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Depuis plus de vingt ans, d’importantes transformations se sont opérées au sein des politiques sociales menées en Amérique du Nord, en Europe de l’Ouest et en Océanie. Par rapport aux formes d'État-providence ayant vu le jour dans les suites de la Grande Dépression et de la Seconde Guerre mondiale, une transformation des repères théoriques, axiologiques (valeurs mises en avant) et méthodologiques des politiques sociales peut être observée. En effet, les visées, le discours, l’organisation et les pratiques des organismes publics, parapublics et communautaires portant un mandat d’aide ou d’action sociale se voient modifiés selon une rationalité que divers auteurs qualifient de « modèle de l'État social actif » (Barbier, 2009; Franssen, 2008; Orianne, 2004; Verhoeven, 2002). Le premier temps de cet article s'attachera à décrire la nature de ce changement et à identifier les caractéristiques des politiques sociales d'activation en tant que mouvance politique, institutionnelle et organisationnelle actuellement dominante dans la plupart des pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). À la suite de cet état de la question, basé sur la synthèse d'écrits analysant les évolutions actuelles du champ social dans différents pays de l'OCDE, la question suivante sera examinée à partir d'observations de terrain réalisées au Québec et en France : en quoi les politiques sociales d'activation peuvent-elles présenter des impasses éthiques lors de leur mise en oeuvre auprès des populations auxquelles elles se destinent?

Cette interrogation trouve son origine dans les constats suivants : d'une part, des phénomènes de « perte de sens », de décrochage professionnel, de souffrance éthique, voire de burn-out chez les intervenants.es du champ du social et de la santé sont à présent largement documentés, et ce, dans différents contextes sociaux (en Australie et en Grande-Bretagne : Meagher et Parton, 2004; en France : Molinier, 2004; et, plus près de chez nous, en Nouvelle-Écosse : Weinberg, 2009, et au Québec : Vézina et Saint-Arnaud, 2011). Cela témoigne d'un malaise assez généralisé dans ce champ. Par ailleurs, les effets de ces changements pour la population accueillie au sein des organismes à visée sociale sont étonnamment peu documentés. Il est tout de même possible de repérer des critiques autour des points suivants, émanant d’une population en situation de pauvreté (Durif-Bruckert et Gonin, 2011) : la perception d’un décalage entre les services offerts et ce que souhaiteraient leurs destinataires – en particulier, les exigences liées à l’usage de services sont vues comme décalées par rapport aux réalités qu'ils et elles vivent –, la complexité et le morcellement des parcours à réaliser pour obtenir de l’aide ou des soins, le sentiment de ne pas être reconnu.e au sein de la relation avec certains.es intervenants.es (voir aussi Grenier, 2011).

Il y a donc lieu de s’interroger sur les transformations qui marquent actuellement le champ du social : si, de manière réaliste, on ne peut s’attendre à ce que des politiques sociales soient sans failles, on peut toutefois se demander si le modèle de l’État social actif n’aboutit pas à des impasses éthiques importantes pour la population et les intervenants.es communément engagés dans un travail du social.

L’état social actif : activer les destinataires et les intervenants.es

De plus en plus, ça nous est demandé de produire, d'avoir des résultats.

Mme A., travailleuse sociale, Montréal

Mais je suis quelqu’un qui, encore une fois, croit dans le potentiel de la personne, et qui est exigeante. Parce que, du fait que je crois, j’exige… j’ai le droit d’exiger le meilleur d’eux-mêmes. En général ça les booste.

Mme E., conseillère en insertion professionnelle, Lyon

Le modèle de l’État social actif s’est développé à partir d’une critique des modèles d’État-providence et de Welfare State développés au cours du XXe siècle (Franssen, 2003). Les traits communs de ces derniers, malgré les formes diverses qu’ils ont prises selon les pays (Esping-Andersen, 1990; Ferragina et Seeleib-Kaiser, 2011), se mesurent d’ailleurs à l’aune des transformations opérées entre 1990 et 2010. Le virage politique récemment opéré vers la mise en exergue de la responsabilité individuelle, en Amérique du Nord (Hacker, 2006), en Océanie (Lonne, McDonald et Fox, 2004) et en Europe (Van Oorschot, 2006; Hache, 2007; Franssen, 2008), montre en quoi les politiques sociales progressivement déployées au cours du XXe siècle reposaient davantage sur une redistribution des richesses (plus ou moins large), et sur une conception plus collective des responsabilités reliées aux problèmes sociaux – que ce soit sur le plan de l’explication de leurs origines ou des réponses à leur apporter. Comme le souligne Wim Van Oorschot à propos des politiques sociales danoises : « The system not only has lost part of its solidaristic character, it also turned less collective. » (2006 : 13)

