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NPS - En quoi consiste ton travail ?

Je fais la coordination du programme OLO (oeuf-lait-orange), qui distribue des oeufs, du lait et des oranges à des femmes qui ont été ciblées selon certains critères de « défavorisation », par exemple les revenus, l’immigration récente ou l’âge.

Je donne aussi des ateliers de purées santé pour bébés à des nouveaux parents, principalement des mamans. Je siège en plus à la table de concertation des organismes 0 – 5 ans du quartier, où j’agis entre autres comme soutien à des familles pour mettre sur pied un projet. Celui-ci fait suite à une recherche-action du CRÉMI[2] commandée par cette même table pour connaître les besoins des jeunes parents de moins de 20 ans du quartier Centre-Sud. Ce qui est ressorti de cette recherche-là, c’est d’abord que ces parents ne se considéraient pas comme des « jeunes parents », mais comme des « parents avec des jeunes enfants », aux prises avec les mêmes problèmes que les autres : le coût très élevé des loyers, le manque de place en CPE[3], le chômage. Ces parents-là en avaient un peu ras le bol d’être entourés d’intervenants puis ont rêvé d’une maison des familles, d’avoir un endroit justement où les parents se rencontrent informellement et créent un réseau d’entraide. Ça a été compliqué de mettre sur pied une maison des familles parce que ça demandait beaucoup d’argent. Il y avait beaucoup de résistance : les organismes du quartier avaient peur du dédoublement de services. Puis bon, je pense que les parents non plus n’étaient peut-être pas prêts à s’investir autant. Donc, on a mis sur pied une association des familles, qui cherche à créer des lieux d’expression et des endroits informels pour celles-ci. C’est un réseau d’entraide sans intervenant, et jusqu’à présent sans coordination formelle ni employé. Ça fonctionne avec le bénévolat. Par contre, le Comité social Centre-Sud ayant un partenariat avec l’association des familles me permet en fait de travailler pour l’association des familles en tant qu’employée du Centre.

NPS - Selon ton point de vue, quelle est la vision du développement de l’enfant véhiculée dans les différents programmes de prévention précoce ?

Peu importe les intervenants, ce qui est véhiculé, c’est le mieux-être de l’enfant. Par contre, ces programmes visent bien souvent des parents qui sont étiquetés comme étant à risque pour leur enfant à cause de leur faible revenu ou de leur immigration récente. On pense ainsi que leurs enfants sont peut-être en danger parce qu’ils ne se développeront pas au même rythme que les autres. Donc, il faut qu’on fasse du développement moteur, langagier, etc. On veut intervenir, on a l’impression que le parent n’est pas apte à assurer le plein développement de son enfant, et on craint les impacts que ça peut occasionner pour la société plus tard, dont la criminalité. On met toute l’attention sur les risques sans considérer les possibilités de résilience. De cette façon, on pose un certain regard sur l’enfant et on amène le parent à poser ce même regard-là sur son enfant : on l’étiquette comme un criminel potentiel.

On est ainsi en plein dans la médicalisation de la pauvreté. On considère les problèmes des parents de façon individuelle : on considère qu’un tel n’est pas adapté au système, on voit qu’il n’a pas d’argent, qu’il n’a pas fini son secondaire 5. On va donc leur donner des cours de compétences parentales en ne tenant pas compte des compétences qu’ils possèdent déjà. On ne voit pas ça comme un problème social. On veut intervenir sur les parents comme si les parents étaient porteurs du fardeau. Les parents sont tenus responsables de leur condition, alors qu’on vit dans une société qui crée de plus en plus d’inégalités sociales. Ces programmes font aussi partie de ce système-là en mettant l’accent sur les responsabilités individuelles alors qu’il faudrait peut-être repenser le système et agir à la base. Il y a un problème d’emplois, c’est difficile de trouver du logement abordable, est-ce qu’on peut aider les parents à ce niveau ? Parce qu’un parent qui doit se débattre pour sa survie est moins disponible par exemple pour soutenir son enfant dans le système scolaire.

NPS - Quel est l’enjeu démocratique sur le plan des pratiques que ces programmes soulèvent ?

