Échos et débats

Les mouvements sociaux en débat[Notice]

  • Pierre Beaudet

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  • Pierre Beaudet
    École de développement international et mondialisation, Université d’Ottawa

Je remercie le professeur Lamoureux pour ses remarques critiques et pertinentes et qui permettent d’approfondir le débat. Faute d’espace dans cette « réplique » à la « réplique », je voudrais me concentrer sur deux principaux points. Le premier point concerne la question de la place et du rôle des mouvements sociaux, vus dans une trajectoire historique et théorique de la pensée critique. Le deuxième point est lié aux remarques d’Henri Lamoureux sur le débat proprement québécois concernant le thème qui nous intéresse. La pensée critique, que cela soit dans le domaine philosophique ou sociologique, s’acharne depuis longtemps à comprendre la dynamique de la transformation sociale. Dans une certaine interprétation qu’on identifie, à tort selon moi, à Marx, le mode de production, qui structure les rapports sociaux, détermine dans une large mesure la place des acteurs. Dans son interprétation « rigoriste » (celle des théoriciens de la Deuxième Internationale, Eduard Bernstein et Karl Kautsky par exemple), la « marche de l’histoire » est programmée par l’évolution économique qui force le passage « inévitable » vers le socialisme et la classe sociale qui le portent, soit la classe ouvrière. Celle-ci à la limite n’est pas un « agent », mais une partie de la structure, celle qui va détruire et subsumer cette structure dans un éblouissant Aufhebung. Dans une telle perspective, l’histoire « sans sujet » devient vide des mouvements sociaux. Dans la pensée de Marx par contre, plus complexe, plus contradictoire aussi, on lit une oscillation constante entre la « structure » et les « agents ». Dans ses travaux sur la politique et l’État, l’histoire n’est pas totalement « déterminée ». Elle se déplie comme une série de potentialités, de bifurcations. Dans le cycle des travaux sur les crises en France, notamment, se positionne le rôle central des luttes de classes : celles-ci se jouent sur le terrain politique, un terrain qui fluctue selon les propositions et les forces des divers acteurs, définis d’abord et avant tout comme représentants de diverses « fractions de classes ». Les classes, précise Marx, ne sont pas des « entités sociologiques », ni des « catégories préétablies » de la société, mais la matérialisation des confrontations qu’elles ont les unes avec les autres. Plus tard, au xxe siècle, dans le sillon des révolutions européennes, ce débat rebondit. Dans un sens, la vision hégélienne de la « marche de l’histoire » est développée en Russie alors qu’une extraordinaire conjonction de forces permet la révolution des Soviets, en ouvrant, sur le plan théorique, la relance d’une vision historiciste que Georges Lukacs développe magistralement. Peu à peu, cette lecture simpliste et dogmatique s’impose dans le mouvement social un peu partout dans le monde. Plus tard, des voix dissidentes, dont celles d’Antonio Gramsci, tentent de revenir sur les jeux complexes du politique et du social. Gramsci, à partir de ses intuitions géniales, s’acharne à expliquer pourquoi la décomposition du capitalisme de l’époque, au lieu d’ouvrir la porte au socialisme (ce que pensaient la plupart des théoriciens de l’époque) débouche plutôt sur le fascisme. Plus encore, il élabore les linéaments d’une nouvelle perspective permettant de comprendre pourquoi une partie importante du prolétariat et des classes populaires et moyennes va « contre » ses propres intérêts en se rangeant derrière Mussolini et Hitler. Le projet réactionnaire est en fait l’oeuvre du politique et pour le confronter, il faut sortir de la vision traditionnelle de la « marche de l’histoire ». Il faut revenir sur les contradictions et les luttes affectant la réalité complexe des classes et des luttes de classes, de même que l’influence du monde de …

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