Ce virage peut être mis en lien avec le discours social mobilisant la figure de l’« assisté » (Morel, 2002) en tant qu'individu passif qui « profite » du système et ne fait pas assez d'efforts pour « se prendre en main » au niveau de sa santé, de sa situation sociale ou encore professionnelle (voir Ross, 2009, concernant ce discours aux États-Unis dans les années 1980 par exemple). En réactualisant la figure du « mauvais pauvre » (Geremek, 1978), l'« assisté » représente l'envers du « contribuable » et vient justifier le fait d'« activer les citoyens, leurs compétences, leurs ressources » (Verhoeven, 2002 : 13) en présupposant une tendance à la passivité. Ainsi, les politiques sociales d’activation plongent leurs racines dans le courant du workfare, initié dans les années 1970 aux États-Unis sous l’administration de Richard Nixon. Cependant, la logique initialement sollicitée pour la gestion sociale du chômage et de la pauvreté s’est étendue au secteur de la santé et des services sociaux dans leur ensemble. Ce nouveau modèle d'action publique dans le champ du social et de la santé transforme profondément les visées et le fonctionnement d'organismes dont l'action vise des populations en situation de pauvreté, de chômage, de handicap, de désaffiliation sociale, etc. Comme le souligne Jean-François Orianne :

L’« activation » revêt une double signification : 1) « activer » les dépenses de l’État afin d’assurer une gestion proactive des risques sociaux; 2) « activer » les individus concernés par ces dépenses, d’une part les bénéficiaires, et d’autre part les professionnels chargés de mettre en oeuvre les politiques publiques.

2005 : 2

L'activation des destinataires de ces politiques s'appuie sur de nouvelles formes de conditionnalité (Dufour, Boismenu et Noël, 2003) de l'attribution d'aides ou de services : au-delà de conditions liées à la situation des individus (chômage, pauvreté, itinérance...), l'attribution peut devenir conditionnelle au fait de mettre en oeuvre certaines conduites. Les bénéficiaires doivent ainsi, par exemple, faire la démonstration qu'un emploi est activement recherché, ou encore que l'« obligation d'insertion » dans le cadre de l'allocation du revenu minimum, en France, est respectée. Le discours étatique et institutionnel au sujet des « droits et devoirs » ou des « responsabilités » des destinataires, observable en France comme au Québec (Morel, 2002), s'inscrit dans cette transformation idéologique. Or, si les aides ou services sont donnés sous la condition de remplir certains devoirs, c'est le principe même du droit à ces biens qui est remis en cause et ceux-ci deviennent des privilèges susceptibles d'être retirés. Ces formes de conditionnalité sont à relier à la mise en exergue de la responsabilité individuelle (Soulet, 2005) qui caractérise les politiques sociales d'activation : « dans tous les pays [mettant en oeuvre ces politiques], la rhétorique politique a poursuivi des objectifs symboliques d’affirmation d’un discours de responsabilisation (et de culpabilisation) des personnes » (Barbier, 2009 : 28). Cette forme de conditionnalité de l'accès aux services ou à l'aide valide, sur le plan politique, un climat de défiance vis-à-vis des personnes visées par les politiques sociales et de santé. Elle traduit une suspicion concernant leurs capacités ou leur bonne volonté (manque de volonté de « s'en sortir », de faire des efforts ou de travailler), ce qui signale et entérine le fait que les bases de confiance vis-à-vis de certains.es citoyens.nes sont ébranlées.

D'autre part, le financement des organismes et des programmes à visée sociale est également rendu conditionnel au fait d'atteindre des « cibles » et de démontrer leur « performance » (AQESSS, 2011), sur la base de données quantitatives. L'obligation de moyens[2] précédemment attendue du champ de la santé et des services sociaux se voit ainsi doublée d'une obligation de résultats. Dans cette perspective, la désormais célèbre « nouvelle gestion publique » peut être comprise comme un moyen d'activation des dépenses publiques et des intervenants.es du champ social. De nouveaux modèles organisationnels sont en effet mobilisés pour mettre en oeuvre ces transformations politiques et idéologiques :

Le pli a, peu à peu, été pris d'importer [dans le service public] des principes et des méthodes issus du monde de l'entreprise, laquelle serait, de par son exposition au marché, contrainte à une efficacité optimale. Aussi y applique-t-on deux principes de gestion et d'organisation, qu'il est important ici de distinguer :

  • des principes d'économie d'échelle destinés à améliorer l'efficience : productivité, concentration des établissements, spécialisation des prestations, informatisation de l'accès à l'information;

  • des principes fondés sur le contrat, dans la gestion des ressources, destinés à stimuler l'efficacité de l'organisation et la gestion : contractualisation des objectifs, décentralisation de la gestion, recours à des audits, externalisation et sous-traitance de fonctions, gestion des ressources humaines, gestion individualisée des compétences, évaluation des résultats...

