Comptes rendus

Sylviane Giampino et Catherine Vidal, Nos enfants sous haute surveillance : évaluations, dépistages, médicaments…, Paris, Albin Michel, 2009, 283 p.[Notice]

  • Josée-Anne Lapierre

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  • Josée-Anne Lapierre
    Travailleuse sociale en santé mentale jeunesse, CSSS Ahuntsic – Montréal-Nord
    Candidate à la maîtrise en travail social, Université du Québec à Montréal

Alors que les programmes de prévention précoce se multiplient au Québec et que fait rage une campagne publicitaire de la fondation Chagnon sur les bienfaits de la stimulation, d’autres voix réussissent parfois à percer à travers un tableau somme toute assez homogène. Elles déconstruisent ce faisant le consensus apparent autour de ce type d’approche, qui serait « tel que l’expression de tout point de vue critique est quasi impossible sans que son auteur soit accusé d’entretenir des intentions démobilisatrices ». Nos enfants sous haute surveillance, autre pavé dans la mare, est l’oeuvre de Sylviane Giampino, psychanalyste et psychologue, ainsi que de Catherine Vidal, neurobiologiste. En puisant à leur domaine respectif, elles se positionnent contre une prévention mécaniste, mettant en doute qu’il soit possible ou utile de dépister dès la petite enfance des troubles de comportements susceptibles d’évoluer vers la délinquance. D’une part, elles remettent en cause la possibilité même de discerner ces troubles dès le très jeune âge en s’appuyant notamment sur les propriétés de plasticité du cerveau : en effet, si les auteures concèdent que certaines anomalies cérébrales puissent être relevées chez certains enfants – critiquant parallèlement nombre d’études ayant été menées sur le sujet et soulignant des résultats de recherche venant contredire certaines affirmations qui, dans le paysage scientifique actuel, tiennent presque de l’évidence –, elles constatent que les études n’arrivent pas à établir l’origine de ces particularités. Alors que la recherche actuelle se centre surtout sur la mise au jour d’un certain déterminisme génétique dans les comportements violents, les auteures soulignent l’apport essentiel de l’environnement dans le modelage du cerveau. Les connexions entre les neurones s’effectueraient en effet en réponse aux stimuli reçus du monde extérieur, selon une infinité de configurations possibles. Par ailleurs, l’utilisation d’un langage complexe aurait permis selon elles une certaine émancipation de l’humain. « Muni de son gros cerveau, l’être humain a pu échapper aux lois dictées par les gènes et acquérir la liberté de penser, de se projeter dans l’avenir, d’imaginer et de rêver » (p. 194). Ainsi, Giampino et Vidal s’inscrivent en faux contre une conception du développement de l’enfant qui pourrait être réduite à des « déroulés normalisables » et soutiennent qu’il s’agit d’un processus complexe, fait d’allers et retours, dont l’essentiel – l’intrapsychique – est impossible à calibrer. D’autre part, elles mettent en garde contre les effets iatrogènes de telles mesures de prévention. Elles questionnent ainsi l’effet Pygmalion que pourrait avoir l’étiquetage d’un enfant en bas âge : « les mots prononcés à propos des enfants marquent parfois leur avenir : ils créent une image qui s’interpose entre lui et ses parents le regardant » (p. 102). L’encadrement rigide d’un enfant jugé déviant, le traquage de ses comportements dits anormaux, ne pourrait-il pas justement avoir pour effet de tracer une voie vers la délinquance ? Le dépistage massif des troubles de santé mentale aurait ainsi pour effet de teinter d’inquiétude les projections parentales lorsque des troubles sont identifiés, ce qui ne serait pas sans impact sur les interactions avec l’enfant et donc sur son développement : cela en fait une prophétie qui s’autovalide. Une éventuelle informatisation de ces données, appréhendée par les auteures, aurait l’effet similaire auprès des personnes ayant accès à ce dossier, démultipliant les effets de cette stigmatisation. Par ailleurs, les auteures distinguent deux types de problèmes de comportement : ceux qui découleraient d’une mécompréhension des règles à suivre et les autres, symptômes d’une difficulté sous-jacente : « certains enfants ont des difficultés relationnelles ou d’apprentissage qui résistent aux approches pédagogiques comportementales parce qu’ils sont aux prises avec une souffrance psychique ou une pathologie oeuvrant en …

Parties annexes