Les intervenants en général ne sont pas au courant des fondements de l’approche qu’ils appliquent. Ce sont des programmes qui viennent d’en haut qu’ils doivent appliquer. Ce sont des formules, des recettes toutes faites à appliquer, qui sont conçues par des experts. Les intervenants qui sont sur le terrain, qui ont une expertise, qui connaissent les gens, qui ont une sensibilité à ce que ceux-ci vivent, ne peuvent donc pas agir selon leurs compétences : il faut qu’ils agissent selon une recette. Ce n’est pas facile parce qu’il y a des inadéquations entre les critères de ces programmes et les besoins constatés sur le terrain. Par exemple, certains parents sont d’immigration récente, mais s’adaptent super facilement. Ils ont fait des études. Il n’y a pas de problème dans leur vie. Alors que d’autres ont immigré depuis 15 ans, ont beaucoup de difficultés, mais n’ont pas accès aux mêmes ressources. Puis on voit aussi des parents qui sont nantis, mais qui sont en dépression ou qui ont des problèmes de violence conjugale : ces critères ne sont pas considérés. L’enjeu démocratique consisterait ainsi, d’une part, dans la reconnaissance de l’expertise des intervenants. D’autre part, cela demanderait une véritable écoute des besoins qui sont nommés par les parents plutôt qu’une approche d’expert du style : « On veut ton bien pis on va l’avoir ! » Pour des programmes plus démocratiques, il faudrait aussi que les parents puissent être informés des finalités des programmes qui s’adressent à eux. Si les promoteurs des programmes soutiennent que les parents ont le choix d’accepter ou de refuser les services qui leur sont offerts, ces mêmes parents n’ont cependant pas accès à toute l’information pour prendre une décision éclairée, puisque leurs intervenants eux-mêmes ne sont pas informés des finalités des programmes qu’ils mettent en oeuvre.

NPS - Concrètement, qu’est-ce que ces programmes offrent aux parents ?

Selon les parents et leurs besoins, je pense que certains services intéressants sont offerts aux parents par le biais de ces programmes : les visites d’infirmières peuvent être rassurantes pour une maman qui en est à sa première grossesse, ou encore les ateliers de purées pour bébé peuvent favoriser les rencontres ou donner lieu à un répit. Le problème se situe davantage sur le plan des finalités et des critères d’application.

Pour certains parents, ces services offrent un soutien qui est non négligeable. Par contre, il y a des parents qui vont se plaindre que des intervenants sont chez eux toutes les semaines et qu’ils leur dictent quoi faire. Donc, certains parents reçoivent des services sans en avoir besoin alors que d’autres en auraient besoin, mais n’y sont pas admissibles à cause des critères établis.

NPS - Quelles sont tes critiques à l’égard de programmes tels que le SIPPE[4] ?

Je constate que ces programmes ont un souci d’uniformisation. Pas uniquement le programme SIPPE, mais les programmes d’intervention précoce en général, dont ceux qui ont trait à la maturité scolaire. Dans ces programmes, on veut récupérer l’enfant qui ne fréquente pas le CPE, s’assurer qu’il va arriver à la même place que les autres au même moment, alors qu’on se fait dire quand l’enfant est tout petit par les infirmières du CLSC ou les éducatrices en CPE : « Inquiétez-vous pas, votre petite fille ne parle pas encore, mais chaque enfant a son rythme. » Puis là, tout à coup, il faudrait intervenir parce que l’enfant risque de ne pas atteindre le développement adéquat quand il aura 5 ans et qu’il entrera à l’école !

Ce que l’on constate, c’est que l’institution-école ne s’adapte pas aux enfants. Il faut plutôt que les enfants s’adaptent à l’institution. Les programmes visent à faire rentrer les enfants et les parents dans une société qu’on ne peut jamais remettre en question. La vraie question serait : « Qu’est-ce qu’on veut pour nos enfants ? Qu’est-ce qu’on veut comme société ? » Parce que ces normes à atteindre sont sous-tendues par un idéal de réussite : on intervient précocement pour que l’enfant réussisse bien. Mais, fondamentalement, qu’est-ce que la réussite ? Est-ce que c’est de passer ses examens à l’école ? D’avoir une moyenne comme les autres ? Pourquoi vouloir rentrer les enfants dans une petite case ? À 5 ans, il faut que l’enfant soit arrivé à une telle place, alors que dans d’autres pays on conçoit la maturité scolaire différemment. Par exemple, dans certains pays nord-européens, les enfants commencent l’école à 7 ans. D’ailleurs, certaines recherches soutiennent que la maturité est atteinte plutôt vers 7 ans que vers 5 ans. Peut-être qu’en regardant dans le temps, on se rendrait compte que tous les enfants ont rattrapé leur retard parce qu’ils avaient seulement un rythme personnel différent.