Ginsbourger, 2008 : 21

Ce que décrit Francis Ginsbourger au sujet des transformations des services publics français correspond également aux réalités du contexte québécois, et concerne par ailleurs aussi les organismes parapublics et parfois même ceux issus de la société civile (tels les organismes communautaires), puisque leurs financements sont liés aux politiques sociales. Cela rejoint également ce que soulignent Gabrielle Meagher et Nigel Parton : « the process of modernisation can be seen as furthering the growing managerialisation of social work and social care via its intense focus on performance and efficiency targets, together with the growing emphasis of centralised and formulaic regimes of inspection and scrutiny » (2004 : 11).

En lien avec la standardisation indispensable à ces formes de régulation, les politiques sociales d'activation entrent en cohérence avec l’épistémologie des données probantes (Couturier et Carrier, 2003; Paillé, 2012) et les « meilleures pratiques » définies à partir de ce cadre. Ceci est très explicitement formulé dans un document officiel du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, par exemple :

D’une part, la standardisation vise l’alignement des pratiques avec des normes et des standards reconnus et applicables aux contextes locaux. La standardisation s’applique aussi aux pratiques cliniques individuelles et de groupe par le biais de l’adhésion à des protocoles ou lignes directrices fondés sur les données probantes ou les meilleures pratiques selon les consensus d’experts.

MSSS, 2004 : 25

Avec ces protocoles et lignes directrices qui correspondent à une prescription précise de procédures d’intervention, un contrôle plus étroit de l’activité est rendu possible au nom de « l'appréciation de la performance » des organismes, voire également, de manière individuelle, de celle des intervenants.es. Les comparaisons mensuelles effectuées entre Centres locaux de services communautaires (MSSS, 2009), et plus largement au sein du réseau de la santé et des services sociaux, à l’échelle locale, régionale et provinciale, s'inscrivent par exemple dans cette logique.

Comme le soulignent Philippe Chanial (2010) ainsi que Meagher et Healy (2003), un rationnel d’amélioration des services rendus et de surveillance d’une bonne utilisation des fonds publics (ces deux visées se combinant dans les principes d’efficience et d’efficacité) sous-tend la justification de ce modèle, ce qui correspond certes à des objectifs légitimes. Cependant, peut-on affirmer que les politiques d’activation permettent effectivement d’atteindre ces objectifs? Jean-Claude Barbier (2009) affirme que, sur les plans économique et sociétal, les promesses de ces politiques concernant la réduction de la pauvreté et de l'exclusion sociale n'ont pas été tenues. En appliquant les principes dont ces politiques se revendiquent, leur efficacité pour agir sur des problèmes sociaux de ce type est donc loin d'être démontrée. Sur un plan plus qualitatif, que peut-on dire des effets de ces politiques pour leurs destinataires et pour les intervenants.es chargés de les mettre en oeuvre? À partir d'observations réalisées dans trois contextes distincts, une analyse critique de leurs impacts, sur un plan éthique, va être développée (Gonin et Jouthe, sous presse).

En quoi les politiques sociales d'activation présentent-elles des impasses éthiques ?

Méthodologie

L’analyse développée ci-après s’appuie sur des données empiriques issues de trois terrains de recherche : une recherche menée en France auprès d’intervenants.es du champ social (Gonin, 2008), une recherche menée au Québec auprès de travailleurs sociaux en 2010 et une recherche menée au Québec auprès d'aînés.es destinataires d'interventions (Grenier, 2011). Ces recherches documentent le vécu subjectif d'acteurs expérimentant de l'intérieur l'application des politiques sociales d'activation. L'approche inductive et qualitative privilégiée dans ces investigations permet d'entendre les points de vue émis au sujet du quotidien de leur pratique professionnelle ou des services reçus, sur la base de questions ouvertes qui laissent le choix aux participants.es de ce dont ils/elles veulent rendre compte.

Les deux recherches qui ont permis de recueillir le point de vue d'intervenants.es sociaux, en France et au Québec, visaient à documenter leurs conceptions de leur rôle – fonctions, contexte et modalités de l'exercice professionnel –, de manière générale. La même démarche de recherche a été appliquée à ces deux terrains : le recueil de données consistait en la demande de décrire leur rôle, ainsi que de raconter des expériences de pratiques et de parler des aspects positifs et négatifs du métier. Vingt-sept entrevues non directives ont été réalisées en France (14 conseillers et conseillères en insertion professionnelle travaillant dans des associations d’insertion de la région lyonnaise et 13 assistantes de service social du Conseil général du Rhône), et au Québec, 9 entrevues avec des travailleurs et travailleuses sociaux exerçant au sein d’un CSSS de Montréal (service de maintien à domicile, milieu scolaire et accueil psychosocial) ont été réalisées. Ce corpus de données a été analysé en faisant appel à différentes méthodes : analyse thématique (Braun et Clarke, 2006), analyse des relations logiques (Gonin, 2008), traitement du corpus avec le logiciel Alceste (Reinert, 2001), dans une perspective de triangulation méthodologique (Flick, 1998). La plainte assez massive qui a émergé au cours de cette recherche, tant en France qu'au Québec, a été une surprise : ces données nous ont amenés à nous interroger sur les origines de discours très critiques sur l'orientation et l'organisation des interventions. L’énonciation de ce point de vue est certes à situer dans le contexte de la place et des intérêts que les intervenants.es défendent, et les données discursives recueillies dans le cadre de nos recherches ne sont pas comprises en tant que descriptions neutres des réalités rencontrées par les participants.es. Toutefois, la dimension subjective mais aussi collective de ces perceptions et positionnements a, en soi, une valeur informative : ces données nous renseignent sur la manière dont ces acteurs sociaux comprennent et sont affectés par le contexte dans lequel s'inscrit leur activité. Ainsi, les données recueillies dans le cadre de ces investigations viennent documenter de manière qualitative une dimension qui n'est finalement pas prise en charge dans le Rapport d'appréciation de la performance du système de santé et de services sociaux (CSBE, 2011) : la dimension du « maintien des valeurs » devant estimer le « consensus sur les valeurs du système et le climat organisationnel » (CSBE, 2005 : 17). Cette dimension initialement prévue pour l'évaluation de la performance n'est pas intégrée et nos données apportent des informations qualitatives à son sujet.

