par de telles expériences de mobilisation.

Pertinence méthodologique

Cet ouvrage répond principalement à cette curiosité que manifestent tant de personnes actuellement, c’est-à-dire celle de mieux connaître les expériences de mobilisation québécoises qui mettent de l’avant la valorisation de la parole et le pouvoir d’agir des personnes opprimées :

Sur ce plan [celui de l’exercice de la citoyenneté et de la démocratie participative], les acquis du processus de l’enquête conscientisante sont importants puisque celui-ci était fondé sur la prise de parole des personnes sans emploi, au moment de l’administration du questionnaire, dans l’interprétation des résultats et dans la formulation des pistes d’action comme au moment du Grand Rendez-vous et dans les Groupes de travail sur les suivis de l’enquête.

Gaudreau et Villeneuve, 2005 : 32

Éléments non négligeables insérés en annexes, les tableaux codés témoignent de l’application de ce principe d’action alors que leur contenu est établi à partir d’une analyse collective des données recueillies. La mise en image de ces tableaux codés a d’ailleurs été réalisée par l’un des participants à l’enquête, habile dessinateur, afin que tous les participants et participantes, même analphabètes, puissent s’impliquer dans la discussion d’interprétation et ainsi dégager et s’engager dans des pistes d’action collective. Cela dit, si la participation à l’analyse et à l’interprétation des résultats a connu un succès certain, c’est que les efforts pour maintenir le contact avec les personnes jointes par le questionnaire n’ont pas été ménagés. Il faut souligner que trois soupers populaires étaient des moments forts de socialisation, de fête, mais aussi de politisation. Beaucoup d’énergie a donc été investie pour vulgariser les résultats d’analyse tout en rendant l’expérience de participation, de prise de parole, chaleureuse et conviviale. C’est ce que les auteures tentent principalement de nous communiquer : « Le Collectif de l’enquête a su créer un milieu de vie à partir d’un projet » (Ibid. : 35) parce qu’il a d’abord multiplié et diversifié les moyens pour garder contact avec les répondantes et les répondants à l’enquête. Autre dimension significative de l’analyse de cette mobilisation, le Collectif de l’enquête a aussi gardé vivant le principe selon lequel il est important de partir des solutions pensées par les personnes sans emploi et donc miser sur leurs forces :

Un des éléments majeurs de l’enquête a été de partir des solutions pensées par les personnes sans emploi jointes par le questionnaire et d’amener les actrices et les acteurs associatifs et institutionnels à se mobiliser autour de ces solutions concrètes. Partir, donc, des rêves, des désirs et des projets portés par les répondantes et les répondants en les appuyant dans la réalisation de ceux-ci.

Ibid. : 36

Pertinence pour l’enseignement

Pour ceux et celles qui sont soucieux de présenter dans les salles de cours l’éventail des approches de mobilisation qui existent au Québec, ce livre est certainement un outil pédagogique accessible et fort utile. Cette publication contribue d’ailleurs à documenter empiriquement et ainsi à répondre à la question que plusieurs intervenants et intervenantes se posent : « par quels moyens peut-on en arriver à transformer la réalité dans un système dominé par l’économique ? » (Ibid. : 78). Il sera alors intéressant de prendre connaissance du fait que l’orientation de cette action collective s’est appuyée sur une analyse de causes culturelles et socioéconomiques. Or, des 18 pistes d’action formulées lors du Grand Rendez-vous des sans-emploi par les personnes jointes par l’enquête, ce sont les pistes d’action socioéconomiques pour lesquelles le plus d’énergie a été consacrée, plus précisément celles du compagnonnage vers l’emploi et la reconnaissance financière de l’implication sociale.

Conclusion

Bien qu’une multitude d’expériences de mobilisation soient en cours au Québec, bon nombre d’intervenants conviennent que trop peu d’écrits permettent de les faire connaître et de partager l’analyse de ces pratiques de mobilisation. Le livre La mobilisation des personnes sans emploi de Mmes Gaudreau et Villeneuve satisfera alors certainement la curiosité de plusieurs intervenants et intervenantes, étudiants et étudiantes, militants et militantes, enseignants et enseignantes, chercheurs et chercheures en ce sens. Cela dit, et bien que là n’était pas l’objectif de Mmes Gaudreau et Villeneuve, il y aurait matière à poursuivre la réflexion sur le sens de cette mobilisation dans un contexte de mondialisation néolibérale où « les intérêts économiques prennent le pas sur toute autre considération » (Ibid. : 7) alors que les auteures reconnaissent que la question identitaire revêt une grande importance et comporte de nombreux défis pour la conscientisation :

L’action conscientisante doit en effet permettre de renforcer le « vivre ensemble » issu de l’histoire d’un peuple ainsi que sa manière d’« être au monde », tout en favorisant le fait que ce vivre ensemble s’inscrive dans un projet de société solidaire au niveau social et planétaire qui n’a rien à voir avec le sectarisme.

Ibid. :7

Il sera d’ailleurs intéressant de lire l’une des prochaines publications du Collectif québécois d’édition populaire, où Lorraine Gaudreau et Marcel Arteau décriront une autre application concrète d’une approche de mobilisation pour le changement social, l’empowerment, et exposeront comment la conscientisation peut enrichir cette approche.