NPS - Quelles sont les critiques des parents par rapport à ces programmes ? Qu’est-ce que tu entends au sujet de ces programmes de la part des parents ?

Les parents en général n’ont pas vraiment une vision critique des programmes. J’entends des plaintes mais aussi parfois des remerciements. Pour avoir une vision critique de ces programmes-là, il faut que tu te penches sur la question, il faut que tu fouilles. Les parents qui reçoivent ces programmes-là sont dans des conditions de vie difficiles financièrement. Ils luttent pour joindre les deux bouts. Ils n’ont pas beaucoup de disponibilité, de temps, d’occasions pour questionner les programmes. Mais parmi les critiques que j’ai reçues, c’est par exemple une maman immigrée depuis moins de cinq ans, d’origine africaine, mais qui a passé sa vie en Suisse, qui a fait des études, qui était professeure en Suisse, mais qui est visée par ces programmes-là. Une intervenante venait chez elle et lui dictait comment éduquer son enfant, comment entretenir sa maison, comment recevoir son mari, alors que ces enseignements étaient basés sur ses propres valeurs personnelles.

À un moment donné, cette maman-là m’a dit : « Marie, moi, je sais pus quoi faire. Elle est tout le temps chez nous. Elle est tout le temps en train de me dire quoi faire. Moi, je suis fatiguée. J’ai eu, je pense un « baby-blues », ma maison je laisse ça un petit peu aller. Je le sais que c’est le bordel, mais regarde, je vis bien. Mon mari ne se plaint pas. » Plus tard, elle est tombée enceinte de son deuxième enfant puis elle m’a dit : « Marie, j’ose même pas en parler à mon infirmière… » D’un autre côté, certains intervenants tiennent un discours axé sur l’empowerment : ils considèrent que si les parents ne sont pas aptes, s’ils n’ont pas tout ce qu’il faut, s’ils n’ont pas fait leur secondaire 5, s’ils n’ont pas réussi à avoir un bon revenu, c’est parce qu’ils ne se prennent pas en main. Quand je livre les oeufs et les oranges, ces intervenants-là me critiquent. Mais parfois les parents vont me dire : « J’irai pas cette semaine chercher les oeufs pis les oranges, tu sais, il fait froid pis je suis fatiguée, c’est trop loin. » J’ai déjà eu un enfant, donc je comprends ça. Je le sais que quand t’es enceinte, t’es parfois fatiguée, et quand il fait moins 30 dehors, c’est moins tentant de sortir. Ou encore, ça implique que ça va te coûter 5,50 $ d’autobus pour aller chercher la nourriture alors que t’as pas d’argent. Il y a des choses qui ne fonctionnent pas dans cette approche-là.

J’ai aussi l’exemple d’une maman monoparentale qui a été visée par certains programmes et qui me disait avoir besoin de répit, puisque sa famille était loin. Il y avait un service de garde offert par un organisme du quartier qui répondait justement à des critères X d’un programme X. Cette maman-là pouvait y laisser son enfant pour un répit. Mais, du coup, elle était obligée de suivre une espèce de cours avec d’autres parents, parce qu’il fallait la « mettre en réseau ». Elle, la seule chose dont elle avait envie, c’était de retourner chez elle pour aller dormir, de flâner ou d’aller boire un café. Mais le programme mettait des conditions non négociables au répit.

Du côté positif, il y a des parents qui viennent me dire : « Ben, c’est le fun, je me suis fait des amis. Moi, je ne connaissais personne dans le quartier et, depuis que je fais la purée, je rencontre des gens. » Je vois que les gens s’échangent des numéros de téléphone et apprennent à connaître un peu le quartier et certaines ressources. Les ateliers de purées, ça rend service aussi. Les parents font de la purée, et en deux heures ils ont fait neuf sortes de purée qu’ils conservent dans leur congélateur pour un mois. C’est plus facile de les faire en groupe, sans avoir à s’occuper du bébé en même temps. Je pense que les programmes de stimulation précoce répondent à certains problèmes, par exemple certains enfants ont de réels troubles de développement. Je pense que ces enfants-là doivent être aidés, mais sans tenir compte des critères de « défavorisation » : certains travailleurs ne rentrent pas dans ces critères-là, mais auraient besoin de ces services.

NPS - Comment parvenez-vous à gérer les contraintes de ces programmes dans l’organisme où tu travailles ?