Par ailleurs, la recherche Regards d’aînés sur le vieillissement : justice, autonomie et responsabilité partagée (Grenier, 2011) rapporte les propos d’aînés.es (30 personnes), âgés de 70 à 91 ans, et recevant des soins et des services à domicile de divers intervenants.es. La recherche visait à élucider le rapport des aînés.es à ces services, en les interrogeant sur leur vécu, leur perception et leurs attentes vis-à-vis du système de santé et de services sociaux au travers d'entrevues semi-dirigées. Les données ont été classées et analysées (Mukamurera, Lacourse et Couturier, 2006) à l'aide du logiciel Nvivo et ont permis de mettre en évidence que, parallèlement à l'expression d'une satisfaction globale, des plaintes au sujet d'attitudes impersonnelles ou dévalorisantes sont formulées. Nous verrons plus tard en quoi cela peut être relié à la mise en oeuvre de politiques sociales d'activation.

Des phénomènes de perte de confiance vis-à-vis de l'institution, pour les intervenants.es

Les intervenants.es sociaux, qui expérimentent au quotidien les modalités selon lesquelles leur activité est organisée, occupent une position privilégiée pour en témoigner. Qu’en disent-elles/ils, et quel est leur point de vue concernant les conditions actuelles de leurs pratiques? De manière générale, un regard assez critique est porté sur les transformations récentes du champ du social et de la santé, et ce, de manière plus marquée chez les intervenants.es qui ont plus de dix ans de pratique professionnelle. Sur un total de 36 participants.es, travaillant dans différents contextes et organismes (l’échantillonnage a été réalisé de manière délibérément hétérogène), aucun.e ne soutient que les évolutions des politiques sociales ont été globalement positives, tandis que des propos critiques sont très régulièrement énoncés au fil des entrevues – comme nous allons le voir ci-après. Parmi les quelques aspects perçus de manière positive par les participants.es, six intervenants.es sur 36 estiment que les politiques actuelles permettent de lutter contre « l’assistanat », ou contre les personnes qui « utilisent le système ». D’autre part, l’idée que les modalités des programmes d’action sociale ou d’insertion permettent de « booster » (dynamiser) les personnes est exprimée, mais surtout par les conseillers et conseillères en insertion professionnelle rencontrés en France (11 occurrences du verbe « booster », par 5 intervenants.es). Ces perceptions positives représentent quelques rares contrepoints à un regard assez largement négatif sur les évolutions qui ont marqué le champ du social dans les dernières années.

Dans le premier temps de cet article, nous avons décrit les grandes caractéristiques des politiques sociales d’activation : comment se traduisent concrètement les traits mis en avant dans ce premier temps? Les données empiriques recueillies dans le cadre de nos recherches permettent de voir selon quelles formes pratiques se décline le modèle de l’État social actif dans différents contextes et milieux de pratique. La standardisation de l’activité introduit de nouveaux fonctionnements, encadrés par des normes, des cibles (objectifs quantitatifs) et des procédures plus précises. À ce cadre de prescriptions sont associés des moyens de vérification, visant à s’assurer plus ou moins étroitement que la marche à suivre est respectée, et les « cibles » atteintes. Par exemple, cela s’effectue de la manière suivante dans les organismes d’insertion en France, qui reçoivent des financements du Fonds social européen : 

Parce que l'Europe, ils contrôlent tout : il faut tout garder, il faut penser à bien archiver nos conventions. Là, en fin d'année, il faut archiver nickel toute l'année, sachant que, en général, une fois par an, on a un contrôle des services faits. Donc par exemple, ça veut dire que vous venez avec tous vos dossiers, ils en prennent dix au hasard et ils ouvrent : « Qu'est-ce que vous pouvez me dire de cette personne? C'est quoi la progression, et là, son CV, pourquoi il n’est pas fait? C'est quoi la progression pédagogique, où elle en est? », et cetera. On a trois minutes par dossier.

