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Voici un ouvrage qui allie de manière fort originale recherche scientifique, capacité de vulgarisation et plume poétique. Tout un exploit ! En effet, ce livre n’a pas du tout la facture traditionnelle de l’ouvrage scientifique, souvent abstrait et de lecture parfois aride. Nous avons plutôt entre les mains un ouvrage qui se veut accessible au grand public et qui gagne son pari. L’auteur-chercheur, Mario Paquet, nous convie donc à une rencontre peu banale entre une fidèle représentante de ces aidants dits « naturels », prénommée Autonome S’démène, et lui-même, dont les travaux de recherche portent depuis plusieurs années sur l’univers des familles qui décident de prendre soin d’un proche à domicile. Cette rencontre nous est présentée sous forme de dialogue, où le personnage fictif et son auteur échangent sur différents aspects de l’expérience de soins à domicile. Si ce dialogue très coloré a le mérite de rendre la lecture de cet ouvrage des plus agréables et des plus accessibles, la forme privilégiée pour livrer des résultats de recherche peut surprendre et laisser certains lecteurs, habitués au style de publication scientifique traditionnelle, un peu interloqués. Par ailleurs, nous croyons que cette lecture est indispensable pour les étudiants de travail social ou de gérontologie, et pour tous les intervenants de la santé et des services sociaux qui travaillent auprès de ces familles qui prennent soin d’un proche.

L’ouvrage est divisé en sept temps : un prologue, où l’on donne un avant-goût du dialogue auquel le lecteur est convié, cinq chapitres, qui abordent tous un aspect de l’expérience de soins à domicile, et un épilogue, où l’auteur revient sur les grandes lignes du livre. D’abord, nous faisons la connaissance d’Autonome S’démène, un personnage fictif inventé par Mario Paquet pour illustrer, le plus fidèlement possible, ce que peut vivre une personne qui prend soin d’un proche. Cette aidante « surnaturelle » nous présente un peu sa vie au quotidien, alors qu’elle prend soin à temps plein de son mari dépendant. Par la même occasion, elle nous livre sa vision du système de santé actuel et se permet d’en faire une analyse fort critique, mais très juste. L’auteur, à travers son personnage, met en relief les contradictions, les enjeux et les défis qui se posent au système de santé en général, et au maintien à domicile en particulier. La sacro-sainte notion de « partenariat » est particulièrement critiquée à travers le regard et l’expérience de cette aidante « surnaturelle » et l’on ne peut que constater, comme le fait l’auteur, que si le citoyen devait être au centre du système de santé, il n’a jamais été autant à la périphérie que depuis que la rhétorique politique l’a mis au centre (p. 215). Au détour de cette analyse critique de ce qu’est le partenariat, ou plutôt de ce qu’il n’est pas, les propos d’Autonome S’démène nous éclairent sur ce que devrait être ce partenariat. Cette « proximité à distance » qu’elle réclame à grands cris est selon nous l’objectif à atteindre pour quiconque intervient auprès de ces personnes-soutiens.

Dans un deuxième temps, les rôles s’inversent et c’est Mme Autonome S’démène qui interroge le chercheur sur son univers de recherche. Ce chapitre nous renseigne quant à la méthodologie privilégiée par l’auteur et au point de départ de sa démarche tout en faisant le point sur l’étendue des connaissances scientifiques sur le soin familial aux personnes âgées dépendantes. On saisit alors mieux l’objectif central de l’auteur, soit de mieux comprendre la complexité de la logique familiale de soins auprès d’un proche dépendant.

Puis le troisième et le quatrième chapitre nous permettent, à travers les récits de deux authentiques aidants « surnaturels », et l’analyse de ceux-ci, de pénétrer de plain-pied dans l’expérience de soins à domicile. Ces deux récits, celui de madame Bernier et de monsieur Saint-Arneault sont d’une incroyable richesse humaine. Cet homme et cette femme relatent tous deux, avec une infinie tendresse, ce que représente pour eux l’expérience de prendre soin d’un être aimé. À la lumière de leur expérience, on ne peut qu’être en accord avec Francine Saillant (2000) lorsqu’elle qualifie ces aidants de « réparateurs d’existence » et de « fabricants d’humanité » (p. 39).

Finalement, le chapitre cinq aborde la question de la réticence des personnes soutiens à utiliser les services formels ou informels qui s’offrent à eux pour les aider dans leurs tâches quotidiennes. Cette réticence, que les intervenants observent souvent et qu’ils ont parfois du mal à s’expliquer, trouve peut-être son origine dans la structure même de l’organisation des services. Il importe donc, pour l’auteur, de sensibiliser les intervenantes et les intervenants au fait que la logique de l’aide des familles est fort différente de celle du réseau de services. Sans oublier que le domicile est un espace privé, un espace de résistance fragile et réservé, tout à fait différent de l’institution où travaillent habituellement les professionnels de la santé et des services sociaux. Il faut, par conséquent, modifier les pratiques pour une adaptation des services à la dynamique familiale qui respecte les besoins et les valeurs des personnes aidantes et la solidarité familiale (p. 207). D’ailleurs, ce chapitre se termine par une synthèse à l’intention des praticiens quant aux implications pratiques de la recherche sur la réticence, où l’on présente succinctement ce que le milieu de pratique doit retenir à propos de la logique familiale de soins et comment déceler en trois étapes une attitude de réticence au sein d’une famille.

Cela étant dit, l’apport le plus significatif de cet ouvrage est, selon nous, de donner une vision juste de la réalité de ces aidants dits « naturels » et de démontrer justement à quel point leurs tâches et responsabilités quotidiennes sont « surnaturelles », voire « surhumaines ». C’est aussi, pour les chercheurs, les professionnels et les futurs intervenants, une invitation à être plus près des familles (p. 47). Et bien au-delà de la question de la relation nécessaire dans les soins à domicile, nous croyons que cet ouvrage pose toute la question des liens sociaux dans l’accompagnement de ceux et celles qui vivent l’expérience de soins auprès d’un proche. On le sait, l’expérience des soins à domicile est marquée par l’isolement et la solitude. Les proches s’épuisent et les amis s’éloignent parce que la maladie fait peur. Le réseau social de la personne aidante, tout comme celui de la personne aidée, s’amenuise peu à peu. Il devient donc crucial de donner une voix et une place à ces héros du quotidien. Leur engagement et le rôle qu’ils jouent auprès des personnes âgées dépendantes est de première importance. Il serait bien temps de le reconnaître !