L’organisme où je travaille est un centre d’éducation populaire : on offre des activités à plusieurs types de personnes parce qu’on n’est pas juste un organisme famille. Le programme SIPPE doit être le seul programme de l’organisme où il faut respecter autant de critères. Il comprend deux volets : institutionnel et communautaire. Les organismes du Centre-Sud qui reçoivent des subventions dans le cadre de SIPPE (volet communautaire) font partie d’une table de concertation qui a décidé de ne pas considérer les critères parce qu’ils étaient discriminatoires. Les organismes ne demandent pas aux parents leur âge, leur date d’immigration ou le montant de leur revenu. Ce sont des organismes autonomes qui ont décidé d’agir en conséquence. Par contre, le programme OLO est géré par le CLSC : ce sont les intervenantes du CLSC qui inscrivent les mamans, alors je n’ai pas de pouvoir là-dessus, même si c’est moi qui m’occupe de la distribution.

Les parents que nous avons suivis pendant longtemps à travers le programme OLO et avec qui nous avons développé des liens de confiance vont la plupart du temps venir aux ateliers de purées quand on les invite. Mais on ne force personne. Et de l’autre côté, on ne refusera pas une maman parce qu’elle est plus aisée. On vit dans une communauté et on veut qu’il y ait une mixité. On ne veut pas que les parents se sentent ghettoïsés. Ça m’est déjà arrivé de constituer un groupe d’atelier de purées où, par hasard, il n’y avait que des mamans africaines. Il y a eu un froid tout au long des ateliers. Les gens ne se parlaient pas. Les mamans africaines se sont senties visées, ciblées. On vit dans une société où il y a toutes sortes de monde, de classes, de personnes. On apprend à vivre les uns avec les autres. Et les programmes répondent à des besoins qui ne concordent pas nécessairement avec les critères appliqués. Une maman qui a de l’argent a les mêmes questions concernant la nutrition de son enfant qu’une maman qui n’en a pas. Les inquiétudes par rapport à un premier bébé sont les mêmes. Donc, les organismes communautaires du quartier se sont donné le mot d’ordre de ne pas poser ces questions-là. Et on a fait front commun en ce qui regarde la reddition de comptes : on a écrit dans notre bilan qu’on ne posait pas les questions qui avaient trait à l’âge ou au moment d’arrivée au Canada.

NPS - Quelles sont les critiques des intervenants qui viennent du milieu institutionnel ?

En fait, les critiques varient d’une personne à l’autre. Je regarde les intervenantes plus âgées ou qui ont plus d’expérience, elles ont souvent un regard plus critique par rapport aux programmes parce qu’elles en ont vu passer. Parce que maintenant on parle de CSSS, mais avant c’était des CLSC. Il y avait un côté beaucoup plus communautaire, local. Les gens se connaissaient, tu connaissais ton infirmière, ton médecin. Maintenant, ça devient une grosse machine, une grosse institution, une grosse structure avec une hiérarchie assez rigide. Les intervenants n’ont pas grand-chose à dire au sujet des programmes. Même au sein du CLSC, on se rend compte que le chef de programme n’a pas beaucoup de pouvoir. Les gens ont les mains liées ; certains sont critiques. Je me rappelle une présentation de la Direction de la santé publique du programme SIPPE, il y a trois ans. Des intervenantes de l’institution critiquaient le programme et ses critères serrés, elles voulaient que leur façon de faire pour identifier les besoins soit reconnue. Mais les gens de la Direction de la santé publique étaient sourds à tout ça.

Il y a aussi des pratiques silencieuses, par exemple certaines intervenantes raccourcissent la durée d’un suivi si elles constatent que les parents vont bien alors que le programme exige qu’ils soient suivis pendant cinq ans d’une façon soutenue. D’un autre côté, certaines intervenantes vont offrir des services si elles évaluent qu’il y a un besoin, même si la famille ne répond pas aux critères du programme. Mais je me rends compte depuis à peu près un an et demi que les critères se resserrent beaucoup. La structure CSSS met beaucoup de pression sur les intervenantes. Il y en a même qui ont démissionné et d’autres qui sont à la veille de le faire. Il y a beaucoup de mécontentement. Et elles sont accusées de résister aux changements.

NPS - Comment qualifierais-tu les relations entre les institutions et le communautaire dans l’intervention auprès des familles dans ton quartier ?