Mme K., conseillère en insertion professionnelle, Lyon

Étant donné que les conseils généraux[3] financent également ces organismes, ils mènent de manière parallèle une autre vérification de l’activité :

Le Conseil Général dit : on se doit à tout moment d'être à leur disposition pour faire le point sur tous les bénéficiaires. [] L’année dernière, on est allé trois fois, sur les trois territoires où on intervient, en vis-à-vis, avec notre synthèse de bilan : voilà, un par un, 150 personnes. Premier, voilà : « Vous avez fait quoi, qu'est-ce qu'il fait? Et il est là pourquoi? Il n’a pas son contrat d'insertion à jour... » Et on ne se les ai pas louchées, les 150 personnes!

Mme K.

On voit ainsi comment se déploie concrètement l’activation des intervenants.es, qui doivent démontrer l’efficacité et la pertinence de leur action à leurs bailleurs de fonds, en particulier en faisant état de « taux de réussite[4] » suffisamment élevés pour que leur financement soit reconduit. La vérification de l’activité n’est pas toujours réalisée de manière aussi étroite, mais elle est néanmoins bien présente à l’esprit de l’ensemble des intervenants.es interrogés, qui en contestent par ailleurs assez régulièrement les modalités :

La reddition de comptes, tu sais, la lourdeur administrative de ce programme-là, ouf! Ça nous empêche un peu, je trouve, d'être dans l'action, puis de… de rendre compte réellement de notre profession au quotidien, là, quand on passe autant de temps pratiquement à remplir des formulaires, des notes, des statistiques…

Mme C., travailleuse sociale en CSSS, Montréal

Six des neufs intervenants.es rencontrés au Québec énoncent spontanément que le temps consacré à la reddition de comptes représente une charge de travail importante, et que cela restreint, à leur sens, le temps passé à apporter des services à la population, ou à analyser et à prendre du recul vis-à-vis des situations rencontrées[5]. De manière plus générale, aucun.e des 36 intervenants.es interrogés au Québec et en France n’affirme que le fonctionnement est plus efficace ou efficient, le sentiment général étant plutôt qu’il y a eu une réduction de la quantité de services offerts à la population, mais aussi une perte sur le plan de leur qualité – en particulier, l'idée d'une « déshumanisation » de l'activité est récurrente. Par ailleurs, des critiques sont formulées au sujet de l'usage des données statistiques transmises dans le cadre de la reddition de comptes :

Ce que je trouve difficile, c'est la paperasse, c'est les papiers, c'est les statistiques, c'est les formulaires… Ce que je trouve, c'est qu'il y a beaucoup, beaucoup de contrôle maintenant sur ce qu'on fait. Les statistiques, on en fait depuis les années 1980, qui étaient supposées justifier des budgets, nous donner plus d'argent, et ce n'est vraiment pas ça qui se passe. Y'a pas plus d'argent, et à un moment donné, on se fait dire : « vous avez vu tant de personnes, vous avez pris tant de temps pour les voir, et l'autre CLSC, ce n'est pas ça », et ils ne tiennent pas compte de la particularité de chacun des territoires. Je trouve ça déprimant, euh… frustrant.

Mme A., travailleuse sociale en CSSS, Montréal

Le témoignage de cette travailleuse sociale illustre fort bien l'analyse que produit Christophe Dejours au sujet des mécanismes d'évaluation de l'activité :

Les évaluations en question, évaluations individualisées des performances, sont au demeurant critiquables parce qu’elles sont arbitraires. L’évaluation quantitative et objective du travail, en effet, ne peut être que prétexte à l’arbitraire parce qu’il est facile de montrer que l’essentiel du travail n’est pas évaluable objectivement et quantitativement. Il s’ensuit forcément un sentiment confus d’injustice qui a aussi sa part dans l’apparition des décompensations, notamment à forme de syndromes dépressifs et de syndromes de persécution.

2006 : 135

Un sentiment de découragement chez les intervenants.es était parfois très palpable dans certaines entrevues. Une perte de confiance vis-à-vis de l’institution est exprimée de manière récurrente : 

Les valeurs de ma profession ne s'accordent plus nécessairement aux valeurs des institutions pour lesquelles je travaille, là. Je vois qu’il y a comme un changement de paradigme majeur aujourd'hui.

Mme G., travailleuse sociale en CSSS, Montréal

Comment ça se fait que la structure remarque qu’il y a des burn-out, puis des épuisements, puis que… Puis tu sais, je ne veux pas juger, j'essaie d'avoir confiance en ma boss, puis en ma big boss, puis en ma big big boss, puis euh… j'essaie d'avoir confiance en leur jugement.

M. E., travailleur social en CSSS, Montréal

On a des caseloads incroyables, ça fait que le côté humain, c'est plate, mais des fois ça prend un peu le bord… Puis ça, c'est un gros désavantage parce que ça ne colle pas à nos valeurs, puis on a de la misère à vivre avec ça.