J’ai déjà senti qu’il y avait des préjugés, à l’égard du communautaire, dans le sens : « Nous sommes les experts et vous, vous offrez des petites activités. » Actuellement, il y a une notion de complémentarité qui s’installe de plus en plus. Il y a eu un moment où par rapport au programme SIPPE, il n’y avait pas beaucoup de communication entre les intervenants du CLSC et ceux du communautaire. Par exemple, il y a deux ans, dans le quartier Centre-Sud, c’était le CLSC qui offrait un service de halte-garderie. Au départ, le communautaire voulait offrir le service de halte-garderie. Il y a eu une petite lutte : le CLSC avait gagné cette lutte-là et ce sont eux qui ont pu offrir le service en justifiant que ce serait une façon de faire du dépistage pour la prévention précoce. Pendant 20 ans, ils ont offert ce service-là. J’en ai bénéficié aussi et ça a été vraiment aidant : ils offraient une demi-journée de garde gratuite par semaine. C’était aussi le service de halte-garderie du CLSC qui gardait les poupons pendant les ateliers de purées.

Il y a deux ans, ils ont décidé de fermer la halte-garderie. Ils nous ont dit que ce n’était plus dans le mandat d’un CLSC d’offrir un service de halte-garderie. Ils ont transformé le lieu en un centre éducatif qui vise à soutenir les enfants qui ont des troubles envahissants du développement, ce qui n’est pas mal en soi. Mais les parents du Centre-Sud qui avaient besoin d’un service normal se sont retrouvés dépourvus. On a fait de la recherche et il n’y a pas de financement pour les haltes-garderies, c’est hallucinant !

Pour revenir à l’association des familles que nous avons créée, c’est la même chose. Tu sais, on est quand même la seule association des familles dans le centre-ville. On a fait plusieurs demandes de financement. On a soumis une demande dans le cadre du Fonds de lutte contre la pauvreté à l’arrondissement de Montréal, dans une conjoncture où il y a une politique familiale municipale et des plans d’action d’arrondissements concernant la famille qui se sont mis en place pour contrer l’exode des familles du centre-ville. Et l’association des familles n’est pas capable de recueillir 5 000 $ pour son fonctionnement pour l’année !

NPS - Dans ce contexte, pouvez-vous maintenir des liens de collaboration ?

On s’est rendu compte du bien que ça peut faire de se connaître, de créer des liens, parce qu’on fait beaucoup de référence et que c’est utile de savoir à qui tu te réfères. Ça fait à peu près un an qu’on rencontre le volet institutionnel à tous les deux mois. Cette année, on a travaillé sur la notion de confidentialité, parce qu’on se rendait compte que parfois il y a des choses qui se disent un peu n’importe comment devant les parents. Ou encore les parents ne sont pas au courant et les choses se disent en leur absence, parfois même entre des gens du communautaire et de l’institution. D’autres fois, des informations non pertinentes étaient échangées.

NPS - Donc, vous vous êtes donné les moyens pour améliorer vos pratiques respectives.

Exact. Mais je me rends compte qu’il n’y a quand même pas beaucoup de place à la critique. L’institution garde une vision très interventionniste. Par exemple, je me rappelle de parents ex-toxicomanes, qui venaient aux ateliers de purées. D’avoir un enfant, ça les avait solidifiés ; ils ont lâché la dope ; ils étaient vraiment présents pour leur petite fille. Mais certains intervenants du CLSC se rendaient compte que ces parents-là venaient aux ateliers et ils me posaient des questions : « Ces parents-là il faut les rentrer dans le système. Sais-tu s’ils sont suivis par une travailleuse sociale ? Est-ce que la DPJ[5] est avec eux ? Est-ce que ci ? Est-ce que ça ? » Moi je me disais : « On ne va pas les effrayer, ils sont échaudés. Ils ont été talonnés par des travailleurs sociaux toute leur vie. Faisons-leur confiance. » En même temps, on ne peut pas obliger les gens à rentrer dans une petite case. On est qui pour juger, même si on voit des parents qui auraient peut-être besoin d’un coup de main par rapport à l’éducation qu’ils ont eue, ou par rapport à celle qu’ils donnent ? D’importantes transformations du système seraient nécessaires. Ce n’est pas en talonnant ces parents-là que ça va changer quelque chose. Il faut changer quelque chose à la base pour améliorer le système dans lequel on vit, il faut qu’il y ait une distribution plus égalitaire des richesses.