Mme F., travailleuse sociale en CSSS, Montréal

On constate ainsi que l'encadrement plus serré des pratiques, selon des objectifs et des modalités que contestent bon nombre des intervenants.es interrogés, induit chez eux un malaise important. Ces observations rejoignent, en y apportant un éclairage qualitatif, les résultats d’études quantitatives qui montrent, d'une part, un large désaccord des intervenants.es avec les transformations de l'orientation et de l’organisation du travail dans le réseau de la santé et des services sociaux au Québec (Soares, 2010), et d'autre part, les liens entre le fait d'avoir peu de latitude décisionnelle et la souffrance au travail, dans le contexte d'un travail émotionnellement exigeant (Vézina et Saint-Arnaud, 2011). Elles rejoignent également les résultats de recherches menées dans le secteur de la santé en France (Molinier, 2004; Cintas, 2007). Précisons que, pour le Québec, notre investigation s'est déroulée dans un CSSS distinct de celui de la recherche de Soares, ce qui tend à indiquer que le mal-être des intervenants.es dépasse le cas particulier d'un organisme. En Colombie-Britannique, le nombre de congés de maladie a été anormalement élevé entre 2002 et 2006, période au cours de laquelle 10 % du personnel du Child Welfare Ministry ont par ailleurs quitté leur emploi en invoquant les motifs suivants :

Unmanageable caseloads, a lack of confidence in all levels of leadership and management, high stress levels, and a lack of preventative and supportive resources for children and families

Pivot Legal Society, cité par Weinberg, 2009 : 140

Ces formes de perte de confiance des intervenants.es vis-à-vis de leur institution, que Merlinda Weinberg analyse sous l'angle de la détresse morale, ont une dimension internationale puisqu'on les observe également en France (Dejours, 2006), en Australie (Lonne, McDonald et Fox, 2004), etc. Ces différents travaux documentent la dimension qui a disparu du cadre d'évaluation EGIPSS, appliqué au système de santé et de services sociaux, à savoir celle devant estimer le « consensus sur les valeurs du système et le climat organisationnel » (CSBE, 2005 : 17). Le faisceau d'études quantitatives et qualitatives pouvant être rattachées à cette dimension constitue une base raisonnable pour penser qu'il y a, au Québec comme dans les autres pays mobilisant la logique de l'État social actif, un problème assez majeur sur le plan de la confiance des intervenants.es vis-à-vis des orientations et des méthodes mises en oeuvre dans le champ de la santé et des services sociaux. Les impacts de ces orientations politiques et organisationnelles pour ces intervenants.es ont un coût humain élevé (démotivation, souffrance morale au travail, décrochage professionnel, burn-out), qui représente la première impasse éthique des politiques d'activation.

Des effets délétères pour la qualité de l'intervention

Après avoir souligné les effets négatifs des transformations de l'orientation et de l'organisation de l'activité pour les intervenants.es du champ de la santé et des services sociaux, nous allons à présent centrer l'analyse sur les impacts qu’ont ces changements sur l'intervention en tant que telle.

Impacts négatifs de la démotivation ou de la fatigue des intervenants.es

Comme nous venons de le voir, le constat d’effets de démotivation, d’une augmentation des décrochages professionnels, du mal-être au travail et de l’épuisement dans le champ du social et de la santé est assez largement établi. Au-delà de leur coût social et économique important (Maslach et Leiter, 2008), ces phénomènes ont également des impacts négatifs sur les destinataires des politiques d'activation. En effet, il est clairement établi que la démotivation et l’épuisement professionnel conduisent régulièrement à des attitudes problématiques sur le plan éthique de la part des intervenants.es (Dyrbye et al., 2011) : indifférence, défaut de reconnaissance, voire dévalorisation des personnes visées par l'intervention... Cela peut être mis en lien avec les critiques formulées par les destinataires qui ont été mentionnées au début de cet article (Durif-Bruckert et Gonin, 2011). Lors d'entrevues réalisées au Québec avec des aînés.es (Grenier, 2011), ceux et celles-ci ont régulièrement critiqué les interventions menées de manière impersonnelle : « Moi, j’aimerais qu’on respecte le monde comme des humains, pas comme des numéros. Mon Dieu que c’est laid et que je n’aime donc pas cela. C'est épouvantable. » (Mme B. M., Montréal)

La standardisation comme obstacle à la prise en compte de la singularité

Parallèlement au facteur du mal-être des intervenants.es, la dépersonnalisation vécue dans les rapports avec ces derniers peut aussi être mise en lien avec la standardisation des interventions : celle-ci réduit la possibilité de singulariser l'action au regard de la situation et de la demande spécifiques des destinataires. Dans la recherche mentionnée précédemment (Grenier, 2011), les aînés.es rencontrés ont eu le sentiment d’avoir leur juste part dans leur recours aux services lorsqu’ils ou elles ont été pris en considération comme des personnes uniques, dans leur singularité. Certes, le principe d'équité dans le traitement des demandes – qui peut justifier le fait de faire appel à une intervention standardisée – est une exigence éthique importante. Toutefois, celle-ci entre en tension avec une autre exigence : celle du « respect de l'individualité », telle que le formule par exemple le code d'éthique du CSSS Jeanne-Mance (2008), qui rejoint par ailleurs le principe de « s'abstenir d'exercer sa profession de manière impersonnelle » énoncé dans le code de déontologie s'appliquant au travail social au Québec. Considérant qu'aucun de ces principes ne peut être priorisé vis-à-vis d’un l'autre, la tension entre équité et prise en compte de la singularité constitue une complexité inhérente à l'intervention, complexité qui ne peut être réduite sans poser problème sur un plan éthique. En effet, dans le contexte de sociétés fortement marquées, sur le plan axiologique, par un idéal de singularité (Namian, 2011), cette dernière ne peut être évacuée sans faire violence sur le plan subjectif. Les critiques formulées par les destinataires interrogés témoignent de l'impasse éthique que présentent les interventions reposant sur un cadre qui devient rigide à force d'être standardisé, et qui laisse peu de place à la personnalisation en tant que prise en compte de la singularité de la demande d'une personne dans l'agir professionnel.

Une dominance de la rationalité économique, au détriment de la reconnaissance des enjeux affectifs qui se logent dans les relations humaines

Troisièmement, la « rationalisation » de l'activité, qui tend à envisager celle-ci principalement selon un cadre d'analyse économique (postulat de l'homo oeconomicus, où l'attention se concentre sur les coûts et bénéfices à court terme), laisse également peu de place, dans la conception et l'organisation du travail, à la prise en compte de la dimension affective qui s'enchâsse aux interactions sociales. Or, cette négation de phénomènes déterminants dans les conduites et les relations humaines, fort peu rationnelle en somme, conduit à se priver d'éléments majeurs pour informer l'action. Cela peut par ailleurs susciter le problème suivant : un défaut de reconnaissance des besoins affectifs a régulièrement été soulevé par les destinataires de l'intervention. La demande de « se faire traiter comme une personne humaine qui a besoin de TLC : tender loving care », le « besoin de plus de chaleur » (Mme P., Montérégie) ont par exemple été énoncés. De telles attentes viennent indéniablement questionner les limites du rôle de la société civile et de l'État, ainsi que les conceptions culturelles selon lesquelles l'affectivité n'a d'existence légitime que dans le champ de socialité primaire caractérisant les relations familiales ou amicales (Godbout et Caillé, 1992). Cependant, des perspectives telles que celle de l'éthique du care (Tronto, 2010; Paperman, 2010) permettent de prendre en compte cette dimension dans le champ professionnel, en intégrant les enjeux relationnels et affectifs à la conception et à la réalisation d'une intervention professionnelle de qualité, sur les plans théorique, méthodologique et éthique. La rationalisation de l'activité telle qu'elle s'opère dans le cadre de politiques d'activation n'est donc pas la seule rationalité possible pour concevoir et organiser la mise en oeuvre d'interventions sociales.

Contradictions internes et effets pervers des formes actuelles d'encadrement et d'évaluation de l'activité

Il était affirmé, dans la première section de cet article, que les politiques d'activation induisent un contrôle plus étroit de l'activité des intervenants.es. Cela se traduit, concrètement, par la définition de l'activité sur un mode opératoire et procédural, sur la base d'objectifs, de normes et de « bonnes pratiques » comprises en tant qu'actes techniques à produire. Le contenu de différents guides de pratique, qui foisonnent depuis quelques années, témoigne de cette tendance, selon laquelle un bon travail correspond au fait de bien appliquer les pratiques prescrites. La demande politique et organisationnelle de conformation à ces standards tend ainsi à renforcer un état « agentique » chez les intervenants.es, état dans lequel on se fait « agent de la volonté d’autrui » (Milgram, 1974) qui règle sa conduite sur les prescriptions formulées par l'autorité. Or, le corollaire bien connu du passage à l'état agentique est la perte du sentiment de responsabilité.

Dans le même temps, le discours sur l'imputabilité des intervenants.es se fait plus présent, et un appel à la « responsabilité populationnelle » (MSSS, 2011) est formulé. En adjoignant une plus grande imputabilité à une prescription plus étroite des conduites à mettre en oeuvre, les politiques sociales d'activation contiennent une contradiction interne difficilement tenable pour les intervenants.es. Comme le soulignent Clot et Litim, « il faut toujours plus fréquemment assumer les responsabilités de l’action envers autrui et ses imprévus sans pouvoir agir sur ce qui rend cette même action crédible, efficace ou légitime » (2008 : 103). Les propos de cette travailleuse sociale illustrent en quoi cela suscite un sentiment d'impuissance et d'injustice :

Puis de me sentir impuissante dans un organisme qui est rendu tellement gros, puis… On n'est tellement plus impliqué au niveau décisionnel, même l'information, on l'apprend quand ça se fait, là. On n’est pas consulté sur les impacts, puis après c'est nous qui récoltons la brique des deux bords.[] On doit dire aux gens : « Vous êtes une priorité trois, vous n’aurez pas de services. On va vous mettre sur une liste d'attente. » Donc ça déshumanise, puis c'est nous qui portons ça, donc tu sais, quand on n’est pas en accord avec les pratiques de notre établissement, puis qu'on doit les appliquer, puis qu'on voit les besoins [de la population], on voit la nécessité... De gérer ça, c'est comme pas évident.

Mme C., travailleuse sociale en CSSS, Montréal

Par ailleurs, le fait de faire passer la responsabilisation des intervenants.es par une évaluation de leurs « résultats », qui se limite à des indicateurs quantitatifs tels que le nombre de demandes traitées par mois, place les intervenants.es dans une situation assez proche d'un conflit d'intérêts. Par exemple, l'intérêt des intervenants.es, qui consiste d'une part à traiter les demandes le plus rapidement possible afin d'avoir de bonnes statistiques, entre d'autre part en conflit avec le principe d'offrir une intervention de qualité (OTSTCFQ, 2010), qui implique une compréhension approfondie des caractéristiques de la situation afin d'apporter des réponses adaptées et pertinentes, à court et à long terme. Également, les évaluations basées sur des « taux de réussite » peuvent tendre à renforcer l'effet Matthieu (Damon, 2002) par lequel, dans le champ social, ceux ou celles qui auraient le plus besoin d'aide seraient défavorisés par rapport à des personnes moins en difficulté (Michalot, 2010) : moins de services attribués, exclusion d'un programme ou d'une place d'hébergement, implication moindre des intervenants.es... Lorsque les organismes et les intervenants.es doivent démontrer la pertinence de leur action par des résultats de type « taux de réussite », des stratégies de sélection des personnes les plus susceptibles d'atteindre les objectifs fixés par les bailleurs de fonds peuvent se mettre en place :

Parce qu'on sait que si on se plante sur dix dossiers, c'est peut-être 50 000 € de moins de subventions. [] On va avoir un public qui relève d’une plus grosse problématique et du coup on n’atteindra pas nos objectifs fixés. [] Ça nous oblige à avoir un diagnostic suffisamment fin pour voir si on le garde [le destinataire de l'intervention], ou si on ne le garde pas.

Mme O., conseillère en insertion professionnelle, Lyon

Ces formes de concurrence d'intérêts, entre ceux des destinataires (bénéficier de certains services, prendre le temps de construire un projet professionnel ou de soin dans lequel ils ou elles se reconnaissent) et ceux des organismes et des intervenants.es (avoir de bons résultats pour maintenir leur financement), peuvent ainsi nuire à l'intégrité professionnelle. Cet exemple illustre l'enjeu de sélection de « bons clients » en vue du maintien du financement de l'organisme, car les personnes les plus en difficulté ne sont pas celles qui permettront de mettre en avant les meilleurs résultats. L'introduction d'une obligation de résultats dans le champ du social et de la santé, au-delà d'une obligation de moyens, vient donc susciter de nouvelles dynamiques d'exclusion, au sein même d'un champ censé les combattre. Cette impasse éthique n'est certes pas la moindre de celles qui sont décrites dans cet article.

Il ne s'agit pas ici de contester la légitimité d'une reddition de comptes quant au travail réalisé au sein d'organismes ayant un mandat d'aide ou d'action sociale : il est en effet important, tant sur un plan éthique que sociétal et économique, d'examiner les modalités selon lesquelles les interventions sont réalisées, ainsi que les effets qu'elles produisent pour une population donnée. Cependant, divers problèmes sont associés aux modalités actuellement utilisées : celles-ci mènent à l'impasse éthique d'un renouvellement des logiques d'exclusion, d'une part, et d'autre part à un renforcement de l'état agentique des intervenants.es peu favorable au développement d'une réflexivité éthique. Par ailleurs, la standardisation des interventions et la rationalité sur laquelle repose l'orientation politique et organisationnelle des pratiques produisent également des effets discutables. Finalement, la perte de confiance majeure des intervenants.es vis-à-vis du système de santé et de services sociaux au sein duquel ils ou elles oeuvrent, dans différents pays de l'OCDE, est un constat qui inquiète. Au-delà du coût humain, social et économique, c'est aussi de la qualité des services dont il est question. En élargissant le propos aux orientations actuelles des politiques sociales, nous rejoignons donc ce que souligne Joan Tronto :

When care givers find themselves saying that they care despite the pressures and requirements of the organization, the institution has a diminished capacity to provide good care. Many managerial rules may be necessary for the smooth functioning of organizations, but when they come into conflict with the provision of care, it is time to rethink them.

2010 